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Date : 20220531


Dossier : T-549-20

Référence : 2022 CF 715

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

JANSSEN INC. ET ACTELION PHARMACEUTICALS LTD

demanderesses

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 12 mai 2022)

Table des matières

I. Introduction 4

II. Contexte 7

A. Les parties et la nature de la présente instance 7

B. Le brevet 770 8

C. Système circulatoire et maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction 9

III. Questions et dates pertinentes 12

IV. Preuve 15

A. Le Dr Zusman (témoin expert de Sandoz) 16

B. Le Dr Vachiery (témoin expert des demanderesses) 20

C. Le Dr Chakinala (témoin expert des demanderesses) 22

D. La Dre Clozel (témoin des faits des demanderesses) 24

V. La personne versée dans l’art 25

VI. Interprétation des revendications 31

VII. Validité 35

A. Évidence 36

(1) Le critère de l’évidence 36

(2) Introduction à l’analyse de l’évidence et aperçu des positions des parties 38

(3) Étape 1 : La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes 43

(a) HTP, HTAP et voies biologiques 45

(b) Traitement de l’HTAP 47

(c) Connaissances générales courantes – Avis du témoin expert de Sandoz (le Dr Zusman) 48

(d) Connaissances générales courantes – Opinions des témoins experts des demanderesses (le Dr Vachiery et le Dr Chakinala) 52

(e) Analyse des connaissances générales courantes 57

(4) Étape 2 : Définir l’idée originale 73

(5) Étape 3 : Les différences entre l’état de la technique et l’idée originale 76

(a) Les observations des parties 76

(b) Analyse 81

(6) Étape 4 : La différence était-elle évidente? 85

B. Utilité 94

(1) Avis des experts 97

(2) Analyse 100

C. Portée excessive 113

D. Caractère suffisant de la divulgation 116

VIII. Conclusion 118

ANNEXE A 123

ANNEXE B 130

ANNEXE C 132

 


I. Introduction

[1] Les demanderesses, Janssen Inc. (Janssen) et Actelion Pharmaceuticals Ltd (Actelion), intentent la présente action en matière de brevet contre Sandoz Canada Inc. (Sandoz) conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement sur les MBAC], pris en vertu de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 [la Loi sur les brevets].

[2] Janssen commercialise le médicament sur ordonnance OPSUMIT® au Canada. OPSUMIT® est un comprimé pelliculé contenant 10 mg de macitentan comme ingrédient actif pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). L’HTAP est une maladie grave et incurable qui se caractérise par une pression sanguine élevée dans les vaisseaux sanguins des poumons. Elle découle de modifications des artères qui transportent le sang désoxygéné du cœur aux poumons aux fins de réoxygénation. Si elle n’est pas traitée, l’hypertension artérielle surcharge le cœur et peut causer une insuffisance cardiaque et mener au décès.

[3] OPSUMIT® appartient à une classe de médicaments appelés antagonistes des récepteurs de l’endothéline (ARE). Les ARE agissent en se fixant aux récepteurs de l’endothéline dans les parois des vaisseaux sanguins, ce qui empêche la fixation de l’endothéline sur ces récepteurs. La fixation de l’endothéline est l’une des étapes de la voie de l’endothéline, une voie biologique qui entraîne la contraction et la prolifération des cellules musculaires lisses dans les parois des vaisseaux sanguins; lorsque la paroi des artères s’épaissit et que leur lumière diminue, le cœur doit fournir un effort accru pour propulser le sang dans les artères. En bloquant l’étape de fixation de l’endothéline, les ARE contrecarrent les effets de vasoconstriction et de prolifération de la voie de l’endothéline.

[4] OPSUMIT® peut être prescrit seul ou en association avec une autre classe de médicaments appelés inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (I‑PDE5). Comme les ARE, les I‑PDE5 influent sur la pression sanguine, mais ils le font en augmentant les effets vasorelaxants et antiprolifératifs d’une autre voie biologique : la voie de l’oxyde nitrique (NO). Les effets vasorelaxants et antiprolifératifs associés à la voie du NO sont médiés par le guanosine 3’,5’-monophosphate cyclique (GMPc). Les I‑PDE5 agissent en bloquant les effets de la PDE5, une enzyme qui dégrade le GMPc.

[5] À l’heure actuelle, Janssen est la seule société autorisée par Santé Canada à vendre du macitentan comme médicament sur ordonnance. Sandoz demande l’autorisation de Santé Canada pour vendre un médicament sur ordonnance générique contenant 10 mg de macitentan comme ingrédient actif en vue d’une utilisation en monothérapie ou en association avec les I‑PDE5. Les demanderesses soutiennent que Sandoz enfreindra les revendications 21 à 31 (les revendications invoquées) du brevet canadien no 2,659,770 d’Actelion intitulé « Compositions thérapeutiques comportant un antagoniste des récepteurs de l’endothéline spécifique et un inhibiteur PDE5 » (le brevet 770).

[6] Le brevet 770 concerne l’utilisation de macitentan en combinaison avec un I-PDE5 pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, notamment l’HTAP. La revendication 21 est une revendication indépendante du brevet 770 qui revendique l’utilisation du macitentan en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Les autres revendications invoquées dépendent directement ou indirectement de la revendication 21, et leur portée est plus étroite. Les revendications dépendantes comprennent des limites concernant l’I-PDE5 utilisé, la maladie visée par le traitement, ou les deux.

[7] Pour les besoins de la présente instance seulement, Sandoz reconnaît qu’elle enfreindrait les revendications invoquées si elle était autorisée à commercialiser des comprimés de macitentan au Canada. Elle s’oppose toutefois aux allégations des demanderesses en faisant valoir que les revendications invoquées sont invalides.

[8] Sandoz invoque quatre motifs d’invalidité. Elle affirme que chaque revendication invoquée est invalide pour une ou plusieurs des raisons suivantes : i) l’objet de la revendication était évident compte tenu de ce qui était déjà connu publiquement; ii) l’inventrice n’a pas démontré ou n’a pas prédit de façon valable l’utilité de l’invention revendiquée; (iii) la revendication a une portée excessive : elle dépasse ce que l’inventrice a effectivement fait ou divulgué; iv) le mémoire descriptif du brevet 770 ne décrit pas correctement et complètement la façon dont le macitentan combiné à un I‑PDE5 serait utilisé pour traiter diverses maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, et ne satisfait ainsi pas aux exigences quant au caractère suffisant de la divulgation énoncées aux alinéas 27(3)a) et b) de la Loi sur les brevets.

[9] Pour les motifs exposés ci-dessous, Sandoz n’a pas établi que les revendications invoquées sont invalides pour les motifs d’invalidité qu’elle a fait valoir. Les demanderesses ont droit à une déclaration portant que Sandoz enfreindrait les revendications invoquées en fabriquant, en construisant ou en exploitant ses comprimés de macitentan au Canada.

II. Contexte

A. Les parties et la nature de la présente instance

[10] Janssen est une société pharmaceutique dont le siège social est situé à Toronto, en Ontario. Actelion est une société pharmaceutique et biotechnologique ayant son siège social à Allschwil, en Suisse. Janssen appartient en propriété exclusive à Johnson & Johnson, qui a acquis Actelion en 2017. Janssen et Actelion sont membres du groupe de sociétés Johnson & Johnson. Janssen est une « première personne » au sens des paragraphes 4(1) et 6(1) du Règlement sur les MBAC. Actelion est la propriétaire inscrite du brevet 770 et doit être partie à la présente action en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement sur les MBAC.

[11] Sandoz est une société pharmaceutique dont le siège social est situé à Boucherville, au Québec. Sandoz est une « seconde personne » au sens des paragraphes 5(1) et 6(1) du Règlement sur les MBAC.

[12] Sandoz a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès de Santé Canada afin d’obtenir l’autorisation de commercialiser des comprimés de macitentan de 10 mg sur le fondement de l’équivalence de ses caractéristiques pharmaceutiques et de biodisponibilité avec OPSUMIT®.

[13] Le ministre de la Santé tient à jour une liste des brevets liés aux médicaments qui ont été autorisés pour la vente en vertu d’un avis de conformité (AC). Pour obtenir l’autorisation de commercialiser son produit macitentan, Sandoz doit, selon le Règlement sur les MBAC, traiter des brevets figurant la liste qui ont été déposés pour OPSUMIT®. Le 1er avril 2020, Sandoz a signifié un avis d’allégation, auquel les demanderesses ont répondu en intentant la présente action.

[14] Lorsque la présente action a été intentée, trois brevets étaient inscrits relativement à OPSUMIT® : le brevet canadien no 2,437,675, le brevet canadien no 2,621,273 et le brevet canadien 770. Le brevet canadien no 2,437,675 est expiré et le brevet canadien no 2,621,273 n’est pas en litige en l’espèce. Seul le brevet 770 est en litige.

[15] En intendant la présente action, les demanderesses ont déclenché la suspension de la procédure devant le ministre de la Santé : celui‑ci ne peut délivrer un avis de conformité à Sandoz pour une période maximale de 24 mois, soit avant le 14 mai 2022, afin de laisser à la Cour le temps d’instruire et de trancher l’action.

B. Le brevet 770

[16] Le brevet 770 a été délivré le 18 novembre 2014. Il porte sur un composé particulier, appelé « formula (I) » [ou « formule (I) » en français] dans le brevet, combiné à un I‑PDE5 pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. La formule (I) est identifiée par le schéma suivant de sa structure chimique :

 

[17] Personne ne conteste que la formule (I) est le composé maintenant connu sous le nom de macitentan, l’ingrédient actif d’OPSUMIT®, et que la formule (I), ou le macitentan, est un ARE.

[18] Le premier paragraphe du mémoire descriptif du brevet 770 indique que l’invention concerne un produit renfermant le composé de formule (I), combiné à au moins un composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5, utilisé à des fins thérapeutiques pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Certaines des revendications invoquées n’incluent aucune limite quant à la maladie traitée, tandis que d’autres visent exclusivement l’hypertension artérielle et l’hypertension pulmonaire (HTP), l’HTP en particulier, ou l’HTAP en particulier.

[19] Le mémoire descriptif du brevet définit un [traduction] « composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 » comme étant un composé dont la capacité d’inhiber la PDE5, établie selon un protocole d’essai expérimental décrit dans le brevet, atteint ou dépasse un certain seuil de mesure. Le sildénafil, le vardénafil, le tadalafil et l’udénafil sont des exemples d’un tel composé. Certaines des revendications invoquées n’incluent aucune limite quant aux I‑PDE5, et d’autres les limitent aux quatre exemples d’I-PDE5, au sildénafil ou au tadalafil, au sildénafil en particulier, ou au tadalafil en particulier.

C. Système circulatoire et maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction

[20] La vasoconstriction est la constriction des vaisseaux (artères et veines) de l’appareil circulatoire. Les vaisseaux forment deux voies de circulation par lesquelles le sang est acheminé entre les différentes parties du corps, le cœur et les poumons. La circulation générale fait intervenir le côté gauche du cœur, qui pompe le sang oxygéné du cœur au reste du corps (à l’exception des poumons). La circulation pulmonaire fait intervenir le côté droit du cœur, qui pompe le sang désoxygéné du cœur aux poumons, où il sera réoxygéné.

[21] Le mémoire descriptif du brevet 770 dresse la liste de certaines maladies dans lesquelles interviendrait la vasoconstriction : l’hypertension, l’HTP (y compris l’HTAP), l’artériopathie diabétique, l’insuffisance cardiaque, la dysfonction érectile ou l’angine de poitrine. Voici une brève description de chacune des maladies associées à une vasoconstriction qui sont énumérées dans le brevet 770.

[22] L’hypertension artérielle correspond à une élévation persistante de la pression artérielle dans les vaisseaux de la circulation générale. Les termes « hypertension artérielle systémique » ou « hypertension » peuvent désigner le même phénomène. À long terme, la force accrue que le sang exerce sur les parois des artères peut endommager les vaisseaux sanguins et les organes.

[23] L’HTP est un terme général qui décrit une pression anormalement élevée dans le système circulatoire pulmonaire. La pression artérielle est beaucoup plus faible dans la circulation pulmonaire que dans la circulation générale. L’élévation anormale de la pression artérielle dans la circulation pulmonaire est définie par la mesure hémodynamique d’une pression artérielle pulmonaire moyenne d’au moins 25 mm Hg.

[24] L’HTAP est un sous-type d’HTP. Comme il a été mentionné ci-dessus, l’HTAP est une maladie progressive et incurable, dans laquelle les parois des artères pulmonaires se resserrent et s’épaississent, ce qui augmente la résistance vasculaire à l’écoulement du sang et l’effort que doit fournir le côté droit du cœur pour propulser le sang dans des artères dont la lumière est réduite. En raison de cet effort supplémentaire, le ventricule droit du cœur grossit et se dilate. Au fil du temps, ces changements deviennent insoutenables. Le ventricule droit s’affaiblit, sa capacité à acheminer le sang du cœur aux poumons est compromise et, après un temps, le cœur ne peut plus accomplir sa fonction.

[25] L’artériopathie diabétique est une maladie vasculaire causée par une athérosclérose accélérée. Elle se manifeste par la formation de plaques menant à un durcissement dans les artères des patients diabétiques. Avec le temps, la lumière artérielle diminue, ce qui limite la circulation du sang oxygéné dans le corps.

[26] L’insuffisance cardiaque est un trouble relatif au rendement du cœur, dans lequel le cœur ne peut fournir un débit sanguin suffisant à l’organisme. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque congestive peuvent présenter un essoufflement ou de la fatigue qui se manifestent à l’effort ou au repos.

[27] La dysfonction érectile est l’incapacité à atteindre et à maintenir une érection pénienne suffisante en vue d’un rapport sexuel. L’érection pénienne dépend d’un équilibre entre les forces vasoconstrictrices et vasorelaxantes qui agissent sur le muscle lisse caverneux, ce qui nécessite des taux adéquats de GMPc. Les inhibiteurs des enzymes qui dégradent le GMPc, en particulier les I‑PDE5, contribuent à la vasodilatation et donc à l’érection.

[28] L’angine de poitrine est un trouble associé à l’obstruction vasculaire (rétrécissement ou blocage) des artères qui alimentent le muscle cardiaque, un phénomène qui occasionne une douleur ou une gêne thoracique.

III. Questions et dates pertinentes

[29] Les questions soulevées dans la présente action ont trait à l’interprétation et à la validité des revendications invoquées. La contrefaçon des revendications invoquées n’est pas une question dont la Cour est saisie. Étant donné que Sandoz admet, pour les besoins de la présente instance, qu’elle contreferait les revendications invoquées, les parties conviennent que les demanderesses ne sont pas tenues d’établir qu’il y a contrefaçon des éléments essentiels de l’une ou l’autre des revendications invoquées.

[30] L’interprétation des 11 revendications invoquées du brevet 770 doit précéder l’examen de leur validité : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 43 [Whirlpool]. Pour ce faire, il faut que les revendications soient interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, du point de vue d’une personne versée dans l’art ou la science visée par le brevet (personne versée dans l’art) : Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 au para 44 [Free World].

[31] En l’espèce, les parties et leurs témoins experts ne sont pas d’accord sur les compétences de la personne versée dans l’art et sur l’expérience et les connaissances pertinentes de cette personne au sujet des questions en litige dans la présente l’action. La première question que la Cour doit trancher est celle de la définition de la personne versée dans l’art.

[32] Le désaccord des parties à l’égard de la personne versée dans l’art a une incidence sur leur position respective au sujet des questions de validité, mais non sur leur position concernant l’interprétation des revendications. Les parties et leurs experts s’entendent sur le sens des revendications invoquées. Toutefois, la Cour n’est pas tenue d’accepter l’interprétation proposée par les parties ou les experts. L’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher : Whirlpool, au para 61; Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115 au para 41 [Zero Spill]. L’interprétation des revendications invoquées est la deuxième question en litige.

[33] Sandoz soutient que toutes les revendications invoquées sont invalides. Comme les revendications d’un brevet sont présumées valides, il incombe à Sandoz de prouver leur invalidité selon la prépondérance des probabilités. L’énoncé conjoint des parties expose les questions de validité suivantes concernant le brevet 770 :

  • (i)Évidence : Les revendications invoquées, ou certaines d’entre elles, sont-elles invalides pour cause d’évidence?

  • (ii)Utilité – Les revendications invoquées, ou certaines d’entre elles, sont-elles invalides pour cause d’inutilité (c’est‑à‑dire qu’il n’y a eu aucune démonstration ni prédiction valable de l’utilité)?

  • (iii)Portée excessive : Les revendications invoquées, ou certaines d’entre elles, sont‑elles invalides pour cause de portée excessive (à savoir elles dépassent ce que l’inventrice a effectivement fait ou divulgué)?

  • (iv)Caractère suffisant de la divulgation : Le brevet 770 satisfait-il aux exigences liées au caractère suffisant de la divulgation énoncées aux alinéas 27(3)a) et b) de la Loi sur les brevets?

[34] La date pertinente pour interpréter les revendications d’un brevet est la date de publication de la demande de brevet. La demande relative au brevet 770 a été publiée le 6 mars 2008.

[35] Le 6 mars 2008 est aussi la date pertinente pour déterminer si les revendications invoquées sont invalides parce qu’elles (iv) ne satisfont pas aux exigences relatives au caractère suffisant de la divulgation énoncées aux alinéas 27(3)a) et b) de la Loi sur les brevets. Par souci de simplicité, je renverrai parfois à la date de publication en parlant de mars 2008 ou simplement de 2008.

[36] La date de la revendication (article 28.1 de la Loi sur les brevets) est la date pertinente pour déterminer si les revendications invoquées sont invalides pour cause (i) d’évidence, (ii) d’absence d’utilité démontrée ou valablement prédite et (iii) de portée excessive. La demande relative au brevet 770 a été déposée au Canada le 28 août 2007, mais une date de priorité antérieure était revendiquée, fondée sur des demandes déposées le 29 août 2006 et le 19 octobre 2006 (la demande du 19 octobre 2006 diffère de la demande du 29 août 2006 parce qu’elle mentionne des résultats supplémentaires d’essais expérimentaux sur le macitentan).

[37] Les parties ne font valoir aucune différence dans l’art antérieur pertinent ou dans les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à l’une ou l’autre de ces dates. Par conséquent, pour les besoins de l’analyse de l’évidence, le résultat ne change pas si la date de priorité la plus rapprochée est la date de la revendication, et les parties ont traité de la question de l’évidence en se servant de la date du 29 août 2006. Par souci de simplicité, je renverrai parfois à cette date en parlant d’août 2006 ou simplement de 2006.

[38] De même, les parties n’invoquent aucune différence importante dans l’évaluation de l’utilité ou de la portée excessive si l’on se sert de la date de priorité ou de la date de dépôt au Canada. Les parties ont examiné ces questions en se servant de la date de dépôt au Canada (le 28 août 2007). Par souci de simplicité, je renverrai parfois à cette date en parlant de 2007.

IV. Preuve

[39] Les parties se sont entendues sur un certain nombre de faits. Elles ont fourni un exposé scientifique conjoint et un énoncé des faits conjoint.

[40] Les parties ont présenté une preuve d’expert à l’appui de leurs positions respectives sur l’interprétation et la validité des revendications. Étant donné qu’il incombe à Sandoz de prouver ses allégations en ce qui concerne la validité, les parties avaient convenu que Sandoz signifierait d’abord ses rapports d’experts et que les demanderesses signifieraient des rapports d’experts en réponse. Sandoz n’a pas déposé de rapport d’expert en réplique. Au procès, la présentation de la preuve au procès a suivi la même séquence : Sandoz a présenté preuve en premier.

[41] Sandoz s’est appuyée sur la preuve présentée par un témoin expert, le Dr Randall Zusman. Les demanderesses se sont appuyées sur la preuve présentée par deux témoins experts, le Dr Jean-Luc Vachiery et le Dr Murali Chakinala. Les demanderesses ont également cité à comparaître la Dre Martine Clozel, l’unique inventrice nommée dans le brevet 770, comme témoin des faits.

[42] Voici un résumé des compétences de chaque témoin expert et un aperçu du témoignage de chacun d’eux.

A. Le Dr Zusman (témoin expert de Sandoz)

[43] Le Dr Zusman est un médecin spécialisé en cardiologie à l’Hôpital général du Massachusetts (HGM) à Boston, au Massachusetts. Le Dr Zusman a obtenuH son diplôme en médecine de l’école de médecine de l’Université Yale en 1973. Il a effectué son internat, ses résidences et sa résidence principale à l’HGM. Le Dr Zusman a plus de 42 ans d’expérience comme médecin et chercheur clinique. Il a obtenu un certificat de spécialiste en médecine interne en 1976 et en maladies cardiovasculaires en 1983. Depuis 1982, il est directeur de la division de l’hypertension à l’unité de cardiologie de l’HGM. Il est également professeur agrégé en médecine à l’école de médecine de Harvard.

[44] Les activités cliniques du Dr Zusman comprennent les soins aux patients souffrant d’hypertension, d’HTP, d’HTAP ou d’hyperlipidémie, ou ayant des facteurs de risque cardiovasculaire ou d’autres maladies vasculaires. Le Dr Zusman est actif dans des sociétés professionnelles telles que l’American College of Cardiology, l’American Heart Association et l’American Society of Hypertension. Il a été rédacteur en chef et membre du comité de rédaction de plusieurs revues scientifiques sur les sujets touchant à la cardiologie et à l’hypertension.

[45] Au procès, les demanderesses ont contesté l’admissibilité du rapport du Dr Zusman et l’habilité à témoigner de son auteur. Elles ont pour la première fois informé Sandoz et la Cour qu’elles avaient l’intention de soulever cette objection lors de leur exposé introductif prononcé au procès. L’objection des demanderesses aurait pu empêcher le Dr Zusman de témoigner au procès, et elle aurait dû être soulevée « le plus tôt possible en cours d’instance » et non le jour prévu pour son témoignage : article 52.5 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Néanmoins, j’ai permis aux demanderesses de présenter leur objection à la suite de leur contre‑interrogatoire de Dr Zusman sur ses compétences. Les demanderesses ont soutenu que le Dr Zusman n’était pas qualifié pour rendre un témoignage d’expert relativement aux questions soulevées dans la présente action parce qu’il n’avait pas l’expertise requise en HTP et en HTAP, qui, selon elles, est au cœur du brevet 770. Elles ont présenté un deuxième argument, selon lequel l’expertise qu’on a voulu attribuer au Dr Zusman est excessive, mais cet argument revient à la même préoccupation : selon les demanderesses, si l’on limitait comme il se doit le témoignage du Dr Zusman à son expertise réelle, il n’y aurait aucune raison de le faire témoigner parce que son opinion ne porterait que sur des questions indirectes.

[46] Sandoz a soutenu que, bien que la réalisation commerciale du macitentan soit liée à l’HTAP, le brevet 770 a une portée plus large et ne vise pas une maladie à l’exclusion d’une autre. Le brevet 770 porte sur le traitement des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, la personne versée dans l’art ne change pas en fonction de chaque revendication individuelle, et le Dr Zusman est qualifié pour fournir un témoignage d’expert. Il a de l’expérience dans le traitement des patients atteints des maladies mentionnées dans le brevet 770, et il voit de 300 à 400 patients par an atteints d’HTP. L’HTAP n’est pas au centre de sa pratique, mais c’est une maladie rare : Hoffmann-La Roche Limited c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 384 au para 139.

[47] Le lendemain matin, j’ai fait part aux parties de ma conclusion, à savoir que j’étais convaincue que le Dr Zusman possédait l’expertise et les compétences requises pour témoigner à titre d’expert sur les importantes questions en litige. Je n’avais pas encore tiré de conclusions quant à l’objet principal du brevet 770 et aux caractéristiques de la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet. J’ai déclaré que l’importance de toute expertise précise était une question qu’il restait à trancher. J’ai aussi noté qu’un témoin expert peut être en mesure d’exprimer son opinion sur ce que la personne versée dans l’art connaît ou comprend, même si ses compétences ne correspondent pas à celles de cette personne : Halford c Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275 au para 17. J’ai conclu que la preuve présentée par le Dr Zusman serait nécessaire pour m’aider à trancher des questions importantes en l’espèce. J’étais convaincue que le Dr Zusman possédait une expérience suffisante sur l’objet de son opinion et j’ai ainsi conclu que son rapport et son témoignage étaient admissibles.

[48] J’ai fait remarquer que l’étendue de l’expérience du Dr Zusman dans le domaine de l’HTP ou de l’HTAP, ou l’objet de sa recherche ou de ses études, étaient des questions qui pouvaient influer sur le poids qui serait accordé à sa preuve ou à certaines parties de celle-ci.

[49] Après avoir examiné les compétences que Sandoz a voulu faire reconnaître, j’ai été convaincue que le Dr Zusman était qualifié pour témoigner comme expert, reconnaissant ce qui suit :

[traduction]

Le Dr Randall M. Zusman est cardiologue clinicien, chercheur et professeur en médecine. Ses champs d’expertise comprennent le diagnostic, la gestion et le traitement de l’hypertension artérielle, de l’hypertension pulmonaire (y compris l’hypertension artérielle pulmonaire), de l’artériopathie diabétique, de l’insuffisance cardiaque, de la dysfonction érectile, de l’angine de poitrine et d’autres maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction.

Le Dr Zusman possède une expertise dans la conception, la réalisation et l’évaluation d’essais cliniques de traitements, notamment à l’égard de maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. Cette expertise englobe les essais précliniques, y compris l’utilisation de modèles animaux, et les essais cliniques de traitements visant ces maladies.

[50] Le Dr Zusman a préparé un rapport d’expert daté du 29 juillet 2021. Il y expose son opinion sur un certain nombre des questions précises liées aux compétences et aux connaissances de la personne versée dans l’art, à l’interprétation des revendications invoquées et à la validité des revendications invoquées.

[51] Les demanderesses soutiennent qu’un certain nombre de facteurs devraient avoir une incidence négative sur le poids accordé aux opinions du Dr Zusman. Selon elles, le Dr Zusman connaît assez peu les ARE et possède une connaissance indirecte de l’HTP et de l’HTAP découlant de son travail avec des collègues, qui sont les vrais experts. Elles affirment qu’il a été évasif en contre-interrogatoire et s’est révélé être un témoin professionnel (le Dr Zusman a témoigné comme témoin expert dans un certain nombre d’autres affaires) et un défenseur des intérêts de Sandoz. Elles soutiennent en outre que les avocats de Sandoz ont fourni les documents sur lesquels le Dr Zusman s’est fondé, notamment 39 documents cités comme antériorités, pour étayer son opinion sur l’évidence. Les demanderesses font valoir qu’en tant que médecin qui n’était pas actif dans le domaine de l’HTAP à l’époque considérée, le Dr Zusman ne peut effectuer l’analyse de l’évidence qu’avec une vision rétrospective, et ses opinions à cet égard ne sont donc pas fiables. Je me pencherai plus loin sur le poids qui devrait être accordé au témoignage du Dr Zusman, dans le cadre de mon analyse.

