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Date : 20220526


Dossier : IMM-5274-21

Référence : 2022 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SYED MUHAMMAD A JAFFRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) en date du 15 juillet 2021, qui a jugé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2] Le demandeur fait valoir qu’il y a eu un manquement à son droit à l’équité procédurale, à cause de l’incompétence de son consultant en immigration. Le demandeur fait également valoir que la SAR n’a pas examiné la preuve documentaire.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée parce qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale et que la décision de la SAR est raisonnable.

I. Le contexte

[4] Le demandeur est citoyen du Pakistan. Il prétend que le 9 janvier 2019, quand il a refusé de vendre des terres à M. Khan, il fut accusé de blasphème, et un premier rapport d’information (PRI) fut produit contre lui. Il dit qu’il s’est caché, avant de fuir au Canada, en passant par les États-Unis.

[5] Sa demande d’asile se fonde sur le fait qu’il prétend qu’il serait exposé au risque d’être persécuté par M. Khan et par l’État, à la suite du PRI.

[6] Le demandeur fut représenté par un consultant en immigration devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et la SAR.

A. La décision de la SPR

[7] La SPR a jugé que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR a déclaré que le demandeur n’avait pas établi que c’était contre lui que le PRI avait été produit, parce qu’il a dit dans son témoignage que sa femme lui avait fourni une copie du PRI, mais qu’il n’était pas sûr de la façon dont sa femme l’avait obtenu ni du moment où elle l’avait obtenu.

[8] En ce qui concerne l’authenticité du PRI, la SPR a fait la remarque suivante au paragraphe 14 :

[TRADUCTION]
Selon les documents objectifs sur le pays, dès qu’un PRI est enregistré, la police est obligée d’enquêter sur une plainte, à moins qu’elle ne fournisse par écrit des motifs pour ne pas le faire. De plus, il est « extrêmement difficile et en définitive entièrement à la discrétion des tribunaux » d’annuler un PRI enregistré. Considérant ce qui précède et considérant que le demandeur n’a pas établi qu’il avait été continuellement pourchassé par la police, et étant donné qu’on peut facilement trouver au Pakistan de la fausse documentation (dont des plaintes à la police et des PRI), le tribunal n’a donné au PRI contre le demandeur aucun poids en ce qui concerne la corroboration des allégations centrales du demandeur. De plus, le tribunal a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas établi qu’un PRI avait été produit contre lui ni qu’il était recherché par la police. À la lumière de cela, […] le tribunal juge que le demandeur n’a pas non plus établi qu’il était exposé à un risque prospectif en raison d’accusations de blasphème. […]

[9] La SPR a également considéré que la femme et les filles du demandeur étaient restées au Pakistan, sans incident. Bien que le demandeur affirme que la police s’est rendue chez lui au Pakistan, il n’a pu donner de date. Comme cela n’a été mentionné ni dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) ni dans l’affidavit de sa femme, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas établi que la police continuait à le chercher chez lui.

[10] Puis, la SPR a examiné le témoignage du demandeur selon lequel M. Khan ne l’a jamais recontacté après l’incident prétendu du 9 janvier 2019.

[11] La SPR a relevé plusieurs incohérences et omissions dans le témoignage du demandeur et les documents à l’appui. Les affidavits fournis par son ami et par sa femme n’indiquaient pas que le demandeur s’était caché pendant plus d’un mois. Puis, bien que l’affidavit fourni par sa femme indiquât que la police s’était rendue chez elle et l’avait informée que le PRI avait été produit contre le demandeur, l’affidavit ne précisait pas qu’elle avait reçu une copie du PRI, comme l’a prétendu le demandeur. De plus, la SPR a fait remarquer que les événements décrits dans les affidavits provenaient de déclarations du demandeur même.

[12] Enfin, la SPR a examiné un affidavit d’un témoin de l’incident du 9 janvier. Cependant, le déposant a décrit qu’il y avait, parmi les blessures du demandeur, une blessure à la main, ce que le demandeur n’avait pas mentionné. La SPR a par conséquent donné peu de poids à ces documents à l’appui.

