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Date : 20220525

Dossier : IMM-2096-21

Référence : 2022 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 25 mai 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB

MARWA SALEH AHMED OMARA

et représentés par leur tuteur à l’instance Ayman Mostafa Abdelhamid Talab

MOSTAFA AYMAN MOSTAFA TALAB

BASMA AYMAN MOSTAFA TALAB

RAWAN AYMAN MOSTAFA TALAB

MOHAMED AYMAN MOSTAFA TALAB

ABDALLA AYMAN MOSTAFA TALAB

HANIN AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB

MAWADA AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) le 15 mars 2021. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Pour les motifs suivants, la demande sera rejetée.

I. Faits et événements à l’origine de la demande

[3] Les demandeurs forment une famille et sont tous citoyens égyptiens. Ils ont fondé leurs demandes d’asile au titre de la LIPR sur la crainte de M. Talab d’être persécuté par les autorités égyptiennes en raison de ses opinions politiques.

[4] M. Talab a affirmé que les autorités égyptiennes se sont intéressées à lui en raison de son travail comme administrateur dans un collège en 2001. Les services de sécurité du collège observaient ses activités au travail et les signalaient à la sécurité nationale. Il soutient avoir refusé de suivre des instructions quant aux candidatures pour les élections étudiantes, puis avoir été menacé et tenu à l’écart de ses collègues.

[5] En 2005, M. Talab a quitté l’Égypte pour aller travailler en Arabie saoudite. Il retournait en Égypte une fois par année. À l’arrivée et au départ de l’aéroport, il était harcelé par la sécurité nationale, et devait attendre des heures avant que son passeport lui soit remis.

[6] Monsieur Reda, l’oncle de M. Talab, est un farouche opposant au gouvernement et il s’associe aux membres des Frères musulmans. En août 2008, M. Talab a été détenu pendant trois jours et il a été interrogé au sujet des activités de son oncle. Après avoir été remis en liberté, il est resté en Égypte jusqu’en octobre 2008. Il est retourné en Égypte en 2013, 2015 et 2018 pendant les vacances d’été.

[7] Le 30 novembre 2017, la police a effectué une descente dans le complexe familial de M. Talab et a arrêté son oncle Reda ainsi que son cousin. Reda a été libéré après trois jours de détention. Son cousin a été relâché quatre mois plus tard. Dans une lettre, la mère de M. Talab a affirmé que la police était aussi à sa recherche à l’époque. Une autre lettre, celle-ci de son oncle, confirmait que les autorités étaient à sa recherche et avaient un mandat d’arrestation contre lui.

[8] Quelques mois plus tard, un ami de M. Talab a été arrêté et il est disparu.

[9] En avril 2018, M. Talab a entamé le processus de demande de visas de visiteurs au Canada pour toute sa famille.

[10] En mai 2018, M. Talab a visité le Canada avec deux de ses enfants. Il a aussi planifié un autre voyage avec ses autres enfants.

[11] En juin 2018, l’emploi de M. Talab en Arabie saoudite a pris fin. Lorsqu’elle a appris cette nouvelle, sa mère est tombée malade et a été hospitalisée pendant 18 jours. Au même moment, son beau-père souffrait d’un cancer.

[12] M. Talab et sa famille ont décidé d’aller en Égypte. Ils ont réservé des vols en partance d’Arabie saoudite vers l’Égypte, puis, au même moment, des vols vers le Canada prévus trois semaines plus tard.

[13] À leur arrivée en Égypte, le passeport de M. Talab a été retenu pendant près de deux heures avant que la famille puisse quitter l’aéroport.

[14] Deux semaines plus tard, M. Talab a appris que les forces de sécurité nationale égyptiennes étaient à sa recherche et préparaient un mandat d’arrestation et une citation à comparaître à son endroit. La famille s’est cachée avant de s’envoler vers le Canada.

[15] Les demandeurs sont arrivés à Toronto le 10 août 2018.

[16] Le 4 septembre 2018, Reda, l’oncle du demandeur, a été arrêté de nouveau. Il était toujours en prison au moment où les demandeurs ont déposé leur demande d’asile initiale au titre de la LIPR, soit le 14 septembre 2018. Il a été libéré après six mois de détention.

