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Date : 20220526


Dossier : T‑223‑22

Référence : 2022 CF 762

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

JOSHUA KLEIMAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Joshua Kleiman, sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de validation des prestations [l’agent] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], qui a conclu qu’il n’était pas admissible à la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE].

Le contexte

[2] La Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], est entrée en vigueur le 2 octobre 2020 et a établi la PCRE. Cette prestation était offerte afin de fournir un soutien du revenu, pour toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID‑19. Le ministre responsable de la PCRE est le ministre de l’Emploi et du Développement social (LPCRE, art 2, 3 et 4). Cependant, la PCRE est administrée par l’ARC.

[3] Le demandeur a demandé et obtenu la PCRE pour sept périodes de deux semaines comprises entre le 27 septembre 2020 et le 2 janvier 2021. Il a aussi demandé la PCRE pour les sept périodes de deux semaines comprises entre le 2 janvier 2021 et le 10 avril 2021 et la période de deux semaines comprise entre le 10 octobre 2021 et le 23 octobre 2021, mais ne l’a pas obtenue.

[4] Après les versements mentionnés plus haut, l’ARC a demandé au demandeur de fournir des documents pour étayer sa demande. Le 30 janvier 2021, le demandeur a indiqué qu’il était homme à tout faire et qu’il ne produisait pas de factures pour son travail. Il a fourni ses relevés bancaires pour l’année 2020, sur lesquels il avait encerclé les entrées (virements électroniques) qui, selon lui, correspondaient à son revenu d’emploi. Le 27 avril 2021, un agent responsable de la conformité des prestations a informé le demandeur qu’il n’était pas admissible à la PCRE, parce que, par rapport à l’année précédente, il n’avait pas subi une réduction de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen pour des raisons liées à la COVID‑19 [la première décision].

[5] Le 2 mai 2021, le demandeur a demandé une révision de la première décision. Il affirmait avoir touché un revenu totalisant 6 709 $ au cours de la période de 12 mois allant de septembre 2019 à septembre 2020, moment auquel il avait présenté sa première demande de PCRE. Il soutenait aussi qu’il avait ultérieurement subi une réduction de plus de 50 % de son revenu. Il a par la suite présenté d’autres observations, ses relevés bancaires pour la période du 31 décembre 2020 au 30 avril 2021 et une capture d’écran d’un courriel où l’on pouvait lire que sa déclaration de revenus pour l’année 2020 avait été traitée et qu’il avait droit à un remboursement d’impôt de 484,30 $. Il a notamment mentionné qu’il avait touché un revenu de 828 $ d’octobre à décembre 2021 et qu’il n’avait eu aucun revenu de janvier à la mi‑avril 2022. S’appuyant sur ces données, il a calculé la réduction de son revenu et a fait valoir qu’il avait démontré qu’il avait subi une réduction de revenu suffisante pour être admissible à la PCRE.

[6] Dans une lettre datée du 31 janvier 2022, l’ARC a avisé le demandeur que sa demande d’une deuxième révision de la décision relative à sa demande de PCRE avait été rejetée [la deuxième décision]. C’est cette deuxième décision qui fait l’objet du présent contrôle.

La deuxième décision

[7] La décision est rédigée en ces termes :

[traduction]

L’objectif de la présente lettre est de vous faire part de notre décision concernant votre demande du 19 mai 2021 visant à obtenir une deuxième révision de votre demande de Prestation canadienne de la relance économique (PCRE).

Nous avons donné suite à votre demande et avons examiné attentivement tous les renseignements que vous avez fournis pour démontrer que vous êtes admissible à la PCRE.

Selon l’évaluation que nous avons effectuée, vous n’êtes pas admissible à la PCRE.

Vous ne répondez pas au critère suivant :

- Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois qui ont précédé la date de votre première demande.

Comme vous ne répondez pas aux critères d’admissibilité à la PCRE, toute demande de PCRE ultérieure sera rejetée, sauf si vous êtes en mesure de prouver que vous répondez aux critères d’admissibilité.

Si vous avez reçu un paiement de PCRE auquel vous n’aviez pas droit, vous devrez le rembourser.

[8] La deuxième décision précisait également que, si le demandeur était en désaccord avec cette décision, il pouvait présenter à notre Cour une demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant la date de la lettre.

[9] J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que, à l’instar des notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas qu’utilisent les agents d’immigration, les inscriptions dans le bloc‑notes de l’ARC concernant les cotisations spéciales [le bloc‑notes concernant les cotisations spéciales] et le rapport faisant suite à la deuxième révision, dont il sera question plus loin, font partie des motifs de décision des agents (Sedoh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1431 au para 36; Ezou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 251 au para 17; McClintock’s Ski School & Pro Shop Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 471 au para 27; Vavilov, aux para 94‑98).

