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Date : 20220601


Dossier : IMM-7155-21

Référence : 2022 CF 801

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

HARSIMRAN SINGH KHARAUD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 21 août 2021 par laquelle un agent des visas (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a rejeté une demande de permis de travail déposée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires au motif qu’il n’a pas démontré qu’il sera en mesure d’exercer adéquatement l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé comme l’exigent la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

II. Contexte

[2] Le demandeur, M. Harsimran Sing Kharaud, est un citoyen de l’Inde âgé de 28 ans. En avril 2021, il a présenté une demande de permis pour pouvoir travailler comme plombier (Classification nationale des professions [CNP] 7251) au 121 Plumbing Solutions Ltd., qui est située à Surrey, en Colombie-Britannique.

[3] À l’appui de sa demande de permis de travail, le demandeur a notamment joint une preuve d’études (un baccalauréat obtenu en 2015), un certificat de qualification de plombier (une formation professionnelle en plomberie d’août 2015 à juillet 2016; un certificat d’apprentissage obtenu en avril 2019) ainsi que trois lettres de recommandation d’employeurs en Inde dans le domaine de la plomberie (entre août 2016 et le dépôt de la demande).

[4] Dans sa décision du 21 août 2021, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur était en mesure de démontrer qu’il serait capable d’exercer adéquatement l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé.

[5] Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] Dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a noté les problèmes suivants concernant la demande de permis de travail du demandeur :

  1. Deux des trois lettres de recommandation étaient écrites [traduction] « sur du papier ordinaire et semblaient avoir été produites pour les besoins de la présente demande [de permis de travail] », et l’une des lettres de recommandation « n’indiquait pas le nom du signataire et sa signature était illisible »;

  2. Bien que des déclarations de revenus et des relevés de dépôts bancaires aient été fournis, aucun talon de paye de l’employeur n’a été présenté pour les années 2019 et 2020, et les dépôts bancaires pour l’année 2021 [traduction] « n’indiquaient pas qu’il s’agissait de dépôts de salaire »;

  3. Le demandeur n’a déclaré aucune activité professionnelle entre l’obtention de son baccalauréat en avril 2015 et le début de son emploi en tant que plombier en août 2016.

[7] Pour les raisons qui précèdent, l’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait ni l’expérience, ni les compétences, ni les habiletés requises pour exercer les fonctions du poste pour lequel il avait demandé un permis de travail. La demande de permis de travail a donc été rejetée conformément à l’alinéa 200(3)a) du Règlement.

IV. Questions en litige

[8] En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  • (1) La décision était-elle raisonnable?

  • (2) La décision était-elle équitable sur le plan procédural? 

V. Norme de contrôle

[9] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[10] Les questions relatives à un manquement à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou une norme ayant la même portée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

VI. Analyse

[11] L’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires peut être autorisé à exercer un emploi au Canada (paragraphes 30(1) et 30(1.1) de la Loi).

[12] Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé (alinéa 200(3)a) du Règlement).

[13] L’alinéa 200(3)a) du Règlement ne prescrit pas un niveau de compétence ou de sécurité en particulier. À cet égard, la jurisprudence est claire : c’est au demandeur d’un permis de travail que revient le fardeau de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa compétence; un agent des visas possède un large pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire; et il faut faire preuve d’un haut niveau de déférence à l’égard de sa décision (Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 [Sangha] au para 42).

[14] La CNP 7251 décrit les fonctions principales et les conditions d’accès à la profession de plombier de la manière suivante :

Fonctions principales

Les plombiers exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

  • lire des plans, des dessins et des spécifications techniques afin de déterminer la disposition de la tuyauterie, du réseau d’alimentation en eau et des réseaux d’égout et d’évacuation des eaux;

  • installer, réparer et entretenir des accessoires et des installations de tuyauterie dans des résidences et des bâtiments commerciaux et industriels;

  • déterminer et marquer l’emplacement des raccords des tuyaux, des trous pour le passage des tuyaux dans les murs et les planchers ainsi que les accessoires;

  • pratiquer, dans les murs et les planchers, des ouvertures de diamètre convenant aux tuyaux et aux accessoires de tuyauterie;

  • mesurer, couper, plier et tarauder les tuyaux à l’aide de machines ou d’outils manuels ou mécaniques;

  • joindre les tuyaux avec des raccords, des colliers de serrage, des vis, des boulons ou du matériel de collage, de brasage ou de soudage;

  • vérifier les tuyaux à l’aide de manomètres pour déceler les fuites;

  • préparer, s’il y a lieu, des devis.

Conditions d’accès à la profession

  • Un diplôme d’études secondaires est habituellement exigé.

  • Un programme d’apprentissage de quatre à cinq ans ou plus de cinq ans d’expérience dans le métier ainsi qu’une formation spécialisée en plomberie, en milieu scolaire ou industriel, sont habituellement exigés pour être admissible au certificat de qualification.

