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Date : 20220531


Dossier : IMM‑4999‑21

Référence : 2022 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RAHEEL REHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel du demandeur contre la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

Contexte

[2] Le demandeur est citoyen du Pakistan. Il affirme avoir été témoin d’un attentat perpétré par les talibans contre une mosquée en novembre 2013 et avoir contacté les services policiers afin d’identifier les agresseurs. Une semaine plus tard, les mêmes agresseurs l’ont abordé et l’ont menacé de mort. En janvier 2014, les agresseurs ont battu le demandeur, lui cassant le bras. Le demandeur croit qu’il existe un lien entre les agresseurs et les services policiers, puisque chaque fois qu’il s’est présenté au service de police, ses agresseurs l’ont su. Le demandeur allègue qu’en juin 2014, des policiers sont venus à son domicile pour l’emmener à un poste de police; là, ils l’auraient torturé et lui auraient dit d’oublier les agresseurs. En juillet 2014, les agresseurs ont fait feu sur le demandeur, l’atteignant à l’épaule, tandis qu’il se rendait chez lui. Il s’est ensuite caché avant de s’enfuir au Brésil. De là, il s’est rendu aux États‑Unis où, en 2017, il a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée. Il est arrivé au Canada le 25 février 2019 et a présenté une demande d’asile.

[3] Le demandeur est d’avis que les talibans, avec l’aide des services policiers, le trouveront et l’assassineront s’il retourne au Pakistan. En outre, il dit craindre d’être persécuté par l’État en raison de son soutien envers le mouvement de protection pachtoune [Pashtun Tahafuz Movement – le PTM] et le parti national Awami [Awami National Party – l’ANP] puisqu’il affirme que les forces de sécurité pakistanaises arrêtent et tuent les membres du PTM.

La décision de la SPR

[4] Le 6 janvier 2021, la SPR a rejeté la demande du demandeur. Elle a conclu qu’il y avait d’importantes omissions et contradictions dans le témoignage du demandeur et que ce dernier n’avait pas été en mesure de les expliquer raisonnablement. La SPR a également conclu que le témoignage du demandeur était [traduction] « changeant, évasif et, parfois, alambiqué ». En raison du manque de crédibilité général du demandeur, la SPR n’a pas admis la crainte qu’il a soulevée à l’égard des talibans et des services policiers pakistanais.

[5] La SPR a exposé en détail ses conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. Voici certaines de ces conclusions :

Si les talibans avaient véritablement l’intention de causer un préjudice au demandeur, il était invraisemblable qu’ils ne s’en soient pas pris à lui à son domicile, vu que le demandeur a déclaré avoir donné son adresse aux services policiers et être d’avis que ces derniers collaborent avec les talibans, lesquels étaient informés de chacun de ses rapports à la police. La SPR a conclu que les talibans auraient probablement pu trouver le domicile du demandeur sans difficulté.

Il était invraisemblable que, si les talibans souhaitaient tuer le demandeur, ils n’aient pas agi entre janvier 2014, moment où il a été battu et s’est fait casser le bras, et juillet 2014, moment où il a été atteint d’une balle. La SPR a admis la preuve médicale corroborant ces blessures, mais non l’affirmation voulant que ce soient les talibans qui en étaient responsables.

Les éléments de preuve produits par le demandeur dans son exposé circonstancié et son témoignage étaient incohérents quant à savoir, d’une part, si les menaces dont auraient fait l’objet ses parents après son départ du Pakistan provenaient des talibans ou des services policiers et, d’autre part, dans quel contexte ces menaces avaient été reçues. La SPR n’a pas jugé raisonnable l’explication donnée par le demandeur pour éclaircir cette incohérence.

Le demandeur a tenté d’enjoliver sa demande, puisqu’il a fourni une déposition par affidavit de la part de ses parents selon laquelle il avait été agressé à Karachi, alors qu’il a lui‑même mentionné lors de son témoignage qu’il n’avait pas été menacé dans cette ville.

Le demandeur a déclaré que les talibans avaient fait savoir à ses parents qu’ils savaient que le demandeur se trouvait à Karachi. Lorsque la SPR lui a demandé pourquoi cela n’avait pas été mentionné dans son exposé circonstancié, le demandeur a répondu avoir dit que son père l’avait avisé que les talibans avaient livré une lettre de menaces le 24 septembre 2014. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur à cet égard était changeant et évasif et que si les talibans avaient informé les parents du demandeur qu’ils savaient que ce dernier se trouvait à Karachi, il serait raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur inscrive cette information on ne peut plus pertinente dans son exposé circonstancié. La SPR a conclu que le demandeur a probablement fabriqué l’allégation.

Le demandeur a omis de mentionner dans son exposé circonstancié que, lors de l’incident survenu en janvier 2014 où, affirme‑t‑il, des membres des talibans l’avaient battu et lui avaient cassé le bras, ils avaient également tenté de l’enlever. La SPR a rejeté en raison de son caractère déraisonnable l’explication qu’a offerte le demandeur, à savoir qu’il avait simplement oublié de mentionner ce point, étant donné qu’il était représenté par un conseil et qu’il a soumis un exposé circonstancié actualisé dix jours avant l’audience. La SPR a conclu que la déclaration du demandeur portant que les talibans avaient tenté de l’enlever constituait probablement une tentative de renforcer sa demande d’asile.

Il y a une incohérence dans le témoignage du demandeur en ce qui concerne l’endroit où il se trouvait lorsque ses parents avaient reçu la lettre de menaces le 24 septembre 2014. À l’audience, il a déclaré avoir quitté Hyderabad vers la fin du mois d’août 2014 et être retourné au domicile de ses parents, où il est demeuré caché jusqu’à son départ du Pakistan en octobre 2014. Lorsque la SPR lui a fait remarquer que, selon cette déclaration, il se trouvait à domicile lorsque les talibans avaient livré la lettre, le demandeur a changé son témoignage, indiquant qu’il était à Hyderabad à ce moment‑là. La SPR a conclu qu’en modifiant son témoignage, le demandeur tentait manifestement de corriger sa version des faits et que sa crédibilité s’en trouvait réduite. Selon la prépondérance des probabilités, la SPR a conclu que les talibans n’avaient pas transmis une lettre de menaces en septembre 2014 et que la copie de la lettre produite en preuve n’était pas authentique.

