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Date : 20220606


Dossier : T‑56‑20

Référence : 2022 CF 834

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

SAMEER EBADI

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE, JACQUES UNTEL, JEAN UNTEL, JOSEPH UNTEL, JEANNE UNETELLE, JULIE UNETELLE, ET DAVID VIGNEAULT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Il s’agit d’une action intentée par le demandeur contre son employeur, le Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS ou le Service], pour les délits présumés d’infliction intentionnelle d’une souffrance psychologique, de voies de fait et d’actes de violence, pour la violation présumée des droits qui lui sont garantis par les articles 2, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 [la Charte], et pour les délits d’infliction intentionnelle d’une souffrance psychologique, de voies de fait et d’actes de violence. Il sollicite un jugement déclaratoire selon lequel les défendeurs ont violé les droits qui lui sont garantis par la Charte et des dommages et intérêts en application du paragraphe 24(1) de la Charte. Le demandeur réclame également des dommages‑intérêts particuliers, punitifs et majorés contre les défendeurs, affirmant que pendant toute la durée de son emploi, les défendeurs l’ont harcelé et traité de manière préjudiciable, dégradante et condescendante, ce qui équivaut à de la discrimination religieuse et ethnique. Il affirme également avoir reçu une réparation inadéquate relativement à une demande qu’il a faite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI].

[2] Le procureur général du Canada [le PGC] présente une requête en radiation de la totalité de la demande au titre de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] au motif qu’elle est prescrite par l’effet combiné des articles 208 et 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22 [la LRTSPF]. L’AGC fait valoir que la LRTSPF prévoit une exclusion totale et explicite de la compétence de la Cour pour entendre les plaintes susceptibles de faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de cette loi. À titre subsidiaire, le PGC présente une requête en radiation des allégations contre David Vigneault, directeur du SCRS, et des allégations relatives à la LAI.

[3] Des allégations factuelles ont été présentées à la fois par le demandeur et son avocat adjoint qui s’est principalement penché sur la preuve par affidavit déposée par la directrice adjointe du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC). Cette dernière a décrit le CNCM comme étant la seule organisation de défense des musulmans canadiens à temps plein, professionnelle, indépendante, non partisane et à but non lucratif, ayant pour mission de protéger les droits de l’homme et les libertés civiles, de lutter contre la discrimination et l’islamophobie, de favoriser la compréhension mutuelle entre les Canadiens et de promouvoir les intérêts publics des communautés musulmanes canadiennes.

[4] Le défendeur a déposé des éléments de preuve par affidavit quant à cette requête relative à la compétence, à savoir un affidavit de l’ancien chef des relations de travail au SCRS.

[5] La requête en radiation est accueillie pour les motifs qui suivent.

II. Faits

[6] Le demandeur est un fonctionnaire du SCRS, un organisme créé par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985 c C‑23 [la Loi sur le SCRS]. Il a intégré le Service en août 2000 en tant qu’analyste des communications au bureau de la région des Prairies. Il est en congé de maladie depuis janvier 2018. Il est citoyen canadien et musulman pratiquant d’origine moyen‑orientale.

[7] Les défendeurs sont la Couronne, cinq fonctionnaires du Service et son directeur. Le demandeur et les cinq fonctionnaires du SCRS ont reçu un pseudonyme conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS qui fait de la divulgation de l’identité d’un employé une infraction passible d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. Si l’action n’est pas rejetée dans sa totalité, les défendeurs affirment que la réclamation à l’égard du directeur du SCRS David Vigneault devrait être rejetée et que les paragraphes 33 et 34 de la déclaration devraient être radiés parce qu’aucune cause d’action n’est révélée contre lui; en réponse, le demandeur a indiqué à l’audience qu’il demanderait l’autorisation de modifier sa déclaration.

A. La déclaration

[8] Le demandeur a engagé cette action en déposant une déclaration le 15 janvier 2020. Voici les réparations demandées dans la déclaration :

  1. une déclaration selon laquelle la défenderesse, Sa Majesté la Reine, a violé les droits qui sont garantis au demandeur par les articles 2, 7 et 15 de la Charte, ainsi que des dommages‑intérêts de 250 000 $ au titre du paragraphe 24(1) de la Charte;

  2. des dommages généraux et majorés de 250 000 $ résultant de la violation par le gouvernement des obligations contractuelles, d’origine législative et en common law en application de la Charte;

  3. la perte antérieure et future de revenu;

  4. des dommages‑intérêts particuliers dont le montant reste à déterminer;

  5. des dommages‑intérêts punitifs de 250 000 $;

  6. les intérêts avant jugement et après jugement;

  7. les frais de justice, sur une base d’indemnisation substantielle.

[9] La déclaration présente un récit assez détaillé alléguant des incidents qui remontent à 2001, c’est‑à‑dire à une période de plus de 20 ans. Le demandeur affirme que les incidents, survenus au cours des années 2001, 2005, 2008, 2010, 2013, 2016 et 2018, ont eu lieu au cours des vingt années durant lesquelles il a occupé son emploi. Il indique que ces incidents étayent ses allégations.

[10] Il n’a notamment pas engagé les procédures de règlement des griefs auxquelles il avait accès relativement à n’importe lequel des incidents allégués.

[11] Le défendeur résume ces incidents allégués, de manière précise à mon avis, comme suit :

  1. Le demandeur a été placé sous surveillance par son employeur immédiatement après les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

  2. En 2005, il a assisté à une présentation du chef de la sécurité intérieure au cours de laquelle ce dernier a déclaré que les personnes d’origine ethnique constituaient une menace pour la sécurité du Canada.

  3. Il a été contraint de passer un test polygraphique au cours duquel on lui a posé des questions personnelles sur la rupture de son mariage en 2005.

  4. En 2008, on lui a attribué un bureau plus petit, qui était un placard de rangement reconverti, proche des toilettes pour hommes.

  5. Il n’a pas réussi à obtenir une promotion au poste de chef de section en 2010.

  6. Il n’a pas reçu l’aide qu’il avait demandée à son responsable lorsqu’il s’est plaint d’une lourde charge de travail en 2013, et il a été réprimandé par son responsable.

  7. Il a été réprimandé et menacé par son directeur, le directeur adjoint et le chef de district du bureau des Prairies pour s’être plaint de harcèlement au travail.

