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Date : 20220527


Dossier : T‑64‑19

Référence : 2022 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MAHMOUD SHARAFALDIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Mahmoud Sharafaldin est un citoyen de l’Iran. En 1995, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a accueilli sa demande d’asile. Il est devenu résident permanent du Canada en 1996.

[2] Le 23 décembre 1999, M. Sharafaldin a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Plus de 20 ans plus tard, cette demande est toujours en instance.

[3] M. Sharafaldin a présenté une demande de contrôle judiciaire au titre de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29. Il sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) de trancher sa demande de citoyenneté canadienne. Il affirme que le ministre a trop tardé. En guise de réparation pour ces longueurs, la Cour devrait ordonner au ministre de statuer sur sa demande dans les plus brefs délais et encadrer cet exercice.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Je suis convaincu que le ministre est tenu de statuer sur la demande de citoyenneté canadienne de M. Sharafaldin, qu’il a trop tardé et qu’il doit le faire sans autre retard injustifié. De plus, je suis convaincu que, compte tenu des circonstances exceptionnelles de la présente affaire, il convient d’encadrer cet exercice par le ministre, comme il est précisé plus loin.

II. CONTEXTE

[5] Le contexte et l’historique procédural de la présente affaire sont décrits en partie dans la décision Canada (Procureur général) c Sharafaldin, 2021 CF 22. Elle s’intéresse aux arguments invoqués par le procureur général du Canada, au titre de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, pour que soit maintenue l’interdiction de divulguer les renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables contenus dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) qui avait été préparé pour la demande de contrôle judiciaire.

[6] M. Sharafaldin est né en Iran en octobre 1961. Il a quitté ce pays pour la Roumanie en 1991, où il est demeuré jusqu’en février 1995, pour ensuite se rendre au Canada muni d’un visa de visiteur. Il est arrivé au Canada en compagnie de son épouse, Elisabeta Tudor, une citoyenne roumaine. Il a trois fils. Son fils aîné est né en Iran et est un résident permanent du Canada (depuis 2019). Ses deux autres fils sont nés au Canada.

[7] Le 16 mars 1995, M. Sharafaldin a présenté une demande d’asile au Canada en invoquant sa crainte d’être persécuté en Iran et en Roumanie. Aux termes d’une décision rendue le 19 juillet 1995, la Section du statut de réfugié de la CISR lui a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention.

[8] M. Sharafaldin est devenu résident permanent du Canada le 13 novembre 1996.

[9] Le 23 décembre 1999, M. Sharafaldin a présenté une demande de citoyenneté canadienne au titre de l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté. La demande a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le 6 janvier 2000.

[10] J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que Mme Tudor a présenté une demande de citoyenneté canadienne en même temps que son époux. Sa demande est elle aussi toujours en instance, apparemment parce que CIC l’a associée à celle de M. Sharafaldin. Mme Tudor n’est pas partie à la présente instance.

[11] Les conditions d’admissibilité prévues à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté ont certes évolué depuis que M. Sharafaldin a présenté sa demande de citoyenneté. De façon générale, ces conditions prévoient que toute personne qui demande la citoyenneté canadienne doit avoir la résidence permanente, avoir été effectivement présente au Canada pendant le nombre de jours requis durant une période donnée, ne pas être sous le coup d’une mesure de renvoi et ne pas être visée par une déclaration selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée, se livre ou pourrait se livrer à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada ou des actes de criminalité organisée.

[12] Le traitement de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin, qui s’étale sur plusieurs années – voire des décennies – est relaté dans les documents versés au DCT, ainsi que dans les affidavits qui ont été déposés en l’espèce par M. Sharafaldin et pour le compte du ministre. Les vérifications des antécédents criminels, de sécurité et (surtout) d’immigration ont pris un temps considérable.

[13] Pour les besoins de la présente affaire, précisons que trois faits survenus durant le traitement de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin sont particulièrement importants.

[14] Premièrement, en mars 2004, selon CIC, le dossier de M. Sharafaldin avait franchi les étapes de vérification des antécédents criminels et de sécurité. Au cours des années précédentes, des risques pour la sécurité avaient été relevés et examinés, notamment dans le cadre d’une entrevue avec M. Sharafaldin menée en septembre 2002 par le Service canadien du renseignement de sécurité. Cependant, à la fin de mars 2004, ces risques avaient été écartés à la satisfaction de CIC. (Bien que les vérifications des antécédents criminels et de sécurité aient dû être reprises par la suite parce que les attestations délivrées à l’issue de ces vérifications sont de durée limitée, aucun nouveau risque à l’égard de l’un ou l’autre de ces aspects n’a été soulevé.) En mars 2004, le seul élément qui retardait le traitement de la demande de citoyenneté était la vérification des antécédents d’immigration.

[15] En matière de citoyenneté, la vérification des antécédents d’immigration vise à déterminer si le demandeur a effectivement obtenu le statut de résident permanent ou s’il l’a perdu et s’il est visé par une instance intentée sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) susceptible de jouer sur sa qualité de résident permanent et, partant, sur son admissibilité à la citoyenneté canadienne. Voir l’affidavit de Margaux Kaczor souscrit le 19 février 2021, aux para 11‑13. Comme il est expliqué plus loin, la vérification des antécédents d’immigration de M. Sharafaldin a consisté, au fil des années, à examiner plusieurs risques changeants.

[16] Deuxièmement, en attendant qu’il soit statué sur sa demande de citoyenneté, M. Sharafaldin est retourné en Iran à trois reprises. Entre mars et mai 2006, il a passé en tout 48 jours en Iran. Entre mars et avril 2007, il a passé en tout 33 jours en Iran (lequel séjour a été entrecoupé d’un court voyage aux Émirats arabes unis). Et entre juin 2007 et février 2009, il a passé en tout près de 18 mois en Iran (lequel séjour a été entrecoupé de plusieurs courts voyages en Turquie).

[17] Troisièmement, le 24 octobre 2014, la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin a été suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, au motif que M. Sharafaldin était un sujet d’intérêt dans le cadre d’une enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). L’article 13.1 venait d’entrer en vigueur, le 1er août 2014. Comme il est expliqué plus loin, lorsque la suspension a été autorisée, l’ASFC s’est attachée à déterminer si, en retournant en Iran et en y restant, M. Sharafaldin s’était réclamé de nouveau de la protection de ce pays. Si tel était le cas, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la CISR aurait pu, à la demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, conclure qu’il avait perdu l’asile : voir l’art 108(2) de la LIPR. La perte de l’asile aurait des répercussions importantes sur M. Sharafaldin et sur sa demande de citoyenneté canadienne.

[18] Par suite des modifications à la LIPR qui sont entrées en vigueur le 15 décembre 2012, si la demande de constat de perte d’asile était accueillie au motif que M. Sharafaldin s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays, M. Sharafaldin perdrait non seulement la qualité de réfugié, mais aussi celle de résident permanent du Canada : voir les art 40.1 et 46(1)c.1) de la LIPR; voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2017 CAF 44 au para 25. Il serait également interdit de territoire au Canada et ferait l’objet d’une mesure de renvoi. Si M. Sharafaldin perdait son statut de résident permanent, il ne serait plus admissible à la citoyenneté canadienne. Toutefois, à l’époque où il est retourné en Iran, il risquait seulement de perdre l’asile s’il était constaté qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection de l’Iran; son statut de résident permanent du Canada — et, par conséquent, son droit de demander la citoyenneté canadienne, droit qu’il avait exercé plusieurs années plus tôt en présentant une demande en ce sens — n’aurait pas été touché.