B. Le Dr Vachiery (témoin expert des demanderesses)

[52] Le Dr Vachiery est cardiologue, professeur et chercheur. Il a obtenu son diplôme en médecine de l’Université libre de Bruxelles en 1985 et un certificat de spécialiste en médecine interne en 1992 et en cardiologie en 1995. Depuis 1995, le Dr Vachiery traite des patients souffrant de divers troubles cardiovasculaires et il s’est spécialisé dans l’HTP et l’HTAP. À l’heure actuelle, il est professeur clinicien de cardiologie et directeur de la clinique des maladies vasculaires pulmonaires et d’insuffisance cardiaque de l’Hôpital Erasme – Cliniques universitaires de Bruxelles, en Belgique. Il est également membre du réseau interdisciplinaire de maladies vasculaires pulmonaires de l’International Society for Heart and Lung Transplant.

[53] Le Dr Vachiery a participé activement à un certain nombre de conseils et de groupes de travail liés à l’HTP, notamment comme coprésident du conseil sur l’hypertension pulmonaire de l’International Heart and Lung Society (de 2002 à 2005), président du groupe de travail sur la circulation pulmonaire et la fonction ventriculaire droite de la Société européenne de cardiologie (de 2006 à 2008), président du groupe de travail sur l’insuffisance cardiaque de la Société Belge de Cardiologie (de 2008 à 2009), président du conseil sur l’hypertension pulmonaire de l’International Society for Heart and Lung Transplantation (de 2018 à 2020), membre de l’équipe spéciale et rédacteur en chef des European Guidelines on Pulmonary Hypertension (2009 et 2015).

[54] Sandoz n’a pas contesté les compétences qu’on a attribuées au Dr Vachiery. On m’a convaincue que le Dr Vachiery était qualifié pour fournir une preuve d’opinion d’expert compte tenu des compétences suivantes qu’ont fait valoir les demanderesses :

[traduction]

Le Dr Vachiery est un médecin, chercheur et professeur clinique de cardiologie dont l’expertise englobe (i) l’hypertension pulmonaire (« HTP ») [y compris l’hypertension artérielle pulmonaire (« HTAP »)], (ii) le développement et la science du traitement de l’HTP (y compris l’HTAP), et (iii) l’analyse et l’interprétation des données et des résultats d’essais précliniques, d’essais cliniques de médicaments, d’études de cas et d’études d’observation dans le domaine de la médecine pulmonaire et de la cardiologie, y compris le traitement de l’HTAP.

[55] Le Dr Vachiery a préparé un rapport d’expert daté du 29 octobre 2021. Ce document répond aux opinions du Dr Zusman sur les questions liées à la personne versée dans l’art, à l’interprétation des revendications invoquées et à la validité de ces revendications.

[56] Sandoz soutient qu’un certain nombre de facteurs devraient avoir une incidence négative sur le poids accordé aux opinions du Dr Vachiery. Son évaluation de l’art antérieur était étroite d’esprit et il s’est empressé de rejeter tout enseignement qui n’était pas étayé par des essais cliniques randomisés et contrôlés. En outre, Sandoz souligne la relation du Dr Vachiery avec les demanderesses depuis plus de 17 ans et affirme que sa carrière a été et continue d’être liée et financée par les demanderesses. Je me pencherai plus loin sur le poids à accorder au témoignage du Dr Vachiery, dans le cadre de mon analyse.

C. Le Dr Chakinala (témoin expert des demanderesses)

[57] Le Dr Chakinala est un pneumologue (appelé respirologue au Canada), professeur et chercheur. Il a obtenu son diplôme en médecine de l’Université Vanderbilt en 1994 et a effectué, entre 1994 et 1997, son internat et sa résidence au Centre médical Southwestern de l’Université du Texas. En 2002, le Dr Chakinala a effectué un stage de recherche à l’École de médecine de l’Université de Washington en médecine pulmonaire et en médecine de soins intensifs ainsi qu’en sciences médicales générales. Il est actuellement professeur de médecine à la division de médecine pulmonaire et de soins intensifs de cette même école, où il est également directeur du centre de soins pour l’hypertension pulmonaire.

[58] La pratique clinique et la recherche du Dr Chakinala en tant que clinicien-chercheur se concentrent sur les troubles vasculaires pulmonaires. Depuis 2002, il est médecin membre du personnel de l’Hôpital Barnes-Jewish, au Missouri, et consultant en hypertension pulmonaire pour ce même hôpital. Il est consultant en hypertension pulmonaire au Pulmonary Fibrosis Foundation Care Center Network de l’Université de Washington depuis 2016, et à l’Adult Congenital Heart Disease Center depuis 2017.

[59] Le Dr Chakinala est membre de l’American College of Chest Physicians and Pulmonary Hypertension Association ainsi que d’autres sociétés professionnelles. Il a également reçu des prix pour son travail sur l’hypertension pulmonaire.

[60] Sandoz n’a pas contesté les compétences du Dr Chakinala avancées par les demanderesses. On m’a convaincue qu’il possédait les compétences suivantes l’habilitant à témoigner en tant qu’expert :

[traduction]

Le Dr Chakinala est un médecin, chercheur clinique et professeur de médecine pulmonaire et de médecine des soins intensifs dont l’expertise englobe (i) l’hypertension pulmonaire (« HTP ») [y compris l’hypertension artérielle pulmonaire (« HTAP »)], (ii) le développement et la science du traitement de l’HTP (y compris l’HTAP) et (iii) l’analyse et l’interprétation des données et des résultats d’essais précliniques, d’essais cliniques de médicaments, d’études de cas et d’études d’observation dans le domaine de la médecine pulmonaire, y compris le traitement de l’HTAP.

[61] Le Dr Chakinala a préparé un rapport d’expert daté du 29 octobre 2021. Ce document répond aux opinions du Dr Zusman sur les questions liées à la personne versée dans l’art, à l’interprétation des revendications invoquées et à la validité de ces revendications.

[62] Sandoz formule des critiques à l’égard de la preuve présentée par le Dr Chakinala semblables à celles formulées à l’égard de la preuve présentée par le Dr Vachiery, et soutient que le témoignage du Dr Chakinala devrait donc se voir accorder un poids réduit. En outre, Sandoz fait valoir que le Dr Chakinala a fait des déclarations qui étaient manifestement fausses, a donné des opinions qui ne relevaient pas de son expertise, et a émis des opinions sur des documents qu’il n’avait pas lus. Je me pencherai plus loin sur le poids à accorder au témoignage du Dr Chakinala, dans le cadre de l’analyse.

D. La Dre Clozel (témoin des faits des demanderesses)

[63] À l’époque considérée, la Dre Clozel était responsable de la mise au point préclinique de l’ensemble des médicaments à titre de directrice scientifique, cheffe de la pharmacologie et vice‑présidente directrice d’Actelion. Elle est l’unique inventrice nommée dans le brevet 770.

[64] La Dre Clozel a expliqué son rôle dans la conception de l’invention décrite dans le brevet 770 et son travail expérimental effectué à Actelion avant la date de dépôt.

[65] La Dre Clozel a expliqué son rôle dans la mise au point du macitentan. Son travail sur les ARE a commencé à Hoffmann-La Roche (Roche), où son équipe et elle ont effectué des recherches qui ont mené à la découverte des ARE, dont un composé connu sous le nom de bosentan. En 1997, la Dre Clozel et d’autres ont quitté Roche pour fonder Actelion, et ils ont poursuivi leur travail dans ce domaine, y compris sur le bosentan, Roche leur ayant accordé une licence à l’égard de ce composé. En novembre 2001, Actelion a reçu l’approbation réglementaire de la Food and Drug Administration (la FDA) des États-Unis pour commercialiser le bosentan (TRACLEER®) pour le traitement de l’HTAP. Le bosentan a été le premier ARE à avoir suivi avec succès le processus d’approbation réglementaire des médicaments.

[66] Actelion a mis au point d’autres composés qui agissent comme ARE. Il s’agit notamment des composés divulgués dans le brevet canadien no 2,437,675, maintenant expiré, intitulé « Nouveaux sulfamides et leur utilisation comme antagonistes du récepteur de l’endothéline », l’un d’eux étant le composé maintenant connu sous le nom de macitentan.

V. La personne versée dans l’art

[67] La personne versée dans l’art est une création juridique qui englobe un certain nombre de concepts qui éclairent une approche appropriée pour résoudre les problèmes dans une action en matière de brevet. Les concepts présentant un intérêt pour l’interprétation des revendications et les questions de validité qui se posent dans la présente action sont exposés ci‑dessous.

[68] Premièrement, la personne versée dans l’art possède le niveau de compétence et de connaissances nécessaire pour apprécier la nature et la description de l’invention sur le plan technique et pour la réaliser : Whirlpool, au para 53. Il s’agit du niveau ordinaire de compétence et de connaissances dans l’art ou la science dont relève le brevet : Free World, au para 44. Lorsqu’un brevet porte sur plusieurs domaines scientifiques ou techniques, la personne versée dans l’art peut consister en une équipe de personnes : Amgen Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 522 au para 172. Toutefois, cette personne n’est pas définie en fonction de chacune des revendications : Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2018 CF 754 au para 236, conf par 2019 CAF 273, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée, 39007 (7 mai 2020)). La personne versée dans l’art incarne les connaissances générales courantes qui sont généralement connues et acceptées dans le domaine, et elle fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès : Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2017 CF 777 au para 185.

[69] Deuxièmement, la personne versée dans l’art adopte une approche juste et objective. Elle a un esprit désireux de comprendre et va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec : Les Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2019 CF 616 au para 156, citant Free World, au para 44. Elle applique objectivement les mêmes normes à toutes les questions qui concernent l’interprétation et la validité des revendications visées.

[70] Troisièmement, la personne versée dans l’art n’est pas inventive. Elle pose des questions raisonnables et logiques, et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles, mais elle ne possède aucune imagination ni aucun esprit inventif (JAY-LOR International Inc c Penta Farm Systems Ltd, 2007 CF 358 au para 75, citant Beloit Canada Ltée c Valmet Oy, [1986] ACF no 87 au para 18 (CAF) [Beloit].

[71] Quatrièmement, la personne versée dans l’art aborde chaque question au regard du moment approprié. Elle comprend toutes les différences dans les compétences ou les connaissances pertinentes à chaque date pertinente, et adopte le cadre temporel approprié pour analyser les questions, sans vision rétrospective. Comme je l’ai mentionné précédemment, en l’espèce, les parties ne mentionnent aucune différence pratique dans l’art antérieur ni dans les compétences et connaissances pertinentes de la personne versée dans l’art qui serait survenue à un moment important entre le 29 août 2006 et le 6 mars 2008, ce qui simplifie l’analyse. La Cour doit néanmoins se méfier des analyses après coup et se prémunir contre les dangers d’un point de vue rétrospectif : Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2020 CF 593 au para 169.

[72] Les témoins experts aident la Cour en se prononçant sur les compétences, l’expérience pertinente et les connaissances de la personne versée dans l’art, et en fournissant des témoignages d’expert afin de placer la Cour dans la position de la personne versée dans l’art à l’époque considérée : Tetra Tech EBA Inc c Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203 au para 88, citant Free World, au para 51.

[73] En l’espèce, les parties et leurs experts ne s’entendent pas sur la façon de définir la personne versée dans l’art en ce qui concerne le brevet 770. Ce désaccord ne porte que sur les questions de validité, et en particulier sur l’interprétation de l’art antérieur pertinent pour déterminer si les revendications invoquées, ou l’une d’entre elles, étaient évidentes. Comme on l’a vu, les parties s’entendent sur l’interprétation des revendications invoquées.

[74] Le témoin expert de Sandoz, le Dr Zusman, est d’avis que le brevet 770 porte sur l’utilisation du macitentan administré à un patient en combinaison avec au moins un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Par conséquent, la personne versée dans l’art est un clinicien, c’est-à-dire un médecin spécialiste qui traiterait ce type de maladie. Si la maladie concerne la circulation générale, le spécialiste serait un cardiologue, un endocrinologue ou un néphrologue ayant une expertise en médecine vasculaire. Si la maladie concerne la circulation pulmonaire, le spécialiste serait un cardiologue, un pneumologue ou un intensiviste. Selon le Dr Zusman, les pneumologues s’occupent surtout de la circulation pulmonaire, mais il existe un chevauchement avec la cardiologie parce que les cardiologues s’occupent à la fois de la circulation générale et de la circulation pulmonaire. Le clinicien aurait une bonne connaissance du traitement de ces maladies et des médicaments servant à leur traitement, administrés seuls ou en combinaison, et il se tiendrait au courant des recherches menées dans le domaine.

[75] Comme le brevet 770 décrit des essais portant sur l’activité d’inhibition à l’égard de la PDE5 et des expériences sur les effets combinés du macitentan et de certains I‑PDE5 dans des modèles animaux, le Dr Zusman ajoute que l’équipe versée dans l’art inclurait un pharmacologue clinique ou préclinique qui serait titulaire d’un doctorat en médecine ou d’un doctorat en chimie thérapeutique, en pharmacie ou dans une discipline connexe, et qui posséderait quelques années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique.

[76] Les demanderesses affirment que l’opinion du Dr Zusman sur la personne versée dans l’art ne tient pas compte de l’accent mis dans le brevet 770 sur le traitement de l’HTP et de l’HTAP, et qu’elle est contredite par l’accent quasi immédiat qu’il a lui‑même mis sur l’HTP et l’HTAP dans son rapport d’expert. Selon les demanderesses, le Dr Zusman définit en termes généraux la personne versée dans l’art comme une personne ayant une expertise en matière de maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction parce qu’elle n’a pas un niveau d’expertise suffisant en HTP et en HTAP, et ses compétences personnelles ne correspondent pas à celles de la personne versée dans l’art.

[77] Les témoins experts des demanderesses, les Drs Chakinala et Vachiery, soutiennent que la personne versée dans l’art pour le brevet 770 serait définie de façon plus étroite. Il s’agirait d’un clinicien – un cardiologue ou un pneumologue – ou d’un chercheur dont les intérêts cliniques ou de recherche seraient axés sur le traitement des patients atteints d’HTP, et plus particulièrement d’HTAP, et qui connaîtrait les options de traitement. Cette personne comprendrait que le brevet 770 vise l’utilisation d’un ARE (soit le macitentan) en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter l’HTAP. Le mémoire descriptif du brevet 770 indique explicitement que les maladies visées par l’invention sont [traduction] « de préférence » l’hypertension ou l’HTP, en particulier l’HTP, dont l’HTAP.

[78] Les Drs Vachiery et Chakinala affirment qu’un médecin qui n’accorde pas, dans sa pratique, une attention particulière au traitement de l’HTP ou de l’HTAP ne ferait pas partie de l’équipe versée dans l’art parce qu’une personne ayant tel profil ne saurait pas comment l’HTP ou l’HTAP sont traitées. En 2008 (et encore aujourd’hui), il était rare qu’un cardiologue général traite des patients atteints d’HTP ou d’HTAP – ces patients étaient (et sont toujours) aiguillés vers des médecins qui se spécialisent en HTP ou en HTAP. Le spécialiste de l’HTP et de l’HTAP connaîtrait bien les ARE et comprendrait leur rôle dans le traitement de l’HTP, et en particulier de l’HTAP, aux dates pertinentes.

[79] De plus, le Dr Vachiery fait remarquer que le clinicien ferait partie d’une équipe plus importante qui comprendrait un pharmacien, un biologiste ou un biochimiste dans le domaine de la mise au point de médicaments qui s’intéresse à l’étude de composés dans différents modèles animaux au stade préclinique.

[80] Sandoz affirme que les Drs Vachiery et Chakinala ont erronément cherché à définir la personne versée dans l’art en fonction de chaque revendication plutôt qu’en fonction du brevet 770 dans son ensemble. Les définitions des Drs Chakinala et Vachiery concernant la personne versée dans l’art sont problématiques parce qu’elles se concentrent uniquement sur l’HTP et l’HTAP et aucune des autres maladies auxquelles se rapporte le brevet 770.

[81] Je conclus que la définition de la personne versée dans l’art ne se limiterait pas aux spécialistes de l’HTP et de l’HTAP. Le brevet 770 ne se limite pas au traitement de l’HTP et de l’HTAP. Il décrit l’invention comme étant liée au traitement d’une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Les résultats expérimentaux inclus dans la divulgation ne rapportent pas expressément à l’HTP ou à l’HTAP. Bien que l’HTP et particulièrement l’HTAP soient visées par le brevet, je ne suis pas d’accord pour dire que l’équipe versée dans l’art comprend uniquement des spécialistes l’HTP et de l’HTAP. Un certain nombre de revendications sont limitées à l’HTAP, mais, comme Sandoz le fait remarquer à juste titre, les attributs de la personne versée dans l’art ne changent pas en fonction de la revendication.

[82] Le Dr Zusman reconnaît que l’équipe versée dans l’art comprend un médecin qui aurait une bonne connaissance des médicaments et des thérapies pour traiter l’HTP et l’HTAP et qui se tiendrait au courant des recherches menées sur le terrain. Comme il s’agit d’une maladie rare et potentiellement mortelle qui est largement traitée par des spécialistes, je conclus que le médecin qui traite des patients atteints d’HTP ou d’HTAP aurait un niveau assez élevé de connaissances sur ces troubles et leurs traitements. À mon avis, même si la composition de l’équipe versée dans l’art ne se limite pas à des personnes qui concentrent leur travail sur l’HTP ou l’HTAP, les connaissances spécialisées de la personne versée dans l’art dans le domaine de l’HTP ou de l’HTAP sont importantes pour les questions en litige dans la présente action. Pendant la période pertinente, les ARE n’ont été utilisés que pour traiter les patients atteints d’HTAP, et la majorité des antériorités se rapportent à l’HTP ou à l’HTAP.

[83] En résumé, je conclus que la personne versée dans l’art serait un médecin ou un chercheur spécialisé qui aurait des connaissances sur l’hypertension artérielle systémique et l’hypertension pulmonaire, les voies physiologiques liées à ces maladies et les médicaments et traitements disponibles. Cette personne aurait une compréhension de la recherche préclinique et clinique et des expériences effectuées pour mettre au point des médicaments contre l’hypertension artérielle systémique et l’hypertension pulmonaire. À mon avis, un médecin spécialiste qui traite l’hypertension artérielle systémique et l’hypertension pulmonaire ou un chercheur aurait une expertise suffisante dans d’autres maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, et l’équipe de personnes versées dans l’art n’a pas besoin de comprendre des spécialistes de ces maladies.

VI. Interprétation des revendications

[84] L’analyse des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art précède normalement l’interprétation des revendications, mais les parties s’entendent sur l’interprétation des revendications en l’espèce. Leurs désaccords sur les connaissances générales courantes n’a pas d’effet sur leurs positions quant à l’interprétation des revendications, mais ils sont au cœur des questions de validité, et en particulier de l’évidence. Mon analyse des connaissances générales courantes se trouve dans la section qui traite de la question de l’évidence.

[85] Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet selon le point de vue de la personne versée dans l’art, eu égard aux connaissances générales courantes : Free World, au para 44. Comme nous l’avons vu précédemment, la personne versée dans l’art possède les compétences et les connaissances usuelles dans l’art dont relève le brevet et aborde l’interprétation des revendications du brevet avec un esprit désireux de les comprendre. La demande de brevet 770 a été publiée le 6 mars 2008, date pertinente pour l’interprétation des revendications : Free World, aux para 53‑54.

[86] Dans les actions où la contrefaçon est en cause, une interprétation téléologique permet de déterminer si les éléments de la revendication sont essentiels ou non : Free World, au para 50; Tearlab Corporation c I-MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 au para 31 [Tearlab]. Il n’y a pas de contrefaçon si un élément essentiel d’une revendication est différent ou omis : Free World, au para 31. Étant donné l’admission faite par Sandoz au sujet de la contrefaçon, les parties conviennent que les demanderesses ne sont pas tenues d’établir qu’il y a contrefaçon des éléments essentiels de l’une ou l’autre des revendications invoquées.

[87] Les revendications invoquées sont rédigées comme suit :

[traduction]

21. Utilisation du composé de formule (I) au sens de la revendication 1 [c.-à-d. le macitentan], ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé de formule (I), en combinaison avec au moins un composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5, ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce composé, pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

22. Utilisation conforme à la revendication 21, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil, le vardénafil, le tadalafil ou l’udénafil.

23. Utilisation conforme à la revendication 22, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil ou le tadalafil.

24. Utilisation conforme à la revendication 23, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil.

25. Utilisation conforme à la revendication 23, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le tadalafil.

26. Utilisation conforme à la revendication 21, où la maladie est l’hypertension ou l’hypertension pulmonaire.

27. Utilisation conforme à la revendication 26, où la maladie est l’hypertension pulmonaire.

28. Utilisation conforme à la revendication 27, où la maladie est l’hypertension artérielle pulmonaire.

29. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil ou le tadalafil.

30. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil.

31. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le tadalafil.

[88] Les parties ont présenté un tableau conjoint des revendications invoquées. Il figure à l’annexe A des présents motifs. Comme nous l’avons déjà mentionné, les parties et leurs experts sont d’accord sur l’interprétation qu’il convient de donner aux revendications invoquées, mais la question de l’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher : Whirlpool, au para 61; Zero Spill, au para 41.

[89] L’interprétation des revendications invoquées est simple et fondée sur le libellé de la revendication, et j’accepte l’interprétation proposée par les parties. Pour déterminer les questions en litige dans la présente action, voici un résumé des principaux éléments et définitions :

La revendication 21 porte sur l’utilisation du macitentan en combinaison avec au moins un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

l’utilisation s’entend de l’administration des composés ensemble, sans restriction quant au moment de l’administration ou à la voie d’administration;

l’I‑PDE5 est un composé qui inhibe de 50 % l’activité de l’enzyme PDE5 à des concentrations inférieures ou égales à 1 µM, selon les valeurs mesurées au moyen du protocole expérimental décrit dans le brevet 770;

la maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction est un trouble caractérisé par une résistance accrue à l’écoulement du sang dans la circulation générale ou pulmonaire; le mémoire descriptif du brevet 770 dresse la liste de certaines maladies dans lesquelles interviendrait une vasoconstriction : hypertension, HTP (y compris HTAP), artériopathie diabétique, insuffisance cardiaque, dysfonction érectile ou angine de poitrine; l’expression maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction comprend, sans s’y limiter, l’hypertension, l’HTP (y compris l’HTAP), l’artériopathie diabétique, l’insuffisance cardiaque, la dysfonction érectile ou l’angine de poitrine.

Les revendications 22 à 25 dépendent, directement ou indirectement, de la revendication 21 et ajoutent des limites quant à l’I-DPE5 utilisé : sildénafil, vardénafil, tadalafil ou udénafil (revendication 22); sildénafil ou tadalafil (revendication 23); sildénafil (revendication 24); tadalafil (revendication 25).

La revendication 26 dépend de la revendication 21 et limite la maladie à l’hypertension ou à l’hypertension pulmonaire.

l’hypertension est une pression artérielle élevée dans la circulation générale;

l’hypertension pulmonaire (HTP) est une pression artérielle élevée dans la circulation pulmonaire.

La revendication 27 dépend de la revendication 26 et limite la maladie à l’HTP.

l’hypertension est une pression artérielle élevée dans la circulation générale;

l’hypertension pulmonaire (HTP) est une pression artérielle élevée dans la circulation pulmonaire.

La revendication 28 dépend de la revendication 27 et limite la maladie à l’hypertension artérielle pulmonaire.

l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est une forme d’HTP dans laquelle les parois des artères pulmonaires se contractent et durcissent, ce qui surcharge le côté droit du cœur en l’obligeant à travailler plus fort pour propulser le sang dans les artères rétrécies.

Les revendications 29 à 31 dépendent, directement ou indirectement, de la revendication 28 et se limitent particulièrement à l’utilisation du macitentan en combinaison avec le sildénafil (revendication 30), le tadalafil (revendication 31) ou les deux (revendication 29) pour traiter l’HTAP.

VII. Validité

[90] Le brevet 770 est présumé valide : Loi sur les brevets, art 43(2). Il incombe à Sandoz d’établir l’invalidité selon la prépondérance des probabilités.

[91] La validité de chaque revendication est évaluée indépendamment : Loi sur les brevets, art 58.

[92] Sandoz soutient que toutes les revendications invoquées sont invalides pour cause d’évidence, d’inutilité, de portée excessive et de divulgation insuffisante.

[93] Dans l’analyse des questions de validité, je renvoie aux antériorités en utilisant des titres abrégé. L’annexe B des présents motifs présente un tableau où figurent les titres complets de ces antériorités.

A. Évidence

(1) Le critère de l’évidence

[94] L’objet que définit la revendication ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à l’art antérieur à l’époque considérée : Loi sur les brevets, art 28.3.

[95] Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Beloit (au para 18), pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait. Un inventeur est par définition inventif. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient à la date pertinente, la personne versée dans l’art, ne possédant aucune étincelle d’esprit inventif, serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet.

[96] L’arrêt Sanofi-Synthelabo Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], établit, au paragraphe 67, un cadre d’analyse en quatre étapes pour déterminer si l’objet d’une revendication est évident :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale;

(4) Déterminer si, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences seraient évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

[97] Ce cadre d’analyse préconise une approche souple qui doit être appliquée en tenant compte du contexte ainsi que des faits et des circonstances propres à chaque revendication : Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2020 CF 1189 au para 154 [Allergan], citant Amgen Inc et Amgen Canada Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CAF 188 au para 5. Il s’applique à la combinaison des éléments de l’invention comme ensemble, plutôt qu’à chacun de ces éléments pris isolément : Allergan, au para 154, citant Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2018 CF 754 au para 86.

