Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220527


Dossier : IMM‑5388‑21

Référence : 2022 CF 774

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GEISON IVAN BOHORQUEZ RODRIGUEZ

NICOLAS BOHORQUEZ ROZO

JERONIMO BOHORQUEZ ROZO

LOREIN SOFIA CALDERON ROZO

ANDREA PAOLA ROZO GARCIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 20 juillet 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs relativement à une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR].

Contexte

[2] Les demandeurs forment une famille de cinq personnes de nationalité colombienne. Ils ont demandé l’asile, parce qu’ils craignent d’être persécutés ou de subir des exactions aux mains d’un groupe armé qui a dévalisé leur restaurant en Colombie en juin 2017. La SPR a jugé que les demandeurs étaient crédibles, mais qu’ils n’avaient pas établi l’existence d’un lien avec un motif prévu par la Convention et que, par conséquent, ils n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. La SPR a aussi jugé que les demandeurs n’avaient pas la qualité de personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR puisqu’ils disposaient, en Colombie, d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable.

[3] Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR, en alléguant que l’audience qui s’était déroulée devant la SPR était entachée d’une iniquité procédurale, parce que leur ancienne représentante les avait représentés d’une manière incompétente. C’est également le fondement de leur demande de contrôle judiciaire.

La décision de la SAR

[4] La SAR a jugé admissible la nouvelle preuve produite par les demandeurs concernant le la question du manquement à l’équité procédurale commis par la SPR. La nouvelle preuve comprenait un affidavit de Geison Ivan Bohorquez Rodriguez [le demandeur principal], souscrit le 8 mars 2018, ainsi qu’une copie de la plainte des demandeurs au Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [le CRCIC]. Cependant, puisque, selon la SAR, il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale lors de l’audience devant la SPR, la SAR n’a pas jugé admissible la nouvelle preuve additionnelle des demandeurs intéressant le fond de l’affaire.

[5] La SAR affirmait s’être fondée sur la jurisprudence relative aux allégations d’inefficacité ou d’incompétence d’un conseil. Elle a conclu à ce propos que les demandeurs devaient prouver que les actions ou omissions imputées à la représentante constituaient une manifestation d’incompétence et avaient entraîné un déni de justice. C’est aux demandeurs qu’il appartient de satisfaire aux deux volets du critère, à savoir la prestation du représentant et le préjudice causé, pour établir l’existence d’un manquement à l’équité procédurale. L’incompétence doit être suffisamment caractérisée et clairement démontrée par la preuve. Il existe en outre une forte présomption selon laquelle la conduite du représentant entre dans le vaste éventail d’une assistance professionnelle raisonnable, et l’incompétence n’emportera manquement à l’équité procédurale que dans des cas exceptionnels.

[6] La SAR a recensé les allégations des demandeurs concernant l’incompétence de leur ancienne représentante, pour ensuite exposer ses observations et constatations, qui selon elle étaient particulièrement déterminantes quant à sa conclusion.

[7] Elle a conclu que les demandeurs et leur ancienne représentante s’étaient en réalité entendus sur un mandat restreint et que, même si, avant novembre 2020, les demandeurs avaient pu croire que leur ancienne représentante serait présente à l’audience de la SPR, cette croyance ne permettait pas, à elle seule, de conclure que l’ancienne représentante était incompétente. Le jour de l’audience, les demandeurs savaient que leur ancienne représentante ne serait pas présente. Ils avaient refusé de reporter l’instance, bien que la SPR les eût expressément invités à le faire. Ils avaient d’ailleurs été suffisamment adroits pour soulever la nécessité de modifier l’exposé circonstancié de leur formulaire FDA et, tout au long de l’audience, ils n’avaient eu aucun mal à répondre aux questions posées. La SAR a donc conclu qu’ils n’avaient pas été pénalisés par l’absence de leur ancienne représentante à l’audience de la SPR.

[8] La SAR a conclu, au vu de la preuve, que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau. Ils n’avaient pas relevé des actions ou omissions claires de leur ancienne représentante qui constituaient des manifestations d’incompétence et entraînaient un déni de justice. Selon la SAR, la conduite de l’ancienne représentante entrait, globalement, dans la vaste gamme d’une assistance professionnelle raisonnable. La décision de la SPR n’était donc entachée d’aucun manquement à l’équité procédurale.

[9] La SAR a aussi conclu que la SPR avait eu tort de dire que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Medellín. Cependant, selon elle, les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un fondement objectif aux dangers qu’ils disaient courir :

Selon les appelants [les demandeurs], le fondement objectif du risque de préjudice dépend entièrement de la conclusion selon laquelle l’ancienne représentante était incompétente et de l’admission de nouveaux éléments de preuve qui portent sur le fond de leurs demandes d’asile. Comme je n’ai pas conclu à une violation des règles de justice naturelle dans l’instance devant la SPR, je ne souscris pas à la position des appelants.

[10] Les demandeurs étaient crédibles, mais la preuve qu’ils avaient produite ne suffisait pas à établir le fondement objectif d’un risque prospectif, personnel et non généralisé de préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. La SAR a aussi conclu que la présomption relative à la protection de l’État n’avait pas été réfutée, les demandeurs n’ayant pas démontré qu’une protection adéquate de l’État ne leur serait pas raisonnablement assurée. En outre, il n’existait aucun lien avec un motif prévu par la Convention, de sorte que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR.

