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Date : 20220603


Dossier : T‑273‑21

Référence : 2022 CF 821

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 3 juin 2022

En présence de madame la juge Henegan

ENTRE :

PATRICK LAWLOR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

[1] M. Patrick Lawlor (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Peter Hooey, le haut fonctionnaire désigné pour les griefs de classification suivant l’article A.2.21 de la Directive sur les griefs de classification (le haut fonctionnaire). Dans sa décision, le haut fonctionnaire a accepté la recommandation d’un comité de règlement des griefs de classification, qui recommandait que le poste du demandeur demeure classifié dans le groupe et au niveau AS‑04.

II. LES PARTIES

[2] Le demandeur est un employé civil de la Marine royale canadienne (la MRC), qui fait partie des Forces armées canadiennes.

[3] Aux termes du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), le procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur (le défendeur) dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III. LE CONTEXTE

[4] Les faits décrits et détaillés qui sont présentés ci‑après sont tirés des affidavits déposés par les parties, ainsi que du dossier certifié du tribunal (le DCT).

[5] Le DCT a été préparé par Mme Vanessa Fuller, conseillère principale en ressources humaines, Direction – Organisation et classifications civiles (la DOCC), ministère de la Défense nationale, gouvernement du Canada. Le DCT contient le certificat suivant, qui a été signé le 17 mars 2021 :

[traduction]

Je, soussignée, Vanessa Fuller, agente principale des ressources humaines, Direction – Organisation et classification civiles (DOCC), ministère de la Défense nationale, gouvernement du Canada, atteste par la présente que les documents joints aux présentes et énumérés dans l’index ci‑dessous forment la totalité des documents et des éléments matériels pertinents quant au grief précité qui ont été déposés devant le décideur au dernier palier et qui ont été demandés au titre de l’article 317 des Règles des Cours fédérales.

[6] Le DCT comprend les documents suivants :

  • - les postes repères utilisés par le comité de règlement des griefs de classification;

  • - les communications entre le comité de règlement des griefs de classification et la direction, et les réponses des plaignants;

  • - les communications avec le commandant Stewart;

  • - la répartition des postes classifiés selon la description de travail normalisée no 59677;

  • - les documents utilisés par le comité de règlement des griefs de classification, incluant dix pièces jointes;

  • - la Politique sur la gestion des personnes;

  • - la Directive sur les griefs de classification;

  • - la norme de classification du groupe des Services administratifs (AS);

  • - un registre des conversations et un registre des documents produits.

[7] D’après le certificat signé par Mme Fuller, le défendeur s’est opposé à la production du document suivant qu’avait demandé le demandeur :

[traduction]

[...] une liste indiquant le nombre d’employés ayant la description de travail normalisée no 60012, 59757 ou 60018 qui appartiennent à chacune des 21 sous‑organisations, telles que la Marine royale canadienne, l’Armée canadienne, le SMA(Mat), le SMA(IE) et l’une des autres sous‑organisations de niveau 1 du ministère de la Défense nationale. [En italique dans l’original; souligné dans l’original.]

[8] Le défendeur soutenait que cette liste ne devrait pas être produite, car elle n’avait pas été fournie au comité de règlement des griefs de classification et elle n’est pas pertinente quant à la présente demande de contrôle judiciaire.

[9] Le demandeur a déposé un affidavit qu’il avait souscrit le 30 mars 2021.

[10] Le défendeur n’a pas déposé d’affidavit en réponse à la demande de contrôle judiciaire, mais il s’appuie sur l’affidavit de Mme Fuller, qui avait été déposé à l’appui de sa requête visant à faire radier certains paragraphes de l’affidavit du demandeur. Par une ordonnance datée du 27 juillet 2021, la protonotaire Aylen (maintenant juge à la Cour fédérale) a rejeté la requête en radiation du défendeur et a ordonné qu’elle soit tranchée par le ou la juge qui serait saisi de la demande de contrôle judiciaire.

[11] Le 15 février 2010, le demandeur a été embauché comme employé civil à la MRC pour occuper un poste d’analyste des risques de groupe et de niveau AS‑04, dont la description de travail normalisée portait le numéro 59696. En 2011, de nouvelles fonctions, dont la gestion du risque lié à l’information, ont été ajoutées à la description de travail normalisée de ce poste.

[12] En 2018, le gestionnaire du demandeur – le commandant Jason Stewart – a demandé la reclassification du poste du demandeur à compter de 2011. Le commandant Stewart a recommandé que le poste du demandeur soit reclassifié rétroactivement dans le groupe et au niveau AS‑05 en s’appuyant sur la description de travail normalisée no 59677 du ministère de la Défense nationale qui avait été utilisée pour effectuer une comparaison avec la description de travail du demandeur.