Bien que la SPR ait pris en compte la déclaration formulée par le demandeur, lorsqu’il a été interrogé par son propre conseil pendant son témoignage, déclaration selon laquelle il avait oublié de l’information et mélangé des dates en raison de troubles psychologiques, la SPR a souligné que le demandeur n’avait pas produit de preuve médicale attestant ces troubles psychologiques ou montrant en quoi ces troubles étaient susceptibles d’influer sur sa capacité à témoigner. Par conséquent, ce témoignage n’a pas dissipé les réserves de la SPR concernant la crédibilité.

[6] La SPR a conclu, eu égard aux contradictions et aux omissions dans le témoignage du demandeur qui n’ont pas été raisonnablement expliquées, que la crédibilité de celui‑ci a été minée à un point tel qu’elle ne pouvait prêter foi à aucune des allégations du demandeur concernant sa crainte alléguée des talibans et des services policiers pakistanais. En conséquence, la SPR a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté et qu’il n’était pas exposé à un risque prévu à l’article 97 aux mains de ces acteurs.

[7] Au sujet de la crainte d’être persécuté et du risque de préjudice pour des motifs politiques qu’a soulevés le demandeur, il a uniquement fait part de sa crainte des talibans lorsque la SPR l’a interrogé, même s’il avait déclaré dans sa demande d’asile qu’il craignait d’être persécuté en raison de sa participation au PTM. Ce n’est que plus tard, lorsque son propre conseil l’a interrogé, qu’il a dit craindre également les services policiers et les forces armées en raison de son adhésion au PTM. La SPR a conclu que, si le demandeur avait une véritable crainte subjective d’être persécuté en raison de ses liens avec le PTM, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il mentionne cette crainte lorsque la SPR lui a demandé directement pourquoi il craignait de retourner au Pakistan.

[8] La SPR a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles montrant que le demandeur ferait l’objet d’une persécution politique s’il retournait au Pakistan. Le demandeur a déclaré qu’à son avis, les autorités pakistanaises étaient au fait de sa participation au PTM et au ANP au Canada, notamment en raison des messages qu’il avait publiés sur Facebook en lien avec le PTM. Il a ajouté qu’il ne disposait pas d’une copie de ces messages et qu’il avait supprimé son compte en décembre 2019 parce qu’il craignait que sa famille subisse des représailles au Pakistan. La SPR a conclu que ce n’était là que des conjectures. Qui plus est, comme la SPR a tiré une conclusion générale de manque de crédibilité et a conclu que les activités politiques du demandeur ne constituaient pas un élément central des croyances de ce dernier, elle a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que l’appui du demandeur à l’ANP et au PTM visait à étayer sa demande d’asile.

[9] Enfin, la SPR s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté du fait de son ethnicité pachtoune et a jugé qu’il avait une possibilité de refuge intérieur viable à Hyderabad.

[10] La SPR a conclu que le demandeur ne craint pas avec raison d’être persécuté au Pakistan et que, selon la prépondérance des probabilités, son renvoi vers le Pakistan ne l’exposerait pas à un risque visé à l’article 97. Par conséquent, le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR.

[11] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le 12 juillet 2021, la SAR a rejeté l’appel.

[13] Lors de l’appel, le demandeur a cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve, dont un rapport psychologique daté du 15 mars 2021, deux nouveaux affidavits de la part de ses parents datés du 13 octobre 2020, des billets de blogue datés du 11 janvier 2021 et divers articles de presse. La SAR a souligné que le demandeur n’a pas formulé d’observations montrant en quoi ces nouveaux éléments répondaient aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, notamment une observation expliquant pourquoi ces éléments n’avaient pas pu être fournis à la SPR. Pour cette raison, la SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve.

[14] De surcroît, en ce qui concerne les nouveaux affidavits, la SAR a souligné que ce n’est qu’après que la SPR eut soulevé une préoccupation quant à la crédibilité du demandeur que ce dernier a prétendu qu’il y avait eu une erreur d’interprétation et que, devant la SAR, il n’a fourni aucune preuve pour établir que les affidavits antérieurs avaient été mal interprétés. En ce qui a trait au billet de blogue, la SAR a également refusé d’admettre ce nouvel élément de preuve, puisqu’elle avait des réserves quant à sa crédibilité. Elle a conclu que les articles de presse étaient tous antérieurs à la décision de la SPR et que le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il ne les avait pas présentés à la SPR.

[15] La SAR a souligné que d’autres nouveaux éléments de preuve ont été présentés à la suite de la mise en état de l’appel du demandeur, plus précisément : un premier rapport d’information établi contre le demandeur en mars 2021 [le PRI]; une liste de personnes à abattre à l’échelle nationale datée du 8 juin 2021, et la déclaration solennelle du demandeur datée du 16 juin 2021. La SAR a mentionné que l’admission de ces nouveaux éléments de preuve est régie par la l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR] et que les facteurs énoncés dans les arrêts Singh et Raza doivent tout de même être pris en considération (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]). Cela dit, encore une fois, le demandeur n’a donné aucune explication montrant en quoi les nouveaux éléments de preuve proposés répondaient aux critères, pas plus qu’il n’a expliqué comment il est entré en possession des documents.

[16] Concernant le PRI, la SAR a dit avoir des réserves au sujet du moment où cet élément de preuve est survenu, réserves qu’elle a exposées, et au sujet de la façon dont le demandeur a été en mesure de l’obtenir. La SAR a conclu que le PRI n’était pas crédible et a refusé de l’admettre.