Les questions en litige

[11] Les demandeurs formulent les points litigieux ainsi :

  • i. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans sa définition des questions d’équité procédurale suscitées par l’incompétence et la négligence de leur ancienne représentante devant la SPR?

  • ii. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur un dossier incomplet dans son évaluation du risque objectif auquel les demandeurs étaient exposés?

[12] Selon moi, les questions soulevées par les demandeurs peuvent être adéquatement reformulées ainsi :

  • i. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la décision de la SPR n’était pas entachée d’un manquement à l’équité procédurale pour cause de représentation incompétente?

  • ii. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur un dossier incomplet dans son évaluation du risque objectif auquel les demandeurs étaient exposés?

[13] En ce qui concerne le deuxième point litigieux, je fais remarquer que, si la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant à l’absence d’un manquement à l’équité procédurale, alors il en découle que le dossier soumis à la SAR n’était pas incomplet pour cause de représentation incompétente.

La norme de contrôle

[14] En ce qui concerne la première question en litige, les demandeurs font valoir qu’il n’y a aucune marge d’erreur lorsque la Cour est saisie, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’une question d’équité procédurale et que la Cour doit se demander si le tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité (citant en autres les arrêts Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 aux para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 37‑56).

[15] Le défendeur reconnaît que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte.

[16] Cependant, dans le jugement Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 aux para 11‑12, une décision antérieure à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Gleeson a adopté la norme de contrôle de la décision raisonnable pour examiner la conclusion tirée par la SAR sur l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’incompétence de son conseil devant la SPR lui avait occasionné un préjudice. Selon le juge Gleeson, il était demandé à la Cour de casser la décision dans laquelle la SAR avait conclu que « la preuve ne permet pas de conclure que le conseil a représenté l’appelante de façon incompétente et que la demande d’asile a été rejetée pour cette raison ». Selon le juge Gleeson, la SAR avait rendu une décision mixte de fait et de droit qui devait être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[17] Cette approche a été suivie par la Cour dans des décisions postérieures à l’arrêt Vavilov. Dans la décision Acosta Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1298 (au para 5), la juge Roussel a jugé que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale devant la SPR : « [i]l ne s’agit pas en l’instance de déterminer si la SAR a violé l’équité procédurale, mais plutôt s’il y a eu un manquement devant la SPR (Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2019 CF 520 au para 24; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1103 au para 25; Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 12) ». Pareillement, dans la décision Muamba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 388 aux para 8‑10, la juge Roussel a fait observer que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a établi que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives. Selon la juge Roussel, la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale devant la SPR. La juge a aussi ajouté que la question en litige dont elle était saisie n’était pas de savoir si la SAR avait manqué à l’équité procédurale, mais plutôt de savoir s’il y avait eu manquement devant la SPR.

(Voir aussi Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 214 au para 13; Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787 aux para 25‑26; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1148 aux para 11‑17).

[18] Devant la SAR, les demandeurs devaient établir que les actions ou omissions reprochées à leur représentante constituaient de l’incompétence et qu’elles avaient entraîné un préjudice. La SAR devait trancher cette question en se référant au dossier, à la nouvelle preuve qui lui était soumise et au droit applicable. Les demandeurs devaient impérativement s’acquitter de leur fardeau, établissant de ce fait l’incompétence de leur ancienne représentante, après quoi la SAR aurait pu tirer la conclusion qui en aurait forcément découlé selon laquelle la SPR avait manqué à l’équité procédurale. La Cour procède en l’espèce au contrôle sur le fond de la conclusion principale de la SAR, qui se rapporte à l’incompétence. Il n’est pas allégué que la SAR elle‑même a manqué à l’équité procédurale et il n’est donc pas demandé à la Cour d’examiner s’il y a eu un tel manquement.

[19] Lorsque la Cour examine le fond d’une décision administrative, comme une décision de la SAR, il existe une présomption selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qu’elle devra appliquer (Vavilov, para 23, 25). Je souscris donc à la jurisprudence ci‑dessus selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la première question en litige. Cette norme s’applique aussi à la deuxième question en litige.

[20] Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, au para 99).

La représentation incompétente/l’équité procédurale

La position des demandeurs

[21] Selon les demandeurs, la SAR n’a pas tenu compte du fait que, même s’ils savaient possiblement que leur ancienne représentante n’assisterait pas en personne à l’audience, ils pensaient être quand même représentés à l’audience, puisqu’elle avait la possibilité de les représenter par visioconférence. Les demandeurs ajoutent qu’une conversation officieuse entre la commissaire de la SPR et leur ancienne représentante est une question sérieuse qui à juste titre aurait dû être examinée par la SAR vu qu’on ne sait pas exactement pourquoi la SAR a laissé l’ancienne représentante décider de cesser d’agir comme représentante au dernier moment.

[22] Les demandeurs soutiennent que la compétence de leur ancienne représentante devrait être examinée comme si elle était avocate. Ils contestent aussi bon nombre des conclusions de fait tirées par la SAR, affirmant qu’il s’agit d’hypothèses douteuses. Ils affirment que la conduite de leur ancienne représentante démontrait clairement son incompétence, puisqu’elle ne leur avait pas communiqué les limites de son mandat, qu’elle avait omis de les préparer au processus d’octroi de l’asile et que ses conseils témoignaient du fait qu’elle n’avait qu’une connaissance superficielle de la façon de remplir une demande d’asile, sans oublier qu’elle ne les avait même pas informés de la nécessité d’apporter des documents à l’appui. Les demandeurs affirment avoir subi un préjudice en raison de la mauvaise représentation qu’ils ont reçu, car, suivant les conseils qui leur avaient été transmis, ils n’ont pas produit la preuve qu’ils auraient pu produire pour étayer le risque auquel ils sont exposés en Colombie.