[19] M. Sharafaldin a été interrogé par l’ASFC lorsqu’il est rentré au Canada après son séjour en Iran le 1er février 2009, et son passeport iranien a été saisi. Même si l’ASFC était au courant de ce voyage à l’époque, ce n’est que plus de six années plus tard – le 24 juin 2015 – que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a demandé à la SPR de constater la perte d’asile de M. Sharafaldin.

[20] Il ressort de la preuve documentaire contenue dans le DCT que, depuis mars 2004, soit bien avant que la question de la perte de l’asile soit soulevée, des analystes de l’ASFC avaient soulevé des questions quant à l’admissibilité de M. Sharafaldin à la citoyenneté canadienne, outre les vérifications des antécédents criminels et de sécurité, car il avait été interdit de territoire au Canada au titre de la LIPR pour raisons de sécurité ou de criminalité organisée. Par conséquent, au fil des ans, les analystes ont demandé à plusieurs reprises la suspension de la procédure d’examen de la demande de citoyenneté jusqu’à ce que d’autres enquêtes soient menées à ce sujet. Cependant, ce n’est qu’après le dépôt de la demande de constat de perte d’asile en 2015 que des mesures concrètes ont été prises pour faire déclarer M. Sharafaldin inadmissible à la citoyenneté canadienne. Encore là, la demande n’a été signifiée à M. Sharafaldin que près de trois années plus tard, le 23 avril 2018.

[21] Bien que, entre 2004 et 2015, des analystes de l’ASFC aient demandé de temps à autre la [traduction] « suspension » de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin, le temps de mener d’autres enquêtes, rien ne prouve qu’ils aient invoqué l’article 17 de la Loi sur la citoyenneté pour faire suspendre la procédure d’examen de la demande en bonne et due forme. Cette disposition, qui a été abrogée le 31 juillet 2014 (voir LC 2014, c 22, art 13), conférait au ministre le pouvoir de suspendre la procédure d’examen de la demande de citoyenneté pendant une période ne dépassant pas six mois pour obtenir les renseignements nécessaires, « [s]’il estim[ait] ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements ». L’article 17 de la Loi sur la citoyenneté a depuis été remplacé par l’article 13.1, qui a été édicté au moment où l’article 17 a été abrogé (voir LC 2014, c 22, art 11).

[22] Le 25 juillet 2018, la SPR a suspendu la demande de constat de perte d’asile à la demande de M. Sharafaldin.

[23] Le 9 janvier 2019, M. Sharafaldin a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire au titre de l’article 22.1 de la Loi sur la citoyenneté.

[24] Dans l’avis de demande, M. Sharafaldin formule ainsi les réparations qu’il sollicite :

[traduction]

Le demandeur sollicite auprès de la Cour l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de ne pas trancher sa demande de citoyenneté, qui a été déposée il y a plus de 18 ans. Le demandeur sollicite également un bref de mandamus ou une ordonnance enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, représenté par un agent de la citoyenneté ou un juge de la citoyenneté, de reprendre immédiatement l’examen de sa demande de citoyenneté. De plus, si les exigences d’attribution de la citoyenneté ont été remplies, ou l’avaient été, mais sont devenues caduques uniquement en raison d’une décision injustifiée de ne pas trancher la demande, il sollicite une ordonnance enjoignant le règlement rapide de sa demande de citoyenneté.

[25] Le 30 janvier 2019, la SPR a de nouveau suspendu la demande de constat de perte d’asile, à la demande de M. Sharafaldin, pour lui donner la possibilité d’instruire la présente demande de contrôle judiciaire. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la seconde décision par laquelle la SPR avait suspendu la demande de constat de perte de l’asile, mais cette demande a été rejetée par le juge Grammond le 11 septembre 2019 : voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Sharafaldin, 2019 CF 1168.

[26] La demande de contrôle judiciaire de M. Sharafaldin a été autorisée le 18 avril 2019.

[27] Lorsqu’il a déposé la présente demande en janvier 2019, M. Sharafaldin ne savait pas que, plus de quatre années plus tôt, la procédure d’examen de sa demande de citoyenneté avait été suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté. Il ne l’a appris que lorsqu’il a reçu l’affidavit (souscrit le 25 mars 2019) qu’avait déposé le ministre en réponse à la présente demande.

[28] En raison de ce qui précède et des renseignements supplémentaires qui ont été fournis à M. Sharafaldin dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire (dont les renseignements communiqués dans le cadre de la demande fondée sur l’article 38 de la Loi sur la preuve), M. Sharafaldin ne sollicite plus les mêmes réparations qu’il demandait en janvier 2019. Les réparations qu’il sollicite maintenant sont décrites de manière exhaustive dans son deuxième mémoire des arguments supplémentaires (daté du 26 mars 2021).

[29] En résumé, M. Sharafaldin soutient que le ministre a tardé de manière déraisonnable à trancher sa demande de citoyenneté, ce qui lui a causé un préjudice. À titre de réparation, il sollicite une ordonnance annulant la décision prise le 24 octobre 2014, aux termes de laquelle la demande de citoyenneté qu’il avait présentée en 1999 a été suspendue, et une ordonnance enjoignant au ministre de mener promptement à terme l’examen de cette demande. Il demande également à la Cour d’encadrer l’examen de sa demande par le ministre. Il sollicite une ordonnance en vue d’empêcher le ministre de rejeter sa demande au motif qu’il ne satisfait pas aux conditions de résidence. Il sollicite en outre une ordonnance dont l’effet serait d’empêcher le ministre de suspendre de nouveau la procédure d’examen de sa demande ou de rejeter celle‑ci pour raison de sécurité ou pour criminalité, à moins que cette décision ne soit fondée sur de nouveaux renseignements. (Les éléments qui constituent de nouveaux renseignements sont examinés plus loin.) Bien que M. Sharafaldin ne demande pas expressément à la Cour d’empêcher le ministre de lui refuser une attestation de vérification en matière d’immigration, sauf sur le fondement de nouveaux renseignements, je suis d’avis que c’est ce qui ressort implicitement de l’objet général de la présente demande.

[30] Pour sa part, le défendeur soutient uniquement que la décision de suspendre la demande en vertu de l’article 13.1 était valide. Il avait peu de choses à dire au sujet des réparations impératives que sollicite M. Sharafaldin.

III. ANALYSE

A. Introduction

[31] M. Sharafaldin invoque deux principes juridiques à l’appui de la présente demande : le pouvoir de la Cour de rendre une ordonnance de mandamus et le pouvoir de la Cour d’accorder une réparation en cas d’abus de procédure. Je suis convaincu que M. Sharafaldin a droit à la réparation qu’il demande selon le critère bien établi applicable à la délivrance d’une ordonnance de mandamus et les principes connexes. Il n’y a donc pas lieu de tenir compte du principe de l’abus de procédure.

