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Date : 20220526


Dossier : IMM‑1100‑21

Référence : 2022 CF 760

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

PEDRO RODRIGUEZ PALACIOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen du Mexique, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 21 janvier 2021, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur à l’égard de ce qui suit : a) Dans son examen des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur et en ne tenant aucune audience; b) En concluant que l’omission d’une prétendue agression était déterminante eu égard à sa demande d’asile; c) En accordant trop de poids aux notes consignées par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] lors d’une entrevue avec le demandeur.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la décision de la SAR était raisonnable et, pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[4] Le demandeur est un citoyen du Mexique âgé de 38 ans, qui était opérateur de machinerie lourde dans ce pays pour une entreprise de construction et directeur musical d’un groupe de musique ayant pour nom « Banda la attrapadora ».

[5] Le demandeur est entré au Canada le 23 septembre 2017, mais il n’a pas demandé l’asile à son arrivée.

[6] Le demandeur a été arrêté par l’ASFC le 22 novembre 2017, en même temps que quatre autres personnes à la suite d’une descente à l’usine où il travaillait au Canada sans autorisation. Il a été interrogé avec l’aide d’une interprète, et deux agents différents de l’ASFC ont consigné des notes relatives à l’entrevue. Les notes consignées par l’agent Potvin indiquent ce qui suit :

[traduction]

[Le demandeur] a fait allusion au fait qu’il voulait obtenir l’asile au Canada. J’ai ensuite demandé s’il craignait de retourner au Mexique, ce à quoi il a répondu que « non ». Lorsqu’il lui a été demandé de préciser pourquoi il voulait l’asile au Canada, il a expliqué qu’il n’y avait pas de travail au Mexique et qu’il existe une délinquance générale dans la région où il vit. Lorsqu’il lui a été demandé s’il avait tenté de déménager dans une autre partie du Mexique, il a répondu qu’il ne l’avait pas fait parce qu’il ne voulait pas quitter sa famille. J’ai souligné le fait qu’il avait quitté sa famille au Mexique pour venir au Canada. Je lui ai expliqué la définition d’un réfugié et j’ai passé en revue le processus d’octroi du statut de réfugié. Il a alors déclaré qu’il n’avait pas besoin de l’asile.

[7] Les notes consignées par l’agent Cebado indiquent ce qui suit :

[traduction] Pendant l’entrevue avec l’agent G. POTVIN par l’entremise de l’interprète en espagnol Elizabeth MARTINEZ, qui comprenait une explication quant aux motifs des arrestations et aux droits à un avocat et des renseignements d’ordre médical; M. ROGRIGUEZ PALACIOS a d’abord fait allusion au fait qu’il avait besoin d’une protection. Plus précisément, à l’asile au Canada à l’égard de son pays d’origine, le Mexique.

Lorsqu’il a été demandé directement à M. ROGRIGUEZ PALACIOS s’il craignait de retourner au Mexique, il a catégoriquement répondu « non ». Lorsqu’il lui a été demandé s’il était persécuté d’une quelconque façon au Mexique, il a répondu « non ». Il a été demandé à M. ROGRIGUEZ PALACIOS s’il connaissait la signification de réfugié au sens de la Convention au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR, il a répondu « non ». Lorsqu’il lui a été expliqué, par l’entremise de l’interprète, la définition de réfugié au sens de la Convention et qu’il lui a été demandé si, à son avis, il entrait dans cette catégorie, il a répondu « non ». Lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer pourquoi il faisait allusion à l’exigence relative à la protection du Canada, il a répondu qu’il ne voulait pas retourner au Mexique parce qu’il n’y avait pas de possibilités là‑bas. Plus précisément, il y avait peu de possibilités d’emploi au Mexique, voire pas du tout. Il souhaitait demeurer au Canada parce qu’il y avait plus de possibilités d’emploi et y gagner sa vie. Il a mentionné que le Mexique était un endroit dangereux où vivre et que la délinquance généralisée dans le pays, en particulier où il vivait, rendait la vie difficile. Lorsqu’il lui a été demandé s’il était exposé à des situations précises sur lesquelles il pourrait fournir des précisions par rapport aux commentaires ci‑dessus, il a répondu « non ».

Il a été demandé directement à M. ROGRIGUEZ PALACIOS s’il avait l’intention de demander l’asile, ce à quoi il a répondu qu’il ne souhaitait pas présenter une demande d’asile, car il ne craignait pas de retourner au Mexique.

