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Date : 20220602


Dossier : IMM‑1734‑20

Référence : 2022 CF 807

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

HAIAN TAN

RONGXIAN SITU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, Haian Tan (M. Tan) et son épouse, Rongxian Situ, ont présenté une demande d’asile au Canada parce qu’ils craignent d’être ciblés par les autorités chinoises en raison de la pratique du Falun Gong par M. Tan. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile au motif qu’elle ne l’a pas jugée crédible. Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision à la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a rejeté l’appel, confirmant un grand nombre des conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Les demandeurs contestent le rejet de l’appel par la SAR dans le présent contrôle judiciaire.

[2] D’après le seul argument proposé par les demandeurs dans le cadre du contrôle judiciaire, la SAR n’a pas effectué une évaluation indépendante. J’ai examiné la décision de la SAR, et je parviens à la conclusion que cet argument est sans fondement. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte factuel

[3] Les demandeurs sont mariés et sont tous deux des citoyens chinois. Ils ont une fille, qui est née au Canada, et qui ne fait donc pas partie de la demande d’asile en l’espèce.

[4] M. Tan affirme avoir été initié au Falun Gong par un ami en septembre 2017 et que, par la suite, il en a commencé la pratique en secret, chaque soir de la semaine. Environ un mois plus tard, cet ami a été arrêté. M. Tan s’est alors caché. Il affirme que, une semaine après s’être caché, des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) se sont rendus chez ses parents et ont demandé où il se trouvait. Les agents du BSP sont retournés chez les parents de M. Tan et ont confisqué des documents lui appartenant, liés au Falun Gong. M. Tan prétend que les agents du BSP y sont retournés une troisième fois et ont remis à ses parents un mandat d’arrestation contre lui.

[5] Les demandeurs ont quitté la Chine et sont venus au Canada en tant que visiteurs le 15 décembre 2017. En mars 2018, ils ont présenté une demande d’asile. M. Tan a continué de pratiquer le Falun Gong au Canada.

[6] Le 18 septembre 2019, à la suite d’une audience de deux jours, la SPR a rejeté la demande. La SPR a conclu que M. Tan n’était pas un véritable adepte du Falun Gong. La SPR a accordé peu de poids aux documents corroborants présentés par les demandeurs, au motif que ces documents étaient des copies ou qu’ils renfermaient des incohérences quant à ce qui était attendu selon la documentation objective sur la situation dans le pays en cause. De plus, selon la SPR, certains des événements, tels qu’ils sont décrits par les demandeurs, sont invraisemblables. Citons, notamment, le fait pour les demandeurs d’avoir été capables de quitter la Chine munis de leurs passeports, et ce, en dépit du projet Bouclier d’or, le réseau de surveillance du gouvernement chinois. La SPR a également conclu que M. Tan avait présenté un témoignage vague au sujet de sa pratique du Falun Gong.

[7] Les demandeurs ont contesté cette décision, faisant valoir que certaines conclusions à leur égard en matière de crédibilité ne pourraient pas résister à un examen minutieux et que la décision devrait être annulée. Le 4 février 2020, la SAR a rejeté l’appel.

III. Question en litige et norme de contrôle

[8] La seule question soulevée par les demandeurs est celle de savoir si la SAR a procédé à une évaluation indépendante. Les deux parties conviennent que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], a confirmé que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

IV. Analyse

[9] La SAR est tenue d’effectuer une évaluation indépendante du dossier, de déterminer si la SPR a commis une erreur et de rendre sa propre décision sur la demande (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au para 103). Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas procédé à l’évaluation indépendante et a plutôt simplement confirmé la conclusion de la SPR. J’estime que l’argument des demandeurs n’a aucun fondement. Les demandeurs ne peuvent pas fournir d’exemples précis où la SAR aurait omis d’effectuer une évaluation indépendante. Les demandeurs ont invoqué certaines parties de la décision de la SAR avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. Ils ont fait valoir qu’il s’agissait de conclusions déraisonnables, mais ils n’ont pas démontré que la SAR avait omis d’effectuer une évaluation indépendante, ce qui était le seul fondement justifiant le contrôle judiciaire.

[10] L’avocat des demandeurs soutient que, s’il suffit que la SAR confirme la conclusion de la SPR sur un point donné, puis déclare qu’elle est d’accord avec son raisonnement, il est alors suffisant pour un commissaire de la SAR de statuer sur un appel au moyen de quelques phrases, en énonçant simplement qu’il a examiné le dossier, qu’il a effectué une évaluation indépendante, et qu’il est d’accord avec la SPR. Je conviens que ce genre d’analyse serait déraisonnable et tomberait dans la catégorie de problèmes relevée par le juge Diner dans la décision Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278 : « Il est permis de mettre en doute l’indépendance de la Section d’appel des réfugiés quand elle adhère servilement à toutes les conclusions de la Section de la protection des réfugiés et les renforce » (au para 19).

[11] Je ne crois pas, cependant, que la SAR a effectué une telle analyse en l’espèce. À mon avis, la SAR a fourni une réponse pour chacune des erreurs signalées par les demandeurs, a effectué son propre examen du dossier, et, dans certains cas, était d’accord avec l’analyse qui avait été réalisée par la SPR. En outre, selon la SAR, il y a certains arguments qu’il n’était pas nécessaire de traiter, car, même si elle était parvenue à la conclusion que la SPR avait commis une erreur, ce constat ne l’aurait pas emporté sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité.

[12] Les demandeurs semblent prétendre que la décision de la SPR est outrageante à un point tel que, après avoir effectué une évaluation indépendante, un autre décideur ne pourrait absolument pas accepter son raisonnement, et que, par conséquent, il est impossible que la SAR ait effectué une évaluation indépendante. Je ne souscris pas à ce raisonnement. Il est possible que les deux décideurs arrivent à des conclusions déraisonnables. Cependant, en soi, cela ne signifie pas que le deuxième décideur n’est pas parvenu à ces conclusions déraisonnables par lui‑même, au moyen d’une évaluation indépendante.

[13] Je reconnais que les demandeurs ne sont pas d’accord avec les conclusions tirées par la SPR et la SAR en matière de crédibilité. Or, il était loisible aux demandeurs de contester les conclusions mêmes auxquelles la SAR est parvenue, lesquelles ressemblent de près à celles de la SPR. Les demandeurs ne l’ont pas fait dans le cadre du contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada explique qu’« [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). L’avocat des demandeurs a fait valoir oralement que, lorsqu’ils affirment que la SAR a omis d’effectuer une évaluation indépendante, en réalité, il s’agit d’un argument au sujet du caractère raisonnable des conclusions de la SAR. Je ne peux souscrire à cet argument. La Cour ne peut pas, maintenant, à cette étape, aller consulter le dossier et déterminer le caractère raisonnable de chacune des conclusions tirées par la SAR en matière de crédibilité. La Cour n’a pas été saisie de ces arguments. Ce n’est pas ce qui a été soutenu dans le cadre du contrôle judiciaire.

[14] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1734‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1734‑20

 

INTITULÉ :

HAIAN TAN ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Leonard H. Borenstein

 

POUR LES DEMANDEURS

Idorenyin Udoh‑Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leonard H. Borenstein

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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