[98] À l’étape 4, il peut être approprié d’examiner la question de savoir si l’invention alléguée était un « essai allant de soi » dans des domaines où les progrès se produisent souvent par expérimentation. Les éléments qui suivent doivent notamment être pris en considération pour savoir si l’invention était un « essai allant de soi » (Sanofi, aux para 67-69) :

(1) Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

(2) Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

(3) L’art antérieur fournit-[il] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[99] Ces facteurs ne sont pas exhaustifs. Parmi les autres facteurs qui pourraient être pris en considération, mentionnons les mesures concrètes ayant mené à l’invention : Sanofi, au para 70.

[100] Par « essai allant de soi », on n’entend pas « valant d’être tenté » (Sanofi, au para 65) :

[traduction] La seule inclusion possible de quelque chose dans un programme de recherche dans l’optique d’en apprendre davantage et de faire une découverte ne suffit pas. S’il en allait autrement, peu d’inventions seraient brevetables. L’éventualité d’une protection ne justifierait la recherche que dans des domaines n’offrant aucune chance de découverte. La notion d’« essai allant de soi » ne s’applique vraiment que lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux.

(2) Introduction à l’analyse de l’évidence et aperçu des positions des parties

[101] Dans le cadre de son mandat, le Dr Zusman a été invité à examiner 39 documents de l’art antérieur fournis par l’avocat de Sandoz. Huit des publications sont des brevets ou des demandes de brevet. Le Dr Zusman affirme que de tels documents ne sont peut-être pas examinés fréquemment par les cliniciens moyennement versés dans l’art, mais que les progrès dans le domaine, y compris ceux décrits dans les brevets et les demandes de brevet, faisaient l’objet de communications ou de publications et que la personne versée dans l’art saurait comment les trouver en effectuant une recherche en ligne de façon raisonnablement diligente.

[102] En plus de ces documents, le Dr Zusman s’appuie sur des articles de synthèse portant sur l’HTAP ou sur les ARE pour traiter des maladies cardiovasculaires. L’un de ces articles de synthèse a été publié en septembre 2006 et est donc postérieur à la date pertinente de la revendication, mais le Dr Zusman estime qu’il fait état de l’information connue depuis août 2006. Le Dr Zusman s’appuie également sur des documents qui se rapportent aux expériences menées chez Actelion et décrites dans le brevet 770.

[103] Sandoz fait valoir que les antériorités (y compris les brevets ou demandes de brevet) auraient fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art; cette dernière savait comment trouver un brevet. Subsidiairement, Sandoz affirme que tous les documents de l’art antérieur auraient fait partie de l’état de la technique.

[104] Les demanderesses soutiennent qu’en fournissant les documents de l’art antérieur au Dr Zusman, Sandoz a créé le risque qu’il fasse une analyse rétrospective – il y a eu une « sélection » d’antériorités sans preuve que la personne versée dans l’art aurait concentré ses efforts sur ces documents en particulier. Je ne pense pas que cette critique soit importante pour la présente affaire. Les demanderesses ont eu l’occasion de contester la preuve de Sandoz au motif qu’elle ne reflète pas l’art antérieur, et leurs experts ont fourni des documents supplémentaires, omis par le Dr Zusman, qui selon elles sont pertinents pour avoir une bonne compréhension de l’art antérieur ou des connaissances générales courantes. Elles ne soutiennent pas qu’aucun des documents sur lesquels s’appuie Sandoz ne peut être « considéré » comme une antériorité, ni que ces documents n’auraient pas été trouvés à la suite d’une recherche raisonnablement diligente. Elles font valoir que ce ne sont pas tous ces documents qui auraient fait partie des connaissances générales courantes, et que la différence cruciale entre les affirmations des parties et de leurs experts en l’espèce découle de la façon dont la personne versée dans l’art aurait interprété et compris l’information contenue dans les documents à l’époque considérée.

[105] Sandoz soutient que l’art antérieur pertinent comprenait de nombreuses divulgations de la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, y compris l’HTP et l’HTAP. Par conséquent, selon elle, la seule différence entre les connaissances générales courantes ou l’état de la technique et l’objet des revendications invoquées est que les revendications invoquées se limitent au macitentan. Cette unique différence s’applique également à la revendication indépendante 21 et aux revendications dépendantes 22 à 31, parce que Sandoz affirme qu’il n’y avait rien d’inventif dans le fait de limiter l’objet du brevet à une maladie ou à l’I‑PDE5.

[106] Le point de départ de l’allégation de Sandoz en ce qui concerne l’évidence est que le macitentan n’était pas un composé nouveau. Sandoz affirme qu’Actelion a admis, à la page 1 du brevet 770, que le macitentan avait été divulgué dans sa demande de brevet antérieure WO 02/053557 (WO 557) publiée le 11 juillet 2002. WO 557 a révélé un groupe de composés utiles pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction en raison de leur activité antagoniste sur les récepteurs de l’endothéline. WO 557 a également révélé que les composés pourraient être utilisés en combinaison avec des vasodilatateurs ou d’autres produits thérapeutiques qui traitent l’hypertension artérielle ou des troubles cardiaques, et le macitentan est classé parmi 78 [traduction] « composés privilégiés ». Au Canada, la demande WO 557 est devenue le brevet canadien no 2,431,675 (brevet 675).

[107] Sandoz s’appuie sur l’opinion du Dr Zusman selon laquelle toutes les revendications invoquées sont évidentes parce que l’on savait déjà en 2006 que la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 serait utile pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Sandoz soutient que, sur la base des antériorités concernant l’utilisation combinée d’ARE et d’I‑PDE5 et des « effets de classe » connus des ARE et des I‑PDE5, la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que la combinaison de tout ARE avec un I‑PDE5 soit utile pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, y compris l’HTAP. Sandoz ajoute que le brevet 770 n’est pas un « brevet de sélection », en ce sens qu’il ne dévoile ni ne revendique aucun avantage particulier de choisir le macitentan plutôt que les autres ARE divulgués dans WO 557 et le brevet 675. En conséquence, les avantages propres au macitentan, comme le degré d’innocuité ou d’efficacité, ne doivent pas servir à amplifier l’invention revendiquée pour élargir l’écart entre l’invention et l’art antérieur.

[108] De plus, Sandoz soutient qu’il aurait été évident d’essayer la combinaison du macitentan et d’un I‑PDE5. La personne versée dans l’art aurait été orientée vers la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5, qui sont des médicaments administrés par voie orale, par opposition aux combinaisons de composés d’autres classes de médicaments. Par exemple, l’époprosténol a une courte demi-vie et est administré par perfusion continue dans la circulation pulmonaire au moyen d’un cathéter intraveineux et d’une pompe; il était donc souvent réservé aux patients ayant le plus haut degré de déficience fonctionnelle.

[109] La personne versée dans l’art serait également aurait été orientée vers le macitentan comme ARE particulier à combiner avec un I‑PDE5. Sandoz affirme qu’il y avait un nombre déterminé de solutions prévisibles et connues, parce qu’il n’y avait que trois voies connues, un nombre très limité d’I‑PDE5, un nombre très limité d’ARE, et le macitentan était connu pour être l’ARE de nouvelle génération. Les combinaisons possibles de ces traitements étaient [traduction] « incroyablement limitées », et la personne versée dans l’art aurait été poussée vers le macitentan. Sandoz ajoute que, compte tenu des connaissances générales courantes et de l’art antérieur, il allait de soi de tenter la combinaison du macitentan et d’un I‑PDE5 pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, et la personne versée dans l’art se serait attendue à ce que cette combinaison soit utile.

[110] Les demanderesses soutiennent que la position de Sandoz sur l’évidence est un exercice rétrospectif. La personne versée dans l’art ne s’attendait pas à ce que la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 soit utile, et elle n’aurait pas non plus été amenée « directement et facilement » à la combinaison précise de macitentan et d’un I‑PDE5 : Beloit, au para 18.

[111] À mon avis, il y a un conflit entre les arguments de Sandoz selon lesquels, d’une part, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que toute combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 soit utile compte tenu des effets de classe connus, et, d’autre part, la combinaison de macitentan avec un I‑PDE5 aurait constitué un essai allant de soi. Si la personne versée dans l’art s’attend à ce que toute combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 fonctionne, il ne serait pas nécessaire de désigner le macitentan parmi les nombreux candidats ARE possibles et de le tester en combinaison avec un I‑PDE5. Selon cet argument, le fait de préciser le macitentan comme un ARE à combiner avec un I‑PDE5 peut être considéré comme une limitation artificielle des revendications invoquées parce que tout ARE devrait fonctionner, et les revendications invoquées ne seraient qu’un élargissement, sans invention, du monopole d’Actelion en vertu du brevet 675 (qui incluait des revendications couvrant le macitentan, entre autres composés). Il me semble que cet argument et l’argument de l’essai allant de soi auraient dû être présentés à titre subsidiaire. J’ai considéré qu’il s’agissait d’un aspect de mon analyse et qu’il s’agissait d’arguments subsidiaires.

[112] Une grande partie de la preuve et de l’argumentation a été consacrée aux connaissances générales courantes, à l’état de la technique et à la façon dont la personne versée dans l’art aurait compris les documents pertinents de l’art antérieur en 2006. Bien que j’aie examiné en détail tous les éléments de preuve et tous les arguments, j’ai mis l’accent sur les points clés dans les présents motifs. Il y a des répétitions en raison du chevauchement des arguments des parties. Les parties n’ont pas fait de distinction claire entre les connaissances générales courantes et l’état de la technique, ce qui donne lieu à des répétitions dans les analyses aux étapes 1 et 3 du cadre d’analyse de l’évidence. La majeure partie de l’analyse des documents de l’art antérieur se trouve dans la section qui traite des connaissances générales courantes, à l’étape 1 du cadre d’analyse de l’évidence.

[113] Je note également que, bien que la revendication 21 ne se limite pas à une maladie particulière dans laquelle intervient la vasoconstriction, l’argument de Sandoz sur l’évidence et une majorité des documents de l’art antérieur dans la présente affaire se rapportent à l’HTP, et en particulier à l’HTAP. Pour cette raison, mon analyse se concentre sur l’HTAP et les connaissances générales courantes ou l’état de la technique à cet égard.

(3) Étape 1 : La personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes

[114] La première étape de l’analyse de l’évidence consiste à identifier la personne versée dans l’art et ses connaissances générales courantes.

[115] J’ai identifié la personne versée dans l’art ci-dessus. Il s’agit d’un médecin ou d’un chercheur spécialisé qui aurait des connaissances sur l’hypertension artérielle systémique et l’hypertension pulmonaire, les voies physiologiques liées à ces maladies et les médicaments et thérapies pour les traiter. Cette personne aurait une compréhension de la recherche préclinique et clinique et des expériences effectuées pour mettre au point des médicaments contre l’hypertension artérielle systémique et l’hypertension pulmonaire.

[116] Par les connaissances générales courantes, on entend ce que la personne versée dans l’art devrait généralement connaître et reconnaître au moment considéré, soit le 29 août 2006 en l’espèce : Sanofi, au para 37; Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 au para 24 [Mylan]; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 219 aux para 64-65 [Eurocopter]. L’information ne fait partie des connaissances générales courantes que si la personne versée dans l’art en était informée et reconnaissait cette information comme constituant un bon fondement pour les actions à venir : Mylan, au para 24.

[117] Comme on l’a déjà mentionné, les connaissances générales courantes les plus pertinentes dans le cadre de l’enquête sur l’évidence se rapportent au domaine de l’HTP, et notamment de l’HTAP. Je commencerai par un résumé de l’exposé scientifique conjoint fourni par les parties. Celles‑ci conviennent que ces renseignements faisaient partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Je traiterai ensuite des aspects des connaissances générales courantes sur lesquels les parties et les experts ne s’entendent pas.

(a) HTP, HTAP et voies biologiques

[118] Description de la maladie : L’hypertension pulmonaire (HTP) est un terme général qui décrit une pression anormalement élevée dans le système circulatoire pulmonaire. L’HTAP est un sous-type d’HTP dans lequel la contraction des parois des artères pulmonaires augmente la résistance vasculaire à l’écoulement du sang. En l’absence de traitement, cette pression accrue surcharge le côté droit du cœur, qui pompe le sang vers les poumons, et conduit à l’insuffisance cardiaque.

[119] Trois grandes voies biologiques influent sur la pression artérielle dans la vasculature pulmonaire, principalement par une régulation de la contraction et de la prolifération des cellules musculaires lisses dans les artères pulmonaires.

[120] Voie de la prostacycline : La prostacycline, qui est libérée par les cellules endothéliales dans les artères pulmonaires, exerce un puissant effet vasodilatateur. Chez les patients atteints d’HTAP, la production de prostacycline est réduite, ce qui favorise la vasoconstriction, la coagulation sanguine et la prolifération cellulaire dans les artères pulmonaires. L’utilisation thérapeutique d’analogues de la prostacycline entraîne une relaxation de la vasculature pulmonaire artérielle par l’entremise d’un effet ciblé sur cette voie.

[121] Voie de l’oxyde nitrique (NO) : Le NO est un vasodilatateur puissant qui détend les muscles lisses des vaisseaux sanguins par une stimulation de la production de GMPc, ce qui entraîne une vasodilatation. Les enzymes de la famille des phosphodiestérases (PDE), en particulier la PDE5, dégradent le GMPc. Chez les patients atteints d’HTP et d’HTAP, les taux de NO sont réduits et ceux de PDE5 augmentent, ce qui abaisse les taux de GMPc et limite la vasodilatation des artères pulmonaires. L’utilisation thérapeutique des I‑PDE5 agit sur la voie du NO en inhibant la PDE5, de façon à prévenir la dégradation du GMPc intracellulaire et à accroître la vasodilatation associée au NO.

[122] Voie de l’endothéline : L’endothéline est un puissant vasoconstricteur synthétisé et libéré par les cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins. Les cellules endothéliales vasculaires se retrouvent dans l’ensemble du système circulatoire. Il existe trois isoformes (variantes) de l’endothéline chez l’humain, l’ET-1 étant l’isoforme le plus important dans le système cardiovasculaire. L’ET-1 est un vasoconstricteur puissant à action prolongée qui agit par liaison aux récepteurs de l’endothéline. Les patients atteints d’HTAP présentent des taux élevés d’ET-1, ce qui augmente la vasoconstriction et la pression artérielle pulmonaire.

[123] Il existe deux sous-types de récepteurs de l’endothéline : ETA et ETB. Les récepteurs ETA sont relativement sélectifs envers l’ET-1 et médient un effet vasoconstricteur. Les récepteurs ETB jouent un rôle dans la clairance de l’ET-1 circulante. Les récepteurs ETB interviennent dans la vasodilatation locale en stimulant la libération de NO et de prostacycline.

[124] Les ARE bloquent les récepteurs ETA ou ETB auxquels ils se lient, les empêchant d’être activés par l’ET-1. Deux types d’ARE étaient connus et approuvés ou en cours d’élaboration pour une utilisation thérapeutique en 2006, (i) les ARE mixtes qui ciblent à la fois les récepteurs ETA et ETB et (ii) les ARE qui se lient de préférence ou de façon sélective au récepteur ETA.

[125] Les voies de la prostacycline, du NO et de l’endothéline sont illustrées dans le diagramme figurant à l’annexe C des présents motifs.

(b) Traitement de l’HTAP

[126] Classe fonctionnelle (CF) selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : Les médecins évaluent la gravité de l’HTAP selon le degré de déficience physique du patient, en se fondant sur les quatre classes fonctionnelles décrites dans un tableau élaboré par la New York Heart Association et l’OMS. La classe I correspond au degré de déficience le plus faible. Chaque classe est définie en fonction de limitations fonctionnelles qui indiquent la gravité de la maladie. Les classes fonctionnelles de l’OMS influent sur le choix du traitement et aident les médecins à surveiller la progression de la maladie.

[127] Les classes fonctionnelles de l’OMS telles qu’elles existaient en août 2006 sont présentées dans le tableau ci‑dessous :

CF de l’OMS

Description

I

Patients atteints d’hypertension pulmonaire ne présentant pas de limitation de l’activité physique. Les activités physiques habituelles n’induisent pas de dyspnée ou de fatigue excessive, ni de douleurs thoraciques ou de sensation lipothymiques.

II

Patients atteints d’hypertension pulmonaire, légèrement limités dans leur activité physique. Ces patients ne sont pas gênés au repos. Les activités physiques habituelles induisent une dyspnée ou une fatigue excessive ou des douleurs thoraciques ou des sensations lipothymiques.

III

Patients atteints d’hypertension pulmonaire, très limités dans leur activité physique. Ces patients ne sont pas gênés au repos. Les activités physiques mêmes légères induisent une dyspnée ou une fatigue excessive, des douleurs thoraciques ou des sensations lipothymiques.

IV

Patients atteints d’hypertension pulmonaire incapables de mener quelque activité physique que ce soit sans ressentir de symptômes. Ces patients ont des signes d’insuffisance cardiaque droite. Une dyspnée et/ou une fatigue peut être présente même au repos. Le handicap est augmenté par n’importe quelle activité physique.

[128] Médicaments approuvés : En 2006, des médicaments qui agissaient sur chacune des trois voies biologiques étaient approuvés. L’époprosténol, le tréprostinil et l’iloprost – des analogues de la prostacycline – ont été approuvés au milieu des années 1990, en 2002 et en 2004, respectivement. Un I‑PDE5, le sildénafil, a été approuvé pour traiter l’HTAP (en 2005). Le tadalafil était approuvé pour traiter la dysfonction érectile, mais était parfois prescrit contre l’HTAP, une utilisation non indiquée sur l’étiquette. En 2001, le bosentan, un ARE mixte, a été le premier ARE à être approuvé pour l’HTAP. Le sitaxsentan, un inhibiteur sélectif du récepteur ETA, a été le deuxième ARE à être approuvé. Il a été approuvé en Europe en 2006, mais en mai 2007 seulement au Canada. L’ambrisentan a été approuvé aux États-Unis en 2007 et approuvé au Canada et en Europe après mars 2008.

(c) Connaissances générales courantes – Avis du témoin expert de Sandoz (le Dr Zusman)

[129] Le Dr Zusman affirme que le climat régnant dans le domaine était axé sur les trois voies biologiques mentionnées ci‑dessus. Il est d’avis qu’en 2006, la personne versée dans l’art était motivée à chercher de nouveaux médicaments dans les trois classes de médicaments connues, et ajoute que l’idée de recourir à un traitement combiné pour cibler les anomalies dans les multiples voies d’une maladie était bien comprise en médecine. On savait qu’il pouvait y avoir des interactions importantes entre les voies du NO, de l’endothéline et de la prostacycline (par exemple, il avait été démontré que les prostanoïdes et le NO inhibent la libération de l’endothéline), et avec l’émergence de nouveaux traitements ciblant chacune des voies, il y avait un intérêt général à tenter de combiner des médicaments pour vérifier l’existence d’effets synergiques ou additifs.

[130] En ce qui concerne les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, le traitement combiné avait déjà été suggéré comme moyen d’agir sur plusieurs voies qui régulent le tonus vasculaire et la croissance, en vue d’améliorer la capacité fonctionnelle des patients et, éventuellement, leur survie. La personne versée dans l’art aurait et a effectivement mis à l’essai des combinaisons de médicaments appartenant à différentes classes de médicaments. Selon le Dr Zusman, ces essais portaient d’abord sur les combinaisons d’ARE et d’I‑PDE5 administrés oralement en raison de leur facilité d’administration, de leurs mécanismes d’action distincts et de leur tolérabilité acceptable.

[131] Le Dr Zusman estime que les éléments suivants faisaient partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en août 2006 (et en mars 2008) :

  1. La voie de la prostacycline avait été l’objet de recherches pour le traitement des maladies cardiovasculaires, et l’on avait supposé très tôt qu’elle présentait un intérêt relativement à l’HTAP. L’époprosténol a été introduit comme traitement de l’HTAP au début des années 1990. Bien qu’il soit efficace, l’époprosténol a une courte demi-vie à température ambiante et doit être administré de façon continue au moyen d’un cathéter intraveineux et d’une pompe. Des analogues de la prostacycline plus stables ont été mis au point; cependant, toutes les formes de prostanoïdes comportaient des limites et des effets secondaires similaires qui restreignaient leur utilisation.

  2. Les chercheurs ont étudié le potentiel des ARE en médecine vasculaire au cours des années 1990 et 2000. En 2001, la FDA a approuvé le bosentan pour le traitement de l’HTAP chez les patients des classes fonctionnelles III ou IV de l’OMS. Le mécanisme d’action du bosentan était bien compris : c’est un ARE de type sulfamide qui exerce un effet antagoniste sur les récepteurs ETA et ETB, son affinité n’étant que légèrement plus élevée pour le récepteur ETA. Le bosentan a été considéré comme un ajout notable à l’arsenal thérapeutique contre l’HTAP, à titre de médicament actif par voie orale dont le mécanisme d’action était différent de celui de l’époprosténol.

  3. Au milieu des années 2000, plusieurs sources de données avaient démontré une relation étroite entre le dysfonctionnement du système de l’endothéline et l’HTAP, et l’antagonisme des récepteurs de l’endothéline représentait une cible thérapeutique bien établie. L’élucidation du rôle de l’endothéline dans la progression de la maladie vasculaire pulmonaire, l’efficacité démontrée des ARE et les données sur les résultats à long terme ont fait des ARE des outils de premier plan, comme traitement de base, dans l’arsenal thérapeutique de l’HTAP.

  4. En 2004, l’essai clinique BREATHE-2 a montré les effets hémodynamiques bénéfiques d’un traitement associant le bosentan à l’époprosténol contre l’HTAP.

  5. Au début des années 1990, le NO inhalé était considéré comme l’un des traitements les plus efficaces contre l’HTP et l’HTAP, mais sa courte demi-vie empêchait son utilisation comme traitement de longue durée. Les faits suivants étaient connus : l’activité accrue des PDE qui dégradent le GMPc dans les cellules musculaires lisses des vaisseaux provoque une dysfonction vasculaire, caractérisée par une réponse vasoconstrictrice accrue et une réduction de la vasodilatation dépendante du NO; l’inhibition de l’activité de la PDE5 maintient des taux élevés de GMPc, ce qui améliore le cycle de relaxation et les effets vasodilatateurs associés au NO endogène; la PDE5 est la principale PDE exprimée dans la vasculature pulmonaire.

  6. Entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, trois I‑PDE5 (sildénafil, tadalafil et vardénafil) ont été approuvés et se sont révélés très efficaces contre la dysfonction érectile. On savait qu’ils avaient des affinités semblables pour la PDE5, mais que leurs caractéristiques pharmacocinétiques et leur sélectivité envers les autres PDE étaient variables. On s’attendait à ce que les I‑PDE5 aient un effet de classe commun sur la vasodilatation en raison de leur incidence sur la PDE5 (Ghofrani et coll. [2004]). Au début et au milieu des années 2000, des chercheurs ont exploré l’utilisation de différents I‑PDE5 pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. L’utilisation des I-PDE5 dans le traitement de l’HTAP est devenue un axe de recherche au début des années 2000 (Ghofrani et coll. [2004]) et, en 2006, le sildénafil a été approuvé pour l’HTAP.

  7. Au milieu des années 2000, les ARE et les prostanoïdes étaient administrés en combinaison avec des I‑PDE5 aux patients atteints d’HTAP idiopathique (HTAPI), c’est-à-dire lorsque la cause sous-jacente de l’HTAP est inconnue : (i) avant même l’approbation du sildénafil pour l’HTAP, le sildénafil et le bosentan étaient utilisés dans la pratique clinique – une série de cas concernant neuf patients atteints d’HTAPI a indiqué que la combinaison du bosentan et du sildénafil était bien tolérée et très efficace (Hoeper et coll. [2004]); (ii) les avantages potentiels à long terme d’un traitement combiné associant le bosentan et le sildénafil chez trois patients ont été signalés dans une étude distincte en août 2006 (Minai et Arroliga [2006]); (iii) le sildénafil a exercé un effet synergique marqué lorsqu’il a été administré à la suite d’une dose inhalée d’iloprost; et (iv) le sildénafil était étudié en association avec l’époprosténol intraveineux. (Pour les points (iii) et (iv), le Dr Zusman se fonde sur les déclarations des auteurs de l’étude Minai et Arroliga [2006]).

  8. Vu la redondance des voies qui régulent le tonus vasculaire et la prolifération cellulaire, on pensait que le blocage des récepteurs de l’endothéline serait au final assuré par un régime posologique combiné. En 2005, si des signes pronostiques défavorables persistaient après trois mois de traitement au bosentan, les cliniciens envisageaient l’ajout d’un prostanoïde ou de sildénafil au régime de traitement, selon les circonstances cliniques. Ce faisant, les médecins espéraient que l’ajout d’une classe de médicaments ayant un mécanisme d’action différent de celui du bosentan serait globalement bénéfique.

  9. En 2004, des données appuyaient l’approche particulière de combinaison du bosentan avec le sildénafil ou un prostanoïde. Il semblait alors que cette combinaison pouvait limiter au minimum les effets secondaires liés à la dose du bosentan. De plus, on considérait que les ARE mixtes avaient un effet de classe commun, par le blocage des récepteurs ETA et ETB, qui préviendrait les effets pathologiques de troubles liés à l’endothéline comme l’HTP et d’autres maladies associées à la vasoconstriction pulmonaire.

  10. Les récepteurs ETA étaient généralement considérés comme une cible dont l’inhibition atténuerait la vasoconstriction. Certaines études indiquaient qu’en présence d’un état d’hypertension pulmonaire, l’atteinte d’une vasodilatation maximale exigeait un blocage de l’ETA et de l’ETB, et d’autres études tendaient à démontrer un rôle protecteur de l’ETB relativement à l’HTP. En 2005, on ne savait pas quelle stratégie, entre l’antagonisme sélectif des récepteurs ETA et l’antagonisme mixte des récepteurs ETA/ETB, serait la plus avantageuse dans le traitement des maladies cardiovasculaires ou de l’HTAP. En août 2006, l’opinion générale était que l’antagonisme des deux types de récepteurs ou l’antagonisme sélectif du récepteur ETA pouvaient produire des effets bénéfiques, parce que les antagonistes sélectifs du récepteur ETB n’avaient encore aucune utilisation clinique bien définie et le seul blocage des récepteurs ETB avait nui à la clairance de l’endothéline et réduit la vasodilatation par le NO (Lee et Channick [2005]; Lee et Rubin [2005]).