B. La décision de la SAR

[13] La SAR a souscrit à la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi que le PRI avait été enregistré contre lui ni qu’il était exposé à un risque prospectif. La SAR a souligné le manque de connaissance du demandeur sur la façon dont sa femme avait reçu le PRI, l’omission des visites ultérieures de la police dans son formulaire FDA, l’absence de contact ultérieur avec M. Khan et la preuve documentaire concernant les faux PRI.

[14] La SAR a également noté que la SPR avait tiré des conclusions quant à la crédibilité que le demandeur n’a pas contestées. La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans ses conclusions.

II. Les questions en litige

[15] Les questions en litige suivantes sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

  1. Y a-t-il eu un manquement au droit du demandeur à l’équité procédurale à cause d’un conseil incompétent?

  2. La décision de la SAR est-elle raisonnable?

III. La norme de contrôle

[16] Les questions d’équité procédurale sont appréciées selon la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CFA 196 au para 35).

[17] Dans les autres cas, la décision de la SAR est contrôlée selon la norme du caractère raisonnable. La Cour doit se demander si la décision est justifiée, transparente et intelligible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99).

IV. Analyse

A. Y a-t-il eu un manquement au droit du demandeur à l’équité procédurale à cause d’un conseil incompétent?

[18] Le demandeur fait valoir qu’il a été représenté par une personne incompétente, à la fois devant la SPR et devant la SAR. Le demandeur souligne la conclusion de la SAR selon laquelle « [l]a SPR a tiré des conclusions quant à la crédibilité que l’appelant ne conteste pas ». Le demandeur fait valoir que c’est à cause de l’incompétence de son conseil que les conclusions quant à la crédibilité n’ont pas été contestées. Il fait également valoir que son conseil n’a pas réagi comme il se doit aux questions relatives au PRI, au traitement de l’affidavit de sa femme et aux risques prospectifs auxquels il était exposé pour cause de blasphème.

[19] Comme le note le juge Diner au paragraphe 22 de la décision Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99, « l’incompétence d’un conseil ne constituera une atteinte à la justice naturelle que dans des “circonstances extraordinaires” ».

[20] Le demandeur doit établir que : (i) la conduite du conseil constituait de l’incompétence; (ii) n’eût été sa conduite, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent; (iii) le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11).

[21] En premier lieu, bien que le consultant en immigration n’ait pas précisément contesté auprès de la SAR les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, la SAR a néanmoins conduit une appréciation indépendante de la preuve. À la suite de cela, la SAR a souscrit à l’opinion de la SPR et a déclaré ceci : « Après avoir réalisé une évaluation indépendante, je conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur dans ces conclusions. Elles sont correctes et fondées sur les éléments de preuve au dossier. »

[22] En ce qui concerne le PRI, le représentant du demandeur a effectivement soulevé la question en appel et a déclaré que [TRADUCTION] « le tribunal n’a[vait] manifestement pas tenu compte du fait qu’il y a[vait] une copie du PRI prétendu parmi les éléments de preuve disponibles ». De la même façon, le représentant a contesté l’appréciation faite par la SPR du risque prospectif.

[23] En dernier lieu, le représentant du demandeur a en règle générale contesté le rejet de la preuve par affidavit, et, bien que la SAR ait jugé que le demandeur n’avait pas fait d’observations complètes et détaillées, contrevenant à l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, la SAR a néanmoins contrôlé l’appréciation par la SPR de la preuve par affidavit aux paragraphes 18 à 24 de sa décision.