[17] Dans sa décision du 7 octobre 2020, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de la LIPR.

[18] Selon la SPR, les questions déterminantes étaient la crédibilité et la crainte subjective. Le témoignage de M. Talab était vague et contenait des incohérences ainsi que des omissions par rapport à son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). La SPR n’a pas accepté son explication selon laquelle il était retourné en Égypte pour voir sa mère malade. Elle n’a pas non plus reconnu la validité ni l’existence de la citation à comparaître de novembre 2017. Elle a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir un lien entre les arrestations de l’oncle et du cousin de M. Talab en 2017 et 2018 ainsi que sa détention en 2008 ou la persécution dont il aurait fait l’objet en 2017.

[19] Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[20] La SAR a rejeté l’appel dans sa décision du 15 mars 2021.

[21] Les demandeurs ont présenté de nouveaux éléments de preuve. La SAR a accepté une lettre datée du 12 décembre 2020 rédigée par un oncle de M. Talab (qui n’était pas Reda). Cependant, la SAR a décidé de ne pas tenir d’audience, parce que la lettre ne remplissait pas le critère énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR. Elle ne soulevait pas une question importante en ce qui concerne la crédibilité de M. Talab, n’était pas essentielle à la prise de décision, et ne pouvait justifier le refus ou l’acceptation des demandes d’asile.

[22] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de M. Talab. Elle a conclu que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles n’était pas fondée.

[23] Toutefois, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une crainte prospective de persécution advenant leur retour en Égypte. La SAR a tiré les conclusions importantes suivantes :

  • a) Le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays : la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que le retour des demandeurs en Égypte en 2018 (c.-à-d. le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays) témoignait d’une absence de crainte subjective. La SAR a fait sienne l’analyse de la SPR relative à cette question. Elle a conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucune explication crédible concernant leur retour en Égypte ou le fait qu’ils n’ont pas pris de précaution en vue de leur retour, ce qui établissait qu’ils n’avaient pas de crainte subjective. De plus, leur capacité à entrer en Égypte sans trop de retard et de quitter le pays sans incident minait l’allégation de persécution.

  • b) Citation à comparaître : La citation à comparaître de novembre 2017 n’était pas authentique. La SAR était surtout préoccupée par le fait qu’aucune date de délivrance ni adresse ne figurait sur la citation à comparaître. Elle a conclu qu’il y avait des bureaux de la sécurité nationale partout en Égypte et qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’adresse du bureau où le demandeur devait se présenter figure sur le document. La SAR a signalé que certaines expressions utilisées dans la citation à comparaître pour décrire les forces de sécurité égyptiennes ne figuraient pas dans le cartable national de documentation (le CND) pour l’Égypte. La SAR a conclu que la citation à comparaître n’avait pas été délivrée par un gouvernement étranger, puisqu’aucune date de délivrance n’y figurait, ni le nom d’une agence gouvernementale égyptienne reconnue. La SAR n’a accordé aucun poids à ce document dans son appréciation du bien-fondé des demandes d’asile des demandeurs.

  • c) Arrestations : la SPR a commis une erreur en concluant qu’aucune preuve ne liait M. Talab à son oncle Reda et à son cousin. Cependant, elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que les arrestations de M. Reda et du cousin en 2017 et en 2018 n’étaient pas liées à la détention de M. Talab en 2018 ni à la persécution dont il aurait été victime en 2017 aux mains des autorités. La nouvelle lettre rédigée par l’autre oncle de M. Talab mentionnait le mandat d’arrestation de 2017, mais cela n’était pas suffisant pour démontrer que les demandeurs seraient exposés à un préjudice prospectif à leur retour en Égypte, puisque M. Talab est entré au pays en juillet 2018 et en est reparti au mois d’août 2018 sans incident.

