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Date : 20220526


Dossier : IMM‑270‑21

Référence : 2022 CF 763

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

AMOREN BERNADINE JOSEPH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en raison du caractère déraisonnable de l’évaluation effectuée par l’agent relativement aux difficultés éprouvées par la demanderesse en conséquence d’un problème de santé mentale.

I. Contexte

[2] La demanderesse est citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Elle est venue au Canada en 2012 pour échapper au harcèlement et aux menaces que lui faisait subir un policier nommé Gary. Elle a reçu un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique (le TSPT) en conséquence de cette épreuve. En 2013, la demanderesse a amorcé des démarches pour régulariser son statut. Elle a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) et une demande pour considérations d’ordre humanitaire par l’intermédiaire d’un couple qui prétendait faussement travailler comme consultant en immigration. Après le rejet de ces demandes, la demanderesse a présenté une deuxième demande pour considérations d’ordre humanitaire en 2019.

II. Décision quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[3] Selon l’agent, [traduction] « les démarches entreprises par la demanderesse pour s’intégrer à la collectivité sont impressionnantes », mais « les renseignements ou les éléments de preuve documentaire sont insuffisants pour attester la présence d’antécédents d’emploi ou de revenu stables », et « il n’y a pas de preuve suffisante pour établir que la demanderesse avait l’autorisation nécessaire pour exercer un emploi ». L’agent a également examiné les relevés bancaires de la demanderesse et, selon lui, [traduction] « il n’y a pas de preuve suffisante qui témoigne de pratiques de saine gestion financière ».

[4] Ensuite, l’agent a examiné les observations de la demanderesse selon lesquelles sa vie était en danger à Saint‑Vincent en raison des menaces proférées contre elle par le policier. Cependant, l’agent a fondé sa décision sur le fait que la demanderesse était absente depuis huit ans et a conclu que pratiquement rien n’indiquait que le policier en question avait continué de s’intéresser à elle.

[5] En ce qui concerne la santé mentale de la demanderesse, l’agent a reconnu que celle‑ci avait reçu un diagnostic de TSPT et a examiné un rapport médical ainsi qu’une lettre du travailleur social de la demanderesse. Cependant, l’agent a affirmé que :

[traduction]

En ce qui concerne les angoisses dont fait état la demanderesse relativement aux menaces proférées par Gary, tel que je l’ai mentionné précédemment, il n’y a pas de preuve suffisante selon laquelle il continuerait de poursuivre la demanderesse depuis qu’elle a quitté Saint‑Vincent.

J’ai également pris connaissance de la documentation plus récente, soit un rapport daté du 7 octobre 2019, préparé par un travailleur social. Ce dernier fait remarquer que la demanderesse a été vue par la psychiatre du centre, laquelle a été en mesure de lui venir en aide relativement à ses problèmes de sommeil et l’a aidée à se sentir beaucoup plus calme. L’auteur de la lettre affirme ensuite que, malgré l’expérience traumatisante de la demanderesse, celle‑ci a commencé à faire preuve d’une grande force et il y a fort à parier qu’elle pourrait être en mesure de contribuer à la société. De façon générale, je conclus qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour s’attarder aux difficultés qu’éprouverait la demanderesse en matière de santé mentale si elle retournait à Saint‑Vincent. Par ailleurs, à mon avis, la preuve ne permet pas de déterminer les raisons pour lesquelles la demanderesse ne pourrait pas accéder à des services de santé à Saint‑Vincent, si elle en avait besoin, ni la façon dont cela pourrait donner lieu à des difficultés.

III. Question en litige et norme de contrôle

[6] La demanderesse soulève un certain nombre de questions au sujet de la décision relative à la demande pour considérations d’ordre humanitaire. Or, à mon avis, ce qui est déterminant dans le cadre du présent contrôle judiciaire, c’est l’appréciation par l’agent de la preuve médicale relativement à l’incidence d’un retour éventuel de la demanderesse à Saint‑Vincent. Par conséquent, je refuse d’aborder les autres questions.

[7] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 99, au moment d’effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci ».

IV. Analyse

[8] La demanderesse soutient que l’agent a mal apprécié la preuve et a estimé que sa santé mentale s’était améliorée. Selon la demanderesse, l’agent a donc conclu que cela atténuait les difficultés occasionnées par son renvoi éventuel vers son pays d’origine.

[9] La preuve dont disposait l’agent était un rapport médical daté du 19 décembre 2013 et du 9 janvier 2014, rédigé par la Dre Alpna Munshi, une psychiatre. La Dre Munshi a diagnostiqué un TSPT chez la demanderesse en conséquence de ce qu’elle avait vécu à Saint‑Vincent, et affirme, dans le rapport, que [traduction] « il ne fait absolument aucun doute que, si elle était forcée de rentrer à Saint‑Vincent, non seulement sa vie serait en danger en raison de cet homme (qui semble très résolu à la retrouver et à lui faire du mal), mais aussi, cela mènerait, de toute évidence, à une détérioration considérable de sa santé mentale. Alors qu’elle était dans mon bureau, la simple idée d’être forcée de retourner à Saint‑Vincent la faisait trembler […] ».

[10] L’agent avait également à sa disposition un rapport daté du 7 octobre 2019, rédigé par un travailleur social qui a traité la demanderesse. Le travailleur social affirme que [traduction] « elle serait confrontée à de grandes difficultés si elle retournait dans son pays d’origine, ce qui ne ferait que la traumatiser à nouveau et aurait une incidence effarante sur sa santé mentale ».

[11] La preuve médicale confirme que la demanderesse souffre du TSPT en conséquence de ce qu’elle a vécu à Saint‑Vincent. La preuve médicale confirme également que l’état de la demanderesse se détériorerait si elle était renvoyée du Canada. Pourtant, l’agent conclut que la preuve de difficultés liées à la santé mentale est « insuffisante ». L’agent ne fournit pas d’explications quant à la manière dont la preuve est insuffisante ni de motifs, et la rejette, tout simplement.

[12] Dans la décision Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 274 [Aguirre], la Cour a conclu que l’agent devait tenir compte de la preuve selon laquelle la demanderesse souffrirait de difficultés psychologiques si elle retournait dans le pays qui a été la cause de son TSPT (au para 8). De même, dans la décision Saidoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1110 [Saidoun], la Cour a conclu que les agents étaient tenus « d’examiner la probabilité que l’état de santé mentale de la personne visée se détériore en raison du renvoi » (au para 27).

[13] Comme dans les affaires Aguirre et Saidoun, l’agent a omis de se pencher sur ces éléments de preuve afin de justifier la conclusion selon laquelle la demanderesse ne serait pas aux prises avec des difficultés si elle était renvoyée à Saint‑Vincent. Une telle omission par l’agent rend la décision déraisonnable.

[14] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑270‑21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM‑270‑21

INTITULÉ :

AMOREN BERNADINE JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Nathaniel Ng‑Cornish

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brendan Stock

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathaniel Ng‑Cornish

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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