  11. Au milieu des années 2000, d’autres ARE faisaient l’objet de recherches, notamment (i) le sitaxsentan, un antagoniste sélectif du récepteur ETA, qui a été approuvé pour l’HTAP au Canada et aux États-Unis en 2006 et en 2007 et qui faisait l’objet d’études expérimentales avec un I‑PDE5 pour l’hypertension et l’HTP; le sitaxsentan a ensuite été retiré du marché en raison de sa toxicité hépatique; (ii) le tézosentan, un antagoniste mixte ETA/ETB d’Actelion, qui était étudié pour l’insuffisance cardiaque aiguë et chronique; (iii) un antagoniste sélectif du récepteur ETA, le darusentan, qui était étudié pour l’insuffisance cardiaque; (iv) d’autres ARE qui étaient étudiés dans des modèles de laboratoire, des études sur des animaux ou des essais cliniques de phase I (volontaires humains en santé).

(d) Connaissances générales courantes – Opinions des témoins experts des demanderesses (le Dr Vachiery et le Dr Chakinala)

[132] Les Drs Vachiery et Chakinala ne sont pas d’accord avec le Dr Zusman sur les connaissances générales courantes. Bien qu’ils ne soient pas en désaccord important avec le Dr Zusman au sujet d’un certain nombre de « faits » sous-jacents qui ont été rapportés dans la littérature scientifique, ils sont tout à fait en désaccord avec le Dr Zusman au sujet des conclusions que la personne versée dans l’art en tire. Les Drs Vachiery et Chakinala sont d’avis que la personne versée dans l’art reconnaîtrait les hiérarchies des données probantes scientifiques et que ces hiérarchies jouent un rôle dans la façon dont cette personne aurait évalué et compris l’information disponible. Le traitement de l’HTAP en était à ses débuts en 2006. Un certain nombre d’études sur lesquelles le Dr Zusman s’est appuyé pour étayer son opinion sur les connaissances générales courantes de la personne versées dans l’art n’auraient pas été généralement connues et acceptées de la façon présentée par le Dr Zusman.

[133] Les opinions du Dr Vachiery et du Dr Chakinala sur les connaissances générales courantes sont les suivantes :

  1. L’époprosténol, approuvé en 1995, a représenté la première intervention pharmaceutique indiquée spécifiquement dans le traitement de l’HTAP. Auparavant, les médecins étaient contraints de recourir à des médicaments qui ne s’attaquaient pas directement à l’HTAP et, souvent, le seul véritable traitement était la transplantation pulmonaire ou cardio-pulmonaire. L’époprosténol était (et est toujours) un médicament efficace.

  2. Le bosentan a été le deuxième médicament, et le premier traitement oral, approuvé pour l’HTAP. Comme l’époprosténol nécessite une perfusion intraveineuse continue, le bosentan a représenté un changement radical dans le traitement de l’HTAP. Il a été approuvé en 2001 et est resté essentiellement le seul ARE approuvé jusqu’en août 2006. Deux autres ARE venaient d’être approuvés ou étaient sur le point de l’être dans certains pays à l’époque : l’ambrisentan (résultats d’essais cliniques de phase 3 en 2006, approuvé aux États-Unis en 2007 et approuvé en Europe après 2008) et le sitaxsentan (approuvé en Europe en août 2006 et plus tard au Canada, puis retiré du marché à l’échelle mondiale).

  3. Les traitements étaient approuvés en fonction des classes fonctionnelles de l’OMS : (i) En 2006, et même en 2008, il n’y avait pas de médicaments homologués spécifiquement pour les patients atteints d’HTAP de la classe fonctionnelle I de l’OMS. L’objectif premier du traitement était de ralentir la progression de l’HTAP, par opposition à l’objectif actuel, plus ambitieux, qui est d’améliorer les résultats pour les patients. Par conséquent, les patients de la classe I faisaient souvent l’objet d’une surveillance de leur état clinique, et un traitement était amorcé seulement quand leurs symptômes avaient progressé. (ii) En 2008, il y avait relativement peu d’options de traitement pour les patients de la classe II, parce que les études avaient porté sur les patients des classes III ou IV, dont la maladie était la plus grave. Les patients de la classe II étaient généralement traités par le sildénafil ou, sinon, par le tréprostinil, le seul traitement non oral approuvé pour les patients de la classe II. (iii) Pour les patients de la classe III, les traitements oraux approuvés comprenaient le bosentan puis, par la suite, le sildénafil, l’ambrisentan et le sitaxsentan (ces médicaments sont devenus accessibles à différents moments, selon le lieu de résidence des patients). Des prostanoïdes – le tréprostinil, l’iloprost et l’époprosténol – étaient également approuvés pour la classe III. iv) Si le bosentan était approuvé pour les classes III et IV, les patients de la classe IV ont de la difficulté à respirer même au repos; l’administration d’époprosténol par perfusion était donc privilégiée chez les patients de la classe IV, en raison de son efficacité présumée supérieure. Les patients de la classe IV auraient également été considérés comme candidats à la transplantation ou à l’obtention de soins palliatifs.

  4. Le bosentan est un ARE mixte qui se fixe aux récepteurs ETA et ETB. En général, ces deux récepteurs assurent des fonctions opposées, et l’on croyait qu’une sélectivité accrue pour le récepteur ETA pourrait mener à une efficacité accrue ou à une réduction des effets secondaires, comparativement aux ARE mixtes. L’intérêt suscité par les ARE mixtes tendait à diminuer, tandis que les antagonistes sélectifs du récepteur ETA s’imposaient dans le domaine. Le sitaxsentan et l’ambrisentan, les seuls ARE autres que le bosentan qui étaient près d’être approuvés en 2006, sont des antagonistes sélectifs du récepteur ETA.

  5. La personne versée dans l’art ne conviendrait pas que les ARE et les I‑PDE5 ont un effet de classe simplement parce qu’ils agissent sur les mêmes récepteurs. Cela vaut particulièrement pour les ARE, parce que la personne versée dans l’art ne savait pas si les différences d’activité à l’égard des récepteurs ETA et ETB auraient une incidence sur le traitement des patients atteints d’HTAP. Aussi, comme un seul ARE mixte avait été approuvé, on ne pouvait exclure l’existence de différences significatives entre les ARE mixtes.

  6. Les ARE n’étaient pas dépourvus de limites, et ils ne permettaient pas de guérir l’HTAP (l’HTAP reste incurable aujourd’hui); depuis 2008, l’époprosténol est resté le traitement privilégié chez les patients atteints d’HTAP sévère.

  7. Bien que le sildénafil et d’autres I‑PDE5 étaient approuvés pour la dysfonction érectile, en 2008, seul le sildénafil était approuvé pour l’HTAP.

  8. En 2006, les traitements ciblant l’HTAP avaient été étudiés et utilisés sur une courte période seulement. Il y avait un manque considérable de connaissances sur l’utilisation optimale des médicaments contre l’HTAP, y compris la question de savoir s’il était sécuritaire et efficace de les combiner. Le traitement combiné n’aurait pas été la norme de soins, faute de données probantes à l’appui.

  9. Même en 2008, la monothérapie représentait la norme de soins dans le traitement de l’HTAP, et ce, pour plusieurs raisons : (i) les essais cliniques menés à l’époque avaient comparé les traitements au placebo; (ii) les essais étaient relativement courts (environ 12 semaines) et les résultats mesurés, comme le score au test de marche de 6 minutes, n’étaient pas nécessairement révélateurs du résultat clinique; (iii) la plupart des traitements contre l’HTAP n’étaient disponibles que depuis peu et ils étaient coûteux, ce qui freinait la prescription de plus d’un traitement à la fois. Si la maladie n’était pas maîtrisée efficacement par un traitement, on mettait fin à celui-ci, et un traitement différent était amorcé (monothérapie séquentielle).

  10. Les lignes directrices de 2007 de l’American College of Chest Physicians (l’ACCP) pour le traitement de l’HTAP indiquaient que des traitements combinés contre l’HTAP étaient à l’étude, mais il n’y avait pas à l’époque de données probantes faisant consensus sur le traitement combiné. Les lignes directrices de l’ACCP ne mentionnent pas la combinaison du bosentan et du sildénafil, ni d’autres ARE et I‑PDE5. De même, les lignes directrices de la Société européenne de cardiologie (la SEC) de 2004 ne mentionnent pas le traitement combiné par des ARE et des I‑PDE5 (le sildénafil n’avait pas été approuvé pour l’HTAP lors de la publication de ces lignes directrices). Les lignes directrices de la SEC font référence au traitement combiné en général, mais lui attribuent le niveau de preuve le plus faible quant à l’efficacité (C) et le niveau de recommandation le plus faible, sans pour autant le déconseiller (classe IIb).

  11. En 2006, un essai clinique, STEP-1, a montré que l’ajout d’iloprost inhalé au bosentan était sûr et efficace, mais ces résultats étaient limités par une taille d’échantillon relativement faible (67 patients).

  12. À l’exception de STEP-1, les essais portant sur le traitement combiné étaient en cours ou n’avaient pas été concluants : (i) COMPASS-1 portant sur le bosentan et le sildénafil, et PACES portant sur le sildénafil et l’époprosténol intraveineux, étaient en cours et les résultats n’étaient pas disponibles; (ii) COMPASS-2, un essai randomisé international à grande échelle portant sur le bosentan et le sildénafil, était encore à l’étape du recrutement des patients en mars 2008; (iii) BREATHE-2, concernant le bosentan et l’époprosténol, n’avait pas atteint ses critères de jugement principaux, et les résultats n’avaient pas été concluants; (iv) COMBI, qui portait sur l’ajout d’iloprost inhalé au bosentan, avait pris fin hâtivement à la suite d’une analyse de la futilité, en l’absence d’effet positif perceptible; (v) la combinaison bosentan-sildénafil avait réduit de façon significative la concentration plasmatique de sildénafil (Paul et coll. [2005]), ce qui aurait amené la personne versée dans l’art à avoir des réserves quant aux avantages potentiels du traitement combiné.

  13. Selon les articles cités par le Dr Zusman dans lesquels la possibilité de traitements combinés était envisagée (Channick et coll. [2004]; Lee et Channick [2005]), il restait une quantité considérable de recherches à accomplir. Les études de cas sur lesquelles il s’est appuyé, notamment Hoeper et coll. (2004) et Minai et Arroliga (2006), étaient des études ou séries de cas rétrospectifs de petite envergure, qui n’ont pas fourni des données suffisantes pour conclure que la combinaison du bosentan et du sildénafil fonctionnerait chez les patients atteints d’HTAP. Ces séries de cas ne correspondaient pas à la norme de soins et visaient la formulation d’hypothèses. La personne versée dans l’art aurait besoin de plus de renseignements sur la possibilité de combiner le bosentan avec d’autres traitements contre l’HTAP ou sur la possibilité de combiner d’autres ARE.

  14. À compter de 2006, certains patients atteints d’HTAP ont reçu un traitement supplémentaire en plus de leurs traitements préexistants; ce n’était pas une pratique courante, et la décision était fondée sur une hypothèse et des données probantes anecdotiques limitées – il ne s’agissait pas de [traduction] « médecine fondée sur des données probantes ». En général, les patients recevaient un traitement supplémentaire quand le médecin traitant n’avait plus d’autres options à leur offrir que la transplantation ou les soins palliatifs (traitement de sauvetage).

(e) Analyse des connaissances générales courantes

[134] Comme je l’ai mentionné précédemment, Sandoz est d’avis que tous les documents de l’art antérieur mentionnés dans le rapport du Dr Zusman (y compris les brevets ou demandes de brevet) auraient fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Subsidiairement, elle affirme que tous les documents de l’art antérieur auraient fait partie de l’état de la technique.

[135] À quelques exceptions près (telles que les lignes directrices de l’ACCP et de la SEC sur le traitement), les experts des parties ne donnent pas d’avis définitif sur la question de savoir si une antériorité particulière était ou n’était pas généralement connue et acceptée, de sorte que sa teneur faisait partie des connaissances générales courantes. Les avis des experts sur les connaissances générales courantes portent plutôt sur des renseignements précis mentionnés dans les documents de l’art antérieur et la façon dont la personne versée dans l’art les aurait compris.

[136] Toutefois, les connaissances générales courantes et l’état de la technique sont des concepts distincts ayant des rôles différents dans l’analyse des questions en litige. La détermination des connaissances générales courantes est la première étape de l’enquête sur l’évidence, alors qu’une comparaison de l’idée originale à l’état de la technique est la troisième. L’état de la technique est l’effet cumulatif des antériorités pertinentes et est compris par la lecture des documents de l’art antérieur à la lumière des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art : Tearlab, au para 81; Beloit, au para 18; Bourns Inc. v Raychem Corp (1997), [1998] RPC 31 à la p 40.

[137] Dans certains cas, il peut y avoir peu de différences pratiques entre les connaissances générales courantes et l’état de la technique, mais, en l’espèce, la position de Sandoz est incompatible avec la preuve présentée par le Dr Zusman.

[138] Dans son rapport, le Dr Zusman indique qu’on lui a donné des instructions sur les différences entre les connaissances générales courantes et la connaissance publique connue sous le nom de l’« état de la technique ». Il fait état des instructions suivantes : la connaissance publique comprend toute divulgation publique avant le 29 août 2006, tandis que les connaissances générales courantes découlent d’une approche fondée sur le bon sens concernant ce qui serait en fait connu d’une personne versée dans l’art qui est bonne dans son travail; dans certaines industries, les connaissances générales courantes peuvent comprendre des mémoires descriptifs de brevets qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art; les connaissances générales courantes n’incluent pas nécessairement les articles scientifiques, quelle que soit l’ampleur de la diffusion – une divulgation dans un document ne se transforme en connaissance générale courante que lorsqu’elle est généralement connue et est incontestablement acceptée par la majorité des personnes travaillant dans le domaine particulier en cause.

[139] Selon le Dr Zusman, seuls les renseignements figurant aux paragraphes 44 à 104 et 124 et 125 de son rapport faisaient partie des connaissances générales courantes. Le Dr Zusman ne mentionne pas un grand nombre de documents de l’art antérieur dans ces paragraphes.

[140] En ce qui concerne particulièrement les brevets et demandes de brevet, le Dr Zusman n’examine ces documents que dans la section de son rapport qui décrit l’état de la technique. Il ne croit pas que l’un de ces documents ait fait partie des connaissances générales courantes. Certains brevets ou demandes de brevet sont considérés comme pertinents parce qu’ils auraient conduit la personne versée dans l’art à tester la combinaison d’ARE et d’I‑PDE5 ou l’ auraient conduite à combiner le macitentan avec un I‑PDE5. Voici des brevets ou demandes de brevet figurant dans le rapport du Dr Zusman :

  1. US 2004/0063731 (US 731), publié le 1er avril 2004, décrit l’utilisation d’I‑PDE5 en combinaison avec au moins un ARE;

  2. US 5,250,534, publié le 5 octobre 1993, décrit une classe d’I‑PDE5, y compris le sildénafil, pour traiter différents troubles dont l’angine de poitrine, l’hypertension et l’insuffisance cardiaque;

  3. US 5,859,006, publié le 12 janvier 1999, décrit une classe d’I‑PDE5, y compris le tadalafil, pour traiter différents troubles dont l’hypertension, l’HTP, l’angine de poitrine et l’insuffisance cardiaque congestive;

  4. WO 99/64004 (WO 004), publié le 16 décembre 1999, décrit une classe d’I‑PDE5 dite utile pour le traitement d’une vaste gamme de maladies [traduction] « associées au GMPc » dont l’hypertension, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile; la divulgation fait mention des catégories d’agents thérapeutiques qui peuvent être administrés avec l’I‑PDE5, y compris, dans le cas des antagonistes de l’endothéline, [traduction] « le bosentan, ABT-627 et ceux décrits dans le brevet américain no 5,612,359 et la demande de brevet américain no 601035,832 »;

  5. WO 00/27848, publié le 18 mai 2000, décrit des I‑PDE5, dont l’udénafil, pour le traitement de la dysfonction érectile;

  6. WO 02/053557 (WO 557) est une demande de brevet d’Actelion publiée le 11 juillet 2002 et citée à la page 1 du brevet 770; WO 557 décrit des pyrimidine-sulfamides substitués ayant une utilité comme ARE, dont certains sont sélectifs du récepteur ETA et d’autres sont à action mixte; un schéma de la structure chimique du macitentan figure parmi les schémas des structures chimiques qui forment [traduction] « un autre groupe de composés privilégiés », et le macitentan est compris dans la revendication 11, qui énumère 72 composés par leur dénomination chimique;

  7. WO 2006/026395 (WO 395) est une demande de brevet déposée par l’entreprise qui a mis au point le sitaxsentan (un antagoniste sélectif du récepteur ETA). Sa date de publication est le 9 mars 2006. WO 395 décrit des traitements combinés comprenant au moins un antagoniste du récepteur ETA et un I-PDE5; on y indique que les réalisations de l’invention seraient utiles pour traiter un certain nombre de troubles vasculaires, y compris la dysfonction érectile, l’hypertension, l’insuffisance cardiaque, les complications du diabète et l’HTAP. Le document comprend des revendications relatives à la combinaison d’un antagoniste du récepteur ETA et d’un I-PDE5 pour le traitement d’un certain nombre de problèmes de santé. Bien que WO 395 fasse mention d’une moindre efficacité des ARE non sélectifs, la personne versée dans l’art, connaissant l’efficacité du bosentan et du sildénafil, ne serait pas dissuadée d’étudier des combinaisons d’ARE mixtes et d’I‑PDE5. WO 395 décrit la mise à l’essai du sildénafil et du sitaxsentan chez des sujets humains dans le cadre d’une étude pharmacocinétique sur les interactions médicamenteuses et d’une étude sur l’efficacité; il est mentionné que des interactions médicamenteuses et des effets secondaires minimes sont observés au cours du traitement combiné, mais que l’effet thérapeutique reste satisfaisant.

[141] Je sais que le Dr Zusman a présenté à l’appui de certaines déclarations figurant dans son exposé sur les connaissances générales courantes des passages de trois brevets ou demandes de brevet (WO 004, WO 557 et WO 395); cependant, je ne comprends pas trop pourquoi il l’a fait. Les passages renvoyaient souvent à des renseignements « classiques » de base (comme les définitions de l’hypertension et de la dysfonction érectile). Les brevets ou demandes de brevet font souvent état des connaissances générales courantes comme toile de fond, mais le Dr Zusman n’indique pas que ces documents en particulier auraient été généralement connus et acceptés dans le domaine en 2006 et n’explique pas non plus pourquoi ils le seraient. Sandoz n’a pas établi que WO 004, WO 557, WO 395 ou les autres brevets ou demandes de brevet invoqués comme antériorités auraient fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en 2006.

[142] Sandoz fait valoir que le renvoi à WO 557 dans le brevet 770 constitue une admission que le macitentan a été divulgué (Shire Biochem Inc c Canada (Santé), 2008 CF 538 au para 25); toutefois, les demanderesses ne contestent pas que le macitentan a été divulgué dans WO 557 ou que WO 557 peut être considéré comme une antériorité. Il n’est pas admis que WO 557 faisait partie des connaissances générales courantes, et la preuve n’établit pas non plus que c’était le cas.

[143] Je traiterai des brevets ou demandes de brevets cités à l’étape 3 du cadre d’analyse de l’évidence. Je vais maintenant examiner le contenu des observations des parties au sujet des connaissances générales courantes.

[144] Sandoz soutient que beaucoup de choses étaient connues et généralement acceptées sur le terrain, et la personne versée dans l’art aurait pu s’attendre à ce que la combinaison du macitentan (un ARE) avec un I‑PDE5 soit utile pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction. Comme je l’ai mentionné, on savait qu’il y avait trois classes de médicaments destinés au traitement de l’HTAP, regroupés selon leur mécanisme d’action, soit les prostanoïdes, les ARE et les I‑PDE5. De plus, Sandoz décrit comme suit les connaissances générales courantes : i) les monothérapies étaient bénéfiques à court terme, mais une fraction des patients voyaient leur état se détériorer après une amélioration initiale au cours de la monothérapie; (ii) les effets de classe des médicaments connus allaient au-delà d’un mécanisme d’action commun et comprenaient des effets secondaires communs, entre autres effets communs; (iii) les traitements combinés (y compris un ARE et un I‑PDE5) étaient connus et utilisés cliniquement chez les patients atteints d’HTAP, les fondements scientifiques du traitement combiné étaient connus et compris, et le traitement combiné s’était révélé sûr et efficace chez les patients le recevant; (iv) la combinaison particulière du bosentan et du sildénafil était utilisée dans la pratique clinique.

[145] Les demanderesses peignent un autre portrait des connaissances générales courantes. Elles affirment que les effets de classe et le traitement combiné faisaient l’objet d’hypothèses seulement, et que les données probantes à l’appui du traitement combiné n’offraient pas un degré de confiance acceptable. Elles font remarquer que les traitements contre l’HTAP n’étaient disponibles que depuis peu et que l’expérience clinique de leur utilisation était limitée en 2006. Seuls deux ARE (le bosentan et le sitaxsentan) et un I‑PDE5 (le sildénafil) étaient approuvés dans au moins un pays pour l’HTAP. Le 29 août 2006, on ignorait quelles étaient les meilleures utilisations des médicaments disponibles, y compris la pertinence de les combiner et la façon dont ils devaient l’être.

[146] Les demanderesses indiquent que la monothérapie représentait la norme de soins dans le traitement de l’HTAP en 2006, en grande partie à cause du manque de données scientifiques probantes concernant les combinaisons. Un seul essai clinique contrôlé randomisé (BREATHE‑2) avait été publié relativement à un traitement combiné, en l’occurrence le bosentan combiné à l’époprosténol (un prostanoïde), évalué chez 33 patients sans que le critère de jugement principal soit atteint. Les auteurs de l’essai BREATHE-2 invitaient à la prudence en ce qui concerne l’utilisation de ces résultats et soulignaient la nécessité d’évaluer l’innocuité et l’efficacité à long terme de la combinaison à l’étude par des essais de plus grande envergure. Aucun essai clinique n’avait été réalisé ou publié sur la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5. Aucun traitement combiné n’était recommandé dans les lignes directrices d’organisations professionnelles, comme l’ACCP et la SEC, pour traiter l’HTAP, ce qui démontre le manque de connaissances à cet égard. Le Dr Vachiery est d’avis que les lignes directrices de l’ACCP indiquaient que des traitements combinés étaient à l’étude, mais qu’il n’y avait pas de données probantes faisant consensus à l’époque. Il a déclaré que des patients ont peut‑être reçu un traitement supplémentaire en plus de leur traitement préexistant, lorsque le médecin n’avait plus d’autre option que la transplantation d’organes ou les soins palliatifs, et qu’il ne s’agissait pas de médecine fondée sur des données probantes.

[147] Les demanderesses soutiennent que le Dr Zusman est un expert « engagé pour témoigner » (Beloit, au para 22; Bayer AG c Apotex Inc, 2007 CAF 243 aux para 24‑25) qui n’était pas actif sur le terrain au moment considéré et ne pouvait effectuer son examen de l’évidence que selon une vision rétrospective. Les tribunaux ont mis en garde à plusieurs reprises contre une analyse rétrospective de l’évidence : Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2020 CF 593 au para 169; Valeant Canada LP/Valeant Canada SEC c Generic Partners Canada Inc, 2019 CF 253 au para 76; Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd, 2010 CAF 188, au para 50; Beloit, au para 22. Les demanderesses font en revanche valoir que les Drs Vachiery et Chakinala sont des experts reconnus qui ont été actifs sur le terrain à tous les moments pertinents, et ils peuvent situer leurs analyses du point de vue de la personne versée dans l’art.

[148] Sandoz fait valoir que les experts des demanderesses ont écarté de façon cavalière certaines antériorités et qu’ils sont sceptiques à l’égard de tout enseignement qui n’était pas étayé par des essais cliniques. Ils ont adopté une interprétation de l’art antérieur pessimiste et axée sur la recherche de l’échec. Cette façon de faire est l’antithèse de l’attitude de la personne versée dans l’art : Free World, au para 44; Arctic Cat Inc c Bombardier Produits Récréatifs Inc, 2016 CF 1047 au para 164, conf par 2018 CAF 125; Shire Biochem Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538 aux para 64‑ 65; Apotex Inc c Sanofi-Syntholabo Canada Inc, 2008 CSC 61 au para 25. Selon Sandoz, les experts des demanderesses ont élevé les connaissances générales courantes à un niveau accepté comme un traitement courant (qui nécessiterait des données probantes d’essais cliniques), alors que les connaissances générales courantes ne doivent être qu’une bonne base pour d’autres actions. Le Dr Zusman a adopté une approche beaucoup plus juste et raisonnable, reconnaissant que la personne versée ans l’art appliquerait ses connaissances pour soigner un patient individuel, même en sachant que certaines choses n’avaient pas encore été prouvées.

[149] Sandoz déclare que le Dr Vachiery a rejeté les études de cas rapportées dans Hoeper et coll. (2004) et Minai et Arroliga (2006), ne reconnaissant pas que la personne versée dans l’art aurait été au courant des enseignements de l’art antérieur et aurait accepté ces enseignements comme un bon fondement pour les actions à venir : Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2020 CF 814 au para 130. Dans Hoeper et coll. (2004), il est fait état de l’utilisation à long terme du bosentan et du sildenafil, les auteurs déclarant que [traduction] « la combinaison du bosentan et du sildenafil pourrait être possible chez les patients atteints d’HTAPP. Cette combinaison a été bien tolérée par tous les patients et s’est avérée très efficace ». Sandoz affirme que le Dr Vachiery a admis, en contre‑interrogatoire, que Hoeper et coll. (2004) fait état de patients réels et que certains médecins respectés traitant des patients atteints d’HTAP recourraient à cette combinaison de traitements. Selon Sandoz, cette étude de cas a fourni un enseignement clé à la personne versée dans l’art, à savoir que le bosentan en combinaison avec le sildenafil était sûr et efficace. Sandoz mentionne qu’un certain nombre de publications ultérieures se sont appuyées sur l’étude de cas Hoeper et coll. (2004), y compris des articles rédigés par la Dre Clozel et les Drs Chakinala et Vachiery. En outre, Sandoz note que dans un éditorial de McLaughlin et Hoeper (2005), les auteurs ont écrit ceci : [traduction] « [p]our nous, la question n’est pas le bosentan ou le sildenafil, mais le bosentan et le sildenafil? ».

[150] Comme il est indiqué dans la section qui décrit la preuve, Sandoz souligne également les relations continues entre les Drs Vachiery et Chakinala et les demanderesses. J’ai tenu compte de cette critique, d’autant plus que les relations se sont étendues à des projets visant le macitentan en particulier, et les Drs Vachiery et Chakinala n’ont pas divulgué dans leurs rapports d’experts les détails et l’étendue de leur relation avec les demanderesses. J’étais attentif aux signes de partialité possibles et n’en ai perçu aucun. Les deux experts ont fourni des opinions raisonnées et expliqué pourquoi leurs opinions divergeaient de celles du Dr Zusman. Ils n’ont pas adopté de position déraisonnable en contre-interrogatoire.