B. Le critère applicable à la délivrance d’une ordonnance de mandamus

[32] L’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 dispose que, sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut « ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable ». Aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, une telle mesure est prise si la cour de révision est convaincue que l’office fédéral a « refusé » d’exercer sa compétence. Bien que le terme « bref de mandamus » ne soit pas employé dans cette disposition, il ne fait aucun doute que le pouvoir qu’elle prévoit vise le bref de prérogative de mandamus découlant de la common law. Voir aussi l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, qui confère expressément à la Cour le pouvoir de décerner un bref de mandamus. De plus, lorsqu’une cour de révision renvoie une affaire à un décideur administratif, elle peut fournir à ce dernier les « instructions qu’elle estime appropriées » (Loi sur les Cours fédérales, art 18.1(3)b)).

[33] Le juge Little a récemment proposé la description concise suivante du recours à un mandamus :

L’ordonnance de mandamus vise à contraindre l’exécution d’une obligation légale d’agir à caractère public. Cette obligation est généralement énoncée dans une loi ou un règlement. Une ordonnance de mandamus constitue la réponse de la Cour à l’omission, par un décideur, d’exécuter une obligation, et ce, par suite de la demande fructueuse d’un demandeur qui bénéficie de cette obligation et qui est en droit, au moment où il saisit la Cour, d’en réclamer l’exécution. Le critère applicable au mandamus exige donc un examen rigoureux de l’obligation publique de nature légale, réglementaire ou autre qui est en jeu, ce qui permet au tribunal de déterminer si le décideur est contraint d’agir d’une façon particulière, comme le prétend le demandeur en l’espèce, et si les circonstances ont rendu nécessaire l’exécution de cette obligation en faveur du demandeur.

(Wasylynuk c Canada (Gendarmerie royale), 2020 CF 962 au para 76)

[34] Dans l’arrêt Apotex c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA) (conf par [1994] 3 RCS 1100), la Cour d’appel fédérale énonce les huit conditions qui doivent être réunies avant qu’un demandeur ait droit à une ordonnance de mandamus. En résumé, ces conditions sont les suivantes :

1) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2) l’obligation doit exister envers le requérant;

3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

4) lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, des principes additionnels s’appliquent;

5) le requérant n’a aucun autre recours;

6) l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

7) rien n’empêche, en vertu de l’équité, d’obtenir la réparation demandée;

8) compte tenu de la prépondérance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

Voir également Lukacs c Canada (Office des transports), 2016 CAF 202 au para 29.

[35] Dans les cas comme en l’espèce, où l’obligation légale d’agir à caractère public consiste à trancher une demande, il est crucial de déterminer si la troisième condition établie dans l’arrêt Apotex a été respectée. Le droit à l’exécution de l’obligation de rendre une décision entre en jeu seulement si la partie qui exerce un recours en mandamus a satisfait à toutes les conditions pour qu’une décision soit rendue et a fait une demande en ce sens et si le tribunal a expressément refusé de rendre une décision ou s’il a trop tardé à le faire : voir Apotex, à la p 767.

[36] Dans la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, qui porte également sur une décision rendue bien tardivement à l’égard d’une demande de citoyenneté, la juge Tremblay‑Lamer déclare (à la p 43) que trois conditions doivent être remplies pour qu’un délai soit jugé déraisonnable :

  • 1)le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

  • 2)le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;

  • 3)l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

[37] Lorsqu’il est établi que le délai dans lequel une décision a été rendue était déraisonnable et que les autres conditions préalables à la délivrance d’une ordonnance de mandamus sont également remplies, le décideur sera normalement tenu de rendre une décision dans un délai fixé par la Cour : voir, par exemple, Conille; Abdolkhaleghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 729; Thomas c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 164; Almuhtadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 712.

[38] La demande de réparations impératives présentée par M. Sharafaldin soulève deux questions fondamentales. La première de ces questions concerne les répercussions de la suspension ordonnée en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté sur le critère énoncé dans l’arrêt Apotex. Plus particulièrement, la suspension fait‑elle échec à la prétention de M. Sharafaldin selon laquelle le ministre est tenu de trancher sa demande sans autre retard injustifié parce qu’il a indûment tardé à rendre une décision ou, au contraire, M. Sharafaldin est‑il en droit d’obtenir une décision du ministre sans autre retard injustifié? Cette question est examinée plus loin.

[39] La deuxième question fondamentale consiste à savoir si, dans l’éventualité où M. Sharafaldin serait en droit d’obtenir une décision du ministre sans autre retard injustifié, il aurait également droit d’exiger l’encadrement de l’examen par le ministre de sa demande de citoyenneté. Il s’agit d’une réparation exceptionnelle, mais le fondement sur lequel repose un tel encadrement est bien établi dans la jurisprudence.

[40] Dans certains cas, l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire peut soutenir que, indépendamment de toute question de délai déraisonnable, il a droit non seulement à une décision, mais aussi à un résultat précis. Une ordonnance de mandamus ne peut être accordée à cette fin que « si les faits et le droit sont tels que le décideur administratif n’a pas d’autre choix et qu’il doit trancher l’affaire d’une manière précise » (Sexsmith c Canada (Procureur général), 2021 CAF 111 au para 40). Une telle affirmation concorde avec la thèse générale selon laquelle une cour de révision peut, dans des circonstances exceptionnelles, rendre la décision qu’aurait dû rendre le décideur administratif dans les situations où ce dernier « ne pourrait raisonnablement en venir à une autre décision au regard des faits et du droit » (Canada (Procureur général) c Philps, 2019 CAF 240 au para 41). Il est justifié de procéder ainsi parce que le renvoi de l’affaire au décideur ne serait « d’aucune utilité » : voir Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 aux para 52‑53. De plus, faire perdurer l’affaire en la renvoyant au décideur administratif pourrait causer un préjudice à la partie lésée et miner la confiance dans l’administration de la justice : voir Philps, au para 42; voir aussi Canada (Sécurité publique et Protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55 au para 14, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 72‑74 (arrêt Tennant). La cour de révision fera donc une exception à la règle habituelle et tranchera la question au fond.

[41] Je ne crois pas que M. Sharafaldin aille aussi loin dans sa demande de réparation. C’est‑à‑dire que je ne comprends pas qu’il demande à la Cour de prononcer un jugement déclaratoire portant qu’il est citoyen canadien (comme il a été fait dans l’affaire Fisher‑Tennant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 151 [appel du ministre rejeté : voir l’arrêt Tennant]). M. Sharafaldin ne demande pas non plus à la Cour d’ordonner au ministre de lui attribuer la citoyenneté (comme il a été fait dans Murad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089, et Stanizai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 74, par exemple). Il soutient plutôt que l’examen de sa demande de citoyenneté par le ministre devrait être soumis à un certain encadrement, à la fois pour réparer le préjudice qu’il a subi en raison des longueurs dans le traitement de sa demande et pour prévenir tout autre retard injustifié. Plus précisément, il affirme que la Cour devrait conclure qu’il a rempli les conditions de résidence qui s’appliquaient à sa demande de 1999 (même si, en réalité, il n’avait pas accumulé le nombre requis de jours de présence effective au Canada). Il fait également valoir qu’il faudrait interdire au ministre de suspendre de nouveau l’examen de sa demande de citoyenneté et de lui refuser l’attestation de vérification en matière d’antécédents criminels, de sécurité ou d’immigration, sauf si cette décision repose sur de nouveaux renseignements. Selon M. Sharafaldin, il a droit à ces ordonnances impératives supplémentaires en raison de la mauvaise administration ou du vice administratif qui entache sa demande de citoyenneté. Il affirme que les longueurs importantes dans le traitement de sa demande de citoyenneté et le préjudice qui en a découlé justifient l’encadrement du ministre : voir D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 aux para 16‑21.