  8. Il a été retiré d’un dossier en 2013.

  9. Il n’a pas obtenu d’entretien pour une affectation dans une administration étrangère qu’il avait demandée en 2016.

  10. Il a subi des insultes et des agressions de la part de ses collègues de travail, alors qu’il priait dans son bureau, entre 2015 et 2018.

[12] Le demandeur invoque également des allégations relatives à ses expériences du processus de plainte au SCRS, sous la rubrique [traduction] « culture toxique au SCRS » :

  1. Il a parlé avec le directeur général de la région des Prairies en 2017 et s’est plaint de manière informelle du harcèlement dont il a été victime.

  2. En 2017, il a aidé un autre fonctionnaire à déposer une plainte officielle de harcèlement pour discrimination religieuse et ethnique au sujet de laquelle une enquête a été lancée, mais dont le résultat ne lui a pas été communiqué.

  3. En décembre 2017, le directeur général David Vigneault a envoyé une lettre à tous les fonctionnaires du Service désignant l’égalité et l’élimination du harcèlement et de la discrimination comme un objectif organisationnel.

  4. Le demandeur a déposé une demande en application de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1, pour obtenir des renseignements le concernant, mais n’a reçu aucun document du Service.

[13] Le 28 janvier 2021, la PGC a déposé cette requête en radiation de la réclamation du demandeur. Les deux parties ont déposé des affidavits relativement à la requête et tous les témoins ont été contre‑interrogés.

III. Questions en litige

[14] Le PGC soulève les questions suivantes :

  1. L’action doit‑elle être radiée au motif qu’elle est prescrite pour des motifs de compétence en application de l’article 236 de la LRTSPF compte tenu de l’étendue du droit de grief prévu à l’article 208 de la LRTSPF?

  2. À titre subsidiaire, la réclamation à l’égard du directeur David Vigneault ou de la violation alléguée de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985 c. A‑1 [la LAI], devrait‑elle être radiée?

IV. Question préliminaire : les réclamations au titre de la LAI

[15] Aux paragraphes 33 et 34 de la déclaration, le demandeur affirme que le SCRS [traduction] « a intentionnellement ignoré ses obligations de divulgation découlant de la loi, notamment en commettant volontairement des erreurs de classement de certains renseignements, dans le but de dissimuler son incapacité à corriger et à traiter le harcèlement et la discrimination généralisés », et que le refus de l’accès à l’information au titre de la LAI fait partie de la [traduction] « stratégie établie » du Service pour se mettre à l’abri des exigences de l’extérieur en matière de reddition de comptes.

[16] Dans son mémoire, le demandeur déclare qu’il n’a pas l’intention d’alléguer une violation de la LAI en tant que cause d’action distincte prévue par la loi, et que les faits allégués aux paragraphes 33 et 34 de la déclaration n’y figurent que comme éléments contextuels étayant sa demande de dommages‑intérêts punitifs ou majorés.

[17] Les défendeurs soutiennent, et je suis de leur avis, que ces allégations constituent un abus de procédure et qu’elles devraient être radiées en application des alinéas 221(1)d) et 221(1)f) parce que la LAI établit un régime complet par lequel le demandeur peut chercher à obtenir des documents non produits auxquels il prétend avoir droit, ce qui ne devrait pas être débattu dans le cadre de la présente procédure, mais dans le contexte des processus énoncés aux paragraphes 30(1) et 41(1) de la LAI.

[18] Les alinéas 221(1)d) et 221(1)f) sont ainsi libellés :

Requête en radiation

Motion to Strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas:

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

[…]

[…]

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

[…]

[…]

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[19] Les alinéas 30(1)a) et 30(1)f) de la LAI sont ainsi libellés :

Réception des plaintes et enquêtes

Receipt and investigation of complaints

30(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes:

30(1) Subject to this Part, the Information Commissioner shall receive and investigate complaints

a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente partie;

(a) from persons who have been refused access to a record requested under this Part or a part thereof;

[…]

[…]

f) portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente partie.

(f) in respect of any other matter relating to requesting or obtaining access to records under this Part.

[20] Le paragraphe 41(1) de la LAI est ainsi libellé :

Révision par la Cour fédérale: plaignant

Review by Federal Court – Complainant

41(1) Le plaignant dont la plainte est visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e) et qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les trente jours ouvrables suivant la réception par le responsable de l’institution fédérale du compte rendu, exercer devant la Cour un recours en révision des questions qui font l’objet de sa plainte.

41(1) A person who makes a complaint described in any of paragraphs 30(1)(a) to (e) and who receives a report under subsection 37(2) in respect of the complaint may, within 30 business days after the day on which the head of the government institution receives the report, apply to the Court for a review of the matter that is the subject of the complaint.

[21] À mon humble avis, si je n’avais pas radié l’ensemble de la déclaration pour défaut de compétence, il conviendrait que la Cour en radie les paragraphes 33 et 34, ce que je ferais. J’estime que la LAI comporte un code complet et exhaustif qui énonce les recours éventuels qu’un demandeur peut exercer s’il n’est pas satisfait du résultat, y compris le dépôt d’une plainte auprès du Commissaire à l’information et, en dernier ressort, une nouvelle procédure par voie de contrôle judiciaire devant notre Cour. Bien qu’il manifeste son mécontentement quant au résultat, le demandeur n’indique pas avoir suivi une partie quelconque de ce régime législatif et il n’y a aucun élément de preuve en ce sens. Plus précisément, il n’existe ni allégation ni preuve que le demandeur a porté plainte auprès du Commissaire à l’information. À mon humble avis, le fait d’autoriser ces actes de procédure permettrait une attaque directe d’une décision qui peut ou non avoir été prise en application de la LAI. J’estime, avec égards, que cela constituerait un abus de la procédure de notre Cour.

V. Dispositions législatives pertinentes

[22] L’article 208 de la LRTSPF présente la [traduction] « vaste » étendue des recours en matière de griefs à la disposition du demandeur. Il permet à un fonctionnaire de déposer un grief lorsqu’il « s’estime » lésé sur le plan de ses modalités et conditions d’emploi :

Droit du fonctionnaire

Right of an employee

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé:

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

Réserve

Limitation

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act.