[23] Les demandeurs affirment aussi que, en ne reconnaissant pas l’incompétence de leur ancienne représentante, la SAR a également commis une erreur en tirant et en faisant prévaloir ses propres conclusions à propos du fondement objectif du risque couru par les demandeurs au titre l’article 97 de la LIPR, à partir d’un dossier qui était incomplet, parce que constitué par une représentante incompétente.

La position du défendeur

[24] Selon le défendeur, la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs savaient, avant l’audience de la SPR, que leur ancienne représentante ne serait pas là pour les représenter. Les demandeurs prétendent maintenant qu’ils savaient que leur représentante, sans être « présente », les représenterait quand même; toutefois cette explication est contredite par le dossier. La SPR avait d’ailleurs offert aux demandeurs la possibilité d’ajourner l’audience, ce qu’ils avaient refusé. La SPR a pris connaissance de leur déclaration selon laquelle les demandeurs voulaient que l’audience se déroule et elle n’avait pas à s’enquérir davantage. Elle était certaine que les demandeurs étaient en mesure de prendre cette décision, et les demandeurs se bornent à alléguer, sans entrer dans le détail, une vulnérabilité au motif que leur capacité de prendre une décision était entravée. Ils n’ont pas non plus expliqué en quoi l’absence de leur ancienne représentante à l’audience de la SPR avait pu influer négativement sur leurs témoignages ou sur les conclusions de la SAR.

Analyse

[25] J’ai déjà exposé, dans la décision Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850 [Gombos], le critère à appliquer aux allégations d’incompétence d’un avocat, lorsque telles allégations sont à l’origine d’une instance de contrôle judiciaire :

[17] Le critère pour répondre aux allégations d’assistance inefficace ou incompétente de l’avocat a été bien défini par la jurisprudence (Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626, aux paragraphes 39 à 43). Dans un premier temps, le demandeur doit établir que les actes ou omissions de l’avocat concerné relevaient de l’incompétence et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté (R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 26 (GDB)). Il incombe au demandeur de prouver les volets relatifs à l’examen du travail et au préjudice pour démontrer qu’il s’est produit un manquement à l’équité procédurale (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12 (Shirwa); Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36 (Memari)). Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au paragraphe 27; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 16 et 18). L’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale seulement dans des « circonstances exceptionnelles » (Shirwa, au paragraphe 13; Memari, au paragraphe 36; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 38; Nizar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, au paragraphe 24). En outre, un protocole procédural de la Cour, Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (le Protocole procédural), établit la procédure que les demandeurs doivent respecter lorsqu’ils allèguent l’incompétence de l’avocat, ce qui comprend la signification d’un avis à l’ancien avocat.

(Voir aussi Ibrahim, aux para 29‑30; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1189 aux para 15‑16; Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 21 [Abuzeid]; Arana Del Angel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 253 [Arana Del Angel] au para 22); Al‑Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360 aux para 22‑24 [Al‑Abayechi]).

[26] D’entrée de jeu, je tiens à signaler que, dans une lettre du 23 juin 2021, la SAR a invité les demandeurs à répondre à deux questions, l’une d’elles étant celle à savoir s’ils avaient reçu une nouvelle correspondance de leur ancienne représentante à propos de leurs allégations de représentation inadéquate. Le conseil des demandeurs lui a répondu dans une lettre du 7 juillet 2021, accompagnée d’une chaîne de courriels par laquelle il notifiait ce qui suit à l’ancienne représentante : l’allégation d’incompétence, la plainte déposée au CRCIC et le fait que les documents annexés lui étaient signifiés conformément à l’Avis de pratique pertinent de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La réponse du 11 mars 2021 reçue de l’ancienne représentante est aussi annexée à cette chaîne de courriels. Je n’ai aucune information sur le statut de la plainte déposée au CRCIC.

[27] Cela étant dit, j’examinerai maintenant les arguments des demandeurs portant sur le contexte juridique ci‑dessus, sur les motifs de la SAR et sur le dossier.

i. Le mandat restreint/représentation à l’audience

[28] Dans l’affidavit qu’il a souscrit et soumis à la SAR à l’appui de l’appel, le demandeur principal affirme qu’on lui avait envoyé, le 4 juillet 2019, un mandat de représentation pour signature. Il affirme l’avoir signé, mais n’avoir pu trouver une copie du mandat signé. En outre, il venait de s’apercevoir que le mandat de représentation qu’il avait signé indiquait le nom de quelqu’un d’autre. Il dit aussi qu’on lui avait demandé de payer une provision de 1 500 $, ce qu’il avait fait. Les pièces annexées à son affidavit comprennent de la correspondance entre lui‑même et son ancienne représentante, dont un courriel transmettant le mandat de représentation, mandat qui indique bel et bien un nom de client incorrect.