[8] Le demandeur a présenté une demande d’asile le 19 décembre 2017. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] et l’exposé circonstancié accompagnant son formulaire, le demandeur a affirmé qu’il était exposé à une menace sérieuse à sa vie au Mexique parce qu’il avait été pris pour cible par des membres de cartels de la drogue mexicains qui lui extorquaient de l’argent. Il a soutenu qu’après chaque concert donné par son groupe, des membres du cartel l’abordaient et exigeaient qu’il leur verse de l’argent. Il lui a fallu emprunter de l’argent à son employeur pour verser les premiers montants exigés, mais les montants ont augmenté, et il n’était plus en mesure de payer. Il a affirmé que, lorsqu’il ne versait pas d’argent, les membres du cartel le menaçaient. Craignant pour sa sécurité, le demandeur a quitté le Mexique et est entré au Canada.

[9] Le demandeur a présenté une [traduction] « mise à jour de son exposé circonstancié » le 21 août 2019 dans laquelle il a affirmé que quelques semaines avant qu’il ne fuie le Mexique, des membres d’un gang venus réclamer l’argent de l’extorsion l’avaient brutalement agressé. Il a soutenu qu’il avait été frappé au visage et au ventre par la crosse de leurs armes à feu, ce qui lui a valu une fracture du nez et de l’os du front (entre ses yeux).

[10] Le demandeur a comparu devant la SPR le lendemain. Il a présenté un certain nombre de documents devant la SPR dans les jours précédant l’audience, documents que la SPR a rejetés sans justification.

[11] Dans sa décision du 5 septembre 2019, la SPR a statué que les questions déterminantes eu égard à la demande d’asile en l’espèce étaient la crédibilité du témoignage de vive voix du demandeur, de l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et d’autres éléments de preuve documentaire. La SPR a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas un témoin crédible. Plus précisément, la SPR a conclu que : a) Le demandeur a inventé son histoire et n’était pas crédible quant aux raisons pour lesquelles il demandait l’asile; b) Son témoignage de vive voix contredisait son exposé circonstancié écrit; c) Le demandeur a embelli son témoignage pour favoriser sa demande d’asile; d) Les affirmations que le demandeur a faites aux agents de l’ASFC contredisaient l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, et la SPR a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle la fatigue et le manque de sommeil au moment de son entrevue avec les agents expliquaient pourquoi il avait répondu aux agents qu’il n’avait pas besoin de protection. Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[12] La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en rejetant les documents présentés par le demandeur dans les jours précédant l’audience de la SPR, affirmant que la SPR avait mis trop l’accent sur la forme au détriment du fond. La SAR a admis les éléments de preuve au motif que les documents étaient pertinents, qu’ils avaient une valeur probante et qu’ils apportaient une nouvelle preuve du fait qu’ils aidaient à établir le rôle du demandeur dans le groupe ainsi que son autre emploi en tant qu’opérateur de machinerie lourde et qu’ils étaient pertinents eu égard à ses allégations concernant le danger auquel il prétendait être exposé. À l’exception d’une pièce, la SAR a aussi admis un certain nombre de nouveaux documents supplémentaires produits par le demandeur au motif que les nouveaux éléments de preuve concernaient les allégations du demandeur, mais elle a souligné que cela ne voulait pas dire qu’elle croirait les allégations du demandeur ou qu’elle admettrait que les nouveaux documents, en fin de compte, étayaient sa demande d’asile. Elle a fait remarquer qu’elle parlerait du poids qu’elle accorderait aux nouveaux éléments de preuve dans la section portant sur l’analyse de sa décision.

[13] La SAR a rejeté la demande présentée par le demandeur quant à la tenue d’une audience aux termes du paragraphe 110(6) de la LIPR au motif que les nouveaux éléments de preuve ne soulevaient pas une question importante en ce qui concernait la crédibilité du demandeur et que, même si elle acceptait les faits mentionnés dans les nouveaux éléments de preuve, ces faits n’étaient pas essentiels quant à la prise de la décision relative à la demande d’asile et, à supposer que les éléments soient admis, qu’ils ne justifieraient pas que la demande d’asile soit accordée ou refusée.

[14] La SAR a établi que la SPR avait eu raison de conclure que les allégations du demandeur au sujet de la crainte à laquelle il prétendait être exposé au Mexique n’étaient pas crédibles. La SAR a conclu que la prétendue agression décrite dans la mise à jour de l’exposé circonstancié du demandeur allait au cœur même de sa demande d’asile et qu’il ne s’agissait pas simplement de l’ajout d’un détail, comme le laissait entendre le demandeur. Elle a conclu que l’omission de ce fait et de ce détail importants dans son formulaire FDA initial minait la crédibilité de l’ensemble des éléments de preuve du demandeur et que l’importante omission relative à la principale allégation de la demande d’asile du demandeur était déterminante pour celle‑ci.