[13] En novembre 2019, l’agent de classification Tom Egan a examiné la description de travail du demandeur et a recommandé que son poste demeure classifié dans le groupe et au niveau AS‑04 (la première évaluation). Il a transmis sa recommandation dans un courriel daté du 12 novembre 2019.

[14] Dans ce même courriel, M. Egan a fait observer que le demandeur et son supérieur avaient tous deux obtenu le même nombre de points pour le facteur lié aux connaissances (expérience).

[15] M. Egan a réduit le nombre de points qu’avait obtenus le demandeur pour ce facteur, en le faisant passer de 519 points à 492 points, afin d’éviter que le demandeur, qui est un employé subalterne, ait le même nombre de points que son supérieur. M. Egan a désigné cette modification comme une [traduction] « question de réduction ».

[16] Les facteurs et sous‑éléments suivants ont été pris en compte lors de l’évaluation du demandeur :

  • - Connaissances (études, expérience, formation continue);

  • - Prise de décisions (portée et incidences des décisions);

  • - Responsabilité relative aux contacts (nature des contacts, personnes contactées);

  • - Supervision (nombre d’employés supervisés, niveau des employés supervisés).

[17] Le capitaine de vaisseau de la MRC Jeff Hutchinson n’était pas d’accord avec la recommandation de l’agent de classification de maintenir la classification du poste du demandeur dans le groupe et au niveau AS‑04, et il a demandé un examen de la question de la réduction des points. Conformément à la Directive de la DOCC – Impasses et différends concernant la classification, cette demande a été renvoyée à une autre agente, Mme Lauren Mulligan.

[18] Mme Mulligan a examiné le dossier du demandeur en janvier 2020. Dans un rapport, elle a recommandé le maintien de la classification de son poste (la deuxième évaluation).

[19] Le 4 mai 2020, la direction a accepté la recommandation de Mme Mulligan.

[20] Le 12 juin 2020, le demandeur a déposé un grief de classification au titre de l’alinéa 208(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 (la LRTSPF). À titre de mesure corrective, il demandait [traduction] « que [s]on poste soit reclassifié ».

[21] Avant l’audience, le demandeur a présenté au comité de règlement des griefs de classification un rapport de réfutation, dans lequel il exprimait ses préoccupations concernant la deuxième évaluation. Dans ce rapport, il soutenait que plusieurs des énoncés de la deuxième évaluation étaient [traduction] « inexacts ».

[22] Le comité de règlement des griefs de classification a ensuite communiqué avec les représentants de la direction qu’avait désignés le demandeur afin de leur demander de plus amples renseignements.

[23] Après l’audience, le comité de règlement des griefs de classification a fait la recommandation suivante au haut fonctionnaire :

[traduction]

Tous les membres du comité de règlement des griefs de classification sont d’avis que les postes d’analyste de la planification stratégique dont les codes d’emploi sont 143425, 181764 et 188161 faisant l’objet du grief justifient une classification dans le groupe et au niveau AS‑04. Par conséquent, le comité recommande que les postes visés par le grief soient classifiés dans le groupe et au niveau AS‑04 à compter du 1er septembre 2011.

[24] Le haut fonctionnaire a approuvé la recommandation du comité de règlement des griefs de classification et a fait siens ses motifs. La décision a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 19 janvier 2021.

IV. LE RÉGIME LÉGISLATIF APPLICABLE

[25] Aux termes de l’alinéa 11.1(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11, le Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor) dispose du droit exclusif de classifier les postes au sein de l’administration publique centrale.

[26] Le Conseil du Trésor délègue des pouvoirs aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale qui leur permettent de classifier les postes au sein de la fonction publique.

[27] Les postes au sein de la fonction publique sont évalués et classifiés conformément à une norme de classification.

[28] Tous les postes de la fonction publique appartiennent à un groupe professionnel en particulier. Chaque groupe professionnel possède une norme de classification qui lui est propre, comme la norme de classification du groupe des Services administratifs (la norme du groupe AS). Les tâches et les responsabilités d’un poste sont évaluées en fonction de facteurs précis prévus par la norme du groupe professionnel auquel le poste appartient. Des points sont accordés en fonction de ces facteurs. Le niveau de classification d’un poste est déterminé selon le nombre total de points obtenus.

[29] Le poste d’analyste des risques du demandeur appartient au groupe des Services administratifs.

[30] La norme applicable à chaque groupe professionnel prévoit des postes repères. Ces derniers sont utilisés pour illustrer les exigences liées à chaque facteur qui doivent être satisfaites pour obtenir un certain nombre de points.