Réserve

Limitation

(3) Par dérogation au paragraphe (2), le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel relativement au droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

(3) Despite subsection (2), an employee may not present an individual grievance in respect of the right to equal pay for work of equal value.

Réserve

Limitation

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

(4) An employee may not present an individual grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies.

Réserve

Limitation

(5) Le fonctionnaire qui choisit, pour une question donnée, de se prévaloir de la procédure de plainte instituée par une ligne directrice de l’employeur ne peut présenter de grief individuel à l’égard de cette question sous le régime de la présente loi si la ligne directrice prévoit expressément cette impossibilité.

(5) An employee who, in respect of any matter, avails himself or herself of a complaint procedure established by a policy of the employer may not present an individual grievance in respect of that matter if the policy expressly provides that an employee who avails himself or herself of the complaint procedure is precluded from presenting an individual grievance under this Act.

Réserve

Limitation

(6) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur une mesure prise en vertu d’une instruction, d’une directive ou d’un règlement établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui‑ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

(6) An employee may not present an individual grievance relating to any action taken under any instruction, direction or regulation given or made by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

Force probante absolue du décret

Order to be conclusive proof

(7) Pour l’application du paragraphe (6), tout décret du gouverneur en conseil constitue une preuve concluante de ce qui y est énoncé au sujet des instructions, directives ou règlements établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui‑ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

(7) For the purposes of subsection (6), an order made by the Governor in Council is conclusive proof of the matters stated in the order in relation to the giving or making of an instruction, a direction or a regulation by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[23] L’article 236 de la LRTSPF établit que le droit de déposer un grief en vertu de l’article 208 interdit l’accès aux tribunaux dans une action comme la présente :

Absence de droit d’action

No Right of Action

Différend lié à l’emploi

Disputes relating to employment

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

Application

Application

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[24] Les articles 174 et 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, sont ainsi libellés :

Actes de procédure

Pleadings in Action

Exposé des faits

Material Facts

174 Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

174 Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

Radiation d’actes de procédure

Striking Out Pleadings

Requête en radiation

Motion to Strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas:

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Preuve

Evidence

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[25] Les dispositions pertinentes de la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (UK), 1982, c 11 [Charte], sont ainsi libellées :

Libertés fondamentales

Fundamental freedoms

2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

2 Everyone has the following fundamental freedoms:

a) liberté de conscience et de religion;

(a) freedom of conscience and religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

c) liberté de réunion pacifique;

(c) freedom of peaceful assembly; and

d) liberté d’association.

(d) freedom of association.

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty, and security of person

7 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7 Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

Equality before and under law and equal protection and benefit of law

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

VI. Critère juridique lors de la présentation d’une requête en radiation pour des motifs de compétence

[26] Comme nous le verrons plus loin, le critère juridique applicable à cette requête en radiation pour des motifs de compétence est de savoir s’il est évident et manifeste, en supposant que les faits allégués sont avérés ou prouvables, que notre Cour n’a pas compétence quant à la réclamation du demandeur. Les Règles ne contiennent pas de disposition particulière permettant de radier une réclamation au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence. En effet, les défendeurs n’ont pas besoin d’invoquer l’article 221 des Règles ou ses paragraphes dans leurs observations, et à juste titre.

[27] Le critère du caractère « évident et manifeste » a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltée 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [Imperial Tobacco]. Il s’applique aux requêtes en radiation pour défaut de compétence :

[17] Les parties conviennent du critère applicable à la radiation d’une demande pour absence de cause d’action raisonnable en vertu de l’al. 19(24)a) des Supreme Court Rules de la Colombie‑Britannique. La Cour a réitéré ce critère à maintes reprises : l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable : Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, par. 15; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours : voir généralement Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38, [2007] 3 R.C.S 83; Succession Odhavji; Hunt; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

[28] Dans la décision Apotex Inc c Ambrose, 2017 CF 487, au paragraphe 38, le juge Manson a confirmé le raisonnement exposé dans la décision Charlie c Vuntut Gwitchin Development Corp, 2002 CFPI 344 :

[38] [...] L’historique du critère visant une requête en radiation en vertu du paragraphe 221(1) a été examiné, en 2002, par le protonotaire Hargrave dans la décision Charlie c. Vuntut Gwitchin Development Corp., 2002 CFPI 344 [Vuntut]. En constatant que le critère du caractère manifeste et évident, selon lequel la norme exige que la preuve soit établie hors de tout doute, est approprié, il a déclaré ce qui suit :

[...]

[18] Certaines questions de compétence doivent être tranchées à l’instruction seulement, au moment où tous les faits concernant la question ont été présentés au tribunal, mais dans d’autres cas, la question de la compétence peut être décidée par voie sommaire. Dans ces cas, le critère de la chose claire, évidente et indubitable s’applique à la radiation pour défaut de compétence. Il va de soi que pour aboutir à cette conclusion, il faut d’abord examiner la compétence à la lumière de l’arrêt Miida Electronics Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. and ITO‑International Terminal Operators Ltd., [1986] 1 RCS 752.

[39] Je suis d’accord. Le critère du caractère manifeste et évident est le critère approprié à utiliser pour décider si une demande devrait être radiée parce que la Cour fédérale n’a pas la compétence.

[29] Voir également l’application du critère du caractère « évident et manifeste » lors de la présentation d’une requête en radiation pour défaut de compétence dans les décisions Hodgson v Ermineskin Band, 102 ACWS (3d) 2 (CAF); Chase c Canada, 2004 CF 273, au paragraphe 6 [Chase]; et Green c. Canada (Agence des services frontaliers), 2018 CF 414, au paragraphe 5 [Green].

[30] De plus, conformément à la décision Chase et contrairement à la situation au regard de l’alinéa 221(1)a) et du paragraphe 221(2) des Règles, la preuve est admissible dans le cadre d’une requête en radiation fondée sur la compétence :

[6] S’agissant d’une requête en radiation, les faits essentiels exposés dans la déclaration visée par la requête doivent être tenus pour avérés. Le paragraphe 221(2) des Règles prévoit qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation invoquant le motif exposé dans l’alinéa (1)a), mais, lorsque sa compétence est mise en doute, la Cour doit être convaincue qu’il existe des faits attributifs de compétence ou que des faits de cette nature sont allégués au soutien d’une attribution de compétence. Une preuve est donc recevable dans une requête qui conteste la compétence de la Cour [renvois omis, non souligné dans l’original].