[15] La SAR a aussi conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur fondée sur son entrevue avec l’ASFC, lors de laquelle il a mentionné qu’il ne voulait pas demander l’asile. Elle a fait remarquer que le demandeur n’avait pas contesté qu’il s’était exprimé sur les notions essentielles mentionnées dans les notes consignées par les agents de l’ASFC, mais qu’il tentait en appel de fournir une explication raisonnable pour s’être exprimé ainsi. Elle a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle le fait qu’il était fatigué, qu’il avait peur et qu’il avait faim, ou la présence d’une interprète au téléphone, lui aurait fait oublier la raison pour laquelle il se trouvait au Canada. Même si la SAR a établi que le demandeur ne devrait pas être tenu de comprendre les exigences législatives et la définition de réfugié, il reste que, lorsqu’il s’agissait de questions qui ne nécessitaient aucune compréhension de la définition de réfugié, le demandeur n’a exprimé aucun motif de crainte au Mexique.

[16] En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve qui ont été admis en appel, la SAR a affirmé ce qui suit :

[58] Pour ce qui est des éléments de preuve concernant les décès des neveux de Pedro, je souligne qu’il manque d’éléments de preuve pour étayer le fait que ces décès ont quoi que ce soit à voir avec les allégations de Pedro selon lesquelles il s’est fait extorquer de l’argent. Il s’agit de déclarations de proches qui portent à croire qu’il y a un lien, mais aucun élément de preuve n’appuie ces déclarations qui laissent entendre que les personnes qui ont prétendument extorqué de l’argent à Pedro étaient les mêmes que celles qui ont tué ses neveux en raison de la situation dans laquelle il se trouvait. En effet, en ce qui concerne le neveu qui a été assassiné le 7 septembre 2019, l’article de presse montre que six autres personnes ont également été tuées. Rien ne donne à penser que ces décès ont un quelconque lien avec les allégations de Pedro, et, par conséquent, le fait que des proches de Pedro ont été assassinés n’appuie pas ses allégations quant à la question de savoir s’il croit avoir besoin de l’asile.

[59] Les nouveaux éléments de preuve admis en ce qui concerne la confirmation de l’emploi de Pedro et son appartenance à un groupe de musique ne changent pas ma décision. Ces faits peuvent être admis, mais ils n’aident pas Pedro dans sa demande d’asile pour les motifs énoncés dans la présente décision.

[60] J’ai examiné les articles de presse concernant le crime organisé et j’ai également pris en considération le cartable national de documentation sur le Mexique. Les renseignements sur la criminalité et les cartels au Mexique sont des renseignements généraux qui n’aident pas Pedro à prouver ses allégations spécifiques selon lesquelles les cartels lui ont extorqué de l’argent et ont menacé de lui causer un préjudice.

[17] La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

III. Analyse

[18] Même si le demandeur a soulevé un certain nombre de questions dans le cadre de la présente demande, celles‑ci concernent toutes le caractère raisonnable de la décision de la SAR. Par conséquent, les questions soulevées par le demandeur sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable [voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[19] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji‑Adele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

A. La SAR n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne l’omission dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA

[20] Le demandeur affirme que les conclusions tirées par la SAR selon lesquelles l’agression allait au cœur même de da demande d’asile et que l’omission de l’agression dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA était déterminante quant à sa demande d’asile n’étaient pas raisonnables. Il prétend qu’il avait une demande d’asile indépendante reposant sur le fait qu’il était victime d’extorsion et que l’extorsion et la crainte de préjudice s’il ne versait pas l’argent étaient au cœur de sa demande d’asile, et non pas l’agression. Il soutient que l’agression ne minait pas sa demande d’asile et n’y changeait rien. De plus, il affirme que la SAR a eu tort de conclure que cette seule omission, en l’absence d’autres omissions ou d’une accumulation de contradictions. était déterminante quant à sa demande d’asile.