[24] De plus, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son examen d’une lettre de la mère de M. Talab. Cette lettre n’était pas suffisante pour écarter les préoccupations de la SAR concernant la citation à comparaître, et n’établissait pas que les demandeurs seraient exposés à un préjudice s’ils retournaient en Égypte. La SAR a aussi conclu qu’il était peu probable que M. Talab soit détenu ou maltraité à son retour en Égypte en raison de ses activités sur les réseaux sociaux. Comme la preuve n’était pas suffisante pour établir que les autorités égyptiennes s’intéressaient à M. Talab, il s’ensuit que les autorités égyptiennes n’auraient aucun intérêt envers sa femme et ses enfants.

[25] La SAR a rejeté l’appel et a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de la LIPR.

[26] Les demandeurs ont contesté bon nombre des conclusions de la SAR devant la Cour.

III. La décision de la SAR était-elle raisonnable?

A. Norme de contrôle applicable à la décision de la SAR

[27] La norme de contrôle applicable à la décision rendue sur le fond par la SAR est celle de la décision raisonnable. Le demandeur a fait valoir que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à toutes les questions soulevées en l’espèce. Les deux parties ont fondé leurs observations sur cette norme.

[28] La norme de la décision raisonnable est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une évaluation déférente et rigoureuse de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12-13 et 15. La cour de révision examine d’abord les motifs du décideur, qui sont interprétés de façon globale et contextuelle à la lumière du dossier dont le décideur était saisi : Vavilov, aux para 84, 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28-33.

[29] L’examen de la Cour doit porter à la fois sur le raisonnement suivi et l’issue de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105-106 et 194; Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 24‑36.

[30] Avant d’intervenir, la cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel » qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence L’existence d’une « erreur mineure » n’est pas suffisante : la lacune doit être suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable. Vavilov, au para 100. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a désigné deux types de lacunes fondamentales : le manque de logique interne du raisonnement dans la décision et le fait que la décision est indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : au paragraphe 101.

B. L’application de la norme énoncée dans l’arrêt Vavilov

[31] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis de nombreuses erreurs dans sa décision. Je les examinerai sous quatre rubriques distinctes.

(1) Le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays

[32] Les demandeurs soutiennent que la SAR a adopté le raisonnement de la SPR relatif au fait qu’ils se soient réclamés à nouveau de la protection du pays, lequel comprenait deux inférences défavorables quant à la crédibilité, tout en annulant les conclusions globales de la SPR en matière de crédibilité. Ils font aussi valoir que la SAR a conclu qu’ils n’avaient pris [traduction] « aucune précaution » à leur retour en Égypte, mais qu’elle a fait abstraction des mesures qu’ils avaient prises au cas où ils auraient à fuir, notamment l’achat de billets d’avion pour le Canada. En outre, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte des décisions rendues par la Cour selon lesquelles le fait de retourner dans son pays d’origine pour visiter un parent malade et âgé ne saurait justifier une conclusion voulant qu’ils se soient réclamés à nouveau de la protection du pays. Ils affirment aussi que, dans sa décision, la SAR n’a pas reconnu le moment où leur crainte subjective ainsi que le risque objectif auquel ils seraient exposés se sont cristallisés. Ils soulignent que les événements qui se sont produits à la suite de leur retour en Égypte ont accru le niveau de danger qu’ils ressentaient et les ont poussés à se cacher.

[33] À mon avis, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir relativement à l’analyse de la SAR quant à la question de savoir si les demandeurs s’étaient de nouveau réclamés de la protection de l’Égypte. Premièrement, je ne vois pas les contradictions internes mises de l’avant par les demandeurs. La SAR a conclu qu’elle n’avait aucune raison de douter du témoignage des demandeurs [traduction] « à l’égard de leurs expériences », mais que cela ne signifiait pas qu’elle allait « accepter l’ensemble de leurs observations et arguments à savoir pourquoi ils avaient vécu ces événements ou les motivations d’autres intervenants ». Cette distinction ressort de l’analyse subséquente de la SAR. Deuxièmement, l’analyse de la SAR reflétait la preuve et en tenait compte. Immédiatement avant d’énoncer que les demandeurs n’avaient pris aucune précaution, la SAR, dans son analyse, a expressément tenu compte de la seule précaution qu’auraient prise les demandeurs, c’est-à-dire l’achat de billets d’avion pour le Canada. À deux endroits distincts dans ses motifs, la SAR a expressément reconnu que c’est lorsqu’ils ont appris l’existence du mandat d’arrestation que les demandeurs se sont cachés. Ce raisonnement faisait état de l’appréciation par la SAR des répercussions du mandat d’arrestation sur le degré de danger que les demandeurs ressentaient ainsi que leurs craintes subjectives de persécution.