VII. Analyse

A. L’action doit‑elle être radiée au motif qu’elle est prescrite pour des raisons de compétence en application de l’article 236 de la LRTSPF compte tenu de l’étendue du droit de grief prévu à l’article 208 de la LRTSPF?

(1) Résumé des thèses des parties

[31] Les arguments des parties reposent sur leurs interprétations respectives de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 [Bron], et de la jurisprudence subséquente de notre Cour. Monsieur Bron, un fonctionnaire fédéral, affirmait avoir été harcelé par son employeur, Transports Canada, en représailles à son activité de dénonciation. Les causes d’action étaient exclusivement délictuelles et l’avocat de M. Bron s’est appuyé sur une série de décisions créant une [traduction] « exception pour lanceur d’alerte » à la règle générale selon laquelle les tribunaux doivent s’en remettre à la procédure de règlement des griefs lorsque la plainte en litige peut être déposée dans le contexte de cette procédure.

[32] Il est important de noter que, dans l’arrêt Bron, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les tribunaux de l’Ontario n’avaient pas compétence parce que l’article 236 de la LRTSPF l’excluait :

[traduction]
[29] Le législateur peut, sous réserve de restrictions imposées par la Constitution, qui n’interviennent pas en l’espèce, conférer la compétence exclusive pour trancher certains litiges à des instances autres que les tribunaux. Il conviendra de recourir à des libellés clairs pour parvenir à ce résultat. L’article 236 est clair et sans équivoque. Sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 236(3), qui ne s’applique pas en l’espèce, le paragraphe 236(1) dispose que le droit du fonctionnaire de présenter un grief à l’égard d’un différend lié aux conditions d’emploi « remplace ses droits d’action en justice » concernant les faits à l’origine du différend. Le paragraphe 236(2) prévoit expressément que le processus exclusif de grief décrit au paragraphe 236(1) s’applique, que le fonctionnaire présente ou non un grief et « qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage ». Le libellé des paragraphes 236(1) et (2) signifie qu’une cour est désormais privée du pouvoir discrétionnaire résiduel d’instruire une demande pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la loi au motif que le fonctionnaire n’a pas accès à l’arbitrage d’un tiers. Bien qu’il soit possible qu’un pouvoir discrétionnaire résiduel existe si la procédure de grief ne peut offrir de réparation appropriée, rien n’indique que cela s’applique en l’espèce (voir Vaughan, au par. 30). En supposant que tel est le cas, les litiges pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la loi doivent être tranchés au moyen du processus de grief.

[Non souligné dans l’original]

[33] Comme nous le verrons plus en détail ci‑dessous, la Cour fédérale, dans plusieurs de ses décisions, a renvoyé à l’arrêt Bron et en a appliqué les modalités. À mon humble avis, l’arrêt Bron établit la jurisprudence applicable en l’espèce.

[34] Le PGC soutient, conformément à l’arrêt Bron et aux dossiers qui l’ont suivie devant notre Cour, que l’article 236 de la LRTSPF constitue une exclusion manifeste et totale de la compétence du tribunal pour toute plainte qui aurait pu faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208. Cela comprend toutes les plaintes du demandeur énoncées ci‑dessus, sauf en ce qui concerne la LAI et la plainte contre le directeur Vigneault, le défendeur.

[35] D’autre part, le demandeur fait valoir – sur la base du même extrait – que l’arrêt Bron maintient le pouvoir discrétionnaire résiduel du tribunal d’entendre une demande lorsqu’une procédure de règlement des griefs n’apporte pas de réparation appropriée. De plus, la Cour peut exercer sa compétence à l’égard de réclamations qui, dans le cours normal des choses, peuvent être exclues par l’article 236, lorsqu’une lacune existe dans le régime législatif, lorsque les événements produisent une difficulté non prévue par le régime ou en l’« absence de tout autre recours », comme indiqué dans l’arrêt Fraternité des préposés à l’entretien des voies ‑‑ Fédération du réseau Canadien Pacifique c Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 RCS 495, au paragraphe 8 [Fraternité].

[36] Le demandeur soutient également que comme sa contestation porte sur les procédures en matière de grief et de harcèlement du SCRS elles‑mêmes, sa demande n’est pas interdite par l’article 236 de la LRPFP. Il renvoie, à l’appui de cette thèse, à l’arrêt Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 [Greenwood], et à la jurisprudence qui y est citée (Merrifield v Canada (Attorney General), 2009 ONCA 127 [Merrifield], Sulz v Minister of Public Safety, 2006 BCCA 582 [Sulz], et Attorney General of Canada v Smith, 2007 NBCA 58 [Smith]). Plus précisément, le demandeur affirme que les plaintes pour harcèlement sont exclues de la procédure générale de règlement des griefs prévue par la loi et sont traitées [traduction] « en parallèle », ce qui prive les plaignants de la possibilité d’un arbitrage indépendant par un tiers.

(2) L’article 208 vise les allégations de harcèlement et de discrimination

[37] À mon humble avis, bien que l’interprétation du demandeur dans l’arrêt Bron puisse être correcte en ce qui concerne un pouvoir discrétionnaire résiduel, cette thèse ne fait pas avancer sa cause. Je conviens que l’arrêt Bron ne portait pas sur une contestation de la procédure en matière de griefs proprement dite. Je reconnais également que l’interdiction prévue à l’article 236 ne s’applique qu’aux différends qui peuvent faire l’objet d’un grief en application de l’article 208 de la LRTSPF. J’estime toutefois, étant donné que les allégations du demandeur en l’espèce étaient toutes susceptibles de faire l’objet d’un grief en application de l’article 208, qu’elles sont donc exclues par l’article 236, même si le demandeur a choisi de ne pas déposer de grief, conformément au paragraphe 236(2). Je souscris à la conclusion formulée au paragraphe 29 de l’arrêt Bron selon laquelle les différends qui peuvent faire l’objet d’un grief en application de la loi doivent être réglés au moyen de la procédure de règlement des griefs.

