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Date : 20220512


Dossier : IMM-5610-21

Référence : 2022 CF 714

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 12 mai 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

GRACE MUKADZEMBO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a refusé son appel au motif qu’elle avait une possibilité de refuge intérieur (PRI). Après avoir entendu les observations orales des deux parties, j’ai rejeté la demande de contrôle judiciaire à la fin de l’audience, en expliquant mon raisonnement à ces dernières. J’ai toutefois promis que des motifs écrits suivraient. Voici ces motifs.

I. Contexte

[2] La demanderesse est une citoyenne du Zimbabwe âgée de 37 ans. Elle est arrivée au Canada pour la première fois en juillet 2018 et a présenté une demande d’asile fondée sur la crainte que ses oncles ne la soumettent, en tant que plus jeune femme célibataire de la famille, à une mutilation génitale et à un mariage forcé. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande au motif que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur à Bulawayo, au Zimbabwe.

[3] Dans une décision du 28 juillet 2021 (la décision), la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse visant la décision de la SPR, en décidant que cette dernière avait eu raison de conclure que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger ;

[4] La SAR, citant les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 et Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 1145, a commencé par rappeler que son rôle consistait à examiner tous les éléments de preuve et à décider si la SPR avait rendu une décision correcte. La SAR a ensuite noté que les arguments au soutien de l’appel de la demanderesse visaient l’analyse effectuée par la SPR quant à la PRI à Bulawayo, en particulier lorsque cette dernière avait examiné les éléments de preuve pertinents au regard du critère à deux volets établi dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam].

[5] En ce qui concerne le premier volet du critère, la SAR est convenue avec la demanderesse que la SPR avait commis deux erreurs, la première quant à la taille de la population de Bulawayo et la seconde pour avoir omis de tenir compte de la preuve de la demanderesse relative aux liens de son oncle avec l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique (la ZANU-PF).

[6] Cependant, la SAR a finalement conclu, selon sa propre analyse de la preuve, que l’erreur factuelle concernant Bulawayo n’était pas substantielle. En ce qui concerne la seconde erreur, la SAR a déterminé qu’en tout état de cause, la demanderesse n’avait pas fourni de preuve suffisante pour établir le rang occupé ou l’influence exercée par son oncle au sein de la ZANU‑PF, ou pour établir qu’il aurait la capacité d’utiliser cette fonction afin de la retrouver. Plus précisément, la SAR a conclu que la preuve relative aux conditions dans le pays en ce qui concerne la collusion entre la ZANU-PF et les forces de sécurité, preuve sur laquelle la demanderesse s’appuyait pour démontrer le risque auquel elle serait exposée dans la ville proposée comme PRI, démontrait que cette collusion consistait en des attaques à motivation politique contre des membres de partis d’opposition. La SAR a considéré que la preuve en question était insuffisante pour démontrer que les oncles seraient en mesure d’influencer les forces de sécurité de l’État afin de localiser la demanderesse pour des raisons personnelles, en particulier aux fins d’un mariage forcé. La SAR a donc conclu que, malgré les erreurs commises par la SPR, sa décision concernant le premier volet du critère relatif à la PRI était correcte.

[7] Après avoir effectué une analyse similaire en ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel de la demanderesse.

II. Questions en litige et analyse

[8] L’unique question qui se pose dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si la décision était raisonnable; les lacunes ou déficiences doivent être plus que superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, et la cour doit être convaincue qu’elles sont suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux paras 99-100).

[9] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable au motif que dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR aurait omis de tenir compte d’éléments de preuve et aurait imposé à la demanderesse un fardeau de preuve trop lourd en ce qui concerne la motivation des agents de persécution de celle-ci et leur capacité de la retrouver à Bulawayo. Avec égards, je suis en désaccord.

[10] Comme je l’ai souligné ci-dessus, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, la SAR n’a pas omis de tenir compte de ses éléments de preuve relatifs aux liens de son oncle avec le ZANU‑PF. Aux paragraphes 15 à 18 de la décision, la SAR a explicitement examiné et retenu la preuve de la demanderesse concernant le fait que son oncle était un partisan actif du parti, ainsi que la preuve sur les conditions dans le pays donnant à penser que le parti et les responsables de l’application de la loi s’associaient afin de commettre des actes d’intimidation et de violence à motivation politique. Toutefois, la SAR a considéré que la preuve concernant la participation de l’oncle n’était pas suffisante pour conclure qu’il pourrait, d’une quelconque façon, user de l’influence du parti pour localiser sa nièce dans le but de résoudre un conflit familial personnel, surtout en l’absence de toute indication d’opinions politiques prétendues, réelles ou supposées de la demanderesse.

[11] Ainsi, l’argument de la demanderesse selon lequel la preuve pertinente n’aurait pas été prise en compte n’est pas fondé. Au contraire, dans sa décision, la SAR a explicitement traité de la preuve de la demanderesse et en a simplement conclu qu’elle était insuffisante pour établir que cette dernière serait exposée à un risque sérieux d’être persécutée, tuée, ou de subir des traitements ou des peines cruels et inusités à Bulawayo. Cette conclusion est également entièrement justifiée lorsqu’elle est examinée à la lumière de la preuve qui avait été présentée à l’origine, y compris les passages pertinents de la transcription du témoignage de la demanderesse devant la SPR, ainsi que l’affidavit de sa mère et la lettre de l’un de ses autres oncles. Le témoignage de la demanderesse n’a fourni presque aucun détail sur le rôle ou la participation de son oncle au sein du parti, et ni sa mère ni son autre oncle n’ont produit de déclaration qui concernerait l’existence d’une menace découlant des liens allégués avec le parti et qui remettrait en cause la conclusion de la SAR sur le premier volet du critère relatif à la PRI.

[12] La demanderesse prétend en outre qu’il était déraisonnable et excessivement sévère d’exiger d’elle qu’elle présente des éléments de preuve relevant de son agent de persécution. Elle cite à cet effet la décision Franco Taboada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1122 au para 35 [Taboada]. Toutefois, je ne vois aucune similitude entre la présente affaire et l’extrait cité de la décision Taboada, qui portait sur les conclusions relatives à la crédibilité et sur le caractère inapproprié d’une exigence que le demandeur prouve que ses persécuteurs agiraient de façon rationnelle.

[13] Je ne pense pas qu’en l’espèce, la décision de la SAR puisse être interprétée comme ayant exigé une telle preuve. Il me semble que la SAR a commenté l’absence de preuve quant au fait que l’influence exercée par la ZANU-PF sur les forces de sécurité pour qu’elles se lancent à la poursuite des dissidents politiques pourrait être utilisée par des partisans pour résoudre leurs conflits familiaux personnels exempts de toute dimension politique. La conclusion de la SAR est tout à fait raisonnable, en particulier en l’absence de preuve que l’oncle était plus qu’un partisan du parti.

[14] Étant donné que la demanderesse conteste les conclusions ayant trait au premier volet du critère relatif à la PRI et non celles concernant le deuxième volet, je juge que la décision de la SAR est raisonnable, en ce sens qu’elle est transparente et intelligible, en plus d’être justifiée au regard de la jurisprudence applicable et de tenir compte des faits pertinents. La demande est donc rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5610-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5610-21

 

INTITULÉ :

GRACE MUKADZEMBO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MaI 2022

 

MOTIFS ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 12 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Ugochukwu Udogu

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugo Udogu Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

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