[34] Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle au regard des arguments qu’ils ont présentés.

[35] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur de droit en n’appliquant pas la présomption selon laquelle les documents censés avoir été délivrés par un gouvernement étranger sont authentiques (citant Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 668). Les demandeurs font valoir que, plutôt que de réfuter correctement la présomption d’authenticité, la SAR a élaboré une [traduction] « solution de rechange » afin de conclure que la citation à comparaître n’avait pas été délivrée par un gouvernement étranger et qu’elle n’était donc pas protégée par la présomption d’authenticité. Les demandeurs soutiennent que la SAR était tenue de réfuter la présomption d’authenticité avant de conclure que la citation à comparaître n’avait pas été délivrée par un gouvernement étranger.

[36] Cet argument ne saurait être retenu. La SAR a admis certains des arguments présentés par les demandeurs en appel concernant l’apparence de la citation à comparaître et les signatures qui y sont apposées. Toutefois, elle a aussi exprimé des doutes quant à [traduction] « l’absence de date de délivrance et d’adresse où se présenter », et a affirmé que la date d’audience était inscrite à deux reprises, ce qui était « inhabituel ». Pour la SAR, l’absence d’adresse où se présenter constituait l’omission la plus importante. Elle a conclu que la preuve objective montrait qu’il y avait des bureaux de sécurité nationale partout en Égypte et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le bureau où le demandeur devrait se présenter soit précisé dans la citation à comparaître. La SAR a conclu ce qui suit après avoir examiné les traductions de certaines expressions figurant dans la citation à comparaître, comme [traduction] « forces de sécurité nationale » et «appareil de sécurité nationale » :

[traduction]

Les demandeurs font également valoir que, puisque la citation à comparaître a été délivrée par un gouvernement étranger, elle doit être présumée authentique, comme la Cour l’a statué. En l’absence de date de délivrance et du nom d’un ministère égyptien reconnu, je conclus que la citation à comparaître n’a pas été délivrée par un gouvernement étranger et donc que je n’ai pas à présumer qu’elle est authentique.

[37] Je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur de droit substantielle dans son analyse. La SAR n’a pas mis en doute la présomption selon laquelle un document qui, à première vue, semble avoir été délivré par un gouvernement étranger est présumé authentique : Rasheed, au para 19. À mon avis, l’analyse de la SAR reposait sur le fait que la présomption était réfutée par la preuve, même si la formulation de la deuxième phrase citée plus haut laisse entendre, de façon maladroite, que la SAR n’avait « pas à présumer » de son authenticité. En substance, la SAR n’a pas commis l’erreur de droit avancée par les demandeurs.

[38] Les demandeurs ont contesté l’examen par la SAR de la traduction de la citation à comparaître délivrée à l’endroit de M. Talab en novembre 2017. La SAR a souligné que le CND pour l’Égypte [traduction] « recourrait généralement » aux expressions « agence de sécurité nationale » et « secteur de la sécurité nationale » plutôt que « forces de sécurité nationale » et « appareil de sécurité nationale », qui apparaissaient dans la traduction de la citation à comparaître déposée par les demandeurs. Les demandeurs soutiennent que i) la SAR a simplement indiqué que les traducteurs ne s’entendaient pas à savoir comment traduire un mot arabe vers l’anglais; ii) les documents figurant dans le CND pour l’Égypte contenaient bien l’un des termes utilisés dans la traduction de la citation à comparaître; iii) la SAR s’est fondée sur une version désuète du CND pour conclure que l’expression « appareil de sécurité nationale » ne figurait pas dans la citation à comparaître.