[42] M. Sharafaldin soutient également qu’il a droit à de telles ordonnances à titre de réparation pour l’abus de procédure qui a été commis relativement à la demande de citoyenneté qu’il avait présentée en 1999. Toutefois, comme je le dis plus haut, point n’est besoin d’étayer par ce principe juridique distinct la conclusion selon laquelle il a droit aux réparations qu’il sollicite.

C. La suspension ordonnée en vertu de l’article 13.1

[43] M. Sharafaldin a présenté sa demande de citoyenneté plus de 14 années avant l’adoption de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté. Il ne fait aucun doute que l’examen d’une demande de citoyenneté présentée avant l’adoption de l’article 13.1 peut être suspendu en vertu de cette disposition : voir GPP c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 71 au para 1. Selon le défendeur, la demande présentée par M. Sharafaldin en vue d’obtenir le mandamus doit être rejetée au motif que le ministre n’a pas d’obligation à caractère public de poursuivre la procédure, car l’examen de la demande de citoyenneté a été suspendu en vertu de l’article 13.1 : voir Nilam, au para 27. Je conviens que, si la suspension ordonnée en vertu de l’article 13.1 est valide, il ne peut être satisfait au critère relatif au mandamus. La question déterminante consiste à savoir si la suspension est valide.

[44] L’exercice du pouvoir de suspendre une demande de citoyenneté conféré par l’article 13.1 est susceptible de contrôle judiciaire : voir Niu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 520 au para 14. Si, par exemple, une suspension a pour objet de permettre la tenue d’une enquête sur une question étrangère à l’admissibilité du demandeur à la citoyenneté, elle pourrait se révéler fondamentalement déraisonnable et serait annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire. De même, une suspension visant la réalisation d’une enquête sur un fait pertinent au titre des alinéas 13.1a) ou 13.1b) pourrait se révéler fondamentalement déraisonnable si elle est maintenue plus longtemps que la période nécessaire : voir Niu, au para 14. Dans ce dernier cas, la question qu’il faut se poser est de savoir si l’enquête a été menée « dans [l]es limites du raisonnable » : voir Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 938 au para 38; Gentile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 452 au para 20.

[45] Comme M. Sharafaldin n’était pas au courant de la suspension ordonnée en vertu de l’article 13.1 lorsqu’il a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, il ne l’a pas contestée dans sa demande initiale. Dès qu’il en a pris connaissance, il a modifié sa demande pour attaquer la validité de la décision d’autoriser cette suspension. En effet, il a fait une demande subsidiaire de bref de certiorari en plus de sa demande de mandamus. Le droit de M. Sharafaldin de contester la suspension au motif qu’elle était déraisonnable dans le cadre de sa demande de mandamus n’a pas été remis en question. Il ne pouvait en effet en être autrement, car le défendeur avait opposé seulement la suspension à la demande de mandamus, et M. Sharafaldin n’avait appris l’existence de cette suspension que des années après son autorisation.

[46] Comme le fait observer le juge McHaffie dans la décision Gentile, « l’appréciation du caractère raisonnable ou non de [la] suspension dépendra dans une large mesure des faits particuliers de l’espèce » (au para 21). À mon avis, les faits pertinents comprennent notamment : la suspension vise-t-elle à permettre la poursuite d’une enquête qui était déjà en cours lorsque la suspension a été autorisée? Dans l’affirmative, la durée de cette enquête et si des raisons suffisantes expliquent pourquoi cette enquête n’a pas encore été menée à terme. Dans le cas d’une enquête qui avait déjà été retardée de façon déraisonnable lorsque la suspension a été autorisée, tout autre retard découlant de la suspension ne s’inscrirait pas, en soi, dans les limites du raisonnable (à moins, par exemple, qu’il y ait eu un changement important dans les circonstances, tel que la découverte de nouveaux renseignements).

[47] Je suis d’avis que c’est le cas en l’espèce.

[48] Dans le document autorisant la suspension en vertu de l’article 13.1, il est écrit que, depuis le 24 octobre 2014, M. Sharafaldin [traduction] « est un sujet d’intérêt dans une enquête en cours de l’ASFC ». Au vu de la preuve dont je dispose dans le cadre de la présente demande, je constate que la seule enquête de l’ASFC qui était en cours lorsque la suspension a été autorisée en vertu de l’article 13.1 était celle visant à déterminer si M. Sharafaldin s’était réclamé de nouveau de la protection de l’Iran en retournant dans ce pays à plusieurs reprises entre mars 2006 et février 2009. Ma constatation est fondée entre autres sur la note suivante, qui a été prise le 17 juin 2014 dans le cadre de l’examen de cas de l’ASFC portant sur M. Sharafaldin : [traduction] « L’enquête concernant la perte possible de l’asile est en cours. » Aucune autre enquête n’est mentionnée. Voir l’affidavit de Mahmoud Sharafaldin souscrit le 8 octobre 2019, pièce B, aux p 228‑229. (Cette pièce est constituée des documents obtenus par suite d’une demande d’accès à l’information visant les dossiers que possède l’ASFC au sujet de M. Sharafaldin.) Bien que des renseignements donnent à penser que l’ASFC a pu se pencher également sur d’autres éléments, rien ne prouve que ce sont ces autres éléments, et non pas les réserves exprimées quant à la possible perte de l’asile ou d’autres réserves, qui ont entraîné la suspension du traitement de la demande de citoyenneté en octobre 2014.

[49] Je conclus également que l’enquête sur la perte de l’asile avait déjà été retardée de façon déraisonnable lorsque la suspension a été autorisée en vertu de l’article 13.1. L’ASFC était au courant des circonstances qui pouvaient donner lieu au constat de perte d’asile au moins depuis que M. Sharafaldin était rentré d’Iran le 1er février 2009. À ce moment‑là, l’ASFC avait interrogé M. Sharafaldin sur ce qu’il avait fait en Iran et sur les raisons de son retour au Canada. Son passeport iranien, son ordinateur portable, son cellulaire, sa carte d’embarquement et d’autres documents avaient été saisis [traduction] « à des fins d’enquête ». Un compte rendu de l’entrevue de M. Sharafaldin avait été rédigé à l’époque.

[50] Au vu du dossier dont je dispose, je constate que, lorsque la suspension a été autorisée en vertu de l’article 13.1 plus de cinq années plus tard, la seule mesure significative qu’avait prise l’ASFC pour déterminer si M. Sharafaldin avait perdu l’asile avait été de l’interroger de nouveau le 10 janvier 2014. Il n’y a aucune preuve de ce que l’ASFC avait fait jusque‑là pour faire avancer l’enquête. Rien n’indique non plus que l’ASFC avait, durant l’entrevue de 2014, recueilli de nouveaux renseignements qui étaient pertinents pour trancher la question de la perte d’asile. Même après la tenue de cette entrevue, rien ne prouve que l’enquête avait progressé lorsque la suspension a été autorisée en vertu de l’article 13.1 neuf mois plus tard. De plus, rien ne prouve que les personnes chargées d’examiner cette question n’ont pas été en mesure de le faire en temps opportun parce qu’elles avaient d’autres responsabilités.