[151] Les Drs Vachiery et Chakinala ont parfois signalé l’absence de données probantes dans l’art antérieur permettant d’établir l’innocuité et l’efficacité des traitements combinés pour l’HTAP. Il ne s’agit pas d’une considération sans importance, car elle est liée à la question de savoir si la personne versée dans l’art serait menée dans une direction particulière. Toutefois, le brevet 770 ne divulgue pas un avantage de la combinaison revendiquée en ce qui a trait à son innocuité ou son efficacité et j’ai tenu compte de ce point lorsque je me suis penchée sur la différence entre l’idée originale et l’état de la technique à l’étape 4.

[152] Je suis d’accord avec Sandoz pour dire que les experts des demanderesses ont parfois critiqué de manière excessive les enseignements de l’art antérieur qui n’étaient pas étayés par des essais cliniques contrôlés. Selon ces experts, les séries ou études de cas comme celles dont il est fait état dans les publications Hoeper et coll. (2004) et Minai et Arroliga (2006) n’étaient que des [traduction] « générateurs d’hypothèses ». Or, à mon avis, les hypothèses avaient déjà été formulées et les résultats d’études de cas qui faisaient état de l’administration conjointe aux patients de deux médicaments ou plus contre l’HTAP auraient été dignes de mention parce que ces études ont présenté des données probantes à l’appui de ce traitement novateur qui était fondé sur une combinaison de deux médicaments.

[153] Toutefois, la personne versée dans l’art évaluerait la qualité de la preuve et en tiendrait compte. À cet égard, j’accepte les opinions des Drs Vachiery et Chakinala selon lesquelles les études de cas concernant l’administration de bosentan et de sildénafil aux patients ne démontraient pas que les ARE et les I‑PDE5 pouvaient être combinés pour traiter l’HTAP. Même pour la combinaison particulière du bosentan et du sildénafil, ces études établissaient de façon préliminaire, et non définitive, l’efficacité de cette combinaison chez les patients qui avaient participé à l’étude. C’est ce qu’ont conclu les auteurs dans Hoeper et coll. (2004) : [traduction] « les données présentées établissent de façon préliminaire que la combinaison du bosentan et du sildénafil peut être sûre et efficace chez certains patients atteints d’HTAP idiopathique; le raisonnement théorique tend à démontrer un effet de la combinaison, mais il se pourrait que le passage au sildénafil aurait été aussi efficace que la combinaison du bosentan et du sildénafil ». La reconnaissance du fait que l’effet observé chez ces patients ait pu être attribuable au sildénafil seulement, plutôt qu’à la combinaison du bosentan et du sildénafil, est importante.

[154] Cette question n’avait pas été résolue au moment de la publication de Minai et Arroliga (2006), en août 2006. Les auteurs ont rendu compte des observations relatives à trois patients qui ont reçu l’ajout de sildénafil comme [traduction] « traitement de sauvetage ». Chez le premier patient, le sildénafil a été ajouté comme traitement de sauvetage à la suite d’une aggravation des symptômes malgré la prise de bosentan. Chez les deux autres patients, le sildénafil a été utilisé comme traitement de sauvetage pour permettre l’interruption de l’époprosténol intraveineux ou du tréprostinil sodique sous-cutané. Les auteurs ont noté [traduction] « l’insuffisance des données probantes objectives » et ont déclaré que, malgré les études préliminaires, on ne savait toujours pas si le traitement combiné surpassait réellement la monothérapie.

[155] De plus, le Dr Chakinala était d’avis que l’absence de données probantes scientifiques concernant les traitements combinés se dégageait des lignes directrices sur le traitement. Dans les lignes directrices de l’ACCP sur le traitement publiées en 2007 (fondées sur un examen des données probantes jusqu’au 1er septembre 2006), on parlait des traitements combinés comme d’une question ouverte. Ces lignes directrices indiquaient que des essais étaient en cours et que, jusqu’à ce que des données probantes supplémentaires soient disponibles, [traduction] « un traitement complémentaire ou combiné pourrait être envisagé dans le contexte d’une inscription à des essais cliniques ». Selon le Dr Chakinala, les recommandations relatives au traitement combiné figurant dans les lignes directrices de la SEC sur le traitement s’appuyaient sur le [traduction] « niveau données probantes le plus faible qui soit quant à l’efficacité » et constituaient le [traduction] « niveau le plus faible de recommandation qui soit tout en restant une recommandation ».

[156] Sandoz soutient que la qualification des recommandations faite par le Dr Chakinala induit en erreur. Les lignes directrices de la SEC sur le traitement ont été admises comme faisant partie des connaissances générales courantes, et le traitement combiné a été approuvé avec le même niveau de recommandation que les anticoagulants, l’oxygène, les bloqueurs de canaux calciques et d’autres thérapies qui, malgré un « faible » niveau de données probantes, étaient tous utilisés pour traiter les patients atteints d’HTAP. Les traitements combinés qui n’avaient pas fait l’objet d’essais randomisés et contrôlés ont néanmoins été approuvés dans les lignes directrices et non découragés (ce qui aurait été désigné comme une recommandation de classe III).

[157] Je ne suis pas d’accord pour dire que la caractérisation du Dr Chakinala est trompeuse. Le traitement combiné n’a pas été particulièrement découragé, mais les lignes directrices reflètent le fait qu’il n’y avait pas encore de consensus dans le milieu sur les traitements combinés et leur rôle. Ceux qui se trouvaient sur le terrain suivaient l’évolution de la situation, mais ils ont reconnu que des questions importantes n’avaient pas été résolues.

[158] Sandoz mentionne également des déclarations figurant dans les publications Channick et coll. (2004), Lee et Channick (2005) et Lee et Rubin (2005). Dans Channick et coll. (2004), les auteurs ont déclaré [traduction] « [qu’]il serait possible de recourir au bosentan en combinaison avec d’autres médicaments, comme un prostanoïde ou le sildénafil ». Dans Lee et Rubin (2005), les auteurs ont inclus le traitement combiné parmi les traitements recommandés pour l’HTAP, et dans Lee et Channick (2005), les auteurs ont confirmé que [traduction] « la combinaison du bosentan et du sildénafil est déjà utilisée dans la pratique clinique ». Le Dr Chakinala a déclaré que, dans Channick et coll. (2004), on a réaffirmé l’existence d’un espoir de recourir à des traitements combinés dans le domaine, et il a admis que la mention, dans Lee et Channick (2005), de l’ajout du sildénafil au traitement existant par le bosentan correspondait à une forme de traitement de sauvetage. Sandoz fait remarquer que, même s’il soutient que personne ne savait quels composés combiner ni ne connaissait l’innocuité des combinaisons, le Dr Vachiery a admis que la combinaison du bosentan et du sildénafil avait été utilisée dans la pratique clinique.

[159] J’accepte les opinions des Drs Vachiery et Chakinala selon lesquelles la personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce que la combinaison de tout ARE avec une I‑PDE5 soit utile pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, y compris l’HTAP. Je conclus que la personne versée dans l’art considérerait qu’il n’y avait pas un niveau de confiance acceptable envers l’efficacité du traitement combiné bosentan-sildénafil. Il y avait des éléments positifs et encourageants à cet égard; cependant, les données étaient limitées. La personne versée dans l’art aurait jugé les données probantes insuffisantes pour extrapoler, sur la base de mécanismes d’action communs, les enseignements sur le bosentan et le sildénafil à toute combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5.

[160] Dans Channick et coll. (2004), les auteurs faisaient référence à une étude sur l’époprosténol et le bosentan combinés, et considéraient la combinaison du bosentan avec d’autres agents thérapeutiques comme une question qui [traduction] « demeure sans réponse ». De même, Lee et Rubin (2005) incluait le traitement combiné comme une option à envisager lorsque la monothérapie n’amenait aucune amélioration ni détérioration chez un patient; toutefois, dans l’algorithme de traitement, les auteurs ont ajouté un point d’interrogation à côté du « traitement combiné » et une note de bas de page indiquant que des régimes de traitement combiné complémentaires faisaient l’objet d’essais. Dans Lee et Channick (2005), la mention de l’utilisation d’une combinaison de bosentan et de sildénafil dans la pratique clinique renvoie à l’étude de cas Hoeper et coll. (2004), et pour les raisons que j’ai mentionnées ci-dessus, cette étude de cas n’établit pas l’efficacité du traitement combiné bosentan-sildénafil.

[161] En outre, je ne suis pas d’accord avec Sandoz pour dire que la personne versée dans l’art a été orientée vers la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 en particulier, ou même orientée vers le traitement combiné. Je conclus que les antériorités invoquées par le Dr Zusman ne montrent pas que les spécialistes du domaine s’intéressaient particulièrement au traitement combinant un ARE et un I‑PDE5, ni qu’un mouvement s’opérait en ce sens. Conformément aux avis d’experts des Drs Vachiery et Chakinala, ces documents font état de nombreux progrès graduels, sans orientation perceptible vers l’utilisation d’ARE en combinaison ni même d’un traitement combiné de façon générale en 2006. Je préfère la preuve présentée par les Drs Vachiery et Chakinala qui, comme spécialistes du domaine à l’époque, sont mieux placés pour juger de la façon générale dont la personne versée dans l’art aurait perçu les travaux de recherche. En outre, je considère que leurs opinions correspondent plus étroitement au sens des passages de l’art antérieur lorsqu’ils sont lus dans leur contexte. Les documents sur lesquels le Dr Zusman s’est appuyé n’accordaient pas une importance aussi grande qu’il le laisse entendre aux traitements combinés ou au traitement combinant un ARE et un I‑PDE5. L’orientation que le Dr Zusman discerne dans sa sélection de passages tirés des antériorités n’est pas évidente lorsqu’on lit ces passages dans le contexte de ces documents, pris individuellement ou collectivement.

[162] Le Dr Zusman fait référence à trois articles de synthèse publiés vers août 2006 : Lee et Channick (2005), Lee et Rubin (2005) et McLaughlin et McGoon (septembre 2006). Selon ces articles, de multiples avenues étaient explorées, et les résultats déclarés, qu’ils soient positifs ou négatifs, présentaient un intérêt. Dans Lee et Rubin (2005), les auteurs notent l’absence de comparaisons prospectives directes entre les différents médicaments contre l’HTAP, ce qui aurait permis de privilégier un traitement plutôt qu’un autre. Cet article indique également que la déclaration consensuelle d’experts sur l’hypertension pulmonaire primitive (maintenant appelée HTAP) de l’ACCP, dont la version publiée en 1993 faisait 14 pages, avait [traduction] « évolué en une monographie de 92 pages, fondée sur des données probantes mises à jour », ce qui montre l’ampleur croissante des décisions relatives au traitement. Les auteurs ont ajouté des commentaires sur le traitement combiné, mais à cet égard, ils ont écrit que l’ajout d’un deuxième médicament contre l’HTAP peut être raisonnable chez les patients dont l’état se détériore ou dont la réponse à la monothérapie est sous-optimale, et qu’une [traduction] « poignée de séries de cas et d’études de cohortes observationnelles ont montré de façon préliminaire des résultats prometteurs quant à l’utilisation de diverses combinaisons de traitement complémentaire séquentiel ». Le Dr Zusman a souligné qu’il pouvait y avoir [traduction] « des interactions importantes entre les voies du NO, [de l’endothéline] et de la prostacycline » pour justifier son opinion selon laquelle les interactions entre les voies constituaient une cible d’intérêt. Toutefois, cette déclaration (faite dans Lee et Channick (2005) et Lee et Rubin (2005)) montrait que les interactions entre les voies n’étaient pas entièrement comprises.

[163] En plus des voies du NO, de l’endothéline et de la prostacycline, McLaughlin et McGoon (2006) décrit d’autres mécanismes impliqués dans l’HTAP. Dans l’analyse du traitement combiné effectuée dans McLaughlin et McGoon (2006), on fait remarquer que les données probantes sur l’administration de bosentan en traitement combiné incluaient une étude avec l’époprosténol qui n’avait pas démontré d’avantage, que d’autres résultats d’étude étaient attendus sous peu et que davantage d’études étaient en cours.

[164] Je conclus que la recherche dans ce domaine progressait dans de multiples directions, sans mettre l’accent sur les ARE, sur la voie de l’endothéline, sur le traitement combiné de préférence à la monothérapie, ou sur une combinaison particulière de médicaments pour traiter l’HTAP. La recherche ne visait pas les combinaisons d’ARE et d’I‑PDE5 de façon particulière.

[165] En résumé, je conclus que l’état des connaissances générales courantes en 2006 était que de multiples domaines de recherche étaient explorés et que ces recherches n’étaient pas axées sur les traitements combinés pour l’HTAP; il s’agissait d’une voie explorée en plus d’un certain nombre de pistes de recherche sur de nouvelles monothérapies. La littérature scientifique sur l’administration conjointe de bosentan et de sildenafil fournissait des données probantes préliminaires tendant à indiquer que cette combinaison était efficace, mais des questions demeuraient quant à la question clé de savoir si les résultats étaient attribuables à la combinaison. Des données probantes positives pour certains traitements combinés commençaient à s’accumuler, mais il s’agissait du début des traitements ciblant l’HTAP et les données probantes à l’appui d’un traitement combiné étaient limitées.

(4) Étape 2 : Définir l’idée originale

[166] Les parties font valoir que les revendications invoquées ne sont pas ambiguës et que l’idée originale de chaque revendication est facilement discernable à la lecture des revendications sans avoir à recourir à la divulgation du brevet 770. Bien que la divulgation du brevet 770 indique que le breveté [traduction] « a étonnamment constaté que la combinaison de [macitentan] avec un composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 entraîne un effet synergique inattendu dans le traitement des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction », les parties et leurs experts conviennent qu’un effet synergique ne fait pas partie de l’idée originale. Par conséquent, elles soutiennent que l’idée originale de la revendication 21 est l’utilisation du macitentan en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction chez les patients humains. L’idée originale des revendications 22 à 31 est la même, sauf que ces revendications renvoient expressément aux I‑PDE5 (revendications 22 à 25), aux maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction (revendications 26 à 28), ou aux deux (revendications 29 à 31).

[167] Je suis d’accord avec les parties sur les points ci-dessus. Il ne s’agit pas d’un cas où des détails supplémentaires tirés du mémoire descriptif du brevet tout entier permettent de « comprendre pleinement et équitablement » le concept inventif d’une ou de plusieurs revendications : Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2020 CF 1189 au para 173. Quoi qu’il en soit, il n’y a à mon avis aucune différence entre l’idée originale qui se dégage de la lecture seule des revendications invoquées et celle qui se dégage des renseignements supplémentaires figurant dans le mémoire descriptif du brevet 770 : Sanofi, au para 77; Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 52 aux para 67‑69. Je suis d’accord pour dire que la personne versée dans l’art ne comprendrait pas que la synergie fait partie du concept inventif. Elle comprendrait que la déclaration au sujet de la synergie renvoie aux résultats observés dans des expériences menées sur des rats.

[168] Comme on l’a vu précédemment, la demande de brevet WO 557 a été déposée par Actelion et revendiquait un groupe de composés qui agissent comme ARE, l’un d’eux étant le macitentan. Sandoz affirme que le brevet 770 ne contient pas de description de la sélection de macitentan et suppose simplement que le macitentan est un composé qui était déjà divulgué et connu. Les demanderesses ne peuvent pas « importer » une sélection de macitentan (parmi les nombreux composés divulgués dans WO 557) dans l’idée originale des revendications invoquées. En outre, Sandoz déclare que les demanderesses devraient être tenues d’admettre que le brevet 770 n’est pas un brevet de sélection, admission qu’elles ont faite dans le cadre d’une autre instance.

[169] En ce qui concerne l’admission alléguée, même si j’étais encline à considérer que les demanderesses sont liées par une déclaration qu’elles ont faite dans le cadre d’une autre instance, l’admission invoquée se résume uniquement à une affirmation selon laquelle le brevet 770 n’est pas un brevet de sélection selon la description qui est faite d’un tel brevet dans l’arrêt Sanofi, à savoir un deuxième brevet portant sur un sous-ensemble de composés faisant partie d’une catégorie plus large de composés revendiqués dans un brevet antérieur, les composés de ce sous‑ensemble étant choisis pour une qualité particulière qui leur est propre. Dans un brevet de sélection, la découverte que les éléments sélectionnés possèdent un avantage important (ou évitent un inconvénient) par rapport à la classe revendiquée antérieure est l’idée originale à l’origine de la nouvelle revendication qui se distingue de la revendication antérieure uniquement par le nombre de composés couverts. Ce n’est pas le cas du brevet 770. L’invention du brevet 770 porte sur une combinaison. Toutes les revendications invoquées comprennent une limitation « en combinaison » avec un I‑PDE5, et cette limitation n’est pas revendiquée dans WO 557.

[170] Il ne fait aucun doute que le macitentan fait partie de l’idée originale pour chaque revendication invoquée. Si le macitentan n’était pas déjà reconnu dans l’art antérieur comme étant un composé devant être combiné à un I‑PDE5, la personne versée dans l’art aurait dû faire cette étape, sauf s’il n’était pas nécessaire de désigner expressément le macitentan parce qu’on s’attendait à ce que tout ARE fonctionne.

[171] En résumé, l’idée originale des revendications invoquées est l’utilisation du macitentan en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, ou l’utilisation du macitentan en combinaison avec des I‑PDE5 précis ou pour des maladies précises selon les allégations dépendantes.

(5) Étape 3 : Les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

(a) Les observations des parties

[172] Sandoz fait valoir qu’en raison de l’effet cumulatif des antériorités pertinentes – l’état de la technique –, les effets de classe des traitements disponibles étaient connus et auraient conduit la personne versée dans l’art à combiner les monothérapies dans l’espoir que les traitements combinés fonctionnent à cause de leurs mécanismes d’action différents. Il y a eu de nombreuses divulgations de l’utilisation d’un ARE en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, y compris l’HTP et l’HTAP. Des traitements combinés (y compris un ARE avec un I‑PDE5) ont en fait été utilisés dans la pratique clinique pour traiter l’HTAP, et les patients ont eu une réponse sûre et efficace.

[173] Par conséquent, Sandoz soutient que la seule différence entre l’état de la technique et l’idée originale est que celle‑ci limite au macitentan l’ARE qui serait combiné avec un I‑PDE5. Sandoz déclare que le macitentan était connu et a été considéré comme l’ARE de « nouvelle génération », et la personne versée dans l’art a simplement besoin de prendre le macitentan et de le combiner avec un I‑PDE5 pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, comme l’enseignent les publications de l’art antérieur.

[174] Comme on l’a vu, Sandoz soutient que l’état de la technique comprend l’ensemble des connaissances générales courantes et tout art antérieur qui n’est pas reconnu comme faisant partie des connaissances générales courantes. Dans la présente section, j’ai examiné l’effet cumulatif des antériorités dont il a été question précédemment lors de l’analyse des connaissances générales courantes et des autres antériorités qui, selon Sandoz, font partie de l’état de la technique.

[175] Sandoz répète ses prétentions concernant les connaissances générales courantes et soutient que les documents suivants sont importants pour illustrer l’état de la technique, pour les raisons résumées ci-dessous. Les documents suivis d’un astérisque ont déjà été examinés dans la section sur les connaissances générales courantes :

  • a)US 5,859,006 (1999) (US 006) a divulgué une classe d’I‑PDE5, y compris le tadalafil, pour traiter différents troubles dont l’hypertension, l’HTP, l’angine de poitrine et l’insuffisance cardiaque congestive, ainsi que la possibilité d’utiliser les I‑PDE5 en combinaison avec d’autres agents thérapeutiques.

  • b)WO 004 (1999) a divulgué une classe d’I‑PDE5 pour le traitement des maladies cardiovasculaires, ainsi que la possibilité de les utiliser en combinaison avec d’autres agents thérapeutiques, y compris des ARE comme le bosentan.

  • c)US 731 (2004) a étendu ce concept à un large éventail d’ARE. Il a décrit l’utilisation d’un I‑PDE5 en combinaison avec au moins un ARE pour le traitement de maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. L’ARE privilégié était le bosentan ou d’autres ARE connus à l’époque.

  • d)Hoeper et coll. (2004)* a fourni un enseignement clé à la personne versée dans l’art, à savoir que le bosentan en combinaison avec le sildénafil était sûr et efficace.

  • e)Selon Channick et coll. (2004)*, il serait possible de recourir au bosentan en combinaison avec d’autres médicaments, et selon Lee et Channick (2005)*, le bosentan et le sildénafil étaient utilisés dans la pratique clinique.

  • f)Dans Lee et Rubin (2005)*, il est mentionné que l’ajout d’un deuxième médicament pour traiter l’HTAP peut être raisonnable chez les patients dont l’état se détériore au cours de la monothérapie et que le traitement combiné pourrait accroître l’efficacité tout en réduisant au minimum la toxicité; le traitement combiné y figure parmi les traitements recommandés pour l’HTAP.

  • g)WO 395 (mars 2006) a notamment revendiqué l’utilisation d’un I‑PDE5 avec un ARE pour le traitement de l’HTP ou d’une maladie vasculaire. On y mentionne plus de 30 ARE mixtes ou sélectifs du récepteur ETA qui étaient en cours d’élaboration. Le Dr Vachiery omet d’inclure WO 395 dans l’examen de l’art antérieur qu’il présente dans son rapport. Il a admis, en contre‑interrogatoire, que la revendication 6 de WO 395 englobe les ARE mixtes qui n’ont pas de sélectivité préférentielle envers le récepteur ETA ou ETB.

  • h)WO 2006/051502 (mai 2006) (WO 502) : La Dre Clozel est une inventrice nommée dans WO 502, qui divulgue divers ARE pour le traitement, entre autres, de l’hypertension, de l’HTP, des maladies coronariennes, de l’hypertension portale et des complications diabétiques. Ces ARE peuvent être administrés oralement. À l’exception des composés couverts et des résultats des essais sur les composés (p. ex. l’activité vis-à-vis des récepteurs ETA/ETB), la divulgation de WO 502 est la même que celle de WO 557. WO 502 a révélé l’affinité envers les récepteurs ETA et ETB de deux ARE fournis à titre d’exemples. La Dre Clozel a admis que la seule différence entre le macitentan et l’exemple 1 de WO 502 est le groupe hydroxyle, et la seule différence entre le macitentan et l’exemple 2 de WO 502 est la substitution d’un groupe carboxyle à la place du groupe méthyle :

 

MAC (ExP1; ExD12)

WO502 Exemple 1 (ExD15)

WO502 Exemple 2 (ExD15)

  • i)Minai et Arroliga (août 2006)* rend compte des résultats d’un traitement de longue durée par le bosentan et le sildénafil chez trois patients atteints d’HTAP dont l’état s’est amélioré et chez qui la combinaison a été bien tolérée.

[176] Les demanderesses font valoir que les différences suivantes distinguent l’état de la technique et l’idée originale de la revendication 21 : (i) le macitentan était en fait inconnu de la personne versée dans l’art en 2006; seule la structure chimique du macitentan avait été divulguée dans WO 557 (c’était le seul document qui faisait mention du composé), et l’on ne savait rien de ses perspectives, ses propriétés ou ses utilisations précises; (ii) on ne savait pas si tout ARE associé à un I‑PDE5 serait efficace contre n’importe quelle maladie, y compris l’HTP et l’HTAP; (iii) les interactions entre le bosentan et le sildénafil incitaient à éviter l’utilisation combinée; (iv) on ne savait pas si les ARE avaient un effet de classe et, de ce fait, s’il était possible d’extrapoler les propriétés du macitentan à partir de ce que l’on savait des autres ARE – les différences de structure chimique et de sélectivité pour le récepteur ETA ou ETB n’incitaient pas à croire à l’existence d’effets de classe. En outre, ce qui distingue l’état de la technique et l’idée originale des revendications 22 à 31 serait l’utilisation d’I‑PDE5 particuliers et les maladies précises qui sont traitées.

[177] En ce qui concerne WO 557, les demanderesses indiquent que le macitentan n’est que l’un des nombreux composés qui y sont divulgués en raison de leur activité antagoniste sur les récepteurs de l’endothéline, et que sa structure chimique y est divulguée. WO 557 comprend des tableaux des données qui indiquent l’activité antagoniste de nombreux autres composés sur les récepteurs de l’endothéline, mais pas celle du macitentan. Par conséquent, il n’enseigne pas à la personne versée dans l’art que le macitentan est le composé à utiliser en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter l’HTAP.

[178] Les demanderesses font valoir que l’art antérieur décourageait le traitement combiné. Plus précisément, une étude pharmacocinétique (Paul et coll. (2005)) a révélé que le bosentan diminuait significativement la concentration plasmatique de sildénafil. La demande de brevet WO 395 décrivait une étude sur le bosentan et le sildénafil qui a été interrompue en raison d’interactions pharmacocinétiques problématiques entre les médicaments. L’art antérieur n’incitait pas à prévoir l’existence d’effets de classe parmi les ARE. En 2006, la personne versée dans l’art connaissait l’incertitude entourant l’utilisation d’antagonistes mixtes ETA/ETB plutôt que d’antagonistes sélectifs du récepteur ETA. En outre, le bosentan était le seul ARE approuvé en 2006, et comme l’a ensuite montré le retrait du marché du sitaxsentan, les ARE ont des profils d’innocuité différents.

[179] En ce qui concerne US 006, le Dr Zusman renvoie à une déclaration figurant dans le brevet selon laquelle les I‑PDE5 divulgués [traduction] « peuvent également être employés en combinaison avec d’autres agents thérapeutiques qui peuvent être utiles dans le traitement des maladies susmentionnées ». Selon le Dr Zusman, cette déclaration démontre que dès 1999, au moment de la mise au point de nouveaux I‑PDE5 utiles pour traiter des troubles dans lesquels intervient la vasoconstriction, la personne versée dans l’art [traduction] « songeait à des traitements combinés ». Il ne fait aucun doute que la personne versée dans l’art songeait à la possibilité de traitements combinés en 2006. Cela ressort clairement de multiples documents de l’art antérieur. Toutefois, ce brevet (qui date de 1999) n’a pas permis de résoudre les incertitudes dans le domaine ni d’ajouter à l’ensemble des connaissances décrites dans l’analyse des connaissances générales courantes. Sandoz ne mentionne pas aucun aspect de ce brevet qui change le paysage sur ce qui était connu du traitement combiné en 2006.