[31] Le fonctionnaire qui n’est pas satisfait de la classification d’un poste peut déposer un grief de classification, au titre de l’alinéa 208(1)b) de la LRTSPF, précitée.

[32] Les griefs sont évalués par un comité de règlement des griefs de classification, conformément à l’annexe B de la Directive sur les griefs de classification. Selon l’article A.2.13 de cette directive, le comité de règlement des griefs de classification est composé de trois membres.

[33] Aux termes de l’article A.2.21 de la Directive sur les griefs de classification, le comité de règlement des griefs de classification fait une recommandation à l’administrateur général, ou, dans les cas où les responsabilités ont été déléguées, au haut fonctionnaire désigné pour les griefs de classification. L’administrateur général ou le haut fonctionnaire a le pouvoir discrétionnaire d’approuver ou de rejeter la recommandation du comité.

[34] Si le haut fonctionnaire rejette la recommandation, la décision doit être approuvée personnellement par l’administrateur général et être communiquée au plaignant, avec motifs à l’appui.

[35] Le plaignant qui n’est pas satisfait de la décision rendue à l’égard de son grief a le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTSPF, précitée.

V. LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[36] Il me faut d’abord examiner la requête du défendeur visant à faire radier certains paragraphes de l’affidavit qu’avait souscrit le demandeur le 30 mars 2021.

[37] Je souscris aux arguments généraux avancés par le défendeur, à savoir que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, seuls les documents dont disposait le décideur doivent être présentés à la Cour; voir l’arrêt Association des universités et collègues du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

[38] Les exceptions à cette règle établie dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada, précité, ne s’appliquent pas.

[39] En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’ai décidé de ne pas tenir compte des paragraphes, ainsi que de certaines pièces, auxquels le défendeur s’opposait, [traduction] « dans la mesure où ces éléments ne figuraient pas dans le dossier du tribunal ».

VI. LES ARGUMENTS

i. Les arguments du demandeur

[40] Le demandeur soutient que le comité de règlement des griefs de classification a violé son droit à l’équité procédurale du fait qu’il a réécrit une partie de la description de travail utilisée pour effectuer une comparaison et qu’il ne lui a pas fourni de [traduction] « nouveaux renseignements ».

[41] Le demandeur fait en outre valoir que le comité de règlement des griefs de classification a analysé les facteurs liés aux connaissances et à la prise de décision de manière déraisonnable, ce qui a mené à une décision déraisonnable.

[42] Le demandeur prétend également que la réduction des points attribués à l’égard du facteur lié aux connaissances (expérience) lors de la première évaluation n’était pas autorisée et qu’elle n’a pas été faite conformément à une politique ou à une autre directive.

[43] De plus, le demandeur affirme que la décision contestée est déraisonnable, parce que le comité de règlement des griefs de classification n’avait pas suivi la procédure de règlement des griefs de classification en six étapes prévue dans la norme du groupe AS. Plus particulièrement, il fait remarquer que le comité n’a pas respecté la quatrième étape de la procédure lorsqu’il a comparé le résumé général des fonctions du poste repère avec son poste.

ii. Les arguments du défendeur

[44] Le défendeur soutient que les exigences en matière d’équité procédurale relatives à un grief de classification sont peu élevées et que, en tout état de cause, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. De plus, et à titre subsidiaire, il affirme que la décision contestée est raisonnable, compte tenu du régime législatif applicable.

VII. ANALYSE ET DISPOSITIF

A. La norme de contrôle

[45] Le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que la décision du haut fonctionnaire est déraisonnable. Pour trancher ces deux questions, il faut se pencher sur la norme de contrôle applicable.

[46] Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[47] Le bien‑fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 12.

[48] Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir Vavilov, précité, au paragraphe 99.

B. L’équité procédurale

[49] Le demandeur soutient que la procédure suivie lors de l’examen de la demande de reclassification de son poste a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Selon lui, le comité de règlement des griefs de classification a agi de manière irrégulière lorsqu’il a réécrit la description de travail utilisée pour effectuer une comparaison en ajoutant l’article défini « the » dans la version anglaise de la description, ce qui mettait l’accent sur l’ensemble du ministère.

[50] Pour étayer son argument, le demandeur s’appuie entre autres sur les décisions Majdan c Canada (Procureur général), 2011 CF 1465, et Canada (Procureur général) c Allard, 2008 CF 1294.

[51] Cet argument ne me convainc pas. Les faits des affaires invoquées par le demandeur se distinguent des faits de l’espèce.