[51] Je conclus, en appliquant les facteurs énoncés dans la décision Conille à l’enquête sur la perte de l’asile, que le laps de temps qui s’est écoulé entre le 1er février 2009 et le 24 octobre 2014 excède ce que le processus exige de façon prima facie, que M. Sharafaldin n’en est pas responsable et qu’il n’a pas été justifié. Il est donc déraisonnable.

[52] Par conséquent, je conclus également que la suspension autorisée en vertu de l’article 13.1 est déraisonnable, car elle vise à prolonger le délai d’enquête au‑delà des limites du raisonnable. Le ministre a la responsabilité — en fait, l’obligation — d’examiner les questions susceptibles de jouer sur l’admissibilité du demandeur à la citoyenneté canadienne. Toutefois, comme l’enquête sur la perte de l’asile avait déjà été retardée de façon déraisonnable en date du 24 octobre 2014 (la date de l’autorisation de la suspension), aucun délai supplémentaire ne peut être considéré comme « nécessaire » pour cette enquête, comme le prévoit l’article 13.1. De plus, si je n’avais pas été convaincu que le délai était déjà déraisonnable en date du 24 octobre 2014, j’aurais quand même conclu que l’enquête ne s’inscrivait pas dans les limites du raisonnable étant donné qu’aucune raison n’avait été fournie pour expliquer pourquoi le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile avait attendu jusqu’au 24 juin 2015 pour soumettre à la SPR une demande de constat de perte d’asile visant M. Sharafaldin ou pourquoi cette demande n’avait été signifiée à M. Sharafaldin que le 23 avril 2018. Compte tenu de toutes les circonstances, la suspension autorisée en vertu de l’article 13.1 doit être annulée.

[53] À la lumière de cette conclusion, point n’est besoin de déterminer si invoquer l’article 13.1 constituait un abus de procédure en l’espèce.

D. Les conditions établies dans l’arrêt Apotex

[54] L’annulation de la suspension autorisée en vertu de l’article 13.1 règle en faveur de M. Sharafaldin la première condition énoncée dans l’arrêt Apotex. Pour obtenir le mandamus, il doit être satisfait aussi aux autres conditions. Comme je l’explique ci-après, je considère que c’est le cas.

[55] À mon avis, hormis la première condition, le seul point qui est vraiment en litige est de savoir si M. Sharafaldin avait un droit clair de faire examiner sa demande de citoyenneté et de la faire trancher (la troisième condition).

[56] M. Sharafaldin a satisfait à toutes les exigences pour qu’il soit statué sur sa demande. Avant le dépôt de la présente demande, il a demandé qu’une décision soit prise. La question déterminante est de savoir si le ministre a trop tardé à prendre une décision. Pour répondre à cette question, il faut appliquer de nouveau les facteurs de la décision Conille. Pour ce faire, je suis disposé à examiner la question sous l’angle le plus favorable au ministre et à présumer que la suspension autorisée en vertu de l’article 13.1 a entraîné l’interruption du processus le 24 octobre 2014 (même si, comme je le mentionne plus haut, je conclus que la suspension est déraisonnable). Par conséquent, la période pertinente pour cette partie de l’analyse s’étend du 6 janvier 2000 (la date de réception de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin par CIC) au 24 octobre 2014 (la date de l’autorisation de la suspension).

[57] Un délai de près de 15 années pour le traitement d’une demande de citoyenneté est manifestement plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie. Je suis convaincu que M. Sharafaldin n’en est aucunement responsable. Au contraire, il ressort du dossier qu’il a toujours répondu rapidement à toute demande d’information ou d’intervention de sa part. Pour ce qui est de savoir si le ministre a justifié ce laps de temps, je conclus que, à l’exception de la période allant jusqu’en mars 2004, ni le ministre ni les organismes partenaires n’ont fait preuve de diligence raisonnable dans ce dossier et que le laps de temps qui s’est écoulé après mars 2004 n’a pas été justifié de façon satisfaisante.

[58] Plus particulièrement, compte tenu des renseignements dont disposaient le ministre et les organismes partenaires, il fallait décider si M. Sharafaldin tombe sous le coup de l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur la citoyenneté. Cette disposition prévoit un processus servant à déterminer si M. Sharafaldin devrait se voir refuser l’attribution de citoyenneté ou la prestation du serment de citoyenneté, parce qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il s’est livré, se livre ou pourrait se livrer à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada. À la fin mars 2004, CIC avait conclu que M. Sharafaldin n’y serait pas soumis, et, par conséquent, qu’il avait [traduction] « réussi » la vérification des antécédents de sécurité. (Jamais n’a‑t‑on laissé entendre que M. Sharafaldin avait un casier judiciaire au Canada ou que des accusations pesaient contre lui et pourraient l’empêcher d’obtenir une attestation de vérification des antécédents criminels, de sorte qu’il a été facile de confirmer ce point.) Je suis convaincu que, bien que le traitement de la demande de citoyenneté ait été long, le laps de temps qui s’est écoulé jusqu’alors a été justifié de façon satisfaisante.

[59] Cependant, même s’il a été conclu que M. Sharafaldin avait réussi les vérifications d’antécédents criminels et de sécurité, sa demande de citoyenneté n’a pas progressé. Au contraire, après mars 2004, des analystes de l’ASFC ont demandé à plusieurs reprises de maintenir la suspension de la demande en attendant que d’autres enquêtes soient menées. Même si M. Sharafaldin avait réussi les vérifications d’antécédents criminels et de sécurité, les analystes de l’ASFC ont continué de se demander s’il était possible que M. Sharafaldin soit interdit de territoire au Canada au titre de la LIPR pour raison de sécurité ou pour criminalité organisée (voir la LIPR, aux art 34(1)d) et 37).

[60] Selon la décision Conille, le ministre doit justifier de « façon satisfaisante » le laps de temps qu’a pris le traitement de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin après mars 2004. J’estime qu’il ne l’a pas fait.

[61] Je reconnais que l’ASFC a le mandat distinct d’enquêter sur les questions d’interdiction de territoire éventuelle (notamment pour raison de sécurité ou pour criminalité) et de conseiller le ministre à cet égard. Il s’agit d’une étape nécessaire pour que le ministre puisse décider s’il doit accorder ou non une attestation de vérification en matière d’immigration. Peu d’explications ont toutefois été fournies concernant les réserves exprimées par l’ASFC, et rien ne démontre ce qui a été fait pour les dissiper, si ce n’est les références aux enquêtes menées. En décembre 2004, l’ASFC était convaincue qu’aucune des réserves liées à la criminalité organisée qui avaient été soulevées n’était fondée, de sorte que les seules questions qu’il restait à trancher concernaient la sécurité. Bien que de vagues références à des doutes liés à la criminalité organisée aient persisté au cours des années qui ont suivi, en plus de réserves constantes liées à la sécurité, le délai qui s’étirait n’était guère justifié . Au contraire, il semble que rien n’a été fait pendant de longues périodes pour dissiper ces doutes d’une manière ou d’une autre. En résumé, le laps de temps qui s’est écoulé après mars 2004 (ou, pour être généreux, après décembre 2004) est en grande partie, sinon entièrement, inexpliqué. Vu la longueur du laps de temps écoulé, de simples réserves exprimées quant à la possibilité d’une interdiction de territoire ne sauraient le justifier, étant donné que rien ne démontre que ces réserves avaient été examinées en temps opportun et que rien ne les étaye, même à ce jour. Même à supposer que les réserves soulevées par l’ASFC à l’époque étaient fondées, au vu de la preuve dont je dispose, elles sont loin d’être suffisantes pour justifier la période de plusieurs années qui a suivi.