(b) Analyse

[180] En ce qui concerne WO 004 et US 731, je souscris à l’opinion du Dr Vachiery. WO 004 mentionne le bosentan comme l’un des nombreux composés potentiels qui peuvent être utilisés en combinaison avec les I‑PDE5 qui sont divulgués. US 731 discute de la combinaison d’un I‑PDE5 avec des ARE, mais ne présente pas de données d’essais précliniques ou cliniques à l’appui. J’ajouterais que WO 004 ne présente pas non plus de données d’essais précliniques ou cliniques sur le traitement combiné, malgré une revendication renvoyant aux composés lorsqu’il a y a administration avec un autre inhibiteur de PDE du GMPc, un prostanoïde, un agoniste α‑adrénergique, un antagoniste de l’endothéline, un antagoniste de l’angiotensine AT1, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, un inhibiteur de la rénine ou un agoniste du récepteur 5-HT2C de la sérotonine. La personne versée dans l’art ne considérerait pas WO 004 et US 731 comme la preuve que tout ARE serait utile en combinaison avec un I‑PDE5.

[181] Parmi les brevets ou demandes de brevet, WO 395 est l’antériorité la plus pertinente. Il s’agit d’une demande de brevet déposée par le concepteur du sitaxsentan (un antagoniste sélectif du récepteur ETA) et publiée le 9 mars 2006. WO 395 décrit des traitements combinés comprenant au moins un antagoniste du récepteur l’ETA et un I‑PDE5.

[182] Contrairement à la prétention de Sandoz selon laquelle le Dr Vachiery avait omis de mentionner WO 395 comme antériorité, le Dr Vachiery traite de WO 395 dans son rapport d’expert. Les Drs Vachiery et Chakinala affirment que WO 395 indique à la personne versée dans l’art la nécessité de mettre au point un antagoniste sélectif du récepteur ETA plutôt que des ARE mixtes, particulièrement lorsqu’il est utilisé en combinaison avec un I‑PDE5. Sandoz souligne que le Dr Chakinala a admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas lu WO 395. Bien qu’il soit surprenant que le Dr Chakinala ait donné une opinion sur un document qu’il n’a pas lu, il a expliqué en contre-interrogatoire qu’il connaissait déjà les mêmes renseignements grâce à d’autres sources et qu’il savait que l’information était factuellement correcte.

[183] À mon avis, WO 395 est venu bonifier l’art antérieur en faisant état des résultats positifs de la combinaison du sitaxsentan et du sildénafil chez des sujets humains, mais sans divulguer les résultats eux-mêmes. Une seule déclaration rendait compte des résultats de l’étude sur l’efficacité : [traduction] « [u]ne interaction médicamenteuse et des effets secondaires minimes surviendront avec la combinaison [sitaxsentan] et sildénafil dans les groupes (iv) et (v), alors que l’effet thérapeutique restera satisfaisant ». WO 395 a contribué à l’ensemble des connaissances grâce aux quelques renseignements fournis sur cet ARE utilisé en combinaison avec le sildénafil; toutefois, les renseignements ne permettent pas à la personne versée dans l’art de conclure à l’efficacité d’un ARE qui serait combiné au sildénafil ou à un autre I‑PDE5. En fait, ils laissent entendre le contraire. WO 395 indique que le sitaxsentan est un antagoniste sélectif du récepteur ETA et qu’il diffère du bosentan, un antagoniste mixte des récepteurs ETA et ETB. Il y est dit que [traduction] « [l]’utilisation d’un récepteur non sélectif [de l’endothéline] interfère avec des voies multiples, tandis que l’utilisation d’un antagoniste spécifique du récepteur ETA agit de façon complémentaire pour les voies multiples (PDE et/ou prostacycline et/ou ETA) afin d’assurer une efficacité et/ou des régimes posologiques supérieurs et/ou une réduction des effets secondaires ».

[184] Passant à WO 502, Sandoz a déposé ce document comme pièce lors du contre‑interrogatoire de la Dre Clozel. Aucun expert n’a émis d’avis sur ce document; par conséquent, il n’y a aucune preuve d’opinion d’expert expliquant l’enseignement qui s’y trouve ou ce qu’en comprendrait la personne versée dans l’art. En tout état de cause, Sandoz n’explique pas la façon dont ce document informe la personne versée dans l’art du traitement combiné visant les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction.

[185] En conclusion, bien que Sandoz s’appuie sur les brevets ou demandes de brevet mentionnés ci-dessus pour soutenir qu’il y a déjà eu des divulgations au sujet de l’utilisation d’un ARE en combinaison avec un I‑PDE5 pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, y compris l’HTP et l’HTAP, les documents clés appuyant la position de Sandoz selon laquelle les effets de classe des traitements disponibles étaient connus restent les mêmes documents qui ne sont pas des brevets ou demandes de brevet que j’ai déjà examinées dans l’analyse des connaissances générales courantes. Pour les raisons expliquées dans la présente section, la personne versée dans l’art n’aurait pas considéré que les données disponibles concernant une combinaison de bosentan et de sildenafil étaient suffisamment probantes pour penser que l’on pouvait appliquer ces résultats à des combinaisons d’autres médicaments dans ces classes, en fonction de leurs mécanismes d’action communs. Aucun des documents additionnels, eu égard aux points examinés dans la section sur les connaissances générales courantes, ne change la situation. L’effet cumulatif des antériorités pertinentes, c’est-à-dire l’état de la technique, n’aurait pas conduit la personne versée dans l’art à combiner les monothérapies dans l’espoir que les traitements combinés seraient efficaces en raison de leurs mécanismes d’action différents.

[186] Je ne suis pas d’accord avec Sandoz pour dire que la seule différence entre l’état de la technique et l’idée originale est de limiter au macitentan l’ARE qui serait combiné avec un I‑PDE5. La personne versée dans l’art ne se concentrait pas sur les traitements combinés avec un ARE et un I‑PDE5, ne s’attendait pas à ce qu’un ARE puisse être combiné à un I‑PDE5 pour une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction et ne comprenait pas qu’il y aurait un effet de classe pour les ARE s’ils étaient utilisés en combinaison avec d’autres médicaments (y compris les I‑PDE5), compte tenu particulièrement des enseignements divergents sur l’incidence de la sélectivité des récepteurs ETA et ETB.

(6) Étape 4 : La différence était-elle évidente?

[187] Comme on l’a vu, Sandoz soutient que la seule différence entre l’état de la technique et l’idée originale est de limiter l’ARE au macitentan, ce qui était évident pour la personne versée dans l’art. L’inventrice, la Dre Clozel, ne faisait que ce qui avait déjà été fait et ce que la personne versée dans l’art pensait à l’époque : administrer en combinaison deux médicaments ayant deux mécanismes d’action différents. Sandoz soutient que la revendication 21 est évidente parce que tout ce que la personne versée dans l’art doit faire est de prendre le macitentan, un ARE de nouvelle génération, et de le combiner avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, comme l’enseignent les antériorités. En ce qui concerne la limitation de l’I‑PDE5 au sildenafil, au vardenafil, au tadalafil et à l’udenafil, il s’agissait d’I‑PDE5 et, par conséquent, les allégations 22 à 31 auraient également été évidentes pour la personne versée dans l’art.

[188] Comme je l’ai expliqué dans l’introduction de l’analyse de l’évidence, j’ai examiné la question de savoir si la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que toute combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 soit utile pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, compte tenu des effets de classe connus. Cela permettrait d’éviter la nécessité de désigner le macitentan. Pour les raisons que j’ai données, je conclus que la personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce qu’un ARE combiné à un I‑PDE5 soit efficace. L’invention n’était pas évidente en raison du fait que le macitentan est un ARE et qu’on s’attendrait à ce que tout ARE combiné à un I‑PDE5 soit efficace.

[189] L’aspect suivant de l’argument de Sandoz suppose nécessairement que le macitentan est identifié parmi les nombreux ARE qui avaient déjà été divulgués en 2006 dans les documents de l’art antérieur. Toutefois, les arguments de Sandoz à cet égard sont quelque peu déroutants. Ainsi, Sandoz soutient que la personne versée dans l’art aurait immédiatement identifié le macitentan en particulier, mais elle déclare également que le macitentan aurait fait partie d’un groupe restreint d’ARE qu’il allait de soi, pour la personne versée dans l’art, de cibler.

[190] En ce qui concerne le premier argument, Sandoz commence par le fait que le macitentan n’était pas un nouveau composé. Elle déclare que le macitentan était [traduction] « connu et divulgué » parce que le brevet 770 admet expressément que WO 557 divulguait le macitentan ainsi que son utilisation dans le traitement des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. En outre, le Dr Chakinala a admis que la personne versée dans l’art connaissait, en 2006, le macitentan et savait qu’il s’agissait d’un ARE non sélectif, et le Dr Vachiery a admis que la personne versée dans l’art [traduction] « aurait entendu parler du macitentan ».

[191] Je ne souscris pas à cet argument. Rien ne menait directement au macitentan en particulier. Le macitentan n’avait pas été expressément désigné comme un composé candidat dans l’art antérieur. Il s’agit de l’un des composés, parmi de nombreux autres composés, qui a une activité antagoniste sur les récepteurs de l’endothéline divulguée dans WO 577. Sandoz n’explique pas pourquoi la personne versée dans l’art aurait WO 557 comme point de départ, et encore moins pourquoi elle ciblerait à partir de ce document le macitentan comme composé candidat. Sandoz ne décrit pas avec précision ce qui, selon les Drs Vachiery et Chakinala, était connu du macitentan en 2006, et prend leur témoignage hors contexte. Lorsqu’on a demandé au Dr Vachiery ce qu’on savait du macitentan à l’époque considérée, il a répondu ceci :

[traduction]

Je dirais que la [personne versée dans l’art] ne saurait probablement pas que le macitentan existait ni quand – si vous voulez examiner la pièce Q, qui est un article que j’ai rédigé, nous – là où mon co-auteur et moi-même énumérons les composés qui font actuellement l’objet d’une enquête. En 2009, le macitentan n’était même pas un traitement potentiel pour l’HTP, donc au mieux [la personne versée dans l’art] aurait entendu parler du macitentan mais ne connaîtrait pas les aspects précis ou le rôle ou les effets du macitentan sur le lit vasculaire des poumons ou toute maladie dans laquelle il y a vasoconstriction. Il n’en était donc question dans aucun des documents que nous avons examinés en tant qu’auteurs, que ce soit sous la forme de lignes directrices ou d’un point de vue.

[192] Le Dr Chakinala va dans la même direction :

[traduction]

Q. Enfin, sur ce sujet particulier, qu’est-ce qu’on savait, le cas échéant, au sujet du macitentan le 29 août 2006, qu’est-ce que la [personne versée dans l’art] aurait compris? Et vous commencez à en parler au paragraphe 199 de votre rapport.

R. Je pense qu’à partir d’août 2006, la [personne versée dans l’art] ne serait vraiment au courant de l’existence du macitentan que si elle examinait des brevets ou demandes de brevet qui traitent de nombreux composés ARE différents qui existaient, et si elle avait accès à ce genre de documentation, elle comprendrait que le macitentan était un ARE non sélectif et je pense que le brevet qui en faisait état était le brevet WO 557. Mais au-delà de cela, elle n’aurait que très peu d’expérience ou de connaissances supplémentaires à ce sujet tant qu’elle n’aurait pas examiné le brevet 770.

[193] Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que le macitentan était en fait inconnu de la personne versée dans l’art en août 2006. La seule antériorité qui le mentionne est WO 557 et, comme je l’ai dit, Sandoz n’a pas établi que la personne versée dans l’art se serait attardée sur cette demande de brevet en particulier pour sélectionner un ARE en vue d’une combinaison avec un I‑PDE5. Je ne suis pas d’accord avec Sandoz pour dire que tout ce que la personne versée dans l’art aurait besoin de faire est de [traduction] « prendre le macitentan et le combiner avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction ».

[194] Sandoz soutient également que la combinaison du macitentan avec un I‑PDE5 aurait été un essai allant de soi parce que la personne versée dans l’art aurait identifié le macitentan parmi un groupe limité de composés candidats qui seraient ensuite testés et qu’elle se serait attendue à ce que cette combinaison soit utile. Sandoz affirme qu’il y avait une motivation à trouver des traitements efficaces pour l’HTAP, et que l’essai de composés candidats n’aurait pas nécessité d’efforts importants. Elle ajoute que si une voie particulière est évidente ou vaut la peine d’être explorée, cette voie n’est pas moins évidente simplement parce qu’il existe un certain nombre, ou peut‑être un grand nombre, d’autres voies évidentes : Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2015 CF 184 au para 113. Selon elle, le fait que d’autres composés ARE aient pu être divulgués dans WO 557 ou dans l’art antérieur ne rend pas la combinaison dont font état les revendications invoquées non évidente.

[195] Sandoz affirme qu’il y avait une motivation particulière à utiliser des combinaisons d’agents thérapeutiques ayant différents mécanismes d’action, en raison de la probabilité importante que l’état d’un patient atteint d’HTAP puisse se détériorer en monothérapie. Elle déclare que la personne versée dans l’art serait orientée vers la combinaison d’un ARE et d’un I‑PDE5 et ces classes de médicaments auraient été attrayantes étant donné leur facilité d’administration en tant qu’agents oraux. Sandoz soutient que les combinaisons possibles de ces traitements étaient [traduction] « incroyablement limitées » – il y avait un nombre limité de solutions prévisibles et connues, parce qu’il n’y avait qu’un nombre très limité d’I‑PDE5 et un nombre très limité d’ARE. La personne versée dans l’art serait orientée vers le macitentan comme ARE particulier à combiner avec un I‑PDE5.

[196] Les demanderesses soutiennent que l’approche de Sandoz signifierait qu’un intérêt pour la poursuite d’une idée de recherche la rendrait évidente et non brevetable, ce qui est contraire à l’enseignement de Sanofi au paragraphe 65. Le degré de motivation ne peut convertir une solution possible en solution évidente : Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2009 CAF 8 au para 44. Même s’il y avait une motivation générale à améliorer les traitements d’HTAP, rien de précis ne poussait à combiner le macitentan et un I‑PDE5.

[197] Je conclus qu’il n’y avait pas, contrairement à ce que soutient Sandoz, de nombres limités de combinaisons possibles de traitements pharmacologiques. Les brevets et demandes de brevet déposés en preuve divulguent un grand nombre d’ARE. À mon avis, même en acceptant que la personne versée dans l’art soit orientée vers la combinaison d’un ARE avec un I‑PDE5, il subsiste une lacune fondamentale dans l’argument sur l’évidence de Sandoz : il ne repose sur aucun fondement, outre une vision rétrospective, qui conduirait la personne versée dans l’art à identifier un groupe de composés ARE candidats qui incluraient du macitentan pour des essais.

[198] Dans un premier temps, Sandoz n’a pas établi que la personne versée dans l’art aurait été amenée à prendre connaissance de WO 557. Sandoz soutient que cette personne identifierait les candidats qui ont été approuvés ou sont en cours d’élaboration, ou qu’elle rechercherait un « meilleur bosentan » ou des ARE de « nouvelle génération ». Cette prétention ne repose sur aucun fondement rationnel. Sandoz n’explique pas les caractéristiques ou les attributs qui pourraient être utilisés pour réduire le champ des ARE candidats potentiels, et ces questions ne font pas partie de l’état de la technique. Le macitentan n’était pas un candidat qui avait été approuvé, et aucun document de l’art antérieur ne le désigne comme un candidat en cours d’élaboration. Sandoz n’explique pas, autrement que par le prisme de sa vision rétrospective, pourquoi la personne versée dans l’art se concentrerait sur WO 557 pour trouver un « meilleur bosentan » ou un ARE de « nouvelle génération ». WO 395 a été publié en mars 2006, presque quatre ans après la publication de WO 557. WO 395 explique la voie suivie par ces chercheurs – ils croyaient que les inhibiteurs sélectifs du récepteur ETA étaient, en fait, le meilleur bosentan ou l’ARE de nouvelle génération – en précisant expressément que, pour les besoins de l’invention, [traduction] « le bosentan ou tout autre antagoniste adaptés aux récepteurs de l’endothéline ne représenterait pas un antagoniste adapté au récepteur ETA ». WO 395 indique ce qui suit :

[traduction]

Traitements combinés

[067] Le principal inconvénient de l’utilisation du sildénafil dans le traitement de l’HTAP est qu’il nécessite une dose élevée trois fois par jour (une dose beaucoup plus élevée que celle employée pour la dysfonction érectile, qui est de 15 mg à 75 mg périodiquement). Actuellement, le seul antagoniste des récepteurs de l’endothéline qui a été approuvé en vue de l’utilisation chez les personnes atteintes d’HTAP est le bosentan, un composé non sélectif qui bloque à la fois les récepteurs A et B. L’utilisation d’un récepteur non sélectif de l’ET interfère avec des voies multiples, tandis que l’utilisation d’un antagoniste spécifique du récepteur ETA agit de façon complémentaire pour les voies multiples (PDE et/ou prostacycline et/ou ETA) afin d’assurer une efficacité et/ou des régimes posologiques supérieurs et/ou une réduction des effets secondaires.

[068] Par exemple, l’ETA provoque la vasoconstriction, tandis que l’ETB provoque la vasodilatation. Le bosentan bloque à la fois les récepteurs ETA et ETB. Le sitaxsentan bloque uniquement le récepteur ETA et n’a pas d’effet sur le récepteur ETB. Le mécanisme par lequel l’ETB provoque la vasodilatation fait intervenir une stimulation de la production d’oxyde nitrique et de prostacycline. L’oxyde nitrique (NO) active à son tour la guanylate cyclase, ce qui augmente le taux de GMPc. Le GMPc est responsable de la relaxation du vaisseau sanguin. La PDE5 dégrade le GMPc, de sorte qu’un inhibiteur de la PDE5 augmente également le taux de GMPc, ce qui entraîne une vasodilatation. Ainsi, lorsqu’on les utilise ensemble, l’augmentation du GMPc par le récepteur ETB et la prévention de sa dégradation entraînent une vasodilatation accrue et une meilleure efficacité des deux médicaments. Les antagonistes non sélectifs n’agiraient pas aussi efficacement, parce qu’ils bloquent la production de GMPc stimulée par l’ETB. De plus, une étude récente visait à évaluer l’administration de bosentan, un antagoniste non sélectif, et de sildénafil, mais l’étude a été interrompue en raison d’interactions pharmacocinétiques problématiques.

[199] Même en supposant que le point de départ pour la personne versée dans l’art serait WO 557, je suis d’avis que la preuve n’établit pas comment elle choisirait un groupe de composés parmi les nombreux composés divulgués dans cette demande de brevet, pour les raisons suivantes.

[200] Sandoz soutient que WO 557 a divulgué : (i) la structure chimique du macitentan; (ii) le fait que les composés ARE qui y sont présentés pourraient être employés en combinaison avec des vasodilatateurs ou d’autres produits thérapeutiques qui traitent l’hypertension artérielle ou des troubles cardiaques, dont l’HTP (et le Dr Chakinala a admis que les I‑PDE5 sont des vasodilatateurs); (iii) un protocole d’essai permettant d’évaluer la puissance des composés (ce qui signifie que même si la valeur CI50 du macitentan n’est pas divulguée, un essai courant suffit pour établir la puissance des composés); (iv) la voie d’administration des composés ARE, en lien avec l’innocuité; et (v) la façon dont les composés peuvent être utilisés, en lien avec l’efficacité.

[201] Pour désigner le macitentan comme candidat à partir de WO 557, Sandoz soutient que la personne versée dans l’art devrait d’abord examiner la puissance d’action (affinité pour les récepteurs ETA et ETB) des composés. Le Dr Zusman était d’avis que les neuf composés correspondant aux exemples 100 à 108 comptaient parmi les plus puissants antagonistes bloquant les récepteurs ETA dans WO 557. Selon Sandoz, ces neuf composés présentent la même structure de base que le macitentan, et un chimiste saurait comment substituer des groupes fonctionnels pour arriver au macitentan. Sandoz affirme que la personne versée dans l’art consulterait également WO 502. Sandoz soutient que la divulgation de WO 502 est la même que celle de WO 557, sauf que WO 502 divulgue des composés chimiques différents et des résultats d’essais différents. WO 502 a divulgué les affinités pour les récepteurs ETA et ETB de deux ARE donnés en exemple. Sandoz s’appuie sur le témoignage de la Dre Clozel (qui, je le constate, a été citée comme témoin des faits, et non comme témoin expert, et a déclaré ne pas être chimiste), selon lequel l’exemple 1 de WO 502 diffère du macitentan par l’ajout d’un groupe hydroxyle et l’exemple 2 diffère du macitentan par la substitution d’un groupe carboxyle à la place du groupe méthyle.

[202] Le Dr Zusman a déclaré qu’il y avait un certain nombre de facteurs que la personne versée dans l’art pourrait utiliser pour choisir un composé candidat, parmi lesquels la puissance d’action, qui dans ce cas serait l’activité de liaison aux récepteurs ETA et ETB. Bien que WO 557 ne divulgue pas la puissance du macitentan, Sandoz soutient que la personne versée dans l’art déterminerait les propriétés inhibitrices du macitentan au moyen d’essais, et les méthodes d’essai permettant d’établir l’affinité de liaison aux récepteurs de l’endothéline étaient divulguées dans WO 557.

[203] Le Dr Zusman a déclaré que le choix des composés candidats dépendrait également d’autres considérations : biodisponibilité, taux de métabolisme, voie du métabolisme, demi‑vie inhérente du composé, interaction du composé avec d’autres médicaments qui pourraient être couramment administrés à la même population de patients, disponibilité de composés précurseurs nécessaires à la synthèse de la molécule candidate, coût de production de la molécule, et difficulté ou facilité à inclure le composé dans une forme qui peut être administrée à des sujets humains. Il a déclaré que pour obtenir cette information, un chimiste médical pourrait déduire certains renseignements de la structure chimique, et d’autres renseignements seraient acquis par des essais. La structure chimique du macitentan a été divulguée dans WO 557, et la personne versée dans l’art pouvait examiner les tableaux de données de WO 557 qui révélaient les caractéristiques d’autres composés, et se concentrer sur le macitentan et peut-être d’autres composés comme candidats à la mise au point de médicaments.

[204] Mis à part une simple affirmation selon laquelle la personne versée dans l’art prendrait ces facteurs en considération et effectuerait ces essais sur un nombre non précisé de composés, Sandoz n’a pas présenté de témoignage d’un chimiste médical ou une autre preuve pour expliquer les raisons pour lesquelles ce processus conduirait la personne versée dans l’art à se concentrer sur le macitentan ou un groupe de composés qui inclut le macitentan comme composés candidats. Sandoz n’a pas établi que cette voie conduirait la personne versée dans l’art à définir un groupe de composés qui comprend le macitentan, parmi les composés divulgués dans WO 557, afin de les tester en combinaison avec un I‑PDE5.

[205] Je conclus que, même si la personne versée dans l’art se concentrait sur WO 557, ce document divulguait un grand nombre de composés qui agissent comme ARE. Sans vision rétrospective, rien ne justifie que la personne versée dans l’art prenne les mesures qui, selon Sandoz, auraient conduit cette personne à cibler le macitentan parmi un groupe de composés sélectionnés pour des essais à partir de WO 557. Les mesures ne seraient prises qu’en ayant à l’esprit l’invention.

[206] En conclusion, Sandoz n’a pas établi que la différence entre l’état de la technique et l’idée originale était évidente.

B. Utilité

[207] L’utilité d’une invention revendiquée doit être démontrée ou constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise disponibles à la date pertinente, qui n’est pas postérieure à la date de dépôt : Loi sur les brevets, art 2; Apotex Inc c Wellcome Foundation Limited, 2002 CSC 77 au para 56 [Wellcome]; Apotex Inc c Janssen Inc, 2021 CAF 45 au para 37 [Abiraterone].

[208] La règle de la prédiction valable présuppose qu’un travail supplémentaire doit être fait; elle établit un équilibre entre l’intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu’on en ait vérifié l’utilité par des essais (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l’intérêt public qu’il y a à éviter d’encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation : Wellcome, aux para 66, 77. On n’entend pas par prédiction valable une certitude puisqu’elle n’exclut pas tout risque qu’une partie du domaine visé puisse se révéler inutile : Wellcome, au para 62, citant Monsanto Co c Commissaire des brevets, [1979] 2 RCS 1108 à la p 1117.

[209] Les trois exigences relatives à une prédiction valable de l’utilité sont énoncées au paragraphe 70 de l’arrêt Wellcome : (i) la prédiction doit avoir un fondement factuel, (ii) un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité et (iii) une divulgation suffisante.

[210] La Loi sur les brevets ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée – une parcelle d’utilité liée à la nature de l’objet suffit : AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 aux para 53‑55 [AstraZeneca]; Abiraterone, au para 37.

[211] Les données testées peuvent constituer le fondement factuel : Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 209 au para 153. Le fondement factuel peut aussi reposer sur des principes scientifiques reconnus ou sur ce qui ferait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art : Eurocopter, aux para 152‑155.

[212] Le brevet 770 divulgue des données qui ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes ou de l’art antérieur. Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si les données sont suffisantes pour appuyer une utilité valablement prédite. Je conclus, au terme de l’analyse que je présente ci-dessous, que les renseignements divulgués dans le brevet 770 étaient suffisants pour permettre à la personne versée dans l’art de prédire de manière valable que l’invention revendiquée serait efficace pour l’utilité revendiquée : Teva Canada Limited c Novartis AG, 2013 CF 141 au para 323 [Novartis AG].

[213] Le brevet 770 a divulgué que le macitentan est un ARE, et il a révélé certains résultats d’expériences qui ont comparé les effets de réduction de la pression artérielle du macitentan seul, d’un I‑PDE5 seul et du macitentan combiné à l’I‑PDE5 dans deux modèles d’étude de l’hypertension in vivo chez le rat. Les données sur la réduction de la pression artérielle ont été rapportées en fonction de l’« aire entre les courbes » (AEC), une mesure de la différence entre deux courbes qui, dans ce cas, représentaient la pression artérielle calculée chez les rats. La première courbe représentait les mesures prises pendant la période de référence (aucun médicament administré), et la deuxième courbe, les mesures de la période de traitement (administration du macitentan seul, de l’IPDE seul ou de la combinaison chez les rats). L’exemple 1 indique une diminution de la pression artérielle chez les rats Dahl sensibles au sel (Dahl-S) après l’administration de macitentan seul (AEC de 236), de tadalafil seul (AEC de 310) et des deux médicaments combinés (AEC de 923). L’exemple 2 indique une diminution de la pression sanguine chez les rats spontanément hypertendus (SHR) après l’administration de macitentan seul (AEC de 44), de tadalafil seul (AEC de 286) et des deux médicaments combinés (AEC de 444). L’exemple 3 indique une diminution de la pression sanguine chez les rats SHR après l’administration de macitentan seul (AEC de 38), de sildénafil seul (AEC de 229) et des deux médicaments combinés (AEC de 317).