[17] En ce qui concerne le document qui, selon le demandeur, est une liste de personnes à abattre à l’échelle nationale qui fait état de son nom ainsi que la menace de mort qui aurait été proférée à son endroit, la SAR a conclu, d’une part, que le document était normalement accessible et qu’il aurait normalement pu être présenté à la SPR et, d’autre part, que le demandeur n’a fourni aucune explication à la SAR quant à la raison pour laquelle il ne l’avait pas fait.

[18] La SAR a ensuite effectué son analyse, soulignant que son rôle consistait à examiner l’ensemble de la preuve et à décider si la SPR a rendu la décision correcte. La SAR a dit avoir examiné la transcription écrite de l’audience de la SPR ainsi que l’ensemble de la preuve afin de procéder à une évaluation indépendante de la demande d’asile du demandeur sur la base des arguments présentés en appel.

[19] La SAR a conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité. Elle a examiné chacune des conclusions de la SPR en matière de crédibilité contestées par le demandeur. Pour chaque conclusion, la SAR a mentionné les observations déposées en appel par le demandeur, c’est‑à‑dire les raisons pour lesquelles ce dernier soutenait que la conclusion de la SPR était erronée. Dans la plupart des cas, la SAR a ensuite présenté son raisonnement et son analyse de la position du demandeur, mentionnant les éléments de preuve du demandeur ou l’absence de tels éléments, ainsi que les conclusions de la SPR. L’analyse de la SAR est longue, et il suffit de dire pour les besoins du présent résumé qu’à l’issue de son examen, la SAR a jugé que la SPR avait eu raison de conclure, d’une part, que le témoignage du demandeur était incohérent, changeant et évasif et, d’autre part, que la crédibilité du demandeur était gravement minée par l’effet cumulatif des nombreuses réserves formulées quant à sa crédibilité.

[20] La SAR a souligné que, lors de l’appel, le demandeur n’a formulé aucun argument précis pour expliquer pourquoi ou en quoi la SPR avait commis une erreur en concluant que l’existence d’un risque futur pour des motifs politiques au Pakistan n’avait pas été établie de façon crédible. Plutôt, la SAR s’est fait demander de consulter le nouveau billet de blogue du demandeur, billet qu’elle a refusé d’admettre à titre de nouvel élément de preuve. En l’absence d’un quelconque argument du demandeur et à l’issue de son propre examen indépendant, la SAR a déclaré n’avoir observé aucune erreur dans le raisonnement de la SPR énoncé aux paragraphes 47 à 58 des motifs de celle‑ci. La SAR a repris à son compte ces motifs pour conclure qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles selon lesquels le renvoi du demandeur au Pakistan exposerait ce dernier à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque visé à l’article 97 en raison de ses opinions ou activités politiques. La SAR a ajouté que, selon les éléments de preuve objectifs qu’elle a exposés, le fait que le demandeur est un simple membre du parti, et non l’un de ses chefs, ne l’exposerait pas à plus qu’une simple possibilité de risque de persécution.

[21] La SAR a souligné que, mis à part l’affirmation, qu’elle a jugée non crédible, selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque aux mains des talibans dans la ville désignée comme possibilité de refuge intérieur, le demandeur n’a formulé aucune observation pour expliquer pourquoi ou en quoi la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable dans sa situation. Néanmoins, la SAR a examiné la décision de la SPR et a déclaré qu’à l’issue de son propre examen indépendant, elle tirait la même conclusion, à savoir que le demandeur pourrait vivre en toute sécurité à Hyderabad ainsi que l’indiquaient les motifs donnés par la SPR aux paragraphes 60 à 67 de sa décision, motifs que la SAR a adoptés. Dans la même veine, à l’instar de la SPR, la SAR jugeait que le demandeur pouvait raisonnablement s’installer à Hyderabad en toute sécurité. La SAR a ajouté que son propre examen n’a révélé aucune erreur qui justifierait son intervention relativement à la conclusion de la SPR à cet égard.

[22] La SAR a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que le demandeur n’était pas crédible, compte tenu des préoccupations cumulatives en matière de crédibilité, et qu’il n’avait pas démontré ses allégations de façon crédible ni établi qu’il serait exposé à un risque prospectif de persécution ou à une probabilité de préjudice s’il devait retourner au Pakistan. La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[23] Le demandeur formule les questions de la façon suivante :

  1. La SAR a‑t‑elle omis d’effectuer une évaluation indépendante de la preuve, jouant indûment le rôle d’une instance de contrôle judiciaire?

  2. La SAR a‑t‑elle ignoré ou mal apprécié des éléments de preuve, de sorte que les conclusions en matière de crédibilité étaient déraisonnables?

  3. La SAR a‑t‑elle enfreint le droit du demandeur à l’équité procédurale en tirant des conclusions défavorables en matière de crédibilité relativement à de nouveaux éléments de preuve, sans donner au demandeur la possibilité de répondre?

[24] À mon avis, les questions en litige peuvent être reformulées ainsi :

  1. La SAR a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité procédurale?

  2. La décision de la SAR est‑elle raisonnable?

[25] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, celles‑ci doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, au titre de laquelle aucune déférence n’est due au décideur (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

[26] Lorsqu’une cour de justice examine une décision administrative sur le fond, il est présumé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique dans la présente affaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 23, 25). Lors du contrôle judiciaire, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).

L’équité procédurale

La position du demandeur

[27] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre le billet de blogue du 11 janvier 2021 et le PRI du 3 mars 2021 à titre de nouveaux éléments de preuve, car ils ont été jugés non crédibles en raison des réserves de la SAR quant au motif du demandeur et au moment choisi pour la publication du billet de blogue et quant à la manière dont le demandeur avait eu vent du PRI et avait reçu ce dernier. Le demandeur fait valoir que la SAR a tiré des conclusions en matière de crédibilité en fonction de ces réserves, mais qu’elle ne lui a pas donné l’occasion de répondre ou de fournir des précisions, contrairement à ce qu’exige l’équité procédurale. Le demandeur invoque la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438 [Khan] au soutien de sa position.