Les dispositions légales pertinentes

Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE]

Admissibilité

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

[...]

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus [...], pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars [...]

e) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4, par une personne qui n’est pas visée à l’alinéa e.1), à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2021, ses revenus provenant des sources mentionnées aux sous‑alinéas d)(i) à (v) pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande s’élevaient à au moins cinq mille dollars;

[...]

i) elle a fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines;

[...]

Obligation de fournir des renseignements

6 Le demandeur fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande.

Versement de la prestation

7 Le ministre verse la prestation canadienne de relance économique à la personne qui présente une demande en vertu de l’article 4 et qui y est admissible.

La question préliminaire

[10] À titre préliminaire, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas désigné le bon défendeur en l’espèce. Suivant l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, c’est le procureur général du Canada qui doit être désigné comme défendeur, car le demandeur conteste une décision qui a été prise au nom du ministre de l’Emploi et du Développement social par l’ARC, qui n’est pas directement touchée par la décision.

[11] Je suis du même avis et j’ordonnerai que l’intitulé soit modifié (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 [Aryan] au para 16; Hasselsjo v Canada (Attorney General), 2021 CanLII 89551 (FC) au para 2).

La question en litige et la norme de contrôle applicable

[12] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la deuxième décision était raisonnable.

[13] La norme de contrôle qui s’applique au fond de la deuxième décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Lorsqu’elle applique cette norme, la cour de révision « doit [...] se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

Le caractère raisonnable de la deuxième décision

La position du demandeur

[14] Le demandeur n’a pas retenu d’avocat. Il n’a pas présenté d’observations écrites en bonne et due forme. Toutefois, selon la table des matières de son dossier, celui‑ci contient des observations quant aux documents qu’il avait fournis à l’ARC et qu’il invoque à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, des renseignements généraux sur ses demandes de PCRE et de l’information sur son revenu d’emploi durant les périodes visées. Le demandeur a également déposé un affidavit, souscrit le 22 février 2022, qui contient essentiellement les mêmes renseignements.

[15] En résumé, le demandeur affirme qu’il a présenté sa première demande de PCRE le 11 octobre 2020. Il était âgé de 22 ans, il avait obtenu son diplôme en avril 2020 pendant la pandémie et il était incapable de trouver un emploi. Il effectuait donc des travaux à son compte et il travaillait également sur appel pour un paysagiste. Il était payé par virement électronique (et parfois en argent comptant) à intervalles d’une à deux semaines pour tous les travaux qu’il effectuait et il avait gagné 5 432 $ de janvier à septembre 2020. De plus, il avait touché un revenu de 1 277,56 $ pour un emploi d’été qu’il avait occupé en 2019, ce qui portait à 6 709,56 $ le revenu total qu’il avait gagné au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande de PCRE. Il répondait donc au critère d’admissibilité selon lequel il devait avoir gagné au moins 5 000 $. Si l’on divise son revenu total par 26, soit le nombre de périodes de deux semaines au cours de la période visée, son revenu mensuel moyen s’élevait à 385 $. D’octobre à décembre 2020, il a gagné 828 $. Si l’on divise ce montant par 6,5, soit le nombre de périodes de deux semaines comprises dans cette période, il avait touché un revenu mensuel moyen de 127 $, ce qui correspondait à une réduction de 50 % de son revenu. Il prétend que l’ARC traite les pourboires en argent comme un revenu de travail indépendant et que les virements électroniques figurant sur ses relevés bancaires devraient également être traités comme un revenu comptant.

La position du défendeur

[16] Le défendeur soutient que l’agent a tenu compte de tous les documents fournis par le demandeur, mais qu’il n’a pas reconnu que ce dernier répondait au critère du revenu parce que : le demandeur n’avait fourni aucune facture pour étayer le revenu qu’il affirmait avoir touché; les virements électroniques inscrits sur ses relevés bancaires n’indiquaient pas la provenance des dépôts effectués dans son compte; ses relevés bancaires ne permettaient pas de démontrer qu’il avait gagné un revenu de 5 000 $ avant la première période de prestations.

Analyse

[17] Le défendeur a déposé l’affidavit de M. Ben Terrell, agent de l’ARC responsable de la conformité des prestations, qui avait été souscrit le 23 mars 2022. M. Terrell affirme qu’il a effectué la deuxième révision et qu’il a rendu la deuxième décision. M. Terrell est désigné comme « l’agent » dans les présents motifs.