[29] Dans sa lettre répondant à l’allégation d’incompétence, l’ancienne représentante reconnaissait avoir représenté le demandeur principal dans une demande d’asile présentée depuis le Canada. Elle y affirme que le demandeur principal n’a jamais signé le mandat de représentation, en dépit de rappels en ce sens, mais elle reconnaît l’erreur dans le nom du client sur le mandat qu’elle lui avait envoyé.

[30] La SAR a conclu qu’il n’importait pas de savoir s’il existait un mandat de représentation signé. Il n’était en effet pas contesté que les demandeurs avaient reçu un document écrit qui détaillait leurs droits et obligations en tant que clients de l’ancienne représentante, qu’ils ne s’opposaient pas aux modalités du mandat et qu’ils avaient payé l’avance requise. Selon la SAR, les demandeurs n’avaient pas établi que la mention d’un autre nom de client dans le mandat de représentation était intentionnelle ou modifiait leur compréhension de la relation mandataire‑client. Elle a donc jugé que les demandeurs et leur ancienne représentante avaient convenu, par leur conduite, d’être liés par les termes du mandat écrit de représentation daté du 3 juillet 2019.

[31] Ayant tiré cette conclusion, la SAR a ensuite fait observer que, bien que le mandat de représentation porte la mention [traduction] « Demande d’asile présentée depuis le Canada – Date d’audience », cette mention était ambiguë, parce que le mandat ne disait pas clairement que les demandeurs agiraient pour leur propre compte à l’audience de la SPR. Cependant, environ un mois après avoir reçu le mandat de représentation, les demandeurs ont signé leurs formulaires FDA, dans lesquels il est clairement indiqué que l’ancienne représentante ne les représenterait pas à l’audience. Et, à l’audience de la SPR, les demandeurs avaient confirmé qu’ils comprenaient les formulaires FDA avant de les signer, et que les formulaires étaient complets, véridiques et exacts. En outre, contrairement à leur affirmation devant la SAR selon laquelle ils s’étaient sentis déconcertés, lorsque, durant l’audience de la SPR, ils avaient été invités à modifier le contenu de leurs formulaires FDA, ils n’ont pas manqué d’informer la SPR qu’une erreur s’était glissée dans l’exposé circonstancié.

[32] Dans ce contexte, la SAR a conclu que les demandeurs avaient communiqué avec leur ancienne représentante avant la date de l’audience de la SPR et que la représentante leur avait fait part de ses préoccupations à propos de l’épidémie de COVID‑19 et de la distance qu’elle devait parcourir. Cependant, selon la SAR, les demandeurs n’ont pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que l’ancienne représentante avait, à quelque moment que ce soit, promis ou laissé entendre qu’elle les représenterait à l’audience de la SPR.

[33] La SAR s’est ensuite penchée sur l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SPR avait eu, le jour de l’audience, une conversation officieuse avec l’ancienne représentante concernant le rôle de cette dernière à l’audience. Cependant, l’ancienne représentante a affirmé quant à elle ne pas avoir été contactée par la SPR au nom du demandeur principal le 23 novembre 2020.

[34] La SAR a conclu qu’une telle conversation n’avait pas pénalisé les demandeurs, puisqu’ils s’étaient présentés à l’audience en sachant que leur ancienne représentante n’y serait pas. Et, même si la SPR avait pu croire, à tort, que l’ancienne représentante avait cessé d’occuper pour eux, elle avait offert aux demandeurs le choix de reporter l’audience s’ils souhaitaient qu’un représentant les assiste, mais les deux demandeurs adultes avaient exprimé, « sans hésitation », le souhait de continuer l’audience sans représentant.

[35] Devant la Cour, les demandeurs affirment que la transcription de l’audience de la SPR contredit la conclusion de la SAR selon laquelle ils savaient, dès leur arrivée à l’audience, qu’ils ne seraient pas représentés, et la conclusion de la SAR selon laquelle ils avaient exprimé sans hésitation le souhait de continuer l’audience. Je ne partage pas leur avis. L’extrait pertinent de la transcription est reproduit ici :

[traduction]

LA COMMISSAIRE : Très bien. Je voudrais simplement m’assurer d’avoir bien compris que vous étiez représentés, mais je vais simplement vérifier pour voir si j’ai bien compris, je ne sais pas si c’était un avocat ou un consultant en immigration, mais, si je comprends bien, cette personne a cessé d’occuper pour vous et ne vous représentera pas aujourd’hui. Est‑ce bien cela?

LA PERSONNE CONCERNÉE no 2 : Eh bien, ce que cette personne nous a dit en réalité, c’était qu’elle n’était pas en mesure de se présenter à cause de l’épidémie de COVID et à cause de la distance, mais qu’elle continuait de nous représenter.

LA COMMISSAIRE : Donc elle ne sera pas ici aujourd’hui pour vous assister et je voudrais m’assurer que vous vous sentez tous deux à l’aise pour continuer l’audience sans bénéficier d’une assistance aujourd’hui.

LA PERSONNE CONCERNÉE no 1 : Eh bien, elle nous a dit qu’il n’était pas nécessaire pour elle d’être ici.

LA COMMISSAIRE : Ce n’est effectivement pas nécessaire, l’audience peut suivre son cours sans votre conseil, et il en va ainsi pour beaucoup de plaideurs, mais si vous vous sentez mal à l’aise et que vous préférez avoir quelqu’un à vos côtés pour vous assister et vous représenter, alors nous allons devoir reporter l’audience.