La position du défendeur

[28] Le défendeur soutient que la SAR n’est nullement tenue de demander des précisions au demandeur à l’égard des réserves quant à la crédibilité en ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve, invoquant Sanmugalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 200 [Sanmugalingam] aux para 55, 60, 71 et Vicente c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 537 aux para 12‑18.

Analyse

[29] À mon avis, la SAR n’a pas commis une erreur en concluant que les deux nouveaux éléments de preuve en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire ne répondaient pas aux critères d’admissibilité, pas plus qu’elle n’a manqué à l’équité procédurale.

[30] Je souligne que les questions concernant l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 14 au para 15; Singh, aux para 22‑30; Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182 au para 37; Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182 au para 5; Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 920 au para 26 [Warsame]). Il n’appartient pas à la Cour de rendre une nouvelle décision sur le point de savoir si les nouveaux éléments de preuve auraient dû être admis en preuve. Elle doit plutôt se prononcer sur le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR selon laquelle ces nouveaux éléments ne remplissaient pas les critères d’admissibilité (Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 au para 38; Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 100 au para 18; Warsame, au para 30).

[31] En l’espèce, le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SAR selon laquelle les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles parce qu’ils ne répondaient pas aux exigences prévues dans la loi. Toutefois, je trancherai cette question puisque les conclusions de la SAR à cet égard, par elles‑mêmes, auraient été déterminantes.

[32] La SAR a souligné que l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel se limite aux circonstances prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR, à savoir :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[33] Cependant, le demandeur n’avait pas formulé d’observations portant sur la question de savoir en quoi ces nouveaux éléments de preuve répondaient à ces critères.

[34] En outre, en ce qui concerne le billet de blogue, la SAR a fait remarquer que le demandeur, lorsqu’il a témoigné devant la SPR, a déclaré avoir diffusé, à partir de 2014, des publications sur Facebook contre les atrocités commises par l’armée pakistanaise et les talibans. Toutefois, en décembre 2019, il a bloqué son nom d’utilisateur, parce qu’il craignait que ses agents de persécution qu’il a évoqués s’en prennent à ses parents au Pakistan. Il a dit ne pas avoir conservé une copie de ses publications. La SAR a souligné que l’élément de preuve que le demandeur lui demandait d’admettre dans le cadre de l’appel était le billet de blogue que celui‑ci avait délibérément publié quelques jours après le rejet de sa demande d’asile par la SPR, et ce, malgré sa crainte pour ses parents au Pakistan. La SAR a trouvé le choix de ce moment suspect et n’arrivait pas à croire que le demandeur ait réactivé le compte qui, selon son témoignage, mettrait en péril la sécurité de ses parents.

[35] Concernant le PRI, la SAR a mentionné que son admission était régie par l’article 29 des Règles de la SAR :

29 (1) La personne en cause qui ne transmet pas un document ou des observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique ne peut utiliser ce document ou transmettre ces observations écrites dans l’appel à moins d’une autorisation de la Section.

(2) Si la personne en cause veut utiliser un document ou transmettre des observations écrites qui n’ont pas été transmis au préalable, elle en fait la demande à la Section conformément à la règle 37.

(3) La personne en cause inclut dans la demande pour utiliser un document qui n’avait pas été transmis au préalable une explication des raisons pour lesquelles le document est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et des raisons pour lesquelles cette preuve est liée à la personne, à moins que le document ne soit présenté en réponse à un élément de preuve présenté par le ministre.

(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la pertinence et la valeur probante du document;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

[36] La SAR a conclu que, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 29(3) des Règles de la SAR, le demandeur n’a pas expliqué en quoi les éléments de preuve remplissent les critères ci‑dessus et qu’aucune explication n’a été fournie quant à la façon dont le demandeur est entré en possession du PRI.

[37] La SAR a également souligné que le demandeur a affirmé que le PRI avait été établi contre lui en raison des billets de blogue qu’il avait publiés sur les médias sociaux. La SAR a dit avoir des préoccupations au sujet de ce document. Aucune explication n’a été fournie quant à la façon dont le demandeur en est arrivé à savoir qu’un PRI avait été établi contre lui au Pakistan ou dont il a pu en obtenir une copie. De surcroît, la SAR avait des préoccupations au sujet du moment où cet élément de preuve est survenu, étant donné que le document en question est apparu soudainement de nombreuses années après le départ du demandeur du Pakistan. Devant la SPR, le demandeur a déclaré qu’il croyait que les autorités pakistanaises étaient au courant de ses publications qu’il avait diffusées de 2014 jusqu’à la suppression de son compte en 2019; or, aucun élément de preuve ne montre qu’un premier rapport d’information a été établi contre lui pendant ces années.

[38] La SAR a trouvé qu’il était incroyable que le demandeur ait réactivé son profil de médias sociaux quelques jours seulement après le rejet de sa demande d’asile et qu’il ait publié sur ce compte un commentaire défavorable qui, selon son témoignage antérieur, mettrait ses parents en danger; qu’il ait appris d’une façon ou d’une autre qu’un PRI d’une autre partie avait été établi contre lui le 3 mars 2021 relativement à ses nouvelles publications dans les médias sociaux et qu’il ait pu récupérer ce rapport et le transmettre à la SAR à titre de nouvel élément de preuve. La SAR a conclu que le PRI n’était pas crédible et a refusé de l’admettre.

[39] Comme il a été mentionné ci‑dessus, le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SAR voulant que les critères d’admissibilité établis dans la loi n’aient pas été remplis. De fait, lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a reconnu que son ancien conseil n’avait pas expliqué en quoi les documents répondaient aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR. Lorsque les critères fixés au paragraphe 110(4) ne sont pas remplis, la SAR ne jouit d’aucun pouvoir discrétionnaire l’autorisant à admettre les éléments de preuve (Singh, aux para 34‑35; Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 au para 17; Ifogah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1139 aux para 44‑46). Était donc déterminante la conclusion de la SAR selon laquelle les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles faute d’une explication appropriée.