[18] Comme je l’ai indiqué à l’avocat du procureur général à l’audience, j’ai des réserves quant à cet affidavit. Bien que l’agent affirme qu’il a joint comme pièce à son affidavit une copie conforme du document intitulé [traduction] « Confirmation de l’admissibilité à la PCU, à la PCRE, à la PCMRE ou à la PCREPA », dont se sont servis les agents pour décider si le demandeur était admissible à la PCRE, je suis d’avis que ce document est différent de celui du même nom mentionné au paragraphe 33 de la décision Aryan et aux paragraphes 27 et 28 de la décision Santaguida c Canada (Procureur général), 2022 CF 523, qui contient des exemples et des instructions à l’intention des agents visant à les orienter lorsque le demandeur n’est pas en mesure de fournir l’un ou l’autre des documents proposés pour justifier son revenu et qu’il faut lui demander s’il a d’autres documents acceptables en sa possession. L’agent ne prétend pas que la version du document joint à ses motifs est celle qui était en vigueur lorsqu’il a rendu sa décision.

[19] L’agent affirme également qu’un agent de validation des prestations et les autres agents de l’ARC qui ont tenté de valider les demandes de PCRE du demandeur avaient consigné leurs conclusions, leurs notes et des renseignements sur leurs interactions avec le demandeur dans le bloc‑notes concernant les cotisations spéciales, dont une copie conforme avait été jointe à son affidavit. Cependant, il ressort de l’examen de cette pièce qu’elle ne semble contenir que des captures d’écran tronquées d’inscriptions dans le bloc‑notes; il est difficile de savoir si le document est complet. L’agent indique en outre que, durant sa révision, il a examiné les documents et les renseignements énumérés, qu’il en est arrivé à la conclusion énoncée et qu’il a consigné ses constatations dans le bloc‑notes concernant les cotisations spéciales et le rapport faisant suite à la deuxième révision, et que ses inscriptions dans le bloc‑notes étaient identifiées par son numéro d’utilisateur « VJM952 ». Or, le document où figurent les captures d’écran du bloc‑notes concernant les cotisations spéciales qui a été joint à son affidavit ne contient aucune inscription portant le numéro VJM952 et il ne précise pas non plus quels documents avaient été fournis par le demandeur. Huit inscriptions y sont reproduites, dont sept concernant des appels des parents du demandeur, qui souhaitaient obtenir des rapports sur l’état de la demande de leur fils en son nom.

[20] Je tiens également à souligner qu’un dossier certifié du tribunal n’a pas été déposé en l’espèce. Le demandeur n’était pas représenté par un avocat et il ne savait vraisemblablement pas qu’il lui était loisible de demander un tel dossier. Par conséquent, les seuls documents produits par l’ARC dont dispose la Cour sont ceux qui sont joints à l’affidavit de l’agent. Il s’agit d’une autre raison pour laquelle il aurait fallu s’assurer, lors de la préparation de cet affidavit, que la Cour disposait d’un dossier complet et exact.

[21] De plus, dans son affidavit, l’agent a, dans une certaine mesure, complété à tort les motifs de sa deuxième décision.

[22] Cela dit, de telles réserves ne portent pas un coup fatal à la thèse du défendeur.

[23] Les motifs de l’agent sont énoncés à la fois dans la deuxième décision et dans le rapport du 27 janvier 2022 faisant suite à la deuxième révision, qui constitue un document distinct qui a été joint à l’affidavit de l’agent, et non une inscription dans le bloc‑notes concernant les cotisations spéciales. Ce rapport contient les renseignements suivants :

[traduction]

Date de réception des documents pour la deuxième révision : 19 mai 2021

Document(s) fourni(s) : Lettre dans laquelle le demandeur demande une deuxième révision

Date du ou des appels : 24 janvier 2022 – première tentative; 12 h 43 (HNE), entretien avec le contribuable, qui a répondu correctement aux questions de confidentialité et confirmé qu’il ne produisait pas de factures pour son travail indépendant, mais qu’il effectuait simplement les travaux et demandait à ses clients de lui virer son paiement; je lui ai demandé de soumettre tout ce qu’il pouvait pour étayer son revenu de 2020, ainsi que ses relevés bancaires pour l’année 2021 afin de démontrer qu’il avait subi une réduction de revenu; il a confirmé qu’il touche des prestations d’AE depuis le 24 déc. parce qu’il souffre d’une blessure et ne peut pas travailler.

Renseignements supplémentaires fournis par le demandeur : Relevés bancaires pour la période de déc. 2020 à avril 2021 montrant les virements que lui avaient faits ses parents pour l’aider à payer son loyer.

Critère d’admissibilité non satisfait : Impossible de confirmer que le contribuable avait gagné au moins 5 000 $ avant de présenter sa demande

Motifs de la décision concernant chacun des critères auxquels le demandeur ne répond pas : Le contribuable travaille à son compte et n’a pas de factures pour les travaux qu’il effectue; il a fourni ses relevés bancaires sur lesquels figurent les dépôts effectués dans son compte, mais il est impossible de confirmer leur provenance; il est blessé depuis décembre 2021 et touche des prestations d’AE.

