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Date : 20220505


Dossier : IMM‑4784‑21

Référence : 2022 CF 658

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MA DE LOURDES CASTELLANOS AVINA

MAYRA ALEJANDRA HERNANDEZ CASTELLANOS

ROCIO LIZETTE HERNANDEZ CASTELLANOS

FERNANDO JONATHAN GUTIERREZ RODRIGUEZ

GABRIELA MONTSERRAT AVALOS HERNANDEZ

JUAN PABLO AVALOS HERNANDEZ

FATIMA AVALOS HERNANDEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 28 juin 2021 [la décision de la SAR], par laquelle cette dernière confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rendue le 13 janvier 2021 selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés ni de personnes à protéger.

Contexte

[2] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile dans laquelle ils alléguaient craindre de subir un préjudice aux mains des membres du cartel Jalisco Nueva Generacion [le CJNG]. La demandeure d’asile principale était la demanderesse Ma De Lourdes Castellanos Avina en l’espèce [la demanderesse principale]. Les autres demandeurs en l’espèce étaient codemandeurs de sa demande d’asile : ses deux filles adultes, son gendre, et ses trois petits‑enfants mineurs. Tous les demandeurs sont des citoyens du Mexique.

[3] En 2010, l’époux de la demanderesse principale a disparu. La demanderesse principale a signalé la disparition de son époux et a déposé une plainte à la police; elle y affirmait que le CJNG était responsable de la disparition. La demanderesse principale a admis qu’outre des rumeurs, elle n’avait aucune preuve pour tirer une telle conclusion.

[4] Deux membres d’un gang qui a fini par devenir le CJNG ont été arrêtés en 2011 et emprisonnés jusqu’en 2019. Tout au long de la détention des membres du cartel, les demandeurs ont reçu des menaces du CJNG les accusant d’être responsables de l’emprisonnement de ses membres. L’une des filles de la demanderesse principale a déclaré que le CJNG avait agressé son ex‑mari et avait alors sommé ce dernier de cesser de chercher son beau‑père. Elle a également déclaré que son beau‑frère avait été tué par balle par des membres du CJNG; selon elle, cet assassinat visait à faire pression sur les demandeurs pour qu’ils cessent de chercher son père qui manquait toujours à l’appel.

[5] En 2019, après la libération des membres du cartel, le restaurant familial des demandeurs a été cambriolé et du matériel y a été volé. Les demandeurs pensent que c’est le CJNG qui a commis ces actes. Les demandeurs pensent également que le CJNG est responsable des disparitions, survenues en 2019, du neveu de la demanderesse principale et d’une connaissance de la famille qui avait accueilli le fils de la demanderesse principale chez elle pendant un certain temps. Les demandeurs pensent que ces actes ont été commis en représailles à la recherche de l’époux porté disparu de la demanderesse principale.

[6] En décembre 2019, les demandeurs ont fui le Mexique et ont présenté une demande d’asile. Le 13 janvier 2021, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés ni de personnes à protéger. La SPR a reconnu que les demandeurs étaient crédibles, mais elle a conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à La Paz, dans l’état de Baja California Sur. La SPR a conclu que rien dans la preuve n’indiquait que le CJNG était présent dans l’état de Baja California Sur. La SPR était convaincue que le CJNG aurait la capacité de repérer les demandeurs à La Paz; toutefois, elle n’était pas convaincue que le CJNG serait suffisamment motivé de les retrouver et de leur causer du tort à La Paz, une ville située à 22 heures de leur domicile.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision auprès de la SAR. Le 28 juin 2021, la SAR a rejeté leur appel.

[8] La SAR a souscrit à l’appréciation de la SPR selon laquelle les demandeurs étaient crédibles. La SAR a convenu avec les demandeurs que la SPR avait commis une erreur en concluant que le CJNG n’était pas actuellement actif à La Paz. Toutefois, la SAR a conclu que, malgré ce fait, les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient personnellement exposés à un risque auquel les citoyens de La Paz ne sont généralement pas exposés.

[9] La SAR a conclu, suivant une « analyse indépendante » du dossier dont disposait la SPR, que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient personnellement exposés à un risque aux mains d’organisations criminelles à La Paz. La SAR a convenu avec la SPR que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’il leur serait déraisonnable de déménager à La Paz.

[10] La SAR a donc conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à La Paz. Par conséquent, la SAR a jugé que les demandeurs n’avaient pas qualité de personnes à protéger.

Question en litige

[11] En l’espèce, la seule question en litige consiste à savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

Analyse

[12] Bien que les demandeurs invoquent plusieurs motifs de contestation quant au caractère raisonnable de la décision, je suis d’avis que l’on peut trancher la présente demande en fonction du fait que les motifs rendus par la SAR ne comportent aucun mode d’analyse qui pourrait raisonnablement l’amener, au vu de la preuve dont elle disposait, à la conclusion qu’elle a tirée.

[13] Au paragraphe 102 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada énonce l’exigence selon laquelle, pour qu’une décision soit raisonnable, il faut être en mesure de suivre le raisonnement du décideur :

[L]a cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par. 55; Southam, par. 56. Les motifs qui [traduction] « ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire » permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et « ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement » : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law » (1990), 3 R.C.D.A.P. 123, p. 139; voir également Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 750, par. 57‑59 (CanLII).

[14] Dans de nombreux paragraphes de ses motifs, la SAR indique qu’elle a effectué une analyse, une évaluation ou un examen « indépendant » du dossier. Cela est le cas au paragraphe 31, puis la SAR énonce ensuite sa conclusion selon laquelle les demandeurs « n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient personnellement exposés à une menace à leur vie venant d’organisations criminelles, notamment le CJNG, à La Paz, menace à laquelle les autres personnes vivant dans cette ville ne seraient pas exposées. »

[15] Comment la SAR est‑elle arrivée à cette conclusion?

[16] Aux paragraphes 32 et 33, la SAR résume les éléments de preuve dont disposait la SPR. Toutefois, la SAR ne fait aucune analyse de ces éléments de preuve.

[17] Aux paragraphes 34 et 35, la SAR tient compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays ainsi que des nouveaux éléments de preuve déposés par les demandeurs devant la SAR. La SAR se penche sur ces éléments de preuve pour ensuite déclarer qu’ils font état d’un risque général, mais pas d’un risque personnel à l’égard des demandeurs.

[18] Comme il a été relevé ci‑dessus, la SAR n’a pas procédé à une analyse des éléments de preuve qui avaient été présentés à la SPR. On ne peut pas suggérer que la SAR a implicitement souscrit à l’analyse de la SPR, puisque la SAR a indiqué au paragraphe 31 de ses motifs et ailleurs dans sa décision, qu’elle procédait à sa propre « analyse indépendante ». La SAR se contente d’exposer les faits et de tirer ensuite une conclusion, sans expliquer le lien entre ces deux éléments. Ceci illustre parfaitement le genre de motifs contre lesquels la Cour suprême a formulé une mise en garde au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov. Les motifs en question ne comportent pas d’analyse, de conclusions ou de jugement.

[19] Compte tenu de l’absence de justification, la conclusion de la SAR selon laquelle La Paz constitue une PRI viable est déraisonnable.

[20] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4784‑21

LA COUR STATUE QUE la présente demande est accueillie, que la décision visée par le contrôle est annulée et que l’appel est renvoyé à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4784‑21

 

INTITULÉ :

MA DE LOURDES CASTELLANOS AVINA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE zinn

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

POUR LEs DEMANDEURs

 

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Cabinet d’avocats

Calgary (Alberta)

POUR LEs DEMANDEURs

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

POUR LE DÉFENDEUR

 

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