[40] Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité des billets de blogue et à la PRI se rajoutent à la conclusion déterminante selon laquelle les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles selon les critères prévus par la loi (Sanmugalingam, au para 59).

[41] À cet égard, en ce qui concerne l’argument avancé par le demandeur en matière d’équité procédurale, à mon avis, le demandeur confond les obligations d’équité procédurale que doit respecter la SAR lorsqu’elle évalue l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve selon la crédibilité de ceux‑ci et les obligations qui s’appliquent lorsque de nouveaux éléments admis en preuve soulèvent des questions quant à la crédibilité du demandeur.

[42] Comme l’a souligné le juge Ahmed dans A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 61 :

[16] À mon avis, la décision de la SAR de refuser le nouvel élément de preuve est raisonnable. Dans la décision Singh, la Cour s’est penchée sur la portée du paragraphe 110(4) de la LIPR et a conclu que les trois conditions d’admissibilité énoncées dans la disposition sont « incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh, au par. 35). En outre, la Cour a conclu que les critères implicites relevés dans l’affaire Raza, à savoir la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, sous réserve de certaines adaptations, s’appliquent aussi dans le contexte du paragraphe 110(4) (Singh, aux par. 38 à 49). En ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve, l’extrait suivant est très pertinent (Singh, au par. 44) :

[…] On voit mal, notamment, comment la SAR pourrait admettre une preuve documentaire qui ne serait pas crédible. De fait, l’alinéa 171a.3) prévoit expressément que la SAR « peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». Il est vrai que l’alinéa 110(6)a) introduit également la notion de crédibilité aux fins de déterminer si une audience peut être tenue. À ce chapitre, cependant, ce n’est pas la crédibilité de la preuve elle‑même qui doit être soupesée, mais bien la question de savoir si un élément de preuve par ailleurs crédible « soulève une question importante » relativement à la crédibilité générale de la personne en cause. […]

[17] Compte tenu de la jurisprudence, les demandeurs ont présenté une conception erronée de l’application des paragraphes 110(4) et 110(6) de la LIPR. Rien n’oblige la SAR à tenir une audience pour évaluer la crédibilité d’un nouvel élément de preuve; c’est lorsqu’une preuve par ailleurs crédible et admise soulève une préoccupation importante quant à la crédibilité générale du demandeur qu’il devient pertinent de tenir une audience. Une « conclusion concernant la crédibilité » relativement à l’admissibilité d’un nouvel élément de preuve n’équivaut pas à une appréciation de la crédibilité des demandeurs.

[Caractères gras ajoutés.]

[43] Dans la décision Abdulai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 173 [Abdulai], le juge Favel a tiré à la conclusion suivante :

[57] […] Aucun des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur n’a remis en question la crédibilité générale du demandeur (Singh, au para 44). Le demandeur ne soutient pas que la SAR a tiré de nouvelles conclusions quant à sa crédibilité justifiant la tenue d’une audience. En fait, le demandeur soutient essentiellement que la SAR aurait dû tenir une audience afin qu’il puisse répondre aux réserves de la SAR concernant les nouveaux éléments de preuve. Il n’y a pas d’obligation de tenir une audience pour évaluer la crédibilité d’un nouvel élément de preuve (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 61 au para 17).

[Souligné dans l’original.]

(Voir aussi : Tahir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1202 au para 20; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1204 aux para 39‑40; Sunday c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 266 au para 44.)

[44] Selon le régime consacré par la LIPR, la SAR doit procéder sans tenir d’audience. Une exception s’applique, à savoir lorsque de nouveaux éléments de preuve répondent aux exigences du paragraphe 110(4), remplissent les critères implicites prévus dans Raza, ce qui comprend la crédibilité de la preuve (Singh, aux para 44 et 49); et satisfont aux exigences du paragraphe 110(6), c’est‑à‑dire que la SAR estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause, qui sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile et qui, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[45] Le demandeur n’invoque aucune jurisprudence au soutien de sa position selon laquelle lorsque la SAR juge que de nouveaux éléments de preuve ne sont pas crédibles – et, donc, non admissibles – l’équité procédurale commande qu’elle avise le demandeur de ses réserves et qu’elle lui donne l’occasion de les dissiper avant de tirer une conclusion en matière d’admissibilité. Le demandeur avance que, si la tenue d’une audience distincte sur la crédibilité n’est pas obligatoire, un autre processus, comme la transmission d’une lettre relative à l’équité procédurale, est requis. Bien qu’il reconnaisse que cet argument n’est pas corroboré par le régime législatif encadrant les appels devant la SAR, le demandeur fait valoir que les principes fondamentaux de l’équité procédurale s’appliquent et que ceux‑ci nécessitent une notification et une occasion de répondre.

[46] Dans Sanmugalingam, l’une des questions dont était saisie la Cour était celle de savoir si la SAR avait manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions sur la crédibilité de la nouvelle preuve proposée. La juge Kane est parvenue à la conclusion suivante :

[71] Elle [la SAR] n’a pas manqué à l’obligation de common law en matière d’équité procédurale. Le demandeur a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de la SPR sur la crédibilité dans les observations qu’il a présentées à la SAR, notamment en demandant l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve. La SAR n’était pas tenue, sur les faits de l’espèce, d’offrir au demandeur une occasion de répondre à ses préoccupations au sujet de l’affidavit qu’elle avait refusé d’admettre en premier lieu sur la foi de critères juridiques.

[47] À mon avis, la situation est similaire en l’espèce.