[52] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’ajout de l’article défini « the » dans la version anglaise de la description de travail utilisée pour effectuer une comparaison et la saisie de cette modification dans le logiciel interne n’ont pas eu pour effet de modifier la description de travail et les fonctions du poste. L’ajout de l’article défini « the » ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

[53] Le demandeur prétend également que l’omission du comité de règlement des griefs de classification de lui transmettre les [traduction] « nouveaux renseignements » reçus du commandant Stewart avait entraîné un manquement à l’équité procédurale.

[54] Dans un courriel daté du 24 septembre 2020, le comité de règlement des griefs de classification a demandé au commandant Jamie Hopkins de répondre à des questions au sujet du poste du demandeur, qui faisait l’objet d’un grief. Le commandant Hopkins a alors répondu qu’il avait consulté le commandant Stewart, qui connaissait mieux les fonctions du demandeur.

[55] Selon un courriel daté du 5 novembre 2020, le comité de règlement des griefs de classification a communiqué directement avec le commandant Stewart pour lui demander s’il pouvait répondre à des questions.

[56] Dans un courriel daté du 6 novembre 2020, le commandant Stewart a mentionné qu’il serait [traduction] « [h]eureux de répondre et de fournir une réponse plus détaillée ». Le comité de règlement des griefs de classification a fait un suivi par courriel les 17 novembre et 7 décembre 2020, mais le commandant Stewart ne lui a fourni aucun renseignement.

[57] Le demandeur fait valoir que le courriel du 6 novembre 2020 du commandant Stewart, dans lequel ce dernier exprimait sa volonté de répondre à des questions, constituait de [traduction] « nouveaux renseignements » qui auraient dû lui être fournis. S’appuyant sur l’affaire Majdan, précitée, le demandeur affirme que le fait que le comité de règlement des griefs de classification ne lui avait pas transmis ces [traduction] « nouveaux renseignements » constituait un manquement à l’équité procédurale.

[58] En l’espèce, aucun nouveau renseignement n’avait été fourni au comité de règlement des griefs de classification. Il n’y a aucun renseignement à apprécier pour en déterminer la pertinence.

[59] Les circonstances de l’espèce sont différentes de celles de l’affaire Majdan, précitée, qui portait sur un cas où un comité de règlement des griefs de classification avait reçu de nouveaux renseignements de fond qu’il ne jugeait pas pertinents et qu’il n’avait pas transmis à la plaignante.

[60] Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que le droit à l’équité procédurale du demandeur a été violé.

[61] Le demandeur a également mentionné la réduction des points qu’on lui avait accordés pour le facteur lié aux connaissances (expérience) lors de la première évaluation, ce que l’agent avait qualifié de [traduction] « question de réduction ». Le demandeur a fait remarquer qu’aucune politique ne prévoyait une telle réduction.

[62] Cependant, la [traduction] « réduction » des points accordés pour ce facteur n’a été faite qu’au moment de la première évaluation. Il n’y avait aucune [traduction] « question de réduction » des points lors de la deuxième évaluation ou de l’évaluation du comité de règlement des griefs de classification. À mon avis, cette question n’est pas déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire.

C. Le caractère raisonnable

[63] Le demandeur affirme également que la décision contestée est déraisonnable, parce que le comité de règlement des griefs de classification n’a pas suivi la procédure en six étapes établie dans la norme de classification du groupe AS, qui s’applique aux postes appartenant au groupe des Services administratifs.

[64] La norme du groupe AS précise ce qui suit au sujet de la quatrième étape de la procédure :

[traduction]

La description du facteur énoncée dans chacun des postes repères, qui illustrent le degré provisoirement établi, est comparée à celle du poste faisant l’objet d’une évaluation. Des comparaisons sont également effectuées avec les descriptions du facteur fournies dans les postes repères illustrant les degrés supérieurs et inférieurs à celui qui a été provisoirement établi.

[65] Le demandeur soutient que le comité de règlement des griefs de classification n’a pas respecté la quatrième étape de la procédure. En plus de comparer les facteurs liés aux connaissances et à la prise de décisions de la description de son poste avec les facteurs correspondants des descriptions des postes repères, le comité a également comparé le résumé général des fonctions du poste repère avec le poste du demandeur.

[66] Selon le résumé des fonctions du poste repère, le titulaire du poste travaille sous la direction d’un directeur. Dans son poste actuel, le demandeur ne relève pas d’un directeur.

[67] Le comité de règlement des griefs de classification a conclu que, compte tenu de ce fait, le demandeur ne pouvait pas se voir accorder le même nombre de points pour ce facteur que celui accordé pour le facteur correspondant rattaché au poste repère.