LA PERSONNE CONCERNÉE no 1 : Non, nous nous sentons à l’aise.

LA PERSONNE CONCERNÉE no 2 : Non, nous nous sentons à l’aise.

[36] Les demandeurs prétendent à ce stade‑ci que ce qu’ils avaient cru comprendre, c’était que leur ancienne représentante ne serait pas présente en personne. Comme l’audience a eu lieu durant la pandémie et que la commissaire de la SPR et l’interprète sont apparues par visioconférence, ils affirment qu’ils [traduction] « avaient eu l’impression qu’ils étaient quand même représentés à l’audience, puisque leur représentante avait la possibilité de les représenter par visioconférence ».

[37] Cependant, les demandeurs n’avaient pas indiqué à la SPR qu’ils s’attendaient à ce que leur ancienne représentante participe virtuellement à l’audience. J’ajouterais que l’affidavit du demandeur principal déposé à l’appui de l’appel confirme que les demandeurs savaient que l’ancienne représentante ne serait pas présente à l’audience de la SPR :

[traduction]

8. Mon audience avait été fixée au 23 novembre 2020. Quelques jours avant cette date, [l’ancienne représentante] m’a appelé pour me dire qu’elle n’assisterait pas à l’audience à cause de la distance, puisqu’elle vit à White Rock (Colombie‑Britannique) et moi à Calgary. Elle m’a dit aussi que, en raison de la COVID‑19, elle n’y serait pas. Cependant, à aucun moment durant notre conversation téléphonique, l’[ancienne représentante] ne m’a dit qu’elle n’agirait plus comme représentante dans mon dossier.

[38] Selon moi, il est révélateur que, dans cet affidavit, déposé à l’appui de l’appel interjeté devant la SAR, le demandeur principal n’affirmait pas que son ancienne représentante avait dit à quelque moment que ce soit qu’elle assisterait et participerait à distance à l’audience de la SPR, et encore moins en personne, et il n’affirmait pas non plus qu’il croyait comprendre que c’était ce qu’elle ferait.

[39] Je ne puis non plus discerner aucun fondement dans l’argument actuel des demandeurs selon lequel la SPR avait conclu à tort que les demandeurs adultes avaient décidé, sans hésiter, de continuer l’audience sans l’assistance d’un représentant. La transcription est on ne peut plus claire. Quant à l’affirmation selon laquelle les demandeurs se trouvaient dans [traduction] « une situation d’incroyable vulnérabilité », cela laisse perplexe, vu leur choix de continuer l’audience, hormis le fait que tout étranger qui présente une demande d’asile est vulnérable, car il ne connaît ni le pays ni le système. Les demandeurs prétendent aussi que, s’ils ont accepté que l’audience se poursuive, cela ne signifie pas qu’ils étaient contents de la situation – or, les deux demandeurs adultes avaient explicitement déclaré consentir à ce que l’audience suive son cours.

[40] Je constate aussi que l’ancienne représentante précise dans sa lettre qu’elle et les demandeurs avaient communiqué par message texte et par téléphone la veille de l’audience, et qu’elle leur avait expliqué les étapes à suivre le lendemain à l’audience. Cela n’est pas contesté par les demandeurs et appuie la thèse selon laquelle les demandeurs savaient que leur ancienne représentante ne participerait pas à l’audience, en personne ou à distance. Le fait que les demandeurs ont constaté une erreur dans leurs formulaires FDA et l’ont corrigée dès que la SPR leur avait donné l’occasion de le faire tend à confirmer la déclaration de la consultante, ou du moins à confirmer que les demandeurs comprenaient le processus d’audience.

[41] Je ne souscris pas non plus à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a accordé une importance excessive aux formulaires FDA. Ils affirment que, même s’ils ont coché la case « oui » à la question de savoir s’ils avaient un conseil (par exemple, un avocat, un consultant en immigration, un parent ou une autre personne) prêt à les aider dans leur demande d’asile auprès de la SPR, et la case « oui » à la question de savoir si leur conseil les avait aidés à remplir leurs formulaires FDA, mais la case « non » à la question de savoir si leur conseil les représenterait à l’audience de la SPR, cela ne permettait pas à la SAR d’en déduire qu’ils savaient qu’ils ne seraient pas représentés à l’audience de la SPR. Les demandeurs affirment qu’il n’est [traduction] « pas du tout évident » qu’ils savaient que l’ancienne représentante avait coché les cases en question, ni qu’ils devaient savoir que l’ancienne représentante ne les représenterait pas à l’audience.

[42] Selon moi, cet argument est dénué de fondement. D’abord, les demandeurs ont signé leurs formulaires FDA et confirmé qu’ils les comprenaient et qu’ils étaient exacts. Ensuite, la SAR a examiné et pondéré non seulement l’indication des demandeurs dans leurs formulaires FDA selon laquelle ils ne seraient pas représentés à l’audience, mais aussi le contenu du mandat de représentation, la preuve concernant à la fois le mandat de représentation et la présence de l’ancienne représentante à l’audience, ainsi que les réponses données par les demandeurs adultes à la SPR au cours de l’audience. À partir de tout cela, la SAR est arrivée à la conclusion que les demandeurs et leur ancienne représentante s’étaient essentiellement entendus sur un mandat restreint et, même si avant novembre 2020 les demandeurs avaient pu croire que leur ancienne représentante serait présente à l’audience de la SPR, cette croyance ne permettait pas à elle seule de conclure que l’ancienne représentante était incompétente.