[48] De plus, bien que le demandeur invoque Khan au soutien de sa position, à mon sens, cette décision ne lui est d’aucun secours. Dans Khan, le juge Gascon a passé en revue les exigences qui doivent être remplies pour que la SAR admette de nouveaux éléments de preuve et il a conclu que celle‑ci avait mal compris les exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR et qu’elle avait interprété et appliqué de manière déraisonnable les facteurs élargis de l’arrêt Raza à l’égard de la pertinence et de la crédibilité. Concernant le critère de la pertinence, le juge Gascon a conclu que les motifs de la SAR n’expliquaient ni ne justifiaient comment la nouvelle preuve proposée pouvait être jugée comme étant dépourvue de pertinence à l’égard de la demande de protection. Ainsi, la décision de la SAR était déraisonnable. À la différence du demandeur, je n’interprète pas les propos du juge Gascon comme indiquant que l’équité procédurale exige que la SAR avise le demandeur que la crédibilité des nouveaux éléments de preuve proposés est mise en doute et donne au demandeur la possibilité de répondre aux réserves de la SAR en matière de crédibilité au moyen des documents en question – avant qu’une conclusion soit tirée quant à l’admissibilité. Ajoutons que cette situation ne cadrerait pas avec la jurisprudence mentionnée ci‑dessus.

[49] Pour conclure sur cette question, la SAR est parvenue à la conclusion raisonnable que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles, parce qu’ils ne remplissaient pas les exigences législatives. En outre, la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur l’occasion de répondre à sa conclusion ultérieure selon laquelle le PRI et le billet de blogue ne constituaient pas des éléments de preuve crédibles et qu’ils étaient donc de ce fait inadmissibles en preuve.

Le caractère raisonnable

La position du demandeur

[50] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas le rapport psychologique à titre de preuve que sa santé mentale avait une incidence sur sa capacité à témoigner. Il fait valoir qu’il s’agit là d’un nouvel élément de preuve qui est survenu après la décision de la SPR et qui n’aurait pas normalement été présenté, étant donné que les réserves de la SPR qui appelaient à la production d’une telle preuve ont été exposées uniquement après l’audience.

[51] Le demandeur soutient également que la SAR s’en est remise, à tort, aux conclusions de la SPR plutôt que d’appliquer la norme de la décision correcte et de tirer ses propres conclusions au sujet du bien‑fondé des conclusions de la SPR. Autrement dit, il prétend que la SAR n’a pas effectué une évaluation indépendante de la preuve et qu’elle s’est contentée d’approuver aveuglément la décision de la SPR, faisant siens les motifs donnés par cette dernière. Le demandeur invoque la décision Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278, dans laquelle le juge Diner a souligné « qu’il doit être possible de discerner le moment où la retenue à l’égard de la Section de la protection des réfugiés s’arrête et celui où l’analyse indépendante de la Section d’appel des réfugiés s’amorce » (au para 19).

[52] Le demandeur affirme également que la SPR et la SAR se sont livrées à une évaluation microscopique de la preuve. À cet égard, il fait valoir que la conclusion de la SAR et de la SPR selon laquelle l’agression de 2014 ne s’est pas produite repose sur une conclusion défavorable en matière de crédibilité liée au fait qu’il n’avait pas mentionné la tentative d’enlèvement dans son exposé circonstancié.

[53] Enfin, le demandeur soutient que la SAR s’est ralliée aveuglément au raisonnement de la SPR selon lequel le demandeur devait démontrer l’existence d’un préjudice réel pour prouver qu’il était exposé à un risque de persécution.

La position du défendeur

[54] Le défendeur soutient qu’il est évident que la SAR a examiné le dossier soigneusement avant de conclure que le demandeur n’avait pas été en mesure de s’acquitter de son fardeau d’établir que la décision de la SPR n’était pas correcte. La SAR ne s’en est pas remise aux conclusions de la SPR. Plutôt, pour chaque question en matière de crédibilité que le demandeur a soulevée devant elle, la SAR a énoncé la conclusion de la SPR qui était contestée puis les arguments du demandeur, pour ensuite tirer sa propre conclusion indépendante sur le bien‑fondé de la conclusion de la SPR. La SAR ne commet pas une erreur en approuvant les conclusions de la SPR, et cette approbation ne témoigne pas de l’absence d’une évaluation indépendante. Plutôt, cela indique que la SAR et la SPR partageaient les mêmes préoccupations importantes et de fond au chapitre de la crédibilité.

[55] Le défendeur soutient également que la SAR ne s’est pas livrée à une analyse microscopique, mais qu’elle a plutôt souligné plusieurs incohérences importantes dans la preuve soumise par le demandeur, notamment en ce qui concerne l’endroit où les parents du demandeur ont été menacés ainsi que l’auteur des menaces, l’endroit où le demandeur a été agressé, le moment où il a été menacé de mort par les talibans et le fait qu’il a été enlevé. Ces incohérences ne sont ni insignifiantes ni secondaires. Elles sont substantielles et se rapportent à des éléments centraux de la demande d’asile du demandeur.

[56] Enfin, le défendeur fait valoir que la SAR n’a pas insisté sur le fait que le demandeur doit être exposé à un préjudice réel, comme le laisse entendre le demandeur. Plutôt, le demandeur a cité de manière sélective des parties de la décision de la SAR, faisant ainsi abstraction d’une partie importante du raisonnement de la SAR sur ce point. La SAR a évalué le risque de préjudice sur la foi de la preuve documentaire et a fait remarquer que le demandeur n’avait pas expliqué précisément pourquoi l’évaluation du risque effectuée par la SPR était incorrecte.

Analyse

[57] À mon avis, aucun des arguments du demandeur n’est fondé.

i. Le rapport psychologique

[58] Comme l’a souligné la SAR, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi le rapport psychologique, qui était postérieur à la décision de la SPR, constituait un nouvel élément de preuve qui n’était pas normalement accessible ou n’aurait pas normalement été présenté à titre d’élément nécessaire au moment de l’audience de la SPR. Autrement dit, le demandeur n’a pas répondu aux exigences prévues au paragraphe 110(4) mentionnées ci‑dessus en ce qui a trait à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve. Pour ce seul motif, la SAR a conclu raisonnablement que le rapport psychologique n’était pas admissible. De plus, quoique le demandeur ait tenté de fournir une explication dans les observations écrites qu’il a soumises au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, ces arguments n’ont pas été avancés devant la SAR.