[68] Le défendeur soutient qu’en plus de devoir effectuer une comparaison de [traduction] « facteurs », il faut lire la description du poste repère dans son intégralité, comme le mentionnent les [traduction] « remarques à l’intention des évaluateurs » figurant dans la norme du groupe AS. Ces remarques prévoient ce qui suit :

[traduction]

[...] Le degré attribué au facteur lié à l’expérience qui a été établi provisoirement doit être confirmé par comparaison directe entre le poste faisant l’objet d’une évaluation et les fonctions et les particularités des postes repères.

[69] Le défendeur s’appuie sur la norme du groupe AS pour affirmer que le comité de règlement des griefs de classification a raisonnablement conclu que la description de travail du demandeur ne correspond pas à celle du poste repère, car cette dernière précise que le titulaire du poste repère relève d’un directeur.

[70] Cet argument ne me convainc pas.

[71] À mon avis, le comité de règlement des griefs de classification a effectué une comparaison déraisonnable entre le résumé général des fonctions du demandeur et le résumé général des fonctions du poste repère. Contrairement à ce que le défendeur prétend, les [traduction] « remarques à l’intention des évaluateurs » n’exigent pas que l’on compare chaque facteur au résumé des fonctions du poste repère. La procédure de règlement des griefs de classification en six étapes ne fait pas mention de ce type de comparaison. Je suis donc d’avis qu’il était déraisonnable que le comité prenne cette [traduction] « précaution » supplémentaire.

VIII. Les mesures de réparation demandées

[72] Si la présente demande est accueillie, le demandeur souhaite obtenir les mesures de réparation suivantes :

  • - une ordonnance accueillant la présente demande de contrôle judiciaire et annulant la décision du 19 janvier 2021 portant le numéro DND‑2020‑00015;

  • - une ordonnance exigeant la formation d’un nouveau comité de règlement des griefs de classification pour examiner la plainte du demandeur;

  • - toute autre mesure de réparation à laquelle le demandeur pourrait prétendre et que la Cour pourrait autoriser.

[73] Pour sa part, le défendeur soutient que, si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, le grief devrait être renvoyé au comité de règlement des griefs de classification.

[74] Pour étayer cet argument, le défendeur s’appuie sur les paragraphes 139 à 142 de l’arrêt Vavilov, précité.

[75] Je suis en désaccord avec la position du défendeur.

[76] Premièrement, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est accueillie, la réparation habituelle consiste à rendre une ordonnance ou un jugement annulant la décision contestée. Je renvoie à l’alinéa 18.1(3)b) des Règles des Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 :

18.1(3) Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

[...]

[...]

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[77] Deuxièmement, contrairement à ce que soutient le défendeur, le comité de règlement des griefs de classification n’a pas rendu de « décision » en l’espèce. Il a fait une recommandation qui, lorsqu’elle a été approuvée par la personne autorisée, est devenue la « décision » du haut fonctionnaire.

[78] La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au paragraphe 141 de l’arrêt Vavilov, précité :

Donner effet à ces principes dans le contexte de la réparation signifie que, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour. Quand il revoit sa décision, le décideur peut alors arriver au même résultat ou à un résultat différent : voir Delta Air Lines, par. 30‑31.

[79] Je ne souscris pas à l’interprétation que le défendeur donne de ce paragraphe. À mon avis, un jugement annulant la décision contestée et renvoyant le grief à un nouveau comité de règlement des griefs de classification constitue la réparation appropriée en l’espèce.

[80] L’équité exige que le grief soit renvoyé à un décideur pour qu’il revoie la décision avec [traduction] « un regard neuf ».

IX. Les dépens

[81] Le demandeur n’a pas sollicité de dépens dans ses observations écrites. Cependant, comme le prévoit le paragraphe 400(1) des Règles, l’adjudication des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[82] La demande de contrôle judiciaire du demandeur a été accueillie et, à mon avis, des dépens modestes sont justifiés. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’adjuge des dépens de 750 $, ce qui comprend les débours et la taxe de vente harmonisée.

X. Conclusion

[83] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision contestée sera annulée et renvoyée à un comité de règlement des griefs de classification différemment constitué, et des dépens de 750 $ seront adjugés au demandeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑273‑21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision contestée est annulée et que le grief est renvoyé à un comité de règlement des griefs de classification différemment constitué. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, j’adjuge des dépens de 750 $, ce qui comprend les débours et la taxe de vente harmonisée.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑273‑21

 

INTITULÉ :

PATRICK LAWLOR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE), OTTAWA (ONTARIO) ET ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2021

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Patrick Lawlor

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Patrick Turcot

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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