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Date : 20220518


Dossier : IMM-2733-22

Référence : 2022 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2022

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

CHRIS OSHO OKO-OBOH

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Oko-Oboh, 2022 CF 581 la « décision que j’ai rendue le 21 avril 2022 »], la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’égard de la décision, rendue le 23 mars 2022, par laquelle un commissaire de la Section de l’immigration (SI) a ordonné la mise en liberté du défendeur. La Cour a cassé la décision de la SI, et informé les parties qu’elle était disposée à examiner leurs observations écrites sur les dépens.

[2] Le 25 avril 2022, la Cour a reçu les observations écrites du demandeur.

[3] Le 16 mai 2022, la Cour a reçu les observations écrites du défendeur.

[4] La Cour a examiné les observations des parties et conclu que des dépens devraient être accordés au demandeur pour les motifs exposés plus bas.

II. Faits pertinents

[5] Bien que le défendeur soit désigné comme étant « Chris Osho Oko-Oboh, alias Andrew Ighiehon » dans les actes de procédures, sa véritable identité est inconnue. Il a en effet utilisé au moins douze pseudonymes au Canada. Comme je l’ai fait dans la décision que j’ai rendue le 21 avril 2022, je les énumère ici pour montrer à quel point le défendeur s’est appliqué à frauder et à porter atteinte au régime canadien d’immigration :

  • Christopher COLUMBUS, né le 16 août 1958;

  • James AIGBE, né le 23 septembre 1960;

  • Friday ADUN, né le 25 septembre 1968;

  • Andrew Agbe IGIEHON, né le 22 juin 1957;

  • Andrew Egbe IGIEHON, né le 19 août 1958;

  • Okojie LUGARD, né le 16 août 1958;

  • Chris Osho OKOH-OBOH, né le 16 août 1958;

  • Christopher Osho OKOH-OBOH, né le 16 août 1958;

  • Lugard OKOJIE, né le 16 août 1958;

  • Chris Osho OKOOBAOK, né le 16 août 1958;

  • Marek ORSZULA, né le 16 août 1958;

  • Lionel Sinclair SMITH, né le 16 août 1958.

[6] Le défendeur a présenté cinq demandes d’asile différentes au Canada, chacune sous un nom différent. Il a lui-même admis l’avoir fait pour frauder des bureaux d’aide sociale du Canada.

[7] Le défendeur était entré illégalement au Canada en 1991, puis avait demandé et obtenu l’asile sous un pseudonyme. Au cours des 21 ans qu’il a passés au pays par la suite, il a commis de nombreux crimes pour lesquels il a été reconnu coupable. Son statut de réfugié a été révoqué en 2007, et il a été expulsé en 2012. En février 2022, le défendeur est revenu au Canada à l’aide d’un titre de voyage frauduleux. Il a prétendu, sans preuve à l’appui, que des fonctionnaires canadiens de l’ambassade du Canada au Ghana avaient eux-mêmes contrefait le titre en question.

[8] Il convient en l’espèce de revoir les antécédents du défendeur, énumérés par Patrick Auger, agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs. Je précise qu’il s’agit d’un résumé aucunement exhaustif des interactions du défendeur avec des agents d’immigration et d’application de la loi au Canada :

1991-03-12 : Le sujet est entré au Canada illégalement à cette date.

1991-07-02 : Le sujet est reconnu coupable d’une fraude d’un montant supérieur à 1 000 $ à Toronto (sous le nom de IGIEHON, Andrew).

1992-02-25 : Le sujet présente une demande d’asile dans un bureau intérieur à Toronto sous le nom de IGIEHON, Andrew.

1992-03-16 : Le sujet obtient le statut de réfugié au Canada sous le nom de IGIEHON, Andrew.

1993-04-27 : Le sujet est reconnu coupable d’une fraude d’un montant supérieur à 1 000 $.

1995-12-25 : Le sujet fait l’objet d’un rapport pour fausse déclaration.

1995-02-11 : Le sujet fait l’objet d’un rapport pour grande criminalité (au titre de l’article 27 de l’ancienne loi).

1996-01-12 : Le sujet est mis en liberté moyennant un cautionnement d’exécution de 6 000 $.

1997-04-08 : Une mesure d’expulsion est prise.

2000-04-13 : Tentative de fraude.

2004-01-29 : Usurpation d’identité, emploi de documents contrefaits, faux semblants.

2006-05-23 : Agression.

2007-06-12 : Méfait.

2007-09-29 : Perte de l’asile.

2007-09-20 : Une demande de contrôle judiciaire est déposée.

2007-12-13 : La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2009-01-14 : Tentative de fraude, possession d’une carte de crédit, contrefaçon d’une marque et tentative pour entraver un agent de la paix.

2010-06-24 : Fraude de plus de 5 000 $, obstruction, apposition d’une marque et omission de se conformer.

2010-08-09 : Une demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) est déposée.