[39] Je ne souscris pas à cette position. Les demandeurs ont déposé la citation à comparaître et sa traduction. La SAR ne disposait d’aucune preuve étayant les observations des demandeurs selon lesquelles le libellé original en arabe de la citation à comparaître pouvait être traduit de diverses manières en anglais. De plus, l’expression [traduction] « appareil de sécurité étatique » figurait à répétition dans la traduction de la déclaration de M. Talab. Même si les observations présentées par les demandeurs à l’audience laissaient entendre qu’ils n’auraient pu anticiper les réserves de la SAR, la jurisprudence de la Cour indique clairement qu’ils étaient responsables du contenu des documents déposés à l’appui de leurs demandes, et que la SAR n’était pas tenue de soulever ces préoccupations à leur égard : Moïse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 93 aux para 9-10; Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787 au para 40; Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1390 au para 31.

[40] D’après la note de bas de page de la SAR, cette dernière renvoyait à des documents contenus dans la version du CND pour l’Égypte du 31 décembre 2020 qui, selon les demandeurs, avait été mis à jour en octobre 2020, soit avant que la SAR rende sa décision du 15 mars 2021. Cependant, les demandeurs n’ont pas démontré qu’un document plus récent contenu dans le CND renfermait une preuve selon laquelle les communications du gouvernement égyptien ou des documents officiels (comme une citation à comparaître) recourraient aux expressions « forces de sécurité nationale » et « appareil de sécurité nationale » en référence aux forces de sécurité égyptiennes. Les documents contenus dans le CND faisaient référence à une entité nommée [traduction] « agence de sécurité nationale » ainsi qu’aux [traduction] « forces de sécurité » au sens générique du terme. Un document faisait aussi référence aux [traduction] « forces de sécurité centrales », qui semblent être une entité distincte. Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle : voir Worku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 784 au para 33; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 450 au para 26.

[41] Finalement, les demandeurs ont fait valoir que la SAR s’est uniquement fondée sur les documents contenus dans le CND pour contester l’authenticité de la citation à comparaître, en contravention de la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157 au para 54. Cette observation doit aussi être rejetée. Le juge Russell a affirmé ce qui suit au paragraphe 54 de la décision Lin :

Le raisonnement de la SPR impliquerait que même des documents authentiques ne seraient pas acceptables. Le fait que des documents non authentiques soient disponibles ne dispense pas la SPR de l’obligation de déterminer si des documents précis présentés par un demandeur sont authentiques ou non. Le défendeur soutient que le motif des « faux documents » ne fait qu’étayer la conclusion antérieure de la SPR selon laquelle les éléments de preuve du demandeur ne sont pas acceptables, parce qu’ils ne sont pas étayés par les éléments de preuve objective mentionnés par la SPR. À mon avis, cela voudrait dire que la SPR aurait exclu des éléments de preuve au seul motif qu’ils contredisaient sa propre pochette d’information, et non parce qu’ils comportaient quelque vice inhérent.

[Non souligné dans l’original.]

[42] En l’espèce, la SAR ne s’est pas uniquement fondée sur les renseignements contenus dans le CND pour l’Égypte dans le cadre de son analyse. Elle a examiné le contenu de la citation à comparaître en elle-même, conformément à la décision Lin. La SAR était préoccupée par le fait qu’aucune date de délivrance ne figurait sur la citation à comparaître, que le bureau où les demandeurs devaient se présenter n’y était pas précisé et que la date de leur comparution était inscrite à deux reprises. Elle a aussi tenu compte du libellé de la citation à comparaître. La SAR n’a tout simplement pas commis l’erreur soulevée par les demandeurs.

[43] Je conclus que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans l’analyse par la SAR de la question de savoir si la citation à comparaître était authentique.

(2) Les arrestations et leurs liens avec M. Talab

[44] Les demandeurs font valoir que la SAR a fait abstraction de la preuve figurant dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA de M. Talab lorsqu’elle a conclu [traduction] « qu’aucune preuve ne liait la détention de M. Takab en 2008 à celle de son oncle et de son cousin », et, en outre, qu’elle ne disposait [traduction] « d’aucune preuve liant l’intérêt que portaient les autorités égyptiennes à l’oncle ou au cousin à son intérêt envers [M. Talab] ».