  • Le certificat de qualification est facultatif en Colombie-Britannique.

A. La décision était-elle raisonnable?

[15] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent a mal interprété les faits et n’a pas tenu compte des circonstances et de la preuve au dossier. Il souligne les quatre préoccupations suivantes concernant la décision :

i. L’agent a mal interprété les conditions d’accès à la profession.

Comme je l’ai déjà mentionné, bien qu’elles ne soient pas obligatoires, les conditions d’accès à la profession de la CNP 7251 sont notamment un diplôme d’études secondaires et un certificat de qualification.

Le demandeur possède un diplôme d’études secondaires, un baccalauréat, un certificat de qualification en plomberie, qui comprend une année de formation professionnelle et environ cinq ans d’expérience en plomberie (à la date de la décision).

Ce qui précède démontre que le demandeur remplit les conditions d’accès à la profession de la CNP 7251 et, sans aucun doute, celles de la Colombie‑Britannique.

L’argument du défendeur selon lequel l’agent a raisonnablement conclu que l’apprentissage du demandeur correspondait à des études et non à un emploi est sans fondement; ce raisonnement ne faisait pas partie de la décision de l’agent. De plus, même si le demandeur n’avait pas environ cinq ans d’expérience de travail, cette expérience n’est pas obligatoire, et il possède un certificat de qualification (qui est également facultatif, mais pour lequel l’expérience de travail est prise en compte dans le cadre des exigences d’accès à la profession de la CNP 7251).

ii. Les lettres de recommandation démontrent que le demandeur possède de l’expérience dans l’exercice des fonctions principales indiquées dans la description de la CNP 7251.

Les lettres de recommandation et le curriculum vitæ du demandeur démontrent son expérience à exercer la majorité, voire la totalité des fonctions principales décrites dans la CNP 7251.

iii. Les lettres de recommandation indiquaient que le demandeur était payé par voie électronique, et sa déclaration de revenus montrait les revenus de 2021 tirés de son plus récent emploi.

Chacune des trois lettres de recommandation fait état de la rémunération du demandeur, et son plus récent employeur indique qu’il le payait par voie électronique. Ces montants figurent dans les déclarations de revenus et les relevés bancaires. Bien que les talons de paye puissent également constituer des éléments de preuve utiles, ils ne sont pas nécessaires pour démontrer que le demandeur recevait un salaire de la part de ces trois employeurs pour son travail de plombier.

Bien que la signature sur l’une des lettres soit illisible, un tampon y est apposé pour indiquer que le signataire est habilité à agir au nom de l’employeur.

iv. La conclusion de l’agent selon laquelle il y a un trou dans le dossier d’emploi du demandeur démontre qu’il n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, qui comprend le curriculum vitæ et les certificats de formation du demandeur.

L’agent mentionne un trou dans le dossier d’emploi du demandeur entre l’obtention de son baccalauréat et le début de son emploi de plombier. La preuve démontre que le demandeur était en train de recevoir sa formation de plombier pendant ce temps. Il n’y a aucun trou.

[16] Soit l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve, soit il a commis une erreur dans son examen de la preuve au dossier. La décision n’est pas raisonnable.

B. La décision était-elle équitable sur le plan procédural?

[17] L’équité procédurale exige que les agents des visas veillent à ce que les demandeurs aient la possibilité de participer utilement au processus de demande, ce qui comprend le droit d’être informé des incohérences importantes perçues, des préoccupations quant à la crédibilité, des préoccupations quant à l’exactitude ou à l’authenticité, ou du fait qu’un agent des visas s’appuie sur une preuve extrinsèque, et de se voir donner la possibilité d’y répondre (Bui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 440 au para 27).

[18] Bien que la décision de délivrer un visa temporaire suppose habituellement un degré faible ou négligeable d’équité procédurale, lorsque l’agent a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis, le demandeur devrait avoir l’occasion de dissiper ces doutes (Sangha, aux para 21 à 22, citant Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24 et Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716 au para 6).

[19] Dans la décision, l’agent remet en question la crédibilité et l’authenticité des trois lettres de recommandation en déclarant qu’elles étaient écrites [traduction] « sur du papier ordinaire et semblaient avoir été produites pour les besoins de la présente demande [de permis de travail] » et qu’une des lettres de recommandation « n’indiquait pas le nom du signataire et [que] sa signature était illisible ».

[20] L’agent n’a pas offert au demandeur l’occasion de répondre à ces préoccupations; il y a eu manquement à l’équité procédurale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7155-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-7155-21

 

INTITULÉ :

HARSIMRAN SINGH KHARAUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1er juin 2022

 

COMPARUTIONS :

NEHA BAINS

 

Pour le demandeur

 

DEVI RAMACHANDRAN

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NEHA BAINS

SURREY (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

Pour le demandeur

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

Pour le défendeur

 

 

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