[38] Les allégations du demandeur aux paragraphes 17 à 27 de la déclaration concernent les menaces, le harcèlement et la discrimination qu’il a subis lorsqu’il travaillait au SCRS. Ceux‑ci sont visés par l’alinéa 208(1)b) et peuvent tous faire l’objet d’un grief, bien que cela n’ait pas été le cas. Notre Cour a déjà établi que le droit de déposer un grief prévu à l’article 208 englobe toute question relative aux modalités et aux conditions d’emploi, y compris les menaces, la discrimination, le harcèlement et les atteintes à la réputation : Nosistel c Canada, 2018 CF 618, au para 66 [Nosistel]; Price c Canada, 2016 CF 649, aux para 26‑31 [Price]; et Green, au para 16.

[39] Dans la décision Nosistel, le juge Gascon a décrit comme « vaste » la brochette de conflits reliés aux « conditions d’emploi » qui peuvent faire l’objet de la procédure de griefs prévue à l’article 208 de la LRTSPF :

[66] La jurisprudence enseigne que la brochette de conflits reliés aux « conditions d’emploi » et pouvant faire l’objet de la procédure de griefs prévue à l’article 208 de la LRTSPF est vaste (Bron c Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 aux para 15, 30). Ainsi, la Cour d’appel du Québec a jugé que la notion de grief est très étendue et vise tout fait que le salarié estime lésionnaire ou préjudiciable à ses conditions d’emploi ou de travail incluant, entre autres, les litiges liés au harcèlement, aux menaces, à l’intimidation ou aux atteintes à la réputation (Cyr c Radermaker, 2010 QCCA 389 au para 20; Barber c JT, 2016 QCCA 1194 [Barber] au para 38; Goulet c Mondoux, 2010 QCCA 468 au para 6). La définition de « condition d’emploi » peut ainsi inclure : 1) des directives sur le réaménagement des effectifs pour des postes jugés « exclus » d’une convention collective, puisque celles‑ci seraient une partie intégrante du contrat de travail de l’employé (Appleby‑Ostroff c Canada (Procureur général), 2011 CAF 84 aux para 26, 30); 2) les avantages ou services fournis par l’employeur à ses fonctionnaires, tels que des consultations en vertu Politique sur le programme d’aide aux employés (Barber au para 38); ou 3) la cote de fiabilité du fonctionnaire, cette dernière pouvant constituer une condition d’emploi essentielle pour certains postes au sein de l’administration publique centrale (Varin c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2016 CF 213 au para 2).

[67] Somme toute, il est acquis que la procédure de griefs interne se rapporte à toute circonstance ou question ayant une incidence sur les modalités ou « conditions » de travail, et que cela peut inclure les cas de discrimination, de mauvaise foi ou de harcèlement fondés sur les relations de travail (Green c Canada (Agence des services frontaliers), 2018 CF 414 aux para 11‑16; Gagnon au para 16). Certes, Mme Nosistel allègue des manquements à l’équité procédurale dans le processus d’évaluation et d’enquête sur ses plaintes de harcèlement psychologique mais, loin d’être divorcées du cadre de son emploi, ses plaintes y sont au contraire directement et intimement liées. Compte tenu du libellé large de l’article 208, je ne vois pas en quoi ses Griefs ne seraient pas reliés aux conditions d’emploi de Mme Nosistel.

[Non souligné dans l’original]

[40] Dans la décision Price, aux paragraphes 26 à 31, la Cour, sous la plume du juge Fothergill, a conclu que le paragraphe 208(1) doit faire l’objet d’une interprétation large, y compris lorsque la question donnant lieu au grief est survenue au cours de l’emploi de la personne, lorsque la personne a été lésée en tant qu’employé :

[26] La Cour d’appel fédérale a jugé que le paragraphe 90(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, prédécesseur du paragraphe 208(1) de la LRTPF actuelle, doit être interprété de façon à inclure toute personne qui « se sent lésée à titre d’employé » (La Reine c. Lavoie (1977), [1978] 1 CF 778 au paragraphe 10, [1977] 2 ACWS 81 (Fed CA) [Lavoie]). Bien que l’arrêt Lavoie porte sur une allégation de licenciement disciplinaire, la Cour a interprété la décision comme si elle visait à protéger le droit d’anciens fonctionnaires de formuler un grief lorsque « les faits à l’origine du grief se sont produits au cours de l’emploi de l’intéressé » (Salie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 122, au paragraphe 61 [Salie]).

[41] Voir également la décision Green, aux paragraphes 14 et 16, où le juge Leblanc, tel était alors son titre, a conclu que l’article 208 s’appliquait aux situations de discrimination en milieu de travail et aux allégations de mauvaise foi, de malveillance et de harcèlement :

[14] La procédure de règlement des griefs est interne, se rapporte à toute circonstance ou question ayant une incidence sur les modalités ou conditions de travail, et se déroule suivant des règles et procédures établies (Bron, au paragraphe 14). Cela inclut notamment les cas de discrimination en milieu de travail (voir Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1027 [Chamberlain] et Stringer c Canada (Procureur général), 2013 CF 735). Dans les recours assujettis à la procédure de règlement des griefs, le rôle de la Cour se limite au contrôle judiciaire (Robichaud, au paragraphe 11; voir également Price c Canada (Procureur général), 2016 CF 649, au paragraphe 14 [Price]). […]

[16] Et comme c’était le cas dans la décision Price, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la Loi prévoit la seule instance auprès de laquelle la demanderesse peut demander réparation contre son employeur, même en ce qui a trait aux allégations de mauvaise foi, de malveillance, de harcèlement et de discrimination (Price, au paragraphe 33; Bron, au paragraphe 7; Chamberlain, au paragraphe 72). Encore une fois, comme l’indique clairement le paragraphe 236(2), la Cour doit s’en remettre à la procédure de règlement des griefs, que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

[Non souligné dans l’original]

[42] Les conclusions récentes du juge Fothergill dans la décision Hudson c Canada, 2022 CF 694, aux paragraphes 103 à 105, vont dans le même sens :

[103] Les allégations de harcèlement, de discrimination et même d’agression fondés sur le sexe peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTSPF. Madame Unetelle c Canada (Procureur général), 2018 CAF 183 [Madame Unetelle] concernait un grief déposé par une employée de l’Agence des services frontaliers du Canada qui affirmait que son employeur ne lui avait pas fourni un lieu de travail exempt de harcèlement. L’employée affirmait avoir subi du harcèlement sexuel prolongé, y compris une agression sexuelle avouée par un collègue. La Commission a accueilli le grief, estimant que l’employeur n’avait pas fourni un lieu de travail exempt de harcèlement, mais n’a pas accordé d’indemnisation. La Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire, estimant que la CRTESFP avait refusé de manière déraisonnable d’indemniser l’employée pour le préjudice moral qu’elle avait subi (Madame Unetelle, au para 44; voir également Doro c Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 6).