[45] Je suis d’accord avec cette observation sur un point. Les demandeurs ont raison de dire que M. Talab a indiqué, dans l’exposé circonstancié figurant dans son formulaire FDA, qu’il a été interrogé pendant 30 à 45 minutes au sujet de sa relation avec son oncle lors de sa détention en 2008. Le premier énoncé de la SAR selon lequel elle ne disposait d’[traduction] « aucune preuve » relative à la détention de 2008 était erroné sur le plan des faits, puisqu’il existait une preuve certaine à cet égard. À mon avis, cet énoncé inexact n’était pas d’une importance fondamentale quant à l’analyse globale sur cette question.

[46] Voici le second énoncé contenant l’expression « aucune preuve » ainsi que le reste du paragraphe et la conclusion de la SAR sur cette question :

[traduction]

En outre, je ne dispose d’aucune preuve liant l’intérêt que portaient les autorités égyptiennes à l’oncle ou au cousin à son intérêt envers [M. Talab]. En particulier, je signale qu’il n’est pas question de M. Talab dans le sommaire de détention de son cousin. Il est bien indiqué, dans la lettre de l’oncle que j’ai acceptée à titre de nouvelle preuve, que les autorités disposaient d’un mandat afin d’appréhender et d’arrêter M. Talab lors de sa descente effectuée en novembre 2017 dans le complexe familial. Cependant, compte tenu du fait que M. Talab n’a pas été arrêté à son entrée en Égypte en juillet 2018 et qu’il a pu quitter le pays sans problème en août 2018, je conclus que le fait que l’oncle ait mentionné le mandat n’était pas suffisant pour établir que les demandeurs seraient exposés à un préjudice prospectif s’ils retournaient en Égypte.

Je conclus que la preuve selon laquelle M. Talab serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution en raison de sa relation avec son oncle et son cousin n’est pas suffisante.

[47] Même si la deuxième phrase peut soulever des préoccupations lorsqu’on l’examine de façon isolée, une lecture de tout le paragraphe montre que la déclaration de la SAR était fondée (en tout ou en partie) sur la preuve relative aux événements de novembre 2017. De plus, la conclusion de la SAR quant à la possibilité prospective que les demandeurs soient persécutés à leur retour en Égypte était fondée sur le fait que M. Talab n’a pas été arrêté lorsqu’il est entré en Égypte en juillet 2018 et qu’il a quitté le pays en août 2018, après avoir appris que les forces de sécurité préparaient un mandat d’arrestation contre lui. Par conséquent, je ne puis conclure que la deuxième déclaration de la SAR est nécessairement incorrecte à la lumière de son analyse globale sur cette question.

[48] Dans ce contexte, les demandeurs ont aussi fait valoir que la SAR a commis une erreur en i) accordant peu de poids à l’existence du mandat d’arrestation contre M. Talab; ii) se fondant sur la facilité relative avec laquelle il est entré et sorti d’Égypte en 2018, tout en omettant de relever la preuve sur la situation en Égypte selon laquelle les autorités avaient la capacité de détecter son entrée ou d’intervenir lors de son départ. Aucune de ces observations n’est fondée. La SAR avait le droit de soupeser la preuve, et le rôle de la Cour en contrôle judiciaire n’est pas de la soupeser ou de l’apprécier à nouveau : Vavilov, au para 126. Les demandeurs n’ont cité aucune jurisprudence ou aucun principe juridique à l’appui de leur observation selon laquelle la SAR était tenue de relever des éléments de preuve sur la situation au pays démontrant que les autorités égyptiennes avaient la capacité de détecter le départ de M. Talab d’Égypte. Il semble aussi incongru de la part des demandeurs de présenter cette observation tout en maintenant que l’un des fondements de la crainte subjective de M. Talab était d’être détenu à l’aéroport chaque fois qu’il entrait ou sortait d’Égypte alors que les services de sécurité détenaient son passeport.

[49] Malgré le fait qu’elle ait formulé un énoncé inexact dans son raisonnement, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation globale de la preuve liant les arrestations de l’oncle et du cousin de M. Talab à la crainte de ce dernier d’être persécuté en raison de sa relation avec ceux-ci.