[43] Selon moi, les demandeurs tentent maintenant de se dissocier de leurs propres témoignages et, de fait, ce qu’ils n’acceptent pas, c’est la manière avec laquelle la SAR a apprécié la preuve.

[44] Eu égard au dossier, la SAR a eu raison de dire que les demandeurs n’avaient pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que leur ancienne représentante avait promis ou laissé entendre à quelque moment que ce soit qu’elle les représenterait à l’audience de la SPR. La SAR a aussi eu raison de dire, à cet égard, que les demandeurs avaient en réalité conclu un genre de mandat restreint de représentation et qu’ils étaient liés par ce mandat. Je relève que les demandeurs n’ont produit aucune preuve d’expert ou autre genre de preuve apte à montrer qu’un tel mandat — ou une représentation excluant une comparution devant la SPR — ne respecte pas la norme de conduite à laquelle doit répondre un consultant en immigration (voir Al‑Abayechi, au para 24). En l’absence d’une telle preuve, l’incompétence qui découlerait de l’absence de l’ancienne représentante à l’audience doit être manifeste.

[45] Vu la preuve soumise à la SAR, je ne suis pas persuadée qu’elle a eu tort de conclure que l’absence de l’ancienne représentante à l’audience de la SPR n’attestait pas une incompétence manifeste.

[46] La poursuite d’une audience sans que l’intéressé soit représenté ne lui est pas non plus automatiquement préjudiciable. Fait à noter, dans la présente affaire, la SPR avait offert aux demandeurs la possibilité d’ajourner l’audience pour qu’ils puissent être représentés, offre qu’ils avaient déclinée. La SAR a aussi noté que les demandeurs s’étaient vu offrir la possibilité de rectifier leurs formulaires FDA à l’audience. Cela montre qu’ils s’étaient quelque peu préparés et qu’ils comprenaient le processus d’audience. La SAR a aussi conclu que les demandeurs n’avaient pas été pénalisés par la poursuite de l’audience malgré l’absence de leur ancienne représentante, considérant qu’ils sont instruits et relativement avertis, que leurs demandes d’asile étaient relativement simples et que, tout au long de l’audience de la SPR, ils n’avaient eu aucun mal à répondre aux questions posées. Les demandeurs contestent ces conclusions, mais ils n’apportent aucun argument de fond montrant en quoi ils avaient été entravés dans la présentation de leurs demandes d’asile à l’audience. Je ne suis pas persuadée qu’il s’agit ici d’un cas où l’absence d’une représentation juridique à l’audience a pu déstabiliser les demandeurs et contrarier la présentation de leurs arguments (voir Ait Elhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1068 au para 24).

[47] D’après moi, la SAR a eu raison de conclure que, dans ces conditions, il n’était pas manifeste que l’absence de l’ancienne représentante à l’audience constituait de l’incompétence.

ii. L’appel téléphonique officieux

[48] Dans son affidavit soumis à la SAR, le demandeur principal écrit que, le jour de l’audience, la commissaire de la SPR s’était présentée et avait déclaré qu’elle croyait comprendre que les demandeurs étaient représentés. [traduction] « Elle a dit ensuite qu’elle appellerait notre consultante pour le confirmer. Elle s’est alors éloignée de la caméra. Elle est revenue au bout de quelques minutes et a dit qu’elle avait appelé notre consultante et que, d’après ce qu’elle avait compris, notre consultante avait décidé de cesser d’occuper dans notre dossier ». Puis le demandeur principal ajoute dans son affidavit que les demandeurs s’étaient alors trouvés dans une situation très vulnérable, mais sans expliquer pourquoi, si ce n’est pour dire que le procès‑verbal de l’audience était maintenant incomplet.

[49] Selon moi, les demandeurs n’ont pas prouvé que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu d’appel téléphonique officieux durant l’audience de la SPR. Ni la transcription, citée plus haut, ni l’enregistrement sonore ne permettent d’affirmer que la commissaire de la SPR avait commencé l’audience, s’était présentée puis avait suspendu l’enregistrement, et ni la transcription ni l’enregistrement sonore ne font référence à un appel téléphonique ou à des échanges avec l’ancienne représentante.

[50] La SAR a aussi conclu que, même si un tel appel téléphonique a pu être fait avant l’audience de la SPR, il n’avait pas entravé la capacité des demandeurs de présenter leur cas, compte tenu de la preuve montrant qu’ils avaient su, avant l’audience, que leur ancienne représentante ne serait pas présente. Et, même si la SPR a pu croire, à tort, que l’ancienne représentante avait cessé d’occuper à titre de représentante des demandeurs, la SPR avait offert aux demandeurs la possibilité de reporter l’audience, offre qu’ils avaient déclinée.

[51] Les demandeurs accordent de l’importance au fait que la SPR avait fait état de la décision de leur représentante de cesser d’occuper, mais selon moi c’est une diversion. La question à laquelle devait répondre la SPR était la suivante : l’ancienne représentante des demandeurs allait‑elle se présenter à l’audience et y participer pour représenter les demandeurs? Cette question a été abordée avec les demandeurs et, qu’importe si l’ancienne représentante allait simplement ne pas participer ou si elle avait cessé d’occuper pour eux, les demandeurs avaient choisi de poursuivre l’audience. La question de savoir si l’ancienne représentante avait ou non cessé de représenter les demandeurs n’est pas d’une grande pertinence.