[62] Il est également important de noter qu’en avril et en mai 2004, l’analyste de CIC qui supervisait le traitement de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin avait mentionné, dans ses communications avec des analystes de l’ASFC, [traduction] « l’importance de cette affaire » et la possibilité qu’une demande de mandamus soit présentée. Malgré cela, rien n’a été fait pour que l’affaire soit conclue en temps opportun, d’une manière ou d’une autre. Le simple fait de vérifier l’état d’avancement de la demande (comme cela a été fait au cours des mois et des années qui ont suivi) ne suffisait pas à libérer le ministre de la responsabilité qui lui incombait de veiller à ce que le traitement de la demande de citoyenneté ne soit pas retardé indûment.

[63] Le laps de temps déraisonnable qui s’est écoulé a été exacerbé par le laps de temps déraisonnable qui est associé à l’éventuel constat de perte d’asile, qui est mentionné plus haut.

[64] Par conséquent, je conclus que le temps consacré au traitement de la demande de citoyenneté de M. Sharafaldin entre mars 2004 et octobre 2014 est déraisonnable.

[65] Je tiens à souligner que, comme l’avait demandé l’avocat de M. Sharafaldin, pour rendre ma décision, j’ai examiné l’ensemble du dossier, y compris les renseignements qui n’avaient pas été fournis à M. Sharafaldin sur le fondement de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

[66] Enfin, le défendeur fait valoir que M. Sharafaldin n’a pas droit à une ordonnance enjoignant au ministre de conclure l’examen de sa demande de citoyenneté, car il a renoncé à son droit d’obtenir une décision dans des délais raisonnables en ne contestant pas les longueurs plus tôt ou en n’exerçant pas un recours judiciaire avec diligence raisonnable. Je ne suis pas de cet avis.

[67] En théorie, du moins, rien n’empêche l’auteur d’une demande de citoyenneté canadienne de renoncer à son droit d’obtenir une décision dans des délais raisonnables (soit entièrement soit pour une période donnée). Toutefois, on ne peut déduire simplement qu’un demandeur a renoncé à un droit procédural en raison de son silence, de son inaction ou de son absence d’opposition : voir Korponay c Procureur général du Canada, [1982] 1 RCS 41 aux p 48‑49; voir aussi Park c La Reine, [1981] 1 RCS 64 à la p 74. De plus, pour qu’une renonciation à un droit soit valide, elle doit être claire et sans équivoque. Elle doit être faite « en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l’effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure » (Korponay, à la p 49; soulignement de l’original supprimé). La renonciation peut être explicite ou implicite, mais, dans tous les cas, elle doit satisfaire à ce critère rigoureux pour être valide. Il incombe à la partie qui allègue la renonciation d’établir qu’il y a bel et bien eu renonciation.

[68] Ces principes bien établis s’appliquent, entre autres, au droit à ce que quelque chose ait lieu dans un délai raisonnable, comme un procès criminel : voir R c Askov, [1990] 2 RCS 1199 aux p 1228‑1229; R c Morin, [1992] 1 RCS 771 à la p 790; R c Jordan, 2016 CSC 27 au para 61; R c JF, 2022 CSC 17 aux para 43‑49. Bien entendu, tous ces arrêts portent sur un droit garanti par la Charte; cependant la notion de renonciation sur laquelle reposent ces arrêts ne s’applique pas seulement aux droits garantis par la Charte. Même si le droit de M. Sharafaldin d’obtenir une décision à l’égard de sa demande de citoyenneté dans des délais raisonnables n’est évidemment pas garanti par la Charte, le critère applicable à la renonciation d’un droit – qu’il soit garanti par la Charte ou non – est instructif lorsqu’il s’agit de trancher la question de savoir si, à quelque moment que ce soit, M. Sharafaldin a renoncé au droit en cause en l’espèce.

[69] En l’espèce, rien ne permet d’affirmer que M. Sharafaldin a clairement et sans équivoque renoncé à son droit d’obtenir une décision à l’égard de sa demande de citoyenneté dans des délais raisonnables ni qu’il l’a fait en pleine connaissance des conséquences qu’aurait la renonciation à ce droit. Entre 2001 et 2004, il avait retenu les services d’un avocat pour examiner son dossier, mais il avait décidé à l’époque de ne pas présenter de demande de mandamus (en partie, du moins, parce qu’il n’en avait pas les moyens). Il est certes vrai que M. Sharafaldin n’a pris aucune autre mesure concrète pour obtenir une décision du ministre avant le milieu de 2018 (ce qui a mené au dépôt de la présente demande en janvier 2019), mais cela ne dégage pas le ministre de l’obligation légale à caractère public de rendre une décision dans des délais raisonnables.

[70] Pour ces motifs, je conclus que M. Sharafaldin remplit toutes les conditions énoncées dans l’arrêt Apotex et qu’il a donc droit au mandamus.

E. Les modalités du mandamus

[71] Compte tenu de la jurisprudence analysée plus haut, M. Sharafaldin a le droit, à tout le moins, d’obtenir une décision du ministre sans plus tarder. Pour qu’un tel résultat soit atteint, des délais peuvent être fixés pour l’examen de la demande de citoyenneté par le ministre. La question la plus difficile à trancher en ce qui a trait aux réparations sollicitées est de savoir si M. Sharafaldin a également droit à faire encadrer le processus décisionnel du ministre.

[72] M. Sharafaldin demande l’encadrement à trois égards, à savoir : (1) qu’il soit réputé avoir rempli les conditions de résidence applicables; (2) que la Cour empêche le ministre de suspendre de nouveau l’examen de sa demande de citoyenneté, sauf sur le fondement de nouveaux renseignements; (3) que la Cour empêche le ministre de rejeter sa demande de citoyenneté pour raison de sécurité ou pour criminalité, à moins que cette décision soit fondée sur de nouveaux renseignements. Comme je le mentionne plus haut, bien qu’il ne le demande pas expressément, je crois qu’il ressort implicitement de la demande de mandamus de M. Sharafaldin que ce dernier demande à la Cour d’empêcher le ministre de lui refuser la citoyenneté parce qu’il n’a pas obtenu une attestation de vérification en matière d’immigration, sauf si cette décision est fondée sur de nouveaux renseignements.

[73] Comme je le mentionne également plus haut, le défendeur a présenté peu d’observations concernant la mesure spéciale que demande M. Sharafaldin advenant le cas où la Cour serait convaincue que le mandamus doit être rendu.

[74] Comme je l’explique ci-après, je suis convaincu que M. Sharafaldin a établi que, dans les circonstances exceptionnelles de son affaire, l’encadrement qu’il souhaite de l’examen de sa demande de citoyenneté est justifié.