(3) Pas d’audience

[50] La SAR a brièvement énoncé sa conclusion aux termes du paragraphe 110(6) de la LIPR :

[traduction]

La lettre de l’oncle du demandeur principal ne soulève pas de question importante en ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, n’est pas essentielle pour le prononcé de la décision, et ne justifierait pas que la demande d’asile des demandeurs soit accordée ou refusée. La demande d’audience est rejetée.

[51] Les demandeurs font valoir que la SAR a déraisonnablement omis de convoquer une audience aux termes du paragraphe 110(6) de la LIPR malgré le fait qu’elle ait admis de nouveaux éléments de preuve. Selon eux, la SAR a commis une erreur dans son application des trois volets du critère énoncé au paragraphe 110(6) de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que la nouvelle lettre présentée par l’autre oncle soulevait une question importante en matière de crédibilité, puisqu’elle confirmait la relation entre M. Talab, son oncle Reda et son cousin, alors que cette question a mené la SPR à mettre en doute la crédibilité de M. Talab. De plus, les demandeurs font valoir que la relation de M. Talab avec son oncle et son cousin était au cœur de la décision dans son ensemble, et que la lettre corroborait le récit de M. Talab, ce qui justifiait qu’il soit fait droit aux demandes présentées au titre de la LIPR.

[52] En général, la SAR procède sans tenir d’audience : LIPR, au paragraphe 110(3). La SAR a le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience lorsqu’elle admet de nouveaux éléments de preuve et que les exigences énoncées au paragraphe 110(6) de la LIPR sont remplies : Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 54 aux para 29-30; Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, [2020] 2 RCF 299 au para 43; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 au para 71. L’alinéa 110(6)a) requiert que la nouvelle preuve documentaire soulève une « une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause » devant la SAR.

[53] À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que le contenu de la lettre de l’autre oncle ne soulevait aucune question importante relativement à la crédibilité de M. Talab. La traduction de la lettre de l’oncle Abdulwahed Mohamed Salem Talab, datée du 12 décembre 2020, montre que celle‑ci portait principalement sur [traduction] « une descente effectuée par les services de sécurité » chez lui ainsi qu’au domicile de M. Talab en novembre 2017. La SAR n’a pas mis en doute le fait que la descente se soit produite. De plus, elle a fait remarquer que la lettre indiquait que les autorités avaient un mandat pour appréhender et arrêter M. Talab. Après avoir examiné la preuve relative à la capacité de M. Talab d’entrer en Égypte et d’en sortir en juillet et août 2018, la SAR a conclu que le fait que l’oncle ait mentionné le mandat d’arrestation n’était [traduction] « pas suffisant » pour montrer que les demandeurs seraient exposés à un préjudice prospectif à leur retour en Égypte. Compte tenu de l’appréciation de la preuve par la SAR et de l’absence de conclusion expresse ou implicite affectant la crédibilité de la preuve produite par M. Talab relative aux événements, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la lettre ne soulevait aucune question importante quant à la crédibilité du demandeur. La SAR a raisonnablement conclu que les exigences énoncées à l’alinéa 110(6)a) n’avaient pas été remplies.

[54] Par conséquent, je conviens avec le défendeur que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a décidé de ne pas tenir d’audience.

IV. Conclusion

[55] Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est énoncée.

JUGEMENT dans le dossier IMM-2096-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2096-21

 

INTITULÉ :

AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB, MARWA SALEH AHMED OMARA et, représentés par leur tuteur à l’instance Guardian Ayman Mostafa Abdelhamid Talab, MOSTAFA AYMAN MOSTAFA TALAB, BASMA AYMAN MOSTAFA TALAB, RAWAN AYMAN MOSTAFA TALAB, MOHAMED AYMAN MOSTAFA TALAB, ABDALLA AYMAN MOSTAFA TALAB,

HANIN AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB

MAWADA AYMAN MOSTAFA ABDELHAMID TALAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Maxwell Musgrove

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maxwell Musgrove

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Margherita Braccio

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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