[21] Je rejette l’affirmation du demandeur. La conclusion de la SAR selon laquelle l’omission de l’agression était importante est tout à fait raisonnable. L’agression n’était pas un détail mineur ou une information accessoire pouvant être omis. Le demandeur a décrit l’agression (qui lui avait, à ses dires, causé un grand nombre de blessures) comme étant le fondement de sa décision de quitter le Mexique afin d’éviter d’autres préjudices de ce genre de la part du cartel. Le fait que le demandeur a affirmé qu’il avait d’autres motifs sur lesquels fonder sa demande d’asile, hormis l’agression, ne change rien à l’importance de l’agression pas plus qu’il ne remédie à l’omission du demandeur. J’estime que l’omission de l’agression offrait à la SAR un motif raisonnable pour contester la crédibilité du demandeur et pour conclure qu’elle était déterminante quant à l’issue de la demande d’asile [voir Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 aux para 18‑20].

[22] De plus, même si le demandeur soutient qu’une seule omission ne constitue pas un motif suffisant pour la conclusion tirée par la SAR, je constate qu’il n’a relevé aucune décision de la Cour ni aucun arrêt de la Cour d’appel fédérale à l’appui de son affirmation. En l’espèce, l’omission de l’agression dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA et dans l’entrevue avec les agents de l’ASFC était importante et, pour cette raison, il était loisible à la SAR de conclure qu’elle minait considérablement la crédibilité du demandeur.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur dans son examen des nouveaux éléments de preuve et dans son refus de tenir une audience

[23] Le demandeur affirme que, même si elle a jugé que les nouveaux éléments de preuve étaient crédibles et pertinents et qu’ils avaient une valeur probante, la SAR ne s’est pas penchée sur le poids à leur accorder, plus particulièrement en ce qui concerne les deux lettres provenant du cousin et la lettre de l’épouse du demandeur. Il prétend que ces trois documents établissent un lien étroit entre lui et le décès de ses neveux et constituent la preuve du risque constant auquel il serait exposé au Mexique. Dans les circonstances, il soutient que la conclusion tirée par la SAR, selon laquelle ces éléments de preuve n’étayent pas sa demande d’asile, était déraisonnable.

[24] Je rejette l’affirmation du demandeur. La SAR a examiné les trois lettres en question au paragraphe 58 de sa décision, où elle a affirmé qu’« [i]l s’agi[ssai]t de déclarations de proches qui portent à croire qu’il y a un lien » entre les décès des neveux du demandeur et l’extorsion et les menaces dont il a fait l’objet. Elle a toutefois estimé que, malgré ces lettres portant à croire, comme elle l’a reconnu, à l’existence d’un lien, il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour étayer l’affirmation du demandeur selon laquelle les décès avaient quelque chose à voir avec ses allégations d’extorsion. Autrement dit, la SAR a en fait conclu que les affirmations non étayées formulées par le cousin et par l’épouse du demandeur étaient insuffisantes pour établir les faits allégués. De plus, la SAR n’a peut‑être pas utilisé le mot « poids » lorsqu’elle a examiné les lettres; toutefois, je suis convaincue qu’elle a pris en compte ces lettres dans sa conclusion quant à savoir si le demandeur avait présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa demande d’asile. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que le demandeur a fait valoir une quelconque lacune dans l’examen par la SAR de ces éléments de preuve et dans les motifs de sa décision.

[25] Dans ses observations écrites, le demandeur a affirmé que la SAR avait omis d’apprécier le fondement probatoire objectif de la demande d’asile et le fait que les documents relatifs aux conditions dans le pays montrent clairement que les faits sous‑tendant sa demande d’asile [extorsion des membres du groupe de musique par le cartel et menaces de préjudices] sont plausibles. Je ne souscris pas à cette affirmation. La SAR a expressément abordé les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur sur le crime organisé ainsi que le Cartable national de documentation sur le Mexique. De plus, les éléments de preuve documentaire dont disposait la SAR montraient que l’extorsion est généralisée au sein de la population du Mexique et que, en l’absence d’un quelconque risque crédible auquel serait personnellement exposé le demandeur, il était loisible à la SAR de conclure que ce risque généralisé n’est pas suffisant pour appuyer une demande fondée sur l’article 97 [voir la décision Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331 aux para 16‑17; conf par l’arrêt 2009 CAF 31].

[26] En ce qui concerne la question de la tenue d’une audience, selon le paragraphe 110(3) de la LIPR, la SAR procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la SPR. Toutefois, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont admis aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR « peut tenir une audience » si les éléments a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité; b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas, conformément au paragraphe 110(6) de la LIPR. La décision de la SAR de tenir ou non une audience conformément au paragraphe 110(6) est fondée sur la question de savoir si les critères ont été établis et, le cas échéant, si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire de tenir une audience [voir la décision Sanmugalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 200 au para 36; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911 au para 11; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 au para 18.