[104] Les cours supérieures provinciales ont également reconnu que le harcèlement et la discrimination sexuels ou fondés sur le sexe peuvent faire l’objet d’un grief, et elles refusent généralement d’exercer toute compétence résiduelle qu’elles pourraient avoir en faveur du régime de relations de travail applicable (voir, par exemple, A(K) v Ottawa (City) (2006), 80 OR (3d) 161; Greenlaw v Scott, 2020 ONSC 2028).

[105] La requête en autorisation doit donc être rejetée pour la seule raison que cette Cour n’a pas la compétence sur ce recours par application des articles 208 et 236 LRTSPF. Cette conclusion s’applique également aux membres du groupe proposé dont les réclamations ont pris naissance avant 2005. Les demanderesses n’ont pas démontré que les circonstances de ces membres constituent des « cas exceptionnels », ni qu’une lacune dans l’arbitrage cause une « privation réelle du recours ultime » (Weber, au para 57; Vaughan, aux para 22 et 39).

[43] J’estime que l’argument du demandeur selon lequel la décision Green serait différente parce qu’elle n’impliquait pas de réparations fondées sur la Charte est injustifié; il a déjà été présenté et rejeté par notre Cour. Dans la décision Green, le juge Leblanc, tel était alors son titre, a conclu que les violations de la Charte pouvaient être traitées au moyen de la procédure de grief prévue par la LRTSPF :

[10] L’allégation de la demanderesse selon laquelle l’article 24 de la Charte lui permet de demander réparation à la Cour ne peut être retenue pour deux raisons. Premièrement, la déclaration ne comporte aucune allégation de violation de la Charte. Elle ne peut pas demander réparation aux termes de l’article 24 si les droits et libertés que la Charte lui garantit n’ont pas été violés. Deuxièmement, même si elle avait allégué que les droits que lui garantit la Charte avaient été violés, les actes portant atteinte à ces droits étant survenus en cours d’emploi peuvent être réglés en recourant à la procédure de règlement des griefs.

[11] L’article 236 de la Loi accorde le droit « de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi ». Toutefois, le droit de recours par voie de grief remplace tout droit d’action en justice dont pourrait bénéficier l’employé et pouvant faire l’objet d’un grief, que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief.

[Non souligné dans l’original]

[44] Dans le même sens, la Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Weber c Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929, aux paragraphes 49 et 60 [Weber], que les décideurs dans le contexte de la procédure de règlement des griefs sont compétents pour interpréter la Charte et accorder des dommages‑intérêts en application de celle‑ci.

(3) Les contestations de la politique sur le harcèlement peuvent faire l’objet d’un grief en application de l’article 208.

[45] Le reste des allégations du demandeur (aux paragraphes 28 à 34 de la déclaration) concerne l’application, au SCRS, (1) de la politique de règlement des griefs, (2) de la politique de sécurité, de santé et de respect en milieu de travail [politique sur le harcèlement], et (3) de la procédure de règlement des plaintes pour harcèlement. Ces politiques ont été mises en œuvre par les défendeurs conformément à la LRTSPF et, en tant que telles, relèvent du sous‑alinéa 208(1)a)(i).

[46] À différents moments de l’audience, l’avocat et l’avocat adjoint du demandeur ont affirmé que l’exécution de ces politiques conjointement avec la LRTSPF était [traduction] « vaine », « inopérante » et « non digne de confiance », et qu’il ne s’agissait que d’un « trompe‑l’œil » utilisé par le Service. Voici ce qu’a affirmé l’avocat du demandeur dans son mémoire :

[traduction]
7. Il existe des preuves objectives que les procédures en matière de griefs et de plaintes pour harcèlement du SCRS sont injustes et n’offrent pas de recours à M. Ebadi. L’article 236 de la LRTSPF ne peut tout simplement pas s’appliquer pour bloquer les demandes fondées sur la Charte et les délits intentionnels lorsque les politiques internes en matière de griefs offertes en guise d’action dépendent de la bonne volonté d’une direction qui a créé et perpétué une culture de racisme systémique, d’islamophobie, de harcèlement et de représailles. Les politiques internes du SCRS en matière de griefs et de plaintes pour harcèlement sont inadéquates parce que les gestionnaires du Service ne prennent pas le processus au sérieux ou n’agissent pas équitablement – et les fonctionnaires ne l’utilisent pas pour résoudre les différends.

[47] J’estime, avec égards, que ces allégations sont infondées. Le fait est que le demandeur n’a jamais, en vingt ans de carrière, déposé de plainte au titre de la politique sur le harcèlement ou de la procédure de règlement des griefs. Il ne peut pas maintenant contester devant notre Cour la justesse de procédures qu’il a lui‑même choisi de ne jamais suivre. Tel qu’il est indiqué dans les paragraphes 236(1) et (2) de la LRTSPF, l’impossibilité de recourir aux tribunaux prévue au paragraphe 236(1) s’applique, que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief dans un cas particulier et que le grief puisse ou non être renvoyé à l’arbitrage :

Absence de droit d’action

No Right of Action

Différend lié à l’emploi

Disputes relating to employment

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

Application

Application

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[48] À mon avis, le demandeur avait également la possibilité de contester la politique sur le harcèlement et la procédure de règlement des griefs en application de la LRTSPF. En d’autres termes, la [traduction] « vaste » étendue du recours en matière de griefs à l’article 208 constitue la réponse complète à ses observations. Puisque le harcèlement dans le cadre de l’emploi est une condition d’emploi, comme nous l’avons vu plus haut, il s’ensuit que ces politiques constituent [traduction] « des mécanismes établis par l’employeur qui traitent [...] des conditions d’emploi » aux fins d’un grief conformément au sous‑alinéa 208(1)a)(i).