[24] En résumé, bien que le demandeur prétende qu’il avait un conseil incompétent, il n’a pas été en mesure d’identifier les éléments de preuve que ce dernier n’avait pas soumis ni n’a pu indiquer quels documents n’avaient pas été déposés. Les questions relatives à l’incompétence du conseil du demandeur sont plutôt liées à son défaut d’avancer des arguments ou de faire des observations sur certains sujets. Étant donné que la barre est haute pour établir qu’une représentation est incompétente, les arguments présents ne permettent pas d’atteindre ce seuil.

[25] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que le demandeur ait démontré qu’il avait été représenté de manière incompétente et qu’il ait établi que, n’eût été l’incompétence prétendue, les conclusions de la SAR auraient été différentes.

B. La décision de la SAR est-elle raisonnable?

[26] Le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur en souscrivant à la conclusion de la SPR selon laquelle celle-ci n’accordait aucun poids au PRI, en partie à cause de l’usage répandu de faux documents au Pakistan. Le demandeur s’appuie sur la décision Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, qui déclare que « la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux » (au para 7).

[27] Le PRI était un élément central de la demande du demandeur. La SPR a examiné la preuve documentaire objective, qui déclare que, dès qu’un PRI est enregistré, la police est obligée d’enquêter. Cependant, un certain nombre de questions relatives au PRI ont été identifiées, dont les suivantes :

  • le demandeur n’était pas sûr de la façon dont sa femme avait obtenu le PRI ni du moment où elle l’avait obtenu;

  • il n’y a aucune mention de visites de la police dans son formulaire FDA, bien que la police soit obligée d’enquêter dès qu’un PRI est produit;

  • le demandeur n’a par la suite pas eu de contact avec M. Khan après l’incident initial.

[28] La SPR fait référence à la disponibilité des faux documents, mais ce n’est pas sur cette base qu’elle rejette le PRI. En réalité, ni la SAR ni la SPR n’a conclu que le PRI était faux. La SPR ne lui a assigné [traduction] « aucun poids » dans la corroboration des allégations du demandeur et a conclu que le demandeur n’avait pas établi que c’était contre lui que le PRI avait été produit. La SAR a tiré la même conclusion et a souscrit à celle de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas établi que c’était contre lui que le PRI avait été produit. La conclusion fut fondée sur un examen, en les pondérant, de tous les éléments de la preuve.

[29] De ce fait, la SAR n’a pas écarté le PRI uniquement à cause de l’usage répandu de faux documents au Pakistan. Les faits en l’espèce ne ressemblent pas à ceux de l’affaire Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1219, où la SPR avait tiré la conclusion selon laquelle les documents fournis étaient faux uniquement en raison de la [traduction] « facilité avec laquelle on peut se procurer des documents contrefaits au Pakistan » (au para 8).

[30] Dans le cas présent, la SAR (comme la SPR) a examiné le PRI dans le contexte général de la demande du demandeur. La SAR n’a pas été convaincue que le demandeur était recherché par M. Khan, qui avait déposé la plainte pour blasphème, laquelle a entraîné la production du PRI. La preuve fournie par le demandeur montrait qu’il n’avait pas eu de contact avec M. Khan autre que l’incident qui s’était produit lorsqu’il avait refusé de vendre le terrain. De même, la SAR n’a pas été convaincue que la police pakistanaise recherchait le demandeur, et elle a noté que le demandeur n’avait fait aucune référence à la police dans son formulaire FDA et que la police était obligée d’enquêter après la production d’un PRI.

[31] La SAR a pleinement apprécié et soupesé la preuve ainsi que les circonstances afférentes au PRI. Dans la présente affaire, la SAR ne s’est pas contentée d’écarter la preuve en se fondant sur le fait qu’il pourrait s’agir d’un faux document. Il était raisonnable de la part de la SAR de soulever cette question en tant que préoccupation, mais elle a néanmoins pleinement examiné la PRI.

[32] Il n’incombe pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125). Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5274-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM-5274-21

INTITULÉ :

SYED MUHAMMAD A JAFFRY c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Teklemichael Sahlemariam

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rameh Law

Mississauga (Ontario)

 

Pour le Demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le Défendeur

 

 

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