[75] Premièrement, en ce qui concerne les conditions de résidence, en raison du retard causé par le ministre, la période pertinente servant à déterminer l’admissibilité a été figée dans le temps pendant des décennies. Cette situation a causé un préjudice à M. Sharafaldin parce qu’il semble lui manquer quelques jours de présence effective au Canada pour satisfaire aux conditions de résidence (il lui manque apparemment 79 jours pour atteindre les 1 095 jours requis), et il faudrait donc lui accorder une exemption discrétionnaire aux conditions de résidence habituelles. Toutefois, la preuve démontre que M. Sharafaldin aurait facilement pu satisfaire aux conditions de résidence durant les nombreuses périodes de référence qui se sont écoulées au cours des années qui ont suivi. En effet, il semble qu’il n’ait pas quitté le Canada depuis son retour au pays en février 2009. Si le ministre avait rejeté dans un délai raisonnable la demande de citoyenneté qu’avait présentée M. Sharafaldin en 1999, ce dernier aurait pu présenter une nouvelle demande et faire établir une autre période de référence, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire de lui accorder une exemption discrétionnaire. Même si d’autres difficultés pouvaient entraver cette demande, les conditions de résidence ne poseraient pas problème. Dans ces circonstances, il serait injuste que le ministre rejette maintenant la demande au motif que, par rapport à la période de référence applicable à la demande de 1999, M. Sharafaldin n’a pas accumulé le nombre de jours de présence effective requis.

[76] Cela dit, je ne suis pas convaincu que la réparation qui convient consiste à conclure que M. Sharafaldin est « réputé » avoir rempli les conditions de résidence, comme il le laisse entendre. Il faudrait plutôt empêcher le ministre de rejeter la demande de citoyenneté au motif que M. Sharafaldin ne satisfait pas aux conditions de résidence.

[77] Deuxièmement, les longueurs dans le traitement de la demande de citoyenneté par le ministre ont également causé un autre préjudice réel à M. Sharafaldin. Comme le traitement de la demande n’a pas été achevé dans un délai raisonnable (ce qui, à mon avis, aurait dû avoir été fait peu après mars 2004, compte tenu de toutes les circonstances), M. Sharafaldin fait maintenant face à de fâcheuses conséquences juridiques parce qu’il est retourné en Iran entre 2006 et 2009. Ces conséquences possibles s’appliquent à ses actions de manière rétroactive uniquement en raison des modifications qui ont été apportées à la LIPR en 2012, des années après son voyage en Iran et bien plus d’une décennie après la présentation de sa demande de citoyenneté canadienne. Plus précisément, comme il est mentionné plus haut, par suite de ces modifications, s’il est constaté que M. Sharafaldin a perdu l’asile, il perdra aussi la résidence permanente. Et s’il perd la résidence permanente, il ne sera plus admissible à la citoyenneté canadienne. Il ne serait pas dans cette situation si sa demande de citoyenneté avait été traitée dans un délai raisonnable. La seule réparation efficace pour ce préjudice est d’empêcher le ministre de retarder le traitement de la demande de citoyenneté ou la prestation du serment de citoyenneté, au motif que la SPR est maintenant saisie d’une demande de constat de perte d’asile.

[78] J’ai accordé un poids considérable au fait que M. Sharafaldin ne pourrait vraisemblablement pas obtenir une réparation pour ce préjudice en particulier auprès de la SPR. Cette dernière serait probablement d’avis que sa compétence se limite à l’instance dont elle est saisie et, par conséquent, elle ne tiendrait pas compte de l’important retard en cause en l’espèce – c’est‑à‑dire le laps de temps qui s’est écoulé avant le début de l’instance relative à la demande de constat de perte d’asile : voir Seid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1167 aux para 28‑31; Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 973 au para 43.

[79] Si l’on examine la question globalement, je suis convaincu, pour des motifs similaires, qu’il faudrait empêcher le ministre de suspendre la demande pour une autre raison que celle de l’existence de nouveaux renseignements.

[80] Pour décider si des renseignements sont nouveaux ou non, on pourrait déterminer n’importe quelle date dans l’historique de la présente affaire. Il pourrait, par exemple, s’agir du 24 octobre 2014, date à laquelle la suspension a été autorisée en vertu de l’article 13.1. Or, l’efficacité du mandamus en serait atténuée dans les circonstances particulières de l’espèce. Bien que le ministre ait appris en octobre 2014 que M. Sharafaldin pourrait faire l’objet d’une demande de constat de perte d’asile, le fait qu’une telle demande avait effectivement été déposée ne pouvait être connu que plus tard (en raison du laps de temps écoulé avant la présentation de la demande).

[81] M. Sharafaldin a fait valoir le 9 janvier 2019, date à laquelle il avait présenté la demande en vue d’obtenir le mandamus. Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, j’en conviens. Il serait ainsi possible de concilier, d’une part, le droit de M. Sharafaldin d’obtenir une réparation efficace pour le laps de temps déraisonnable qui s’est écoulé et, d’autre part, l’intérêt public à ce que le ministre puisse tenir compte comme il se doit des renseignements qui y sont étrangers. En optant pour cette date, on éviterait l’iniquité d’une nouvelle suspension de l’examen de la demande de citoyenneté pour tout motif lié au possible constat de perte de l’asile de M. Sharafaldin en raison de ses séjours en Iran entre 2006 et 2009, en plus de laisser au ministre la possibilité d’autoriser une autre suspension pour d’autres motifs (à condition que cette décision soit fondée sur de nouveaux renseignements). Par conséquent, le ministre ne pourra pas suspendre l’examen de la demande de citoyenneté ou la prestation du serment de citoyenneté, à moins qu’il ne le fasse parce qu’il a pris connaissance de renseignements postérieurs au dépôt de la demande visant le mandamus ou, si les renseignements datent d’avant le dépôt de cette demande, le ministre ou les organismes partenaires n’en avaient pas pris connaissance avant et n’auraient pas pu en avoir pris connaissance en faisant preuve de diligence raisonnable.

[82] Enfin, je suis convaincu que le ministre et les organismes partenaires ont eu amplement le temps d’examiner toutes les réserves concernant la sécurité ou la criminalité (organisée ou non) consignées au dossier qui m’a été présenté et qui ont retardé l’attribution d’une attestation de vérification en matière d’immigration. Pour cette raison, aucun autre retard dans le traitement de la demande de citoyenneté n’est justifié. Par conséquent, je suis d’accord avec M. Sharafaldin pour dire que l’examen par le ministre de sa demande doit également être encadré. Cette mesure est nécessaire et justifiée en raison de la mauvaise administration de la demande de citoyenneté depuis mars 2004 (en particulier en ce qui concerne la vérification des antécédents d’immigration). De plus, étant donné le temps écoulé, il se peut que de nouvelles attestations de vérification des antécédents criminels et de sécurité doivent être effectuées. Toutefois, dans la mesure où de telles attestations ont été accordées auparavant, il serait injuste et déraisonnable de la part du ministre de les refuser aujourd’hui, sauf si cette décision est fondée sur de nouveaux renseignements. Par conséquent, le ministre ne pourra pas non plus refuser les attestations de vérification des antécédents criminels, de sécurité ou d’immigration, sauf sur le fondement de nouveaux renseignements (comme il est mentionné au paragraphe 81 ci‑dessus).

[83] Les modalités précises de l’ordonnance de la Cour sont énoncées ci‑après.