[49] Conformément à l’analyse réalisée dans la décision Green, le demandeur aurait pu contester la politique sur le harcèlement et la procédure de règlement des griefs elles‑mêmes en application des articles 208 et 236 de la LRTSPF. En outre, j’estime que l’interdiction prévue par la loi de recourir aux tribunaux énoncée au paragraphe 236(2) prévaut sur toute cause d’action devant notre Cour, même en l’absence d’accès à l’arbitrage par un tiers.

[50] Le raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Bron est à nouveau pertinent en l’espèce :

[traduction]
[32] Enfin, l’appelant affirme qu’une cour supérieure doit conserver une compétence inhérente, peu importe le libellé de l’article 236. Il se fonde sur l’arrêt Fraternité des préposés à l’entretien des voies ‑‑ Fédération du réseau Canadien Pacifique c Canadien Pacifique Ltée 1996 CanLII 215 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 495, [1996] A.C.S. no 42, au paragraphe 8. Selon l’interprétation que je donne à cet arrêt, une cour supérieure a la compétence inhérente de fournir une réparation lorsque le régime législatif pertinent ne s’applique pas aux circonstances en question. Autrement dit, la compétence inhérente de la cour peut combler les lacunes de la législation. Il n’existe aucune lacune dans la législation en l’espèce. L’article 236 traite directement des plaintes en milieu de travail qui peuvent faire l’objet d’un grief en application de la loi. Pour ces plaintes, même lorsqu’il n’y a pas d’accès à l’arbitrage d’une tierce partie, la procédure de règlement des griefs « remplace les droits d’action en justice ».

[Non souligné dans l’original]

[51] À mon avis, les actes de procédure et les éléments de preuve en l’espèce ne portent pas à croire à l’existence, dans la LRTSPF, de lacunes ou d’un vide législatif qui nécessiteraient une correction. L’ensemble des allégations formulées dans la déclaration et des éléments de preuve présentés, énoncés ci‑dessus, auraient pu faire l’objet d’un grief. Par conséquent, conformément à l’article 236 de la LRTSPF, notre Cour n’a pas compétence pour statuer sur le contentieux en lien avec cette loi. Le fait d’examiner les plaintes du demandeur individuellement ou dans leur ensemble n’y change rien.

[52] Le demandeur a également fait valoir que les plaintes pour harcèlement ne peuvent pas réellement faire l’objet d’un grief en application des politiques et des procédures du SCRS. Il a ajouté que les fonctionnaires susceptibles de porter plainte en application de la politique du SCRS sur le harcèlement n’ont pas accès à la procédure en matière de griefs du Service. À cet égard, le demandeur a fait référence à la politique de règlement des griefs qui prévoit ce qui suit :

1.2.2 La présente politique ne s’applique pas si les politiques et les procédures suivantes permettent d’offrir d’autres procédures de recours : […]

e) règlement des plaintes de harcèlement (pour de plus amples renseignements, voir Procédures du SCRS : Règlement des plaintes de harcèlement);

[53] Le demandeur fait valoir ce qui suit :

[traduction]
69. En conservant la distinction entre le processus de harcèlement et le processus de règlement des griefs, le SCRS garde les plaintes pour harcèlement entièrement à l’interne et à l’abri de l’examen de toute personne extérieure au Service. La politique sur le harcèlement ne prévoit pas la possibilité pour un plaignant de demander un arbitrage indépendant. Après avoir été déposée auprès de la direction, une plainte pour harcèlement fait l’objet d’un examen interne et est envoyée à un « enquêteur » (dont les conclusions ne peuvent faire l’objet d’un grief). C’est la direction du SCRS (le directeur adjoint des ressources humaines – le « DARH ») qui décide en dernier ressort si les allégations de harcèlement sont fondées (plutôt que l’enquêteur nommé par la direction) et, le cas échéant, si des mesures disciplinaires seront imposées au harceleur.

70. Seuls les répondants qui se voient imposer une mesure disciplinaire peuvent ensuite contester la décision du DARH par voie de grief conformément à la politique sur le harcèlement. Le plaignant n’a pas le droit de contester par voie de grief une décision en matière de harcèlement et, une fois la procédure interne terminée, les politiques du SCRS ne lui permettent de recourir a absolument aucun autre grief ou procédure. Il s’ensuit que si la direction du SCRS décide de ne pas prendre de mesures disciplinaires à l’encontre d’un harceleur, le plaignant n’a pas la possibilité de contester cette décision par voie de grief. Un employé du SCRS que la direction souhaite protéger, indépendamment du harcèlement dont il est responsable, est mis à l’abri des conséquences. L’intégrité et l’issue du processus de plainte pour harcèlement reposent donc sur le bon vouloir des membres de la direction du SCRS, qui, en l’espèce, sont également les auteurs du préjudice subi par Sameer.

[54] Le PGC convient que la procédure du Service en matière de règlement des griefs ne s’applique pas aux conclusions d’un enquêteur. Mais cela ne s’arrête pas là. Le PGC attire l’attention sur les dispositions de la politique sur le harcèlement qui concernent l’enquête menée par un enquêteur en tant que telle :

5. PROCESSUS OFFICIEL DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

5.1 Les principes de l’équité procédurale s’appliquent au traitement des allégations de harcèlement dans le cadre du processus officiel de règlement des plaintes.

5.2 Si un employé présente un grief dans lequel sont formulées des allégations de harcèlement, le dossier est traité d’abord comme une plainte de harcèlement. Il n’est pas possible de traiter simultanément un grief et une plainte de harcèlement pour une même situation. Si une plainte liée à une situation de harcèlement est traitée ou a été traitée par l’entremise du processus de règlement des griefs, aucune suite n’est donnée à la plainte officielle de harcèlement et le dossier est fermé.

5.3 Si le harcèlement relève de l’un des motifs de discrimination illicite précisés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, la personne concernée peut choisir de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[…]

5.19 Les conclusions de l’enquêteur ne peuvent pas faire l’objet d’un grief.

[55] À cet égard, la politique de règlement des griefs du Service prévoit ce qui suit :

1.2.2 La présente politique ne s’applique pas si les politiques et les procédures suivantes permettent d’offrir d’autres procédures de recours : […]

e) règlement des plaintes de harcèlement (pour de plus amples renseignements, voir Procédures du SCRS : Règlement des plaintes de harcèlement);

[56] On peut formuler plusieurs objections aux observations du demandeur. Premièrement, ce dernier n’a à aucun moment lancé les procédures formelles de plainte de la politique sur le harcèlement. Il avait cette possibilité, mais a choisi de ne pas en user. Je ne vois pas comment il pourrait y recourir maintenant.