[...]

[24] Selon le rapport faisant suite à la deuxième révision, lorsque l’agent a téléphoné au demandeur, ce dernier a confirmé qu’il ne produisait pas de factures pour les travaux qu’il exécute à son compte; il effectue simplement les travaux et il demande à ses clients de lui envoyer son paiement. De plus, l’agent a précisé qu’il avait demandé au demandeur de [traduction] « soumettre tout ce qu’il pouvait pour étayer son revenu de 2020 ». L’agent a conclu que le demandeur travaillait à son compte, qu’il ne produisait pas de factures pour les travaux qu’il exécutait et que ses relevés bancaires faisaient état de dépôts dont il était impossible de confirmer la provenance.

[25] Lors de sa comparution devant moi, le demandeur a déclaré que son revenu provenait du travail qu’il effectuait pour une personne qui faisait l’entretien de pelouses et des travaux similaires. Souvent, lorsque cette personne avait besoin de lui, elle l’appelait la veille au soir et elle passait le prendre le lendemain pour l’emmener au lieu où devaient se faire les travaux. Il travaillait environ 12 à 15 heures par semaine. Il a précisé que cette personne le payait par virement électronique les lundis et jeudis, comme le montraient les virements encerclés sur ses relevés bancaires. Il a ajouté qu’il avait récemment réussi à obtenir de son institution bancaire des documents qui prouvaient que les virements en question provenaient de cette personne.

[26] Le problème auquel le demandeur est confronté est que les documents qui, selon lui, démontreraient la provenance de son revenu n’avaient pas été présentés à l’agent, qui n’a donc pas pu en tenir compte. De plus, en principe, le dossier de preuve soumis à un tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 au para 41). Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles, à quelques exceptions près (Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 aux para 7‑12; Ohwofasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 266 aux para 13‑15). Les nouveaux documents du demandeur ont trait au fond de l’affaire et ne relèvent d’aucune de ces exceptions. Ils n’ont pas été admis en preuve.

[27] En outre, le demandeur m’a fait savoir qu’il avait demandé à plusieurs reprises à la personne qui lui donnait du travail de confirmer son emploi et son salaire, mais en vain, ce qui avait fini par lui coûter son emploi. Or, rien dans le dossier qui m’a été soumis ne donne à penser que le demandeur avait fourni cette explication à l’agent. Les lettres qu’il avait envoyées à l’ARC indiquaient ce qui suit : il était homme à tout faire et il ne produisait pas de factures pour son travail; il effectuait des petits travaux de peinture et, par temps chaud, il tondait la pelouse et prenait tout le travail qu’il pouvait trouver; il employait l’expression [traduction] « mes clients »; il avait fait de petits boulots et il avait reçu des virements électroniques toutes les semaines pour ses services d’homme à tout faire. Il ne mentionne nulle part que ces virements hebdomadaires provenaient de la personne qui lui fournissait du travail, que les travaux qu’il exécutait étaient pour les clients de cet employeur ou que ce dernier facturait ses services directement à ses clients.

[28] Il incombait au demandeur d’établir qu’il répondait aux critères d’admissibilité à la PCRE. Plus précisément, il devait démontrer que son revenu net de travail indépendant s’élevait à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il avait présenté sa demande de PCRE. Cependant, il n’a fourni aucun document qui aurait permis de confirmer les noms des clients auxquels il avait fourni des services, de préciser les dates auxquelles ces services avaient été fournis et de décrire ces services, de préciser le taux horaire ou les autres frais qu’il avait facturés et obtenus pour ses services ou de confirmer la provenance des virements électroniques. Pour cette raison, l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE.

[29] Il incombe également au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’agent (Vavilov, au para 100; Aryan, au para 45). Le demandeur ne relève aucune erreur dans le processus décisionnel de l’agent; il ne fait que s’opposer à la deuxième décision. Étant donné qu’aucun des documents versés au dossier du demandeur ne confirme la provenance des virements électroniques ni ne confirme que le demandeur avait fourni des services pour lesquels il aurait été rémunéré, je ne puis conclure que l’agent a négligé ou mal interprété des éléments de preuve pertinents.

[30] Pour conclure que la deuxième décision est déraisonnable, la Cour doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Après avoir examiné les motifs de la décision et la preuve au dossier, je ne suis pas convaincue que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait.

[31] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[32] Le procureur général a indiqué qu’il ne réclamait pas les dépens et, par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑223‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié et le procureur général du Canada est désigné comme défendeur au lieu de l’Agence du revenu du Canada.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑223‑22

 

INTITULÉ :

JOSHUA KLEIMAN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Joshua Kleiman

 

POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Christopher Ware

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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