(1) Avis des experts

[214] Le Dr Zusman a examiné les documents internes d’Actelion sur le travail expérimental correspondant aux résultats présentés dans les exemples 1 à 3 du brevet 770. Il était d’avis que les expériences sur les rats n’ont pas démontré que la combinaison revendiquée de macitentan et d’un I‑PDE5 serait utile chez l’humain pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, et ce, pour plusieurs raisons : (i) les études sur les animaux ne permettent pas de prédire l’obtention de résultats positifs identiques chez les humains, et les doses administrées étaient beaucoup plus élevées que celles qui seraient utilisées chez les humains; (ii) Dahl-S et SRH sont des modèles d’hypertension artérielle systémique chez le rat – ils ne démontrent pas l’utilité d’un traitement à l’égard d’autres maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction; (iii) le modèle SRH n’était pas utile pour les essais d’ARE; en outre, d’après les graphiques, le macitentan n’a eu que peu ou pas d’effet sur la pression artérielle moyenne dans le modèle SRH, et l’ampleur et la durée des effets de la combinaison du macitentan avec le tadalafil ou le sildénafil correspondent aux effets obtenus par l’administration de tadalafil ou de sildénafil seul; (iv) les études sur les rats comportaient de petites tailles d’échantillon et d’importantes valeurs d’erreur type (mesure utilisée pour estimer la variabilité dans le calcul de la moyenne), et les valeurs p (une mesure statistique de la probabilité qu’une différence observée soit due au hasard) n’étaient pas indiquées).

[215] Pour des raisons similaires, le Dr Zusman est d’avis que les études sur les rats n’ont pas fourni de fondement permettant de prédire valablement que la combinaison revendiquée de macitentan et d’un I‑PDE5 serait utile chez l’humain pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. Il n’y avait pas de raisonnement clair ou valable qui relierait les résultats concernant l’hypertension artérielle systémique des modèles de rats à d’autres maladies chez l’humain, en particulier aux maladies liées à la vasculature pulmonaire, puisque l’hypertension artérielle systémique se rapporte à la vasculature systémique. De plus, il n’y avait pas de raisonnement valable permettant de tirer des conclusions quant à l’efficacité du macitentan, seul ou en traitement combiné, à partir d’un modèle SRH qui ne convenait pas pour tester un ARE. Il n’y a aucune justification valable qui relierait le fondement factuel, provenant des études sur les rats, à une prédiction selon laquelle les revendications invoquées seraient utiles.

[216] Pour ce qui est de la divulgation appropriée, le Dr Zusman a déclaré que le fondement factuel de la prédiction ne faisait pas, à son avis, partie des connaissances générales courantes parce que la personne versée dans l’art comprenait que les résultats positifs des études sur les animaux exigeaient des essais de confirmation chez l’humain. En outre, le Dr Zusman a déclaré que seulement certains des résultats expérimentaux ont été divulgués dans le brevet 770. L’ensemble complet des données tirées des documents internes d’Actelion comprenait : |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||. D’après les données divulguées dans le brevet 770, la personne versée dans l’art n’est pas en mesure de déterminer si les valeurs de l’AEC, qui ont été déclarées comme valeurs définitives sans indication d’importance ou de variabilité statistique, tenaient compte avec exactitude de l’étendue et de la durée de tout avantage découlant de l’effet combiné. En outre, si le brevet 770 avait divulgué les graphiques utilisés pour calculer les valeurs de l’AEC, la personne versée dans l’art remarquerait que le macitentan n’avait que peu ou pas d’effet sur la tension artérielle moyenne dans le modèle SRH. Par conséquent, le Dr Zusman qu’il n’y avait pas eu divulgation adéquate d’un fondement factuel et d’un raisonnement valable, le cas échéant, dans le brevet 770.

[217] Les Drs Vachiery et Chakinala sont en désaccord avec le Dr Zusman sur chacun des points mentionnés ci‑dessus. Ils affirment que le brevet 770 a divulgué l’essentiel des résultats des travaux d’Actelion, et que ces résultats fournissent le fondement factuel permettant de démontrer et de prédire valablement l’utilité requise pour appuyer l’invention revendiquée. Les résultats expérimentaux utilisant les deux modèles de rats fournissent des signaux prédictifs qui s’étendent à toute maladie de vasoconstriction, parce que l’effet de la réduction de la pression artérielle était l’observation clé, peu importe qu’elle se produise dans la vasculature systémique ou pulmonaire. La divulgation des résultats de la réduction de la pression artérielle additive aurait été utile, mais la personne versée dans l’art aurait compris que les chiffres de l’AEC montrent l’effet global de l’administration du traitement. Les résultats divulgués dans le brevet 770 sont conformes aux conclusions tirées par les chercheurs qui ont mené ces études chez Actelion, à savoir que la combinaison de macitentan et sildenafil ou tadalafil a réduit la pression artérielle plus que l’effet additif de chaque médicament administré en monothérapie. Cela suffisait à démontrer que les revendications invoquées étaient utiles.

[218] De même, pour ce qui est de la prédiction valable, les Drs Vachiery et Chakinala se sont dit d’avis que les résultats des études sur les rats divulgués dans le brevet 770, ainsi que les connaissances générales courantes sur le rôle des voies de l’endothéline et du NO dans les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, fournissaient le fondement factuel et un raisonnement valable permettant de conclure que l’invention revendiquée est utile et peut avoir d’un but pratique. Bien que les résultats de ces expériences sur des animaux ne permettent pas de prédire entièrement de ce qui se produirait chez l’humain, ils fournissent le signal positif nécessaire pour justifier une recherche plus approfondie.

(2) Analyse

[219] Sandoz soutient que les inventeurs n’ont pas démontré l’utilité de l’invention chez l’humain à la date de dépôt et que l’opinion du Dr Zusman à cet égard n’a pas été réfutée. Selon Sandoz, les Drs Chakinala et Vachiery ont admis que les modèles animaux n’ont qu’une valeur probante limitée pour les patients et que les résultats des études sur les rats ne se traduiraient pas nécessairement par des avantages chez les humains – les études sur les rats n’étaient qu’un signal pour effectuer plus d’essais.

[220] En ce qui concerne la question de la prédiction valable, Sandoz affirme qu’une contestation fondée sur l’utilité valablement prédite réussira si (i) la prédiction n’était pas valable ou si, (ii) indépendamment du caractère valable de la prédiction, il y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé : Wellcome, au para 56.

[221] Sandoz fait valoir que les travaux d’Actelion ou les résultats d’études sur les rats qui ont été divulgués dans le brevet 770 ne favorisaient pas une prédiction valable de l’utilité, puisque les résultats contenaient des lacunes qui empêcheraient la personne versée dans l’art de conclure qu’ils étaient scientifiquement valides. Plus précisément, Sandoz soutient ce qui suit : (i) les modèles de rats Dahl-S et SHR étaient des modèles d’hypertension artérielle systémique, et les études ne mesuraient que la pression artérielle systémique; le Dr Chakinala a admis que la pression artérielle systémique ne peut pas servir à calculer la pression artérielle pulmonaire, car on ne peut prédire l’une en fonction de l’autre; ii) le Dr Zusman a déclaré, sans que ce soit contredit, que le macitentan n’avait aucun effet sur la pression artérielle moyenne systémique dans le modèle SRH; (iii) la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de tirer des conclusions quant à l’importance des résultats déclarés; les erreurs types des résultats de l’étude étaient importantes (±  |  à  |  % des valeurs moyennes de pression artérielle déclarées) et très variables; lorsque les « barres d’erreur » représentant les erreurs types sont incluses sur les courbes des valeurs moyennes de pression artérielle, la personne versée dans l’art pourrait voir un risque de chevauchement, et les barres d’erreur qui se chevauchent signifient que la différence entre les courbes des périodes de référence et de traitement n’est pas statistiquement significative; (iv) les études sur les rats ne fournissent pas d’information sur les interactions médicamenteuses potentielles chez l’humain; (v) la dose utilisée dans les études était si élevée qu’elle risquait d’entraîner des effets hors cible.

[222] Sandoz soutient qu’il n’y a pas de raisonnement valable qui relie les études sur les rats à des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction autre que l’hypertension artérielle systémique, et l’opinion du Dr Zusman à cet égard n’a pas été contestée. Il n’y avait pas de raisonnement valable permettant d’inférer que la combinaison serait efficace pour traiter l’HTP ou l’HTAP chez l’humain, ainsi que la dysfonction érectile, l’angine de poitrine, l’artériopathie diabétique et l’insuffisance cardiaque. Sandoz fait valoir que le brevet 770 ne divulgue pas le raisonnement qui expliquerait comment un résultat relatif aux effets sur les voies de l’endothéline et du NO pourrait prédire l’utilité du macitentan pour le traitement de maladies qui ne peuvent pas être traitées à l’aide d’un ARE. Le Dr Zusman est d’avis que l’artériopathie diabétique et l’angine de poitrine sont des troubles liés à l’obstruction vasculaire, et non à la vasoconstriction, et que les modèles animaux ne peuvent pas prédire les résultats cliniques de l’insuffisance cardiaque et de la dysfonction érectile. Selon Sandoz, les Drs Vachiery et Chakinala ont admis en contre-interrogatoire que les ARE n’étaient pas utiles pour l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile en 2007 ou 2008, et le Dr Chakinala a admis que de nombreux sous-types d’HTP et d’HTAP ne pouvaient être traités avec les ARE en 2007. Sandoz invoque à l’appui Pfizer Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 612 [Ratiopharm], où la Cour a conclu, d’après les résultats d’études cliniques qui avaient été divulgués dans le brevet, que rien ne permettait de prédire de façon valable que le sildenafil serait utile pour traiter certains sous-types d’HTP.

[223] En ce qui concerne la divulgation appropriée, Sandoz soutient qu’il ne se dégageait pas des connaissances générales courantes que les résultats des essais de ces modèles sur les rats fourniraient des données probantes permettant de prédire l’utilité de la combinaison pour les maladies liées à la vasoconstriction, et la divulgation du brevet n’explique pas le raisonnement. Sandoz prétend également que les résultats des tests divulgués dans le brevet 770 étaient incomplets et exagérés pour soutenir un effet synergique. Plus précisément, les graphiques montrant les courbes utilisées pour calculer les valeurs AEC n’ont pas été divulgués. Sans cette information, la personne versée dans l’art ne comprendrait pas si la réduction de la pression artérielle était transitoire ou durable. En ne divulguant pas les graphiques, Actelion a masqué l’absence d’effet de macitentan dans le modèle SRH et la large fourchette de valeurs AEC pour les mesures de tension artérielle moyenne utilisées pour calculer les valeurs AEC. En raison de l’absence d’information statistique, la personne versée dans l’art ne pouvait pas déterminer la variabilité des données et comprendre que les résultats étaient dénués de toute signification. La personne versée dans l’art ne pouvait valider aucune revendication de supériorité, de synergie ou d’efficacité des combinaisons. Sandoz soutient également que l’omission de divulguer d’autres résultats, y compris l’effet additif sur la réduction de la pression artérielle ou l’absence d’effet sur la fréquence cardiaque, rendait la divulgation incomplète et ne permettait pas de fonder l’invention. Cela indique que le breveté voulait cacher des renseignements qui n’étayaient pas l’invention.

[224] Les demanderesses soutiennent que les critiques du Dr Zusman à l’égard des études sur les rats ne tiennent pas compte de l’objet de ces expériences et de la norme d’évaluation de l’utilité. Plus précisément, ces expériences étaient importantes pour démontrer qu’il y avait effectivement une diminution de la pression artérielle, et non chez qui il y avait cette diminution. Les statistiques ne sont pas pertinentes parce que les expériences dans leur totalité ont montré que la combinaison de macitentan et d’un I‑PDE5 a causé une réduction de la pression artérielle, et les critiques de Sandoz sont contraires au principe selon lequel les essais doivent être examinés cumulativement pour évaluer l’utilité démontrée : Abiraterone, au para 41. En contre‑interrogatoire, le Dr Zusman a reconnu que le modèle SRH n’était pas inutile pour évaluer les ARE.

[225] Les demanderesses affirment qu’il n’est pas nécessaire que les essais prouvent de manière concluante l’utilité requise; il suffit que les résultats des essais donnent fortement à penser que l’invention est utile et qu’aucune autre explication logique n’est envisageable au regard de ces résultats : Abiraterone, au para 49. L’exigence relative à l’utilité doit être interprétée conformément à son objectif, soit empêcher qu’un brevet soit octroyé pour une invention fantaisiste, hypothétique ou inutilisable : AstraZeneca, au para 57. L’invention du brevet 770 n’est ni fantaisiste, ni hypothétique ou inutilisable, et l’exigence en matière d’utilité est respectée. En outre, il n’est pas nécessaire que chaque utilisation potentielle soit réalisée : AstraZeneca, au para 55.

[226] Les demanderesses soutiennent que Ratiopharm est une affaire relevant de « doctrine de la promesse » qui aurait été tranchée différemment à la lumière de l’arrêt AstraZeneca de la Cour suprême du Canada. Elles font remarquer que, dans une affaire récente, la Cour d’appel fédérale a conclu que la divulgation d’un brevet qui décrivait un essai clinique mais qui ne mentionnait pas les résultats satisfaisait au critère de la prédiction valable de l’utilité. La logique de l’étude et les connaissances générales courantes appuyaient le raisonnement : Pharmascience Inc c Teva Canada Innovation, 2022 CAF 2 aux para 12-14. Dans une affaire très similaire (bien qu’elle ait été tranchée en vertu de l’ancienne doctrine de la promesse), où les revendications portaient sur l’utilisation de composés dans le traitement des cancers humains, la Cour a conclu qu’il y avait une prédiction valable sur le fondement de la constatation que ces composés réduisaient la taille des tumeurs chez les souris : Novartis AG, au para 290. Dans Wellcome, le raisonnement valable était fondé sur des essais in vitro dans des lignées cellulaires, qui ont montré un effet bloquant sur l’élongation de la chaîne du virus.

[227] Les demanderesses font valoir que, si l’utilité n’était pas démontrée au 29 août 2007, une prédiction valable était établie. La personne versée dans l’art connaissait les ARE, et les I‑PDE5 étaient utiles pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction. La divulgation du brevet 770 indiquait que le macitentan était un ARE et que la pression artérielle avait diminué dans deux modèles de rats lorsqu’il était utilisé en combinaison avec les I‑PDE5. La personne versée dans l’art, forte des connaissances générales courantes, trouvait dans le brevet 770 un fondement factuel pour étayer un raisonnement valable selon lequel le macitentan, combiné avec un I‑PDE5, était utile pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction.

[228] Mon analyse commence par les critiques de Sandoz sur les données qui vont dans le sens de l’utilité des revendications.

[229] En ce qui concerne les résultats expérimentaux, je ne suis pas d’accord avec Sandoz lorsqu’elle prétend que les résultats contenaient des lacunes qui empêcheraient la personne versée dans l’art de conclure qu’ils étaient scientifiquement valides.

[230] En ce qui concerne les modèles Dahl-S et SRH, j’accepte le témoignage des Drs Vachiery et Chakinala selon lesquels ces modèles ont été utiles pour mesurer une réduction de la pression artérielle. Tous les experts ont convenu que les voies de l’endothéline et du NO sont des voies qui fonctionnent dans la vasculature de tout le corps pour effectuer la vasoconstriction ou la vasodilatation.

[231] Deuxièmement, je n’accepte pas l’affirmation de Sandoz selon laquelle les doses administrées aux rats étaient si élevées qu’elles [traduction] « risquai[ent] d’entraîner des effets hors cible ». Les Drs Vachiery et Chakinala ont déclaré que les médicaments sont souvent testés à haute dose dans des expériences sur les animaux pour obtenir une forte réponse et que les animaux ont des taux de métabolisme différents. Le Dr Zusman a seulement déclaré que les doses d’I‑PDE5 étaient élevées par rapport aux doses approuvées d’I‑PDE5 pour administration aux humains, et non affirmé que les doses utilisées dans les expériences d’Actelion étaient en dehors de la plage qui serait utilisée pour une expérience animale in vivo. Même en admettant que les doses étaient « élevées » à cette fin, Sandoz n’a pas fourni de données probantes pour expliquer quels seraient les effets hors cible, ni comment l’administration de composés d’I‑PDE5 aux rats à ces doses pourrait fausser les résultats expérimentaux.

[232] Troisièmement, j’examine maintenant les allégations de lacunes dans les données et les résultats eux-mêmes. Contrairement à la prétention de Sandoz, le Dr Zusman n’a pas fourni de preuve irréfutable que le macitentan n’avait pas d’effets sur la pression artérielle moyenne systémique dans le modèle SRH. Le Dr Zusman a déclaré que le macitentan n’avait que peu ou pas d’effets, sans quantifier ceux‑ci. Il n’a pas déclaré que les valeurs AEC montrant un effet ont été calculées incorrectement. En outre, le témoignage du Dr Zusman était contesté. Les Drs Vachiery et Chakinala étaient d’avis que les résultats rapportés dans les documents de recherche d’Actelion et dans les exemples 2 et 3 du brevet 770 montraient que le macitentan avait effectivement un effet sur la diminution de la pression artérielle dans le modèle SRH, et qu’en combinaison avec le sildenafil ou le tadalafil, l’effet était amplifié. J’accepte leur témoignage. D’après les valeurs AEC, le macitentan avait un effet dans les deux modèles de rats.

[233] Sandoz ajoute qu’Actelion n’a pas fourni d’analyses statistiques et que, sans de telles analyses, la personne versée dans l’art ne serait pas en mesure de tirer des conclusions sur la signification des résultats. Sandoz fait valoir que la fiabilité des données pourrait peut-être être remise en cause sur le fondement de mesures statistiques (c’est-à-dire que les erreurs types étaient importantes et variables). Le Dr Zusman n’effectue pas d’analyse statistique et Sandoz n’a pas établi que les données sont, en fait, peu fiables, sur le fondement d’une analyse statistique des erreurs types ou autrement.

[234] En outre, je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l’art aurait besoin d’une évaluation statistique des résultats observés ou qu’elle aurait besoin de connaître l’importance statistique des résultats pour les considérer comme un fondement factuel fiable de l’utilité de l’invention revendiquée. À mon avis, la personne versée dans l’art remarquerait que plusieurs expériences ont été menées, dans deux modèles de rats et en utilisant deux I‑PDE5, et que les tendances observées étaient cohérentes. Il n’est pas nécessaire que les essais prouvent de manière concluante l’utilité requise : Abiraterone, au para 41.

[235] Enfin, Sandoz affirme que les études sur les rats ne fournissent pas de renseignements sur les interactions médicamenteuses potentielles chez l’humain. Elle renvoie au témoignage du Dr Vachiery en contre-interrogatoire pour appuyer sa position. Or, le Dr Vachiery ne souscrivait pas à celle‑ci :

[traduction]

Q. Alors, vous êtes d’accord avec moi pour dire que les essais dans les études sur les rats ne donnent aucune information sur le potentiel d’interactions médicament-médicament chez les humains, n’est-ce pas?

R. Eh bien, je ne suis pas sûr d’être d’accord parce que, encore une fois, le métabolisme peut être différent dans un modèle animal, et sûrement davantage chez un animal que chez l’humain. Mais cela vous donne quand même l’idée qu’une combinaison de médicaments, deux médicaments donnés ensemble, peut agir de manière positive ou négative chez un animal. Ainsi, cela pourrait probablement et sûrement donner un signal d’alerte aux chercheurs pour qu’ils poursuivent leur développement clinique.

Q. Vous avez dit le mot « peut », c’est donc une simple possibilité; est-ce exact?

R. Les modèles animaux sont des modèles animaux. Ils éclairent. Encore une fois, il en est de même pour l’efficacité. Dans la plupart des cas, nous aimerions avoir un signal, comme je l’ai dit hier, pour l’efficacité et pour l’innocuité. Si vous avez le signal, alors vous pouvez avoir confiance et aller de l’avant en pensant que l’intervention, dans ce cas une combinaison de médicaments, pourrait s’appliquer aux humains. Une chose importante est que parce que nous n’avons pas de modèles parfaits pour tester l’hypothèse – je veux dire, laissez-moi reformuler cela. Il y a très peu de modèles animaux pour des maladies humaines, mais il faut quand même franchir ce seuil pour s’assurer que vous avez ces signaux, un signal positif pour l’innocuité et un signal positif pour l’efficacité, sinon il n’y aura malheureusement pas de mise au point de médicaments.

[236] Je conclus qu’il existait un fondement factuel permettant de prédire l’utilité de l’objet des revendications, à savoir : (i) les résultats expérimentaux montrant que le macitentan, un ARE, réduisait la pression artérielle lorsqu’il est administré avec le sildenafil ou le tadalafil, deux I‑PDE5, dans deux modèles de rats différents pour l’hypertension; (ii) ces effets d’abaissement de la pression artérielle étaient plus importants que l’effet de chaque médicament administré en monothérapie; et (iii) les connaissances générales courantes fournissaient le contexte et l’explication logique de ces effets observés (en particulier la connaissance des voies du NO et de l’endothéline qui font intervenir la vasoconstriction et la connaissance de la façon dont un ARE ou un I‑PDE5 influencerait les étapes de ces voies pour moduler un effet vasodilatateur). Les points i) et ii) ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes, mais ils ont été divulgués dans le brevet 770. L’exigence d’une divulgation appropriée a été respectée.

[237] Il y avait un raisonnement valable qui permettait de prédire que les effets observés lors des expériences s’étendraient à toute maladie où intervient la vasoconstriction parce que les effets observés étaient des effets vasodilatateurs. L’effet vasodilatateur pourrait avoir une utilité, même lorsqu’une vasoconstriction anormale n’est pas une cause sous‑jacente à une maladie. De même, il y avait un raisonnement valable qui permettait de prédire que les effets observés s’étendraient à n’importe quel I‑PDE5 parce que le macitentan combiné à deux I‑PDE5 avait des effets de réduction de la pression artérielle cohérents, et l’explication logique reposait sur le mécanisme d’action connu pour les I‑PDE5.

[238] Sandoz déclare également qu’indépendamment du caractère valable de la prédiction, il y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé.

[239] À cet égard, je conclus que Sandoz se trompe en invoquant la décision Ratiopharm. La question de savoir si l’utilité a été valablement prédite est un exercice fondé sur les faits, en fonction de la preuve. Dans l’affaire Ratiopharm, la Cour a conclu qu’il y avait un consensus entre tous les experts. Tous les témoins experts avaient déclaré que les résultats divulgués dans le brevet en cause ne permettraient pas à la personne versée dans l’art de prédire valablement que le sildenafil traiterait efficacement l’hypertension pulmonaire. En outre, ces avis auraient été fondés sur la preuve concernant les connaissances de la personne versée dans l’art à la date de dépôt de ce brevet.

[240] En l’espèce, aucun des experts n’a estimé que certains sous-types d’HTP et d’HTAP ne pouvaient pas être traités avec les ARE en 2007. Cela ne faisait pas partie de l’opinion du Dr Zusman sur l’utilité, et Sandoz s’appuie sur l’admission qu’aurait faite le Dr Chakinala en contre-interrogatoire. Je ne suis pas d’accord avec Sandoz pour dire que le Dr Chakinala a admis que de nombreux sous-types d’HTP et d’HTAP ne pouvaient pas être traités avec les ARE en 2007. Une autre question a été posée au Dr Chakinala, soit celle de savoir s’il était connu que les ARE pouvaient traiter un certain nombre de sous-types d’HTP et d’HTAP en 2007. Il a répondu par l’affirmative pour de nombreux sous‑types et, pour d’autres sous‑types, sa réponse n’était pas un « non » sans réserve. Il a plutôt déclaré qu’il n’y avait pas de données probantes ou de réponse claire indiquant que les ARE pouvaient traiter ces sous‑types, et que [traduction] « des cliniciens comme [lui], dans certains cas où les patients se comportaient davantage comme s’ils faisaient partie du groupe 1, [auraient] pu essayer un ARE selon une utilisation hors étiquette, mais [qu’]il n’y avait certainement pas d’indication ou d’essais cliniques rigoureux ou de recommandations largement acceptées ».

[241] Sandoz s’appuie également sur des admissions, qu’auraient faites selon elle les Drs Vachiery et Chakinala en contre-interrogatoire, selon lesquelles les ARE n’étaient pas utiles pour l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile en 2007 ou 2008.

[242] Sandoz ne décrit pas de façon exacte le témoignage des experts des demanderesses. Elle s’appuie sur l’échange suivant avec le Dr Vachiery :

[traduction]

Q. Donc pour revenir à ma question initiale, en 2008 la personne versée dans l’art n’aurait pas su – aurait su que les ARE ne sont pas utiles pour traiter l’angine de poitrine, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Et la personne versée dans l’art, en août 2008, aurait également su que les ARE ne sont pas utiles pour traiter l’insuffisance cardiaque; est-ce exact?

R. C’est exact, bien que la personne versée dans l’art aurait aussi compris qu’il y avait des études en cours et d’autres déjà terminées qui portaient sur l’effet d’un antagoniste des récepteurs de l’endothéline dans le contexte d’une insuffisance cardiaque.

[243] Le Dr Vachiery a poursuivi son témoignage en expliquant que des études étaient en cours concernant l’effet des ARE sur l’insuffisance cardiaque, et que l’intérêt pour l’utilisation des ARE pour l’insuffisance cardiaque s’est maintenu au fil des ans. Il a ajouté ce qui suit :

[traduction]

[…] Donc, l’histoire n’est pas terminée et n’a pas pris fin en 2008, mais à l’époque, il n’y avait que de petites études ou de petits rapports qui suggéraient qu’ils pourraient, en fait, faire partie du traitement de maladies qui ne sont pas nécessairement l’hypertension artérielle pulmonaire.