[27] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 110(6) de la LIPR en omettant de convoquer une audience et que les motifs de la SAR de refuser la tenue d’une audience ne sont pas justifiés ni transparents. Étant donné que les nouveaux éléments de preuve concernaient directement les allégations formulées par le demandeur, ce dernier affirme que, contrairement à la conclusion tirée par la SAR, les nouveaux documents soulevaient bel et bien une question quant à sa crédibilité et étayaient ses allégations, tant passées que futures.

[28] Je rejette l’affirmation du demandeur et je ne relève aucune erreur dans la décision de la SAR selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne soulevaient pas de question (encore moins une question importante) en ce qui concerne la crédibilité du demandeur et n’étaient pas essentiels pour la prise de décision. Il ressort clairement d’un examen de la décision de la SAR que les questions essentielles concernant la crédibilité en l’espèce se rapportaient à l’omission du demandeur de mentionner l’agression dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA initial et aux différences relevées entre les éléments de preuve sous‑tendant la demande d’asile du demandeur et les affirmations formulées par celui‑ci lors de l’entrevue avec des agents de l’ASFC. Les nouveaux éléments de preuve ne concernaient ni l’une ni l’autre de ces questions relatives à la crédibilité. Même si le demandeur avait raison et que les nouveaux éléments de preuve soulevaient une question relative à la crédibilité (et ce n’est pas mon avis), le fait de soulever une question quant à la crédibilité, en soi, n’est pas suffisant, et le demandeur n’a pas expliqué en quoi ces nouveaux éléments de preuve répondent à l’ensemble des critères qui sont énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR.

[29] Je suis convaincue que la SAR a justifié de façon satisfaisante sa conclusion selon laquelle les critères énoncés au paragraphe 110(6) pour la tenue d’une audience n’étaient pas remplis.

C. La SAR a pris en compte de façon raisonnable les notes consignées par les agents de l’ASFC

[30] Le demandeur affirme que la SAR a accordé une importance indue aux notes consignées par les agents de l’ASFC aux termes de leur entrevue avec le demandeur et qu’elle a omis de prendre en compte le contexte dans lequel cette entrevue avait eu lieu — soit qu’il était fatigué, qu’il avait faim et qu’il avait peur pendant qu’il était interrogé. De plus, il prétend que les agents de l’ASFC ont omis de lui expliquer la définition de « personne à protéger » aux termes de l’article 97 de la LIPR et qu’il était inapproprié de lui demander d’apprécier sa propre situation par rapport au cadre juridique qu’avaient décrit de façon erronée les agents de l’ASFC. Par conséquent, il soutient que la SAR a eu tort de mettre en doute sa crédibilité en raison du contenu des notes consignées par les agents.

[31] Je rejette les affirmations du demandeur. Ce faisant, je souligne que le demandeur reconnaît qu’il a dit aux agents de l’ASFC qu’il ne craignait pas de retourner au Mexique, qu’il était venu au Canada pour des raisons économiques ou qu’il avait l’intention de retourner au Mexique. Le demandeur soutient plutôt qu’il a tenu ces propos parce qu’il était fatigué, qu’il avait faim et qu’il avait peur, explication qu’il était raisonnablement loisible à la SAR de rejeter, à mon avis. De plus, il ressort d’une interprétation objective des motifs rendus à l’appui de sa décision, que la SAR ne s’est pas fondée sur ce que le demandeur avait compris du critère juridique requis pour que soit acceptée une demande d’asile présentée au titre de l’article 96 ou 97, mais qu’elle s’est plutôt fiée aux réponses données par le demandeur à des questions simples et factuelles à savoir s’il y avait une quelconque raison pour laquelle il craignait de retourner au Mexique. Dans de telles circonstances, j’estime que la SAR a eu raison de se fier aux notes consignées par les agents de l’ASFC et que les différences relevées entre les propos tenus par le demandeur devant les agents de l’ASFC et l’exposé circonstancié de son formulaire FDA constituaient un motif raisonnable permettant à la SAR de mettre en doute la crédibilité du demandeur.

IV. Conclusion

[32] Étant donné que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR est déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[33] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1100‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune n’est soulevée.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme
Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1100‑21

INTITULÉ :

PEDRO RODRIGUEZ PALACIOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

POUR LE DEMANDEUR

Idorenyin Udoh‑Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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