[59] Quoi qu’il en soit, l’explication maintenant offerte par le demandeur est entièrement dénuée de fondement. Celui‑ci affirme qu’il ne pouvait pas normalement présenter cet élément de preuve avant l’audience, puisque c’est la SPR qui avait [traduction] « exigé » une preuve médicale montrant que ses troubles psychologiques influaient sur sa capacité à témoigner. Il fait valoir que [traduction] « la SPR a fait une demande et qu’il y a répondu ». Ainsi, compte tenu de ces circonstances, il n’était pas nécessaire que le demandeur donne d’autres explications concernant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve. Cet argument ne saurait être retenu. C’est au demandeur qu’il incombait de fournir des éléments de preuve au soutien de sa demande d’asile. Mentionnons également que le demandeur était représenté par un conseil. S’il craignait que sa santé mentale mine sa capacité à témoigner, il lui appartenait de documenter ce fait avant l’audience de la SPR. En outre, il convient de relever que son conseil n’a pas signalé cette préoccupation au début de l’audience.

[60] En outre, contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR n’a pas [traduction] « exigé » qu’il fournisse une preuve psychologique. Le conseil du demandeur a reconnu, à l’audience de la SPR, que son client avait oublié de mentionner certains événements et que ce dernier était confus quant à la chronologie des événements lorsque la SPR l’a interrogé. Le conseil a alors demandé au demandeur s’il [traduction] « souffrait d’un quelconque trouble psychologique ». C’est en réponse à cette question que le demandeur a affirmé, pour la première fois, qu’il était en proie à [traduction] « certains troubles psychologiques », notamment qu’il éprouvait de la difficulté à dormir. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, ce n’était pas une nouvelle réserve soulevée par la SPR : c’est le demandeur qui a invoqué sa santé mentale. La SPR a simplement souligné que le demandeur n’a pas fourni de preuve médicale ou autre pour étayer cette affirmation visant à expliquer les incohérences et les omissions dans son témoignage. De surcroît, comme il est mentionné dans la décision Khan, le dépôt d’un appel devant la SAR ne donne pas une deuxième chance de soumettre une preuve destinée à corriger les lacunes relevées par la SPR.

[61] La décision de la SAR quant à cet aspect est raisonnable.

ii. L’évaluation indépendante

[62] Bien que le demandeur ait fait de nombreuses observations sur ce point, je ne peux retenir la prémisse qu’il a formulée selon laquelle la SAR n’avait pas réalisé une évaluation indépendante pour parvenir à sa décision. La SAR a souligné que son rôle consiste à examiner l’ensemble de la preuve et à décider si la SPR a rendu la décision correcte. Elle a déclaré avoir examiné la transcription écrite de l’audience devant la SPR ainsi que tous les documents versés au dossier de la SPR et à celui du demandeur afin de procéder à une évaluation indépendante de la demande d’asile à la lumière des arguments présentés en appel. Pour les motifs qu’elle a exposés, la SAR a jugé que la question déterminante était celle de la crédibilité, et elle était d’accord avec la SPR pour dire que le demandeur n’était pas crédible. La SAR a ensuite traité de chacune des conclusions en matière de crédibilité qui avaient été contestées.

[63] Par exemple, la SAR a tout d’abord traité de la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas vraisemblable que les talibans n’aient pas cherché le demandeur dans le but de lui faire du mal lorsqu’il était chez lui, étant donné que ces derniers auraient probablement pu trouver son domicile facilement. La SAR a ensuite exposé la position du demandeur, à savoir que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que son domicile se trouvait dans une rue très étroite et que, partant, il serait tout à fait impossible pour les talibans de s’enfuir facilement d’une telle rue. Le demandeur a fait également valoir que la SPR n’avait pas tenu compte du fait que les talibans préfèrent attaquer dans les espaces publics et que c’est pour cette raison que l’attaque avait eu lieu à l’extérieur de son domicile. La SAR n’a vu aucune raison de modifier la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. Elle s’est expliquée en mentionnant que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve crédible à l’appui de son affirmation selon laquelle une attaque de la part des talibans serait impossible ou improbable en raison du fait que son domicile est situé dans une rue étroite ni aucun élément de preuve confirmant que les talibans ne causent de tort aux gens que dans les lieux publics. La SAR a ensuite invoqué la preuve documentaire sur la situation dans le pays, qui met en lumière l’infiltration des autorités par les talibans et leur capacité de causer du tort, et, sur la foi de cette preuve documentaire, a déclaré qu’elle souscrivait à la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR. La SAR a ensuite déclaré qu’elle reprenait à son compte les motifs de la SPR exposés aux paragraphes 23 à 27, car ils étaient corrects.

[64] À mon avis, la SAR ne s’est pas trompée dans son approche. De plus, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que le simple fait que la SAR a, en définitive, retenu et confirmé les conclusions de la SPR quant à la crédibilité n’établit pas que la SAR n’a pas effectué d’évaluation indépendante. Je souligne également que dans ses motifs, la SAR a dit être d’avis que les motifs exposés par la SPR étaient détaillés, ce qui était effectivement le cas. Par conséquent, je ne vois aucune erreur inhérente dans le fait que la SAR a, en complément à sa propre évaluation ou dans le cadre de celle‑ci, repris à son compte certains motifs exposés par la SPR, car elle a jugé qu’ils étaient corrects. Par exemple, lorsqu’elle a traité de la conclusion de la SPR en matière de crédibilité relative au témoignage incohérent du demandeur concernant l’endroit où il se trouvait au moment où les talibans avaient livré une lettre de menaces à ses parents, la SAR a énoncé la conclusion de la SPR et l’allégation d’erreur que le demandeur a formulée en appel, puis elle a déclaré qu’elle avait procédé à un examen indépendant de la preuve, y compris la transcription écrite, et que, pour les motifs exposés aux paragraphes 41 à 44 des motifs de la SPR, qu’elle jugeait corrects, elle convenait que le témoignage du demandeur au sujet de la lettre était incohérent, changeant et évasif et soulevait à juste titre d’autres réserves quant à la crédibilité.