Q. Bien. Et donc la personne versée dans l’art prêterait attention à ces études et se renseignerait sur les utilisations possibles comme vous dites, n’est-ce pas?

R. Elle le ferait. Elle n’utiliserait pas ces médicaments pour traiter des patients, mais s’informerait des résultats de ces essais et comprendrait qu’il pourrait s’agir d’une des options de traitement pour des patients.

[244] De même, le Dr Chakinala a déclaré qu’il n’était pas au courant que les ARE étaient utilisés pour traiter la dysfonction érectile, l’angine de poitrine. l’artériopathie diabétique ou l’insuffisance cardiaque en 2007.

[traduction]

Q. Je vois. Et en 2007, les ARE étaient-ils connus pour une utilisation dans le traitement de la dysfonction érectile?

R. Pas que je sache.

Q. Et l’angine de poitrine?

R. Non.

Q. L’artériopathie diabétique?

R. Non.

Q. Et une insuffisance cardiaque?

R. Les ARE faisaient l’objet d’études sérieuses pour ce qui concerne l’insuffisance cardiaque, mais n’ont pas été utilisées pour traiter l’insuffisance cardiaque.

[245] Situées dans leur contexte, ces déclarations n’établissent pas que les ARE se sont avérés inutiles pour traiter l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile en 2007 ou 2008. Fait important, l’invention vise le macitentan en combinaison avec un I‑PDE5, et non le macitentan seul. Il doit y avoir une « inutilité d’une partie du domaine visé » par la combinaison de macitentan avec un I‑PDE5, et Sandoz n’a pas établi que c’est le cas.

[246] En ce qui a trait à l’utilité démontrée, la personne versée dans l’art ne considérerait pas que l’utilité des revendications invoquées avait été démontrée à la date de dépôt. Les revendications invoquées portent sur l’utilisation de la combinaison pour le traitement des maladies chez l’humain. Les résultats des études sur les rats sont des résultats concluants qui ont démontré un effet sur la pression artérielle, mais s’ils ne se transposaient pas nécessairement chez l’humain (et c’est ce qui a été présenté en preuve), ces résultats ne démontreraient pas l’utilité. Un travail supplémentaire doit être fait, c’est la règle de la prédiction valable. Je comprends que la ligne entre la prédiction valable et l’utilité démontrée est vague, et d’aucuns ont exprimé l’opinion qu’il y a un point où le poids cumulatif des éléments de preuve à l’appui d’une prédiction valable peut atteindre un niveau suffisant pour établir l’utilité démontrée : Abiraterone, au para 50. Je n’ai pas l’intention d’affirmer qu’il existe une ligne claire entre une prédiction de l’utilité et une démonstration de l’utilité qui exige, dans tous les cas, des essais sur des patients humains afin d’appuyer l’utilité démontrée d’un médicament destiné à traiter une maladie chez l’humain. Toutefois, d’après les éléments de preuve présentés en l’espèce, la personne versée dans l’art ne conclurait pas, à la lumière des connaissances générales courantes, que le poids cumulatif des résultats d’essais d’Actelion avait atteint le niveau d’utilité démontrée.

[247] En résumé, Sandoz n’a pas établi que les revendications invoquées sont invalides pour cause d’inutilité. Les exigences relatives à une prédiction valable de l’utilité sont respectées. Il n’y a pas suffisamment de renseignements dans l’art antérieur pour conduire directement et facilement la personne versée dans l’art à la solution enseignée dans le brevet 770, mais la personne versée dans l’art, forte des connaissances générales courantes et au vu des résultats des essais divulgués dans le brevet 770, disposait d’un fondement factuel et d’un raisonnement valable permettant de prédire que le macitentan combiné à un I‑PDE5 serait utile pour traiter des maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction.

C. Portée excessive

[248] L’objet d’une revendication a une portée excessive s’il dépasse l’invention qui a été faite ou s’il dépasse l’invention divulguée dans le mémoire descriptif : Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2008 CF 11 aux para 45‑46; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2018 CF 736 au para 131. La notion de portée excessive découle des paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi sur les brevets et peut être considérée comme un prolongement de la théorie d’un marché en droit des brevets. Elle fait en sorte que les inventeurs ne revendiquent pas plus que ce qu’ils ont inventé de bonne foi et divulgué : Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2021 CAF 154 aux para 50‑51, 60, citant Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M-I LLC, 2021 CAF 24 aux para 128‑130.

[249] Sandoz affirme qu’il est fatal de revendiquer plus que ce qui est nécessaire. Selon elle, toutes les revendications invoquées ont une portée excessive :

[traduction]

 

  • a)Les revendications 21 à 25 ont une portée excessive parce qu’elles revendiquent l’utilisation de la combinaison pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, notamment l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine et l’insuffisance cardiaque. L’inventrice n’a pas fait une telle invention, et le Dr Vachiery a admis qu’en 2008, on savait que les ARE n’étaient pas utiles pour l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile.

  • b)Les revendications 26 à 31 ont une portée excessive pour revendiquer un monopole sur tous les sous-types d’HTP et d’HTAP. Le Dr Chakinala a admis qu’il était connu en 2007 que certains sous-types d’HTP et d’HTAP ne pouvaient être traités en recourant à des ARE, et que le brevet 770 ne décrit nulle part comment traiter l’une ou l’autre de ces maladies en utilisant les combinaisons revendiquées.

  • c)Les revendications 21, 26, 27 et 28 ont une portée excessive pour revendiquer une combinaison de macitentan avec un composé ayant des propriétés inhibitrices de la PDE5. Le Dr Vachiery a affirmé que l’on ne peut pas savoir que tous les I‑PDE5 et les ARE fonctionneront de la même façon, et, s’il a raison, il ne pourrait pas y avoir de fondement pour les revendications 21, 26, 27 et 28.

[250] Le premier aspect de l’argument de Sandoz sur la portée excessive est lié à la prédiction valable. Je suis d’accord avec les Drs Chakinala et Vachiery pour dire que l’opinion du Dr Zusman sur la portée excessive est essentiellement une reformulation de son opinion sur l’utilité, à savoir que la prédiction faite par l’inventrice n’était pas valable. Pour les motifs que j’ai exposés dans l’analyse de l’utilité ci-dessus, l’inventrice disposait d’un fondement factuel et d’un raisonnement valable pour prédire que le macitentan en combinaison avec un I‑PDE5 serait utile pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction, et c’est ce qui a été divulgué.

[251] Sandoz soutient également que les revendications invoquées ont une portée excessive parce que, indépendamment du caractère valable de la prédiction, il y a une preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé par les revendications : Wellcome, au para 56. Plus précisément, tous les sous-types d’HTP et d’HTAP ne peuvent être traités avec les ARE, et ces derniers n’étaient pas utilisés pour traiter l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile en 2007.

[252] Les demanderesses ont soulevé une objection concernant l’argument de Sandoz selon lequel les revendications ont une portée excessive parce que tous les sous-types d’HTP ou d’HTAP ne peuvent pas être traités avec des ARE. Elles soulignent que cet argument n’a été invoqué ni dans la défense de Sandoz ni dans le rapport d’expert du Dr Zusman. Je suis d’accord. Sandoz n’a pas fait valoir que la portée des allégations 26 à 31 était excessive pour couvrir les sous‑types d’HTP ou d’HTAP. Cet argument a été soulevé pour la première fois dans les conclusions finales et je ne traiterai pas de cette allégation de portée excessive.

[253] Pour l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, l’insuffisance cardiaque et la dysfonction érectile, des arguments similaires ont été avancés dans le contexte de l’utilité. Pour les motifs exposés dans l’analyse de l’utilité ci-dessus, Sandoz n’a pas établi que les revendications invoquées ont une portée excessive en raison d’un manque d’utilité d’une partie du domaine visé par la revendication.

D. Caractère suffisant de la divulgation

[254] Le mémoire descriptif de brevet doit fournir suffisamment de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention : paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets; Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 au para 51, citant Pioneer Hi‑Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623 aux p 1637‑1638.

[255] Sandoz fait valoir que le mémoire descriptif ne permet pas à la personne versée dans l’art de réaliser l’objet des revendications 21 à 25 pour traiter l’angine de poitrine et l’artériopathie diabétique. Le Dr Zusman est d’avis que, sur le plan physiopathologique, l’angine de poitrine et l’artériopathie diabétique sont liées à l’obstruction structurelle du flux sanguin, et non à la vasoconstriction. Ces maladies sont distinctes, au sens clinique, de celles dans lesquelles intervient la vasoconstriction, comme l’hypertension, l’HTP ou l’HTAP, et les voies du NO ou de l’endothéline ne jouent pas un rôle prédominant dans leur physiopathologique. Ainsi, le brevet 770 n’établit pas clairement comment ces maladies peuvent être traitées par la combinaison revendiquée de macitentan et d’un I‑PDE5.

[256] Sandoz soutient également que le Dr Vachiery a admis qu’on savait en 2008 que les ARE n’étaient pas utiles pour la dysfonction érectile, l’angine de poitrine, l’artériopathie diabétique et l’insuffisance cardiaque et que le Dr Chakinala a admis qu’on savait en 2007 que certains sous‑types d’HTP et d’HTAP ne pouvaient être traités avec les ARE. Le Dr Zusman n’a pas fait valoir que le mémoire descriptif était insuffisant pour les troubles autres que l’angine de poitrine et l’artériopathie diabétique, mais, se fondant sur les admissions qu’auraient faites les Drs Vachiery et Chakinala, Sandoz affirme que la personne versée dans l’art en est [traduction] « réduite à se demander » comment la combinaison de macitentan et d’I‑PDE5 traiterait l’artériopathie diabétique, l’angine de poitrine, la dysfonction érectile, l’insuffisance cardiaque et certains sous‑types d’HTP et d’HTAP.

[257] Les demanderesses soutiennent que la personne versée dans l’art peut facilement comprendre la nature de l’invention et être en mesure de la mettre en pratique. Le brevet 770 enseigne l’administration des composés et leurs utilisations applicables. Les Drs Chakinala et Vachiery sont d’avis que la personne versée dans l’art comprendrait comment le macitentan et un I‑PDE5 fonctionnent pour traiter les maladies dans lesquelles intervient la vasoconstriction et comment l’invention peut être utilisée (c’est-à-dire mise en pratique) pour le traitement de telles maladies.

[258] Il est difficile de concilier les positions de Sandoz sur l’évidence et le caractère suffisant de la divulgation. En ce qui concerne l’évidence, Sandoz a soutenu que tout ce que la personne versée dans l’art doit faire est de prendre le macitentan et de le combiner avec un I‑PDE5 pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction, tout comme l’enseigne l’art antérieur. Pour ce qui est du caractère suffisant de la divulgation, Sandoz affirme que le brevet 770 ne divulgue aucun élément qui décrit comment traiter la dysfonction érectile, l’angine de poitrine, l’artériopathie diabétique, l’insuffisance cardiaque et certains sous-types d’HTP et d’HTAP, et que la personne versée dans l’art en est [traduction] « réduite à se demander » comment la combinaison de macitentan et d’I‑PDE5 serait utilisée pour traiter ces maladies.

[259] Sandoz n’a pas expliqué, du point de vue de la personne versée dans l’art, quels renseignements manquant dans le brevet 770 étaient requis pour réaliser l’invention. Tous les experts ont convenu que les voies de l’endothéline et du NO étaient des voies qui fonctionnaient dans la vasculature de tout le corps, pour effectuer la vasoconstriction ou la vasodilatation. Comme je l’ai conclu précédemment, un raisonnement valable permettait de prédire que les effets observés des expériences s’étendraient à toute maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction parce que les effets observés étaient des effets vasodilatateurs. Même lorsque la pathophysiologie d’une maladie n’est pas principalement liée aux voies du NO ou de l’endothéline, la personne versée dans l’art comprendrait que la combinaison peut être utile pour traiter ces maladies en effectuant une vasodilatation.

[260] En résumé, Sandoz n’a pas établi que les revendications invoquées sont invalides pour cause d’insuffisance de la divulgation.

VIII. Conclusion

[261] Sandoz n’a pas établi que les revendications invoquées, ou certaines d’entre elles, sont invalides. Par conséquent, compte tenu de l’admission de Sandoz sur la contrefaçon, les demanderesses ont droit à une déclaration portant que Sandoz enfreindrait les revendications invoquées en fabriquant, construisant, exploitant ou vendant ses comprimés de macitentan au Canada.

[262] Les parties se sont entendues sur les dépens relatifs à l’action. Par conséquent, la Cour n’est pas tenue de se prononcer sur cette question.


JUGEMENT dans le dossier T-549-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Sandoz n’a pas établi le bien-fondé de ses allégations selon lesquelles les revendications 21 à 31 (les revendications invoquées) du brevet canadien no 2,659,770 (le brevet 770) sont invalides pour cause d’évidence, d’inutilité, de portée excessive ou de divulgation insuffisante.

  2. Compte tenu de la conclusion tirée par la Cour au paragraphe 1, de l’admission de Sandoz dans la présente instance selon laquelle elle contreferait les revendications invoquées si elle est autorisée à commercialiser ses comprimés de macitentan au Canada, et de l’entente des parties selon laquelle les demanderesses ne sont pas tenues d’établir une contrefaçon des éléments essentiels des revendications invoquées :

    1. la Cour déclare que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de comprimés de macitentan 10 mg pelliculés de Sandoz (le produit de Sandoz) par Sandoz conformément à sa présentation abrégée de drogue nouvelle no 234136 contreferait directement ou indirectement les revendications invoquées du brevet 770;

    2. Il est interdit à Sandoz et ses filiales, sociétés mères, sociétés liées et sociétés affiliées, ainsi que ses dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, licenciés, ayants cause, ayants droit et toute autre personne sur qui elle exerce une autorité, une direction ou un contrôle légitime, de faire ce qui suit, directement ou indirectement :

      1. fabriquer, construire, exploiter ou vendre le produit de Sandoz au Canada;

      2. mettre en vente, commercialiser ou faire commercialiser le produit de Sandoz au Canada;

      3. importer, exporter, distribuer ou faire distribuer le produit de Sandoz au Canada;

      4. autrement contrefaire le brevet 770 ou inciter à sa contrefaçon.

    3. Sandoz remettra aux demanderesses ou détruira sous serment, au choix des demanderesses, tout ce qui est en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, que ce soit de nature physique ou électronique, qui irait à l’encontre de l’injonction énoncée à l’alinéa b ci-dessus, y compris, sans s’y limiter, tout emballage de produit, étiquette de produit, monographie de produit ou tout autre matériel éducatif ou promotionnel se rapportant au produit de Sandoz, à l’exception des copies de ces éléments que Sandoz doit conserver en vertu de la loi.

  3. En raison de l’entente intervenue entre les parties, la Cour ne se prononce pas sur les dépens.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


ANNEXE A

COUR FÉDÉRALE

 

No du dossier du greffe T-549-20

Pièce no : J4

 

 

Produit par :

Demanderesse/défenderesse

Produit le :

24 janv. 2022

JANSEEN INC. ET AL c. SANDOZ CANADA INC.

 

Lieu : Toronto (Ontario)

Greffier : VETON MAMUDOV

 

 

N° du dossier de la Cour T-549-20

COUR FÉDÉRALE

ENTRE

JANSEEN INC. et ACTELION PHARMACEUTICALS LTD

demanderesses

- et -

SANDOZ INC.

défenderesse

Tableau d’interprétation conjoint des parties pour les revendications 21 à 31 du brevet canadien no 2,659,770

 


Revendication

 

Éléments essentiels

Interprétation des termes de la revendication

21. Utilisation du composé de formule (I) au sens de la revendication 1, ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable dudit composé de formule (I), en combinaison avec au moins un composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5, ou un sel pharmaceutiquement acceptable de ce composé, pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

(i) utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

(ii) en combinaison avec au moins un I‑PDE5 (ou son sel pharmaceutiquement acceptable);

(iii) pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction

L’« utilisation » s’entend de l’administration d’au moins deux composés précisés ensemble aux fins du traitement précisé, sans restriction quant au moment de l’administration ou à la voie d’administration.

Le « composé de formule (I) au sens de la revendication 1 » est le macitentan, dont la structure est la suivante :

(brevet 770, revendication 1, p. 11)

L’expression « sels pharmaceutiquement acceptables » désigne les sels d’addition d’acide ou de base non toxiques, inorganiques ou organiques (brevet 770, p. 4, II, 1 à 3).

L’expression « au moins un » signifie qu’un ou plusieurs des composés précisés peuvent être utilisés.

Un « composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 » désigne un composé qui, lorsqu’il est soumis au « Test de détermination de la CI50 PDE5 » décrit dans le brevet 770, a une CI50 égale ou inférieure à 1 µM (brevet 770, p. 3, lignes 4 à 6; p. 8, ligne 16, jusqu’à la p. 9, ligne 15). Dans ce contexte, la CI50 est la concentration de l’inhibiteur de la PDE5 qui entraîne une inhibition de 50 % de l’enzyme PDE5.

Le terme « traiter » correspond à la prise en charge et aux soins que l’on offre à un patient atteint d’une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction en vue de guérir ou d’atténuer cette maladie.

Une « maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction » est un trouble de la circulation sanguine qui se caractérise par une résistance accrue à l’écoulement du sang dans la circulation générale ou pulmonaire. Selon le brevet 770, cette expression signifie en particulier l’hypertension, l’hypertension pulmonaire ou « HTP » (y compris l’hypertension artérielle pulmonaire ou « HTAP »), l’artériopathie diabétique, l’insuffisance cardiaque, la dysfonction érectile ou l’angine de poitrine (brevet 770, p. 3, lignes 1 à 3). Une « maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction » comprend ces exemples sans s’y limiter.

 

22. Utilisation conforme à la revendication 21, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil, le vardénafil, le tadalafil ou l’udénafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le sildénafil, le vardénafil, le tadalafil ou l’udénafil (ou leur sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (iii)pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

Le « sildénafil » est le composé ayant la structure suivante :

(sildénafil)

(brevet 770, p. 3)

Le « vardénafil » est le composé ayant la structure suivante :

(vardénafil)

(brevet 770, p. 3)

Le « tadalafil » est le composé ayant la structure suivante :

(tadalafil)

(brevet 770, p. 3)

L’« udénafil » est le composé ayant la structure suivante :

(udénafil)

(brevet 770, p. 4)

 

23. Utilisation conforme à la revendication 22, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil ou le tadalafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le sildénafil ou le tadalafil (ou leur sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (iii)pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

24. Utilisation conforme à la revendication 23, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le sildénafil (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

25. Utilisation conforme à la revendication 23, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le tadalafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le tadalafil (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter une maladie dans laquelle intervient la vasoconstriction.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

26. Utilisation conforme à la revendication 21, où la maladie est l’hypertension ou l’hypertension pulmonaire.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec au moins un I-PDE5 (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter l’hypertension ou l’hypertension pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

L’« hypertension » est une affection caractérisée par une élévation persistante de la pression artérielle dans les vaisseaux sanguins de l’organisme. L’hypertension est aussi connue sous le nom d’hypertension artérielle ou d’hypertension artérielle systémique.

L’« hypertension pulmonaire » est pression artérielle élevée dans les poumons.

27. Utilisation conforme à la revendication 26, où la maladie est l’hypertension pulmonaire.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec au moins un I-PDE5 (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter l’hypertension pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

28. Utilisation conforme à la revendication 27, où la maladie est l’hypertension artérielle pulmonaire.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec au moins un I-PDE5 (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

L’« hypertension artérielle pulmonaire » (« HTAP ») est une forme d’hypertension pulmonaire dans laquelle les parois des artères pulmonaires se contractent et durcissent, ce qui surcharge le côté droit du cœur en l’obligeant à travailler plus fort pour propulser le sang dans les artères rétrécies jusqu’aux poumons.

29. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil ou le tadalafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le sildénafil ou le tadalafil (ou leur sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (iii)pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

30. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le sildénafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le sildénafil (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.

31. Utilisation conforme à la revendication 28, où le composé ayant des propriétés d’inhibition de la PDE5 est le tadalafil.

  • (i)utilisation de macitentan (ou de son sel pharmaceutiquement acceptable);

  • (ii)en combinaison avec le tadalafil (ou son sel acceptable sur le plan pharmaceutique);

  • (iii)pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Tous les termes abordés précédemment ont la même interprétation que celle décrite ci-dessus.


ANNEXE B

Abréviations des documents utilisées dans les motifs

Titre complet

Source (présentée au procès)

Channick (2004)

Channick, « Endothelin receptor antagonists in pulmonary arterial hypertension » dans JACC, vol. 43, no 12, suppl. juin 2004.

Pièce D-3 du rapport d’expert du Dr Zusman

Ghofrani et coll. (2006)

Ghofrani et coll., « Differences in hemodynamic and oxygenation responses to three different phosphodiesterase-5 inhibitors in patients with pulmonary arterial hypertension: a randomized prospective study ». dans J Am Coll Cardiol., vol. 44, no 7, p. 1488 à 1496, 6 octobre 2004.

Pièce D-16 du rapport d’expert du Dr Zusman

Hoeper et coll. (2004)

Hoeper et coll. « Combination therapy with bosentan and sildenafil in idiopathic pulmonary arterial hypertension », dans Eur Respir J., vol. 24, p. 1007 à 1010, 2004.

Pièce D-16 du rapport d’expert du Dr Zusman

Lee & Channick (2005)

Lee SH et Channick RN, « Endothelin Antagonism in Pulmonary Arterial Hypertension », dans Semin Respir Crit Care Med., vol. 26, no 4, p. 402 à 408, 26 août 2005.

Pièce D-16 du rapport d’expert du Dr Zusman

Minai et Arroliga (2006)

Minai O.A. et Arroliga A.C. « Long-term results after addition of sildenafil in idiopathic PAH patients on bosentan », dans South Med J., vol. 99, no 8, p. 880 à 883, août 2006.

Pièce D-16 du rapport d’expert du Dr Zusman

Lee et Rubin (2005)

Lee et Rubin, « Current treatment strategies for pulmonary arterial hypertension », dans J Int Med, vol. 258, p. 199 à 215, sept. 2005.

Pièce E du rapport d’expert du Dr Zusman

McLaughlin et McGoon (2006)

McLaughlin et McGoon, « Pulmonary arterial hypertension », dans Circulation, vol. 114, no 13, p. 1417 à 1431, sept. 2006.

Pièce F du rapport d’expert du Dr Zusman

US 731

Demande de brevet américaine no 2004/0063731, « Pharmaceutical Formulation Comprising Pyrazolo [4,3-D] Pyrimidines and Endothelin Receptor Antagonists or Thienopyrimidines and Endothelin Receptor Antagonist »

Pièce D-31 du rapport d’expert du Dr Zusman

S.O.

Brevet américain 5,250,534, « Pyrazolopyrimidinone Antianginal Agents »

Pièce D-32 du rapport d’expert du Dr Zusman

US 006

Brevet américain 5,859,006, « Tetracyclic Derivatives; Process of Preparation and Use »

Pièce D-33 du rapport d’expert du Dr Zusman

WO 004

WO 99/064004, « Quinazolinone Inhibitors of cGMP Phosphodiesterase »

Pièce D-36 du rapport d’expert du Dr Zusman

S.O.

WO 00/027848, « Pyrazolopyrimidinone Derivatives for the Treatment of Impotence »

Pièce D-37 du rapport d’expert du Dr Zusman

WO 557

WO 02/053557, « Nouveaux sulfamides et leur utilisation comme antagonistes du récepteur de l’endothéline »

Pièce D-38 du rapport d’expert du Dr Zusman

WO 395

WO 2006/026395, « Antagonistes du récepteur de l’endothéline A (ETA) combinés à des inhibiteurs de phosphodiestérase 5 (PDE5) et leurs utilisations »

Pièce D-39 du rapport d’expert du Dr Zusman

WO 502

WO 2006/051502, « Nouveaux sulfamides »

Pièce D14 du procès présentée à la Dre Clozel au cours du contre-interrogatoire

Lignes directrices de la SEC

Guidelines on diagnosis and treatment of pulmonary arterial hypertension, The Task Force on Diagnosis and Treatment of Pulmonary Arterial Hypertension of the European Society of Cardiology, dans Eur Heart J, p. 2243 à 2278, 25 décembre 2004.

Pièce C du rapport d’expert du Dr Vachiery

Lignes directrices de l’ACCP

Medical Therapy for Pulmonary Arterial Hypertension, Updated ACCP Evidence-Based Clinical Practice Guidelines, dans Chest, vol. 131, no 6, p. 1917 à 1928, juin 2007.

Pièce D du rapport d’expert du Dr Vachiery

Paul et coll. (2005)

Paul et coll., « Bosentan decreases the plasma concentration of sildenafil when coprescribed in pulmonary hypertension », dans Br J Clin Pharmacol, vol. 60, no 1, p. 107 à 112, juillet 2005.

Pièce K du rapport d’expert du Dr Vachiery

 


ANNEXE C

 

Voie de l’endothéline

 

Pré-pro-endothéline

 

Pro-endothéline

 

Récepteur A de l’endothéline

 

Endothéline-1

 

Antagonistes des récepteurs de l’endothéline

 

Récepteur B de l’endothéline

 

Vasoconstriction et prolifération

 

Cellules musculaires lisses

 

Cellules endothéliales

 

Voie de l’oxyde nitrique

 

L-arginine

 

L-citrulline

 

Oxyde nitrique

 

GMPc

 

Oxyde nitrique exogène

 

Phosphodiestérase de type 5

 

Vasodilatation et antiprolifération

 

Inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5

 

Voie de la prostacycline

 

Lumière du vaisseau

 

Acide arachidonique

 

Prostaglandine I2

 

Prostacycline (prostaglandine I2)

 

AMPc

 

Dérivés de la prostacycline

 

Vasodilatation et antiprolifération

 

Citation : Barst RJ. Pulmonary hypertension : Past, present and future, dans Annals of Thoracic Medicine, vol 1, no 1, p 1, 2008.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-549-20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JANSSEN INC ET ACTELION PHARMACEUTICALS LTD c SANDOZ CANADA INC

 

LEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 24, 25, 26, 27, 28, 30 JANVIER, 1ER, 3, 17 ET 18 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET

MOTIFS :

la juge PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :

 

LE 12 MARS 2022

 

date du JUGEMENT ET

DES MOTIFS PUBLICS :

LE 31 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

Melanie Baird

Cole Meagher

Dylan Churchill

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nicholas Wong

Junyi Chen

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Christopher Tan

Ran He

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Blaney McMurtry LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Tan, He & Co. LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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