[57] En outre, comme le note le PGC, au titre de l’article 5.19 de la politique sur le harcèlement cité plus haut, seules les conclusions de l’enquêteur en application de cette politique ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un grief. Le PGC soutient, et je constate, qu’en vertu de la politique sur le harcèlement, il appartient à la direction du SCRS d’accepter ou de rejeter les conclusions de l’enquêteur. Il lui appartient également de déterminer les éventuelles mesures réparatrices à imposer.

[58] Par conséquent, le PGC a affirmé, et j’en conviens, qu’un employé du SCRS comme le demandeur peut déposer un grief concernant (1) la manière dont l’enquête a été menée (comme la Cour l’a constaté dans la décision Shoan c Canada (Procureur général), 2016 CF 1003 (sous la plume du juge Zinn), (2) la décision de la direction d’accepter ou de rejeter le rapport de l’enquêteur et (3) la décision de la direction en ce qui concerne la réparation. Cette liste ne se veut pas exhaustive; elle ne traite que des questions soulevées dans le présent litige. À mon humble avis, ces conclusions concernant l’étendue et l’éventail des questions pouvant faire l’objet d’un grief en rapport avec la politique sur le harcèlement répondent aux objections du demandeur à la requête en radiation des défendeurs. J’estime donc que la Cour n’a pas compétence pour traiter des questions soulevées par le demandeur dans la présente action en application de l’article 236 de la LRTSPF. Par conséquent, l’action du demandeur sera radiée dans son intégralité.

[59] En outre, je ne suis pas convaincu que les circonstances de l’espèce m’obligent à faire appel aux pouvoirs résiduels que la Cour pourrait conserver. À cet égard, je suis d’accord avec le PGC lorsqu’il soutient qu’il convient de n’accorder que peu de poids à l’affidavit de Mme Hasan, directrice adjointe du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), dans lequel on peut lire ceci : [traduction] « En tant que musulmane pratiquante, et ayant connaissance des renseignements que j’ai examinés dans cet affidavit, je n’aurais pas fait confiance à un processus interne du SCRS pour signaler ou corriger la discrimination et le harcèlement en milieu de travail. En termes simples, la discrimination et le harcèlement omniprésents et reconnus publiquement à l’égard des musulmans au sein du SCRS, l’absence totale de représentation des musulmans (ou de toute autre minorité visible) au sein de la haute direction, la procédure de signalement et de grief interne qui oblige une personne qui manifeste son inquiétude au sujet du harcèlement ou de la discrimination à passer par sa propre direction, et les craintes de représailles pour avoir porté plainte jettent un sérieux doute sur l’efficacité et l’équité potentielles de toute procédure interne du SCRS. »

[60] Je fais cette constatation parce que Mme Hasan n’est pas dûment qualifiée comme experte, qu’elle n’a pas lu les affidavits supplémentaires dans la présente procédure et qu’elle n’a aucune connaissance directe de la culture du milieu de travail du Service.

[61] J’ai également examiné les autres éléments de preuve déposés par le demandeur et Mme Hasan, y compris des coupures de presse électroniques, le code de conduite du SCRS, divers documents parlementaires et d’autres documents disponibles. Je ne suis pas convaincu que le dossier étaye les arguments du demandeur et du CNMC selon lesquels l’exécution de la procédure de règlement des griefs et de la politique sur le harcèlement du SCRS dans le contexte de la LRTSPF est [traduction] « vaine », « inopérante », « non digne de confiance », ou encore qu’il s’agit d’un « trompe‑l’œil ».

[62] À cet égard, le demandeur a mis en évidence une déclaration du directeur du SCRS, monsieur Vigneault, qui s’est exprimé ainsi : [traduction] « J’ai dit publiquement et j’ai dit en privé à nos employés que oui, le racisme systémique existe ici, et oui, il existe un degré de harcèlement et de peur des représailles au sein de l’organisation. » À mon humble avis, cette déclaration ne constitue ni isolément ni avec le reste du dossier une admission du fait que le SCRS est un organisme raciste, ou que le demandeur est ou a été incapable d’obtenir réparation par le biais d’un grief ou d’une plainte quant à ses allégations.

[63] Plus précisément, je ne suis pas convaincu que la déclaration du directeur David Vigneault, prise en elle‑même ou en combinaison avec le dossier, étaye la proposition selon laquelle notre Cour devrait exercer tout pouvoir discrétionnaire résiduel qu’elle pourrait avoir pour accepter la compétence à l’égard de la présente action malgré l’effet combiné des articles 208 et 236 de la LRTSPF.

VIII. Conclusion

[64] J’estime qu’il est évident et manifeste que la demande du demandeur échouera pour défaut de compétence, étant donné le cadre législatif de la LRTSPF et, plus précisément, les dispositions des articles 208 et 236. La requête du PGC sera accueillie et la réclamation du demandeur sera radiée dans son intégralité. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu’il soit justifié de faire droit à une demande d’autorisation de modification, cette demande n’ayant pas été faite par écrit, mais seulement formulée à la dernière minute pendant les plaidoiries.

IX. Dépens

[65] Les parties ont convenu que la partie déboutée devra verser à la partie obtenant gain de cause, au titre de l’adjudication des dépens, une somme forfaitaire de 5 000 $, tout compris. Je juge cette somme raisonnable et c’est donc ce que j’ordonne.


JUGEMENT dans le dossier T‑56‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente action est radiée pour défaut de compétence, sans autorisation de la modifier.

  2. Le demandeur paiera aux défendeurs un montant forfaitaire tout compris de 5 000 $, au titre de leurs dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑56‑20

 

INTITULÉ :

SAMEER EBADI c SA MAJESTÉ LA REINE, JACQUES UNTEL, JEAN UNTEL, JOSEPH UNTEL, JEANNE UNETELLE, JULIE UNETELLE, ET DAVID VIGNEAULT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

John Kingman Phillips

Daniel Kuhlen

 

POUR LE DEMANDEUR

James Gorham

Sean Gaudet

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waddell Phillips Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Conseil national des musulmans canadiens

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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