[52] Et, bien que les demandeurs affirment qu’ [traduction] « il est très difficile de comprendre pourquoi la commissaire de la SPR a laissé l’ancienne représentante décider de cesser d’agir à titre de conseil au dossier à la dernière minute », il ne ressort pas du dossier que la SPR a agi de la sorte. La transcription indique seulement que, selon ce que croyait la SPR, la représentante des demandeurs s’était retirée du dossier et ne les représenterait pas à l’audience. La raison de cette croyance de la SPR n’est pas connue et, en tout état de cause, la SAR a raisonnablement conclu, pour les motifs qu’elle a exposés, que, même si la croyance de la SPR était erronée, les demandeurs n’avaient subi aucun préjudice. Dans son affidavit soumis à la SAR, le demandeur principal écrit que l’ancienne représentante a décidé à la dernière minute de ne plus s’occuper de sa demande d’asile; toutefois, cela n’est pas attesté par le dossier.

[53] Ainsi, dans la mesure où les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en ne concluant pas que la SPR avait manqué à l’équité procédurale en conséquence de l’appel téléphonique officieux allégué dont l’objet était de vérifier si l’ancienne représentante assisterait à l’audience, et en conséquence de la décision de dernière minute de la SPR de constater la décision de l’ancienne représentante de se retirer du dossier, je ne partage pas leur avis.

iii. Les pièces justificatives

[54] Les demandeurs font valoir que le fait qu’ils aient n’ont pas produit de pièces justificatives à l’appui de leur demande d’asile constitue une preuve supplémentaire de l’incompétence de leur ancienne représentante. Plus exactement, c’est la preuve que la représentante ne leur a pas donné les bonnes directives et les bons conseils. Ils affirment que leur ancienne représentante les représentait quand ils se préparaient pour l’audience et qu’elle ne les a pas informés de la nécessité de produire des documents à l’appui de leurs allégations. L’essentiel de leur argument est que, s’ils avaient été bien informés, la preuve qu’ils souhaitaient présenter comme nouvelle preuve devant la SAR — mais qui a été déclarée non admissible — aurait ou aurait pu être obtenue, puis soumise à la SPR pour appuyer leurs demandes d’asile. Ils disent que cette preuve documentaire n’est pas anodine, car il y est question de l’identité des agents de persécution des demandeurs, ce qui a une incidence à la fois sur le risque objectif au titre de l’article 97 et sur la viabilité d’une PRI.

[55] Devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir que leur ancienne représentante leur avait dit que le fait que le père du demandeur principal avait été menacé et extorqué par l’Ejercito de Liberacion Nacional [ELN] était hors de propos et n’avait donc pas à être révélé à la SPR. Ils ajoutaient que leur ancienne représentante ne les avait pas informés qu’ils pouvaient produire des documents à l’appui de leurs demandes d’asile, les invitant toutefois à apporter une preuve du cambriolage de leur restaurant, et qu’elle ne leur avait pas bien expliqué le processus d’octroi de l’asile et ne les avait pas préparés en vue de l’audience.

[56] En ce qui concerne l’extorsion antérieure dont le père du demandeur principal aurait été victime, le demandeur principal écrivait, dans le message texte évoqué, que son père [traduction] « avait déjà été rançonné par la guérilla une vingtaine d’années auparavant », et il voulait savoir si cela pouvait encore être utile. La représentante lui avait répondu [traduction] « malheureusement non, votre demande d’asile concerne votre vie et votre famille, et ne peut s’étendre à des faits qui sont survenus il y a longtemps ». La SAR a jugé que cette réponse ne sortait pas du champ d’une assistance professionnelle raisonnable et qu’elle s’accordait fidèlement avec la nature personnalisée du processus de l’octroi de l’asile.

[57] Quand ils ont comparu devant moi, les demandeurs ont fait valoir que cette conclusion n’était pas raisonnable et que leur ancienne représentante aurait dû, à tout le moins, leur poser davantage de questions sur l’extorsion passée pour voir si celle‑ci présentait un lien avec leurs demandes d’asile. Cela aurait peut‑être été prudent, mais le courriel adressé par le demandeur principal à l’ancienne représentante ne désignait pas la personne qui avait extorqué son père il y avait de cela 20 ans et ne donnait pas à entendre qu’il y avait un lien à faire entre cette extorsion et le cambriolage et les menaces qui formaient le fondement des demandes d’asile des demandeurs. En l’absence de preuve qu’un tel lien avait été porté à l’attention de l’ancienne consultante, la conclusion de la SAR était raisonnable.

[58] Il convient aussi de noter que la transcription de l’audience de la SPR montre que les demandeurs ne savaient pas qui avait cambriolé le restaurant familial et les menaçait. Ils disent seulement qu’à un certain moment, ils avaient parlé à des personnes non identifiées qui travaillaient dans la police et que, après des discussions non précisées, ils en étaient venus à croire que leurs agents de persécution formaient un groupe criminel organisé. Cependant, ils n’ont pas identifié ce groupe. La SAR a reconnu que les demandeurs, lorsqu’ils traitaient du risque objectif auquel ils étaient exposés, n’avaient pu identifier leurs agents de persécution.