F. La question à certifier

[84] La Cour a exceptionnellement convenu de donner aux parties l’occasion d’examiner la présente décision avant de sonder leur opinion quant à savoir si une question grave de portée générale devrait être énoncée conformément à l’alinéa 22.2d) de la Loi sur la citoyenneté. La Cour invite donc les parties à se consulter et, si possible, à communiquer une position commune sur l’opportunité de certifier des questions et, le cas échéant, sur le libellé de celles‑ci. Cette position doit être communiquée à la Cour dans les 14 jours suivant la date de la présente décision. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, chacune d’elles devra signifier et déposer des observations écrites à l’appui de sa position respective, dans les 14 jours suivant la date de la présente décision. Ces observations peuvent prendre la forme d’une lettre et ne peuvent dépasser trois pages à simple interligne. Les mémoires soumis en réponse, sous forme de lettre et ne dépassant pas deux pages à simple interligne, doivent être signifiés et déposés dans les sept jours suivant l’échange des mémoires principaux des parties. Si un délai supplémentaire est nécessaire pour l’une ou l’autre de ces étapes, les parties peuvent soumettre une demande informelle à la Cour.

G. Les dépens

[85] À l’audience, l’avocat de M. Sharafaldin a fait valoir non seulement que l’adjudication de dépens est justifiée, vu l’existence de raisons spéciales (comme le prévoit l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22), mais aussi que l’adjudication de dépens devrait se faire sur la base avocat‑client. Le défendeur s’oppose aux dépens, quelle qu’en soit la nature, et il n’a pas demandé de dépens dans l’éventualité où la demande serait rejetée.

[86] J’ai encouragé les parties à se consulter pour voir si elles pouvaient s’entendre sur les dépens qu’il convient d’accorder si la demande est accueillie. Quoi qu’il en soit, j’ai également dit aux parties que je reporterais l’examen de la question des dépens en attendant qu’elles me présentent d’autres observations. Par conséquent, je demande aux parties de communiquer leurs observations relatives aux dépens dans la forme et les délais prévus au paragraphe 84 ci‑dessus.

IV. CONCLUSION

[87] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Une ordonnance qui comporte les conditions suivantes sera rendue :

  • a)La suspension de la demande de citoyenneté présentée par M. Sharafaldin en 1999 qui avait été autorisée le 24 octobre 2014 en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté est annulée.

  • b)Le ministre doit rapidement conclure l’examen de la demande de citoyenneté canadienne de M. Sharafaldin.

  • c)L’examen de la demande par le ministre est assujetti à l’encadrement suivant :

  • i)le ministre ne peut pas invoquer l’article 13.1 ou le paragraphe 14(1.1) de la Loi sur la citoyenneté, sauf pour des raisons liées à de nouveaux renseignements – c’est‑à‑dire des renseignements postérieurs au 9 janvier 2019 ou, si les renseignements datent d’avant cette date, le ministre ou les organismes partenaires n’en avaient pas pris connaissance avant et ne pouvaient pas en avoir pris connaissance s’ils avaient fait preuve de diligence raisonnable;

  • ii)la demande ne doit pas être rejetée au motif que M. Sharafaldin ne satisfait pas aux conditions de résidence;

  • iii)les vérifications des antécédents criminels, de sécurité et d’immigration doivent être achevées dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance;

  • iv)le ministre ne doit pas refuser d’accorder une attestation de vérification des antécédents criminels, de sécurité ou d’immigration, sauf si cette décision est fondée sur de nouveaux renseignements – c’est‑à‑dire des renseignements postérieurs au 9 janvier 2019 ou, si les renseignements datent d’avant cette date, le ministre ou les organismes partenaires n’en avaient pas pris connaissance avant et ne pouvaient pas en avoir pris connaissance s’ils avaient fait preuve de diligence raisonnable;

  • v)tout autre acte ou renseignement requis de la part de M. Sharafaldin pour que soit mené à terme le traitement de sa demande de citoyenneté lui sera demandé dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance;

  • vi)M. Sharafaldin doit avoir une possibilité raisonnable d’accomplir les actes exigés et de fournir les renseignements demandés;

  • vii)une décision doit être rendue à l’égard de la demande dans les 30 jours suivant l’attribution des attestations de vérification ou l’accomplissement des actes exigés de M. Sharafaldin et la fourniture des renseignements qui lui sont demandés, selon la date la plus éloignée.

[88] Sachant que des circonstances peuvent survenir et justifier la modification du délai dans lequel une décision doit être rendue, l’une ou l’autre des parties peut déposer une requête en vue de faire modifier les modalités de l’ordonnance de la Cour. Si l’autre partie ne s’oppose pas à cette requête, celle‑ci peut être présentée de façon informelle. Dans le cas contraire, les parties devront présenter des dossiers de requête.

[89] La question des dépens et la question de savoir si une question à certifier doit être proposée demeureront en délibéré jusqu’à ce que les parties présentent d’autres observations.

[90] Enfin, M. Sharafaldin me demande de continuer de gérer la présente instance afin que je puisse examiner toute requête en modification des modalités de l’ordonnance de la Cour et que je veille à ce que les parties respectent cette ordonnance. Je conviens qu’il serait indiqué que la Cour continue d’intervenir, mais, comme des questions sont toujours en délibéré, il n’est pas nécessaire d’énoncer une condition à cet effet pour le moment. S’il le souhaite, M. Sharafaldin pourra formuler de nouveau cette demande ultérieurement.


JUGEMENT dans le dossier T‑64‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La suspension de la demande de citoyenneté présentée par M. Sharafaldin en 1999 qui avait été autorisée le 24 octobre 2014 en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté est annulée.

  3. Le ministre doit rapidement conclure l’examen de la demande de citoyenneté canadienne de M. Sharafaldin.

  4. L’examen de la demande par le ministre est assujetti à l’encadrement suivant :

  • a)le ministre ne peut pas invoquer l’article 13.1 ou le paragraphe 14(1.1) de la Loi sur la citoyenneté, sauf pour des raisons liées à de nouveaux renseignements – c’est‑à‑dire des renseignements postérieurs au 9 janvier 2019 ou, si les renseignements datent d’avant cette date, le ministre ou les organismes partenaires n’en avaient pas pris connaissance avant et ne pouvaient pas en avoir pris connaissance en faisant preuve de diligence raisonnable;

  • b)la demande ne doit pas être rejetée au motif que M. Sharafaldin ne satisfait pas aux conditions de résidence;

  • c)les vérifications des antécédents criminels, de sécurité et d’immigration doivent être achevées dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance;

  • d)le ministre ne doit pas refuser d’accorder une attestation de vérification des antécédents criminels, de sécurité ou d’immigration, sauf si cette décision est fondée sur de nouveaux renseignements – c’est‑à‑dire des renseignements postérieurs au 9 janvier 2019 ou, si les renseignements datent d’avant cette date, le ministre ou les organismes partenaires n’en avaient pas pris connaissance avant et ne pouvaient pas en avoir pris connaissance en faisant preuve de diligence raisonnable;

  • e)tout autre acte ou renseignement requis de la part de M. Sharafaldin pour que soit mené à terme le traitement de sa demande de citoyenneté lui sera demandé dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance;

  • f)M. Sharafaldin doit avoir la possibilité d’accomplir les actes exigés et de fournir les renseignements demandés;

  • g)une décision doit être rendue à l’égard de la demande dans les 30 jours suivant l’attribution des attestations de vérification ou l’accomplissement des actes exigés de M. Sharafaldin et la fourniture des renseignements qui lui sont demandés, selon la date la plus éloignée.

  1. La question des dépens et la question de savoir si une question à certifier doit être proposée demeurent en délibéré jusqu’à ce que les parties présentent d’autres observations.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑64‑19

 

INTITULÉ :

MAHMOUD SHARAFALDIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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