2010-09-14 : La demande d’ERAR est rejetée.

2012-02-13 : Le sujet est expulsé du Canada sous escorte.

2022-02-09 : Le sujet est revenu au Canada sans en avoir obtenu l’autorisation.

2022-02-09 : Le sujet est arrêté et détenu à des fins d’identification.

2022-02-10 : La demande d’asile du sujet est jugée irrecevable. Une mesure d’expulsion est prise.

2022-02-11 : Le contrôle (des motifs de détention) des 48 heures est effectué. La détention aux fins d’identification est maintenue.

2022-02-15 : Une entrevue téléphonique a lieu.

2022-02-16 : On explique le programme d’ERAR au sujet et on lui propose de s’en prévaloir.

2022-02-18 : Le contrôle (des motifs de détention) des sept jours est tenu. La détention aux fins d’identification est maintenue.

2022-03-18 : Un contrôle de détention de 30 jours est prévu.

III. Analyse

[9] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 se lit comme suit :

22 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

[10] Le seuil pour établir l’existence de « raisons spéciales » est élevé, et les circonstances varieront d’un cas à l’autre (Khizar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 641 au para 37). On peut conclure à l’existence de raisons spéciales si une partie a inutilement ou déraisonnablement prolongé l’instance, ou lorsqu’une partie a agi d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive, d’inappropriée ou de mauvaise foi (Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 au para 18). Il a été établi que toute inconduite qui mine l’intégrité du système judiciaire justifie l’adjudication de dépens (Mayorga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1180 aux para 21 et 47). Soulignons qu’il n’existe aucune liste exhaustive de raisons susceptibles de justifier l’adjudication de dépens dans les instances en immigration (King c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1193 au para 2).

[11] Le demandeur soutient qu’en l’espèce, il existe des raisons spéciales justifiant que lui soient accordés des dépens. Il rappelle que le défendeur a habité illégalement au Canada, qu’il a fraudé les systèmes d’immigration et d’aide sociale du pays et qu’il a pris part à de nombreuses autres activités criminelles. Le demandeur ajoute qu’il a fallu des années avant de pouvoir exécuter la mesure d’expulsion, en raison des nombreux pseudonymes utilisés par le demandeur et du lourd dossier criminel de celui-ci. Le demandeur prétend que le défendeur a imposé un important fardeau financier à l’État au fil des ans. Il souligne aussi qu’avant de revenir illégalement au Canada en 2022, le défendeur n’avait pas remboursé au gouvernement les frais que ce dernier avait engagés pour le renvoyer du Canada, comme l’exige l’article 243 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [« RIPR »]. Le demandeur réclame donc des dépens de 3 000 $.

[12] Le défendeur prétend essentiellement qu’il n’a pas les moyens de payer les dépens réclamés par le demandeur. Il est tout de même ironique que le défendeur invoque son insolvabilité, alors qu’il est en mesure de parcourir le monde pour entrer illégalement au Canada.

[13] En l’espèce, je suis convaincu qu’il existe des raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens au demandeur. En effet, le défendeur a fait preuve, tant dans le cadre de l’instance principale qu’au cours de son précédent séjour au Canada, d’un comportement tout à fait inapproprié qui mine grandement l’intégrité des systèmes judiciaire, d’immigration, d’application de la loi et d’aide sociale du Canada. Il a en outre démontré un mépris flagrant du droit canadien. Il est évident que les procédures criminelles n’ont pas eu pour effet de dissuader le défendeur de poursuivre ses agissements illégaux. Il est aussi évident que des dispositions législatives comme l’article 243 du RIPR n’ont eu aucun effet sur son comportement illégal. Or, il importe de le décourager de commettre des actes illégaux en lien avec les questions d’immigration. Les contribuables canadiens sont en droit de s’attendre à ce que le Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour décourager ceux qui voudraient porter atteinte à son généreux système d’immigration. Ils sont également en droit de s’attendre à ce que le gouvernement fasse tout en son pouvoir pour récupérer une partie des frais qu’il a engagés dans le cadre d’instances qui sont le résultat d’une conduite inéquitable, oppressive ou inappropriée ou encore d’un comportement qui mine l’intégrité de notre système judiciaire. Malheureusement, la conduite du défendeur répond à dans toutes ces catégories.

[14] Je suis convaincu qu’il existe en l’espèce des raisons spéciales justifiant l’adjudication de dépens, et que la demande du demandeur visant à obtenir des dépens d’un montant de 3 000 $ est raisonnable dans les circonstances.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-2733-22

LA COUR ORDONNE que le défendeur verse sans délai au demandeur des dépens d’un montant de 3 000 $, incluant les taxes et débours.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2733-22

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c CHRIS OSHO OKO-OBOH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LeS 19 et 20 avril 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

Le 18 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Simone Truong

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Ammar Tinawi

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Marie-Hélène Giroux avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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