[59] Il est raisonnable de penser que, si les demandeurs n’ont pas été en mesure de désigner leur agent de persécution quand ils ont comparu devant la SPR, alors ils n’auraient pas non plus été en mesure de le faire dans leurs interactions antérieures avec leur ancienne représentante. Ils ne prétendent pas avoir dit à leur ancienne représentante qu’ils croyaient que leur agent de persécution était l’ELN. Cette idée émerge uniquement de la nouvelle preuve que les demandeurs voulaient soumettre à la SAR.

[60] Le demandeur principal écrit, dans son affidavit soumis à la SAR, que l’ancienne représentante [traduction] « m’avait découragé d’inclure tous les détails de ma demande d’asile dans mon formulaire de fondement de la demande », et il donne, à titre d’exemple de cela, l’échange de courriels évoqué ci‑dessus concernant une extorsion dont son père aurait été victime 20 ans auparavant. Plus loin, il affirme avoir [traduction] « été conseillé de ne pas communiquer des faits pertinents », encore une fois au sujet de l’extorsion. Le demandeur principal n’a donné aucun autre exemple à l’appui de son argument selon lequel il [traduction] « avait été dissuadé » de communiquer tous les détails de sa demande d’asile, et il ne dit pas non plus quels détails avaient été omis.

[61] Dans ces conditions, et en l’absence d’une preuve montrant que les demandeurs ont désigné à leur ancienne représentante l’ELN comme étant leur agent de persécution, il est difficile de voir en quoi l’ancienne représentante pourrait être qualifiée d’incompétente au motif qu’elle ne leur avait pas conseillé de produire des lettres de soutien à propos de cette allégation, qu’elle n’avait pas produit une preuve des conditions existant dans le pays. D’après les formulaires FDA, que, ainsi que le notait la SAR, les demandeurs avaient confirmé, durant l’audience de la SPR, avoir lus, compris et signés, [traduction] « les personnes qui travaillent à leur compte en Colombie sont toujours une cible pour les groupes armés et les brigands, quelle que soit la nature de leur entreprise; nous sommes toujours les victimes de violences que le pays est incapable d’enrayer. Il n’y a aucune sécurité pour les gens d’affaires et leurs familles en Colombie ». Cela témoigne d’un risque généralisé d’être exposé à la criminalité.

[62] Et, comme l’a noté la SAR, ces formulaires contiennent également la mention suivante : « Vous devez obtenir et transmettre à la CISR tout document à l’appui de votre demande d’asile ». Dans ces conditions, si les demandeurs n’ont pas soumis des pièces justificatives suffisantes, il n’est pas évident que ce soit à cause de l’incompétence de leur conseil. Autrement dit, les demandeurs n’ont pas montré qu’il était raisonnablement probable que, sans l’incompétence de leur ancienne représentante, l’issue de l’instance aurait été différente.

[63] Avant de conclure, je me sens obligé d’ajouter que la preuve produite par les demandeurs pour tenter de montrer que leur ancienne représentante était incompétente — de même que la preuve soumise en réponse par leur ancienne représentante — était limitée. Les demandeurs ont produit un courriel et un message texte, mais sans dire qu’il s’agissait là de la totalité des communications entre eux et leur ancienne représentante. La réponse donnée par l’ancienne représentante n’était pas, elle non plus, exhaustive. Elle y précise que, à partir du 7 février 2020, des courriels ont été envoyés aux demandeurs pour leur demander d’envoyer des pièces justificatives pour présentation conformément à la Liste de documents, comme l’exige la SPR, 10 jours avant l’audience. La réponse de la représentante précise aussi que les demandeurs ont reçu des conseils et des directives à propos des demandes d’asile, que les craintes des demandeurs ont été examinées avec eux et qu’ils comprenaient le rôle des pièces justificatives. Peu de détails étaient offerts de part et d’autre.

[64] En définitive cependant, la charge de la preuve reposait sur les demandeurs, et je conclus que la SAR, compte tenu du dossier dont elle disposait, a eu raison de conclure qu’ils ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau.

La SAR a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur un dossier incomplet dans son évaluation du risque objectif auquel les demandeurs étaient exposés?

[65] Compte tenu de ma conclusion ci‑dessus, il ne m’est pas nécessaire d’examiner le deuxième point, celui de savoir si la SAR a commis une erreur dans son évaluation du risque objectif auquel les demandeurs sont exposés du fait qu’elle s’est fondée sur un dossier qui était incomplet en raison de l’incompétence de leur ancienne représentante. Puisque les demandeurs n’ont pas établi l’incompétence de leur ancienne représentante, le dossier devant la SPR et la SAR n’était pas incomplet.

 


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑5388‑21

LA COUR STATUE QUE :

  • 1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  • 2. Il n’y a pas d’adjudication de dépens;

  • 3. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5388‑21

 

INTITULÉ :

GEISON IVAN BOHORQUEZ RODRIGUEZ, NICOLAS BOHORQUEZ ROZO, JERONIMO BOHORQUEZ ROZO, LOREIN SOFIA CALDERON ROZO, ANDREA PAOLA ROZO GARCIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par viDÉOconférence AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi, c.r.

 

POUR LES demandeurs

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES demandeurs

 

Ministère de la Justice

Calgary (Alberta)

 

POUR LE défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.