[65] La Cour a conclu qu’« [i]l est certainement loisible à la SAR d’adopter le traitement long et réfléchi du dossier de la SPR, dans la mesure où elle examine elle‑même le dossier » (Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 506 au para 35). Au vu de l’ensemble des motifs exposés par la SAR, je ne suis pas convaincue que celle‑ci n’a pas effectué sa propre analyse indépendante. De surcroît, eu égard aux motifs détaillés exposés par la SPR, la SAR n’a pas commis d’erreur reprenant à son compte des parties bien précises de ces motifs. Les motifs de la SAR permettent au demandeur de comprendre ce qui a amené celle‑ci à se prononcer comme elle l’a fait sur chacune des conclusions concernant la crédibilité. J’ajouterais aussi qu’on ne m’a pas convaincu que la SAR a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu’elle s’en est simplement remise à la SPR ainsi que le soutient le demandeur.

[66] En somme, la SAR ne s’en est pas remise indûment aux conclusions de la SPR au lieu d’appliquer la norme de la décision correcte, pas plus qu’elle n’a omis de tirer ses propres conclusions au sujet du bien‑fondé des conclusions de droit, de fait, ou de fait et de droit de la SPR. Sa décision était raisonnable.

iii. L’évaluation microscopique

[67] Comme l’a souligné la SAR, la SPR a fait remarquer au demandeur qu’il avait omis de mentionner la tentative d’enlèvement dans son exposé circonstancié. Comme le demandeur était représenté par un conseil et qu’il avait soumis un exposé circonstancié à jour dix jours avant l’audience, la SPR n’a pas jugé raisonnable son explication, à savoir qu’il avait simplement oublié de mentionner ce détail. La SPR a conclu qu’il était plus probable que le contraire que le témoignage du demandeur, selon lequel les talibans avaient tenté de l’enlever, constituait une tentative d’étayer sa demande d’asile, ce qui minait sa crédibilité.

[68] La SAR a souligné qu’en appel, le demandeur soutenait qu’il souffrait d’un trouble de stress post‑traumatique [TSPT], qu’il avait porté ce trouble à l’attention de la SPR et que cette dernière avait commis une erreur en remettant en question sa crédibilité en raison de l’omission de la tentative d’enlèvement de son exposé circonstancié. La SAR a également souligné que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve d’ordre médical confirmant qu’il avait reçu un diagnostic de problèmes de santé mentale, comme un TSPT ou tout autre trouble mental, et que le conseil du demandeur n’avait pas non plus demandé, au début de l’audience de la SPR, la prise de mesures d’adaptation en raison de tels problèmes. La SAR a également fait remarquer que le demandeur n’a pas déclaré devant la SPR qu’il avait reçu un diagnostic de TSPT, contrairement à ce qu’il a prétendu en appel.

[69] Pour ces motifs, la SAR ne souscrit pas à l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR avait commis une erreur en remettant en question sa crédibilité, en raison de son défaut de traiter de la tentative d’enlèvement alléguée dans son exposé circonstancié.

[70] Je souligne que le demandeur n’a pas affirmé devant la SAR que la conclusion de la SPR sur cette question était microscopique. Le demandeur soulève ce point pour la première fois dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Je ne souscris pas à cette affirmation voulant que la conclusion soit secondaire ou microscopique et, partant, déraisonnable. Même si elle l’était, la SAR a conclu que la SPR avait « eu raison de conclure que la crédibilité [du demandeur] était gravement minée par l’effet cumulatif des nombreuses préoccupations à cet égard ». Par conséquent, il ne s’agirait pas d’une erreur susceptible de contrôle.

iv. Le préjudice réel

[71] Enfin, le demandeur soutient que la SAR s’est ralliée aveuglément au raisonnement de la SPR selon lequel il devait démontrer l’existence d’un préjudice réel pour prouver qu’il était exposé à un risque de persécution. À cet égard, le demandeur invoque la conclusion de la SAR concernant la conclusion tirée par la SPR au chapitre de la crédibilité, mentionnée ci‑dessus, selon laquelle il n’était pas vraisemblable que les talibans n’aient pas cherché le demandeur lorsqu’il était chez lui s’ils souhaitaient lui faire du mal, étant donné qu’ils auraient probablement pu trouver son domicile facilement.

[72] Selon mon interprétation, les motifs de la SAR n’indiquent pas que le demandeur doit montrer qu’il a subi un préjudice réel. Plutôt, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve crédible au soutien de l’affirmation qu’il avait formulée à ce sujet devant la SPR, à savoir qu’une attaque de la part des talibans serait impossible ou improbable en raison du fait que son domicile était situé dans une rue étroite. À cet égard, la SAR a examiné la preuve documentaire sur la situation dans le pays, laquelle, a‑t‑elle conclu, met en lumière l’infiltration des autorités par les talibans et la capacité de ces derniers de causer du tort. Sur la base de cette preuve documentaire, la SAR s’est ralliée à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas vraisemblable que les talibans n’aient pas cherché le demandeur lorsqu’il se trouvait chez lui, étant donné qu’ils auraient probablement pu trouver son domicile facilement. Ni la SPR ni la SAR n’ont exigé que le demandeur démontre l’existence d’un préjudice réel. La SAR a rejeté la déclaration qu’a formulée le demandeur pour expliquer pourquoi les talibans ne l’avaient pas poursuivi, la jugeant invraisemblable en raison du fait qu’elle n’était pas étayée par la preuve documentaire sur la situation dans le pays. Enfin, je ne souscris pas à l’observation du demandeur voulant que la SAR et la SPR se soient livrées en conjectures sur le comportement qu’adopterait un agent de persécution raisonnable.

Conclusion

[73] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’entache la décision de la SAR, laquelle était justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes et était intelligible. La décision était raisonnable.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4999‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4999‑21

 

INTITULÉ :

RAHEEL REHMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Gen Zha

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Vassberg

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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