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Date : 20220609


Dossier : IMM-5983-21

Référence : 2022 CF 863

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ABIDEEN AYODIMEJI LAWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Abideen Ayodimeji Lawal est un citoyen du Nigéria. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR].

[2] La SAR a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR avait conclu que M. Lawal n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SAR et la SPR ont conclu que M. Lawal disposait d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] au Nigéria.

[3] Pour les motifs qui suivent, la conclusion de la SAR selon laquelle M. Lawal dispose d’une PRI viable à Abuja, au Nigéria, était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[4] M. Lawal est âgé de 43 ans. Il est marié et a trois enfants. Il a travaillé comme médecin au Nigéria de 2009 à septembre 2017, date à laquelle il a quitté le pays pour les États‑Unis. Il est entré au Canada au point de passage non officiel de Lacolle, au Québec, le ou vers le 9 mai 2018. Sa conjointe et ses enfants vivent toujours au Nigéria.

[5] M. Lawal a affirmé avoir une crainte justifiée de Boko Haram, mais la SPR a estimé qu’il ne serait pas menacé par l’organisation terroriste à Abuja. M. Lawal n’a pas contesté cette conclusion devant la SAR.

[6] M. Lawal a également fait valoir qu’il avait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté par son oncle, qui dirige un sanctuaire à Lagos et est un membre actif d’une secte. Son oncle est également affilié au congrès du peuple Oodua [l’OPC], une organisation de justiciers nationaliste du Nigéria.

[7] En mai 2017, l’oncle de M. Lawal l’a informé qu’un oracle du culte l’avait choisi pour être le prochain « abore », c’est‑à‑dire grand prêtre du sanctuaire. M. Lawal a refusé en invoquant sa foi musulmane et les exigences de son métier. Son oncle l’a menacé de mort.

[8] Tout au long du mois de mai 2017, l’oncle de M. Lawal a continué à le poursuivre et à exiger qu’il accepte de devenir abore. Le récit des incidents, tels qu’allégués par M. Lawal, est le suivant :

  • a) Le 13 mai 2017, l’oncle de M. Lawal s’est rendu dans sa clinique avec des membres de la secte et lui a servi l’ultimatum suivant : soit il accédait aux souhaits de l’oracle, soit il en subissait les conséquences.

  • b) Le 20 mai 2017, des membres de la secte et de l’OPC sont entrés dans la clinique de M. Lawal en exigeant de le voir et en provoquant une agitation. M. Lawal s’est caché et a ensuite rapporté l’incident à la police. Certains des responsables ont été arrêtés, mais ont été relâchés lorsque la police a découvert l’implication de l’oncle de M. Lawal, qui est vénéré et craint dans la communauté locale.

  • c) Le 28 mai 2017, l’oncle et les membres de l’OPC ont menacé la femme et les enfants de M. Lawal alors qu’il n’était pas chez lui, affirmant qu’ils deviendraient [traduction] « une veuve et des enfants sans père ». Ils ont répété que M. Lawal devait devenir abore ou mourir. L’épouse de M. Lawal était enceinte à l’époque et a été hospitalisée pendant cinq jours à la suite de cet incident. La famille a déménagé dans une autre partie de Lagos, chez la belle-mère de M. Lawal.

[9] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Lawal le 8 février 2021 au motif qu’il dispose d’une PRI viable à Abuja. Le 9 août 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a souligné que l’oncle de M. Lawal n’avait fait aucun effort pour le retrouver hors de Lagos depuis 2017, alors qu’il avait les moyens de le faire.

III. Question en litige

[10] La seule question que soulève le demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

IV. Analyse

[11] Les conclusions mixtes de fait et de droit de la SAR, y compris la question de savoir si un demandeur dispose d’une PRI viable, sont susceptibles de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Olalere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385 au para 19; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[12] La Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci (Vavilov, au para 15). Les critères de « justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement à l’appui de la décision, et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86).

[13] Le critère servant à établir l’existence d’une PRI viable est bien établi (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) aux para 5‑6, 9‑10). En premier lieu, la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge. En deuxième lieu, la situation dans cette partie du pays doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier. Les deux volets du critère doivent être respectés.

[14] Il incombe au demandeur d’asile de démontrer, par une preuve objective, que l’endroit proposé comme PRI est déraisonnable (Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 141 au para 29). M. Lawal conteste la conclusion de la SAR concernant le premier volet du critère servant à établir l’existence d’une PRI, à savoir qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse de persécution par son oncle à Abuja.

[15] M. Lawal fait valoir qu’il a reçu de multiples menaces de la part de son oncle et que ce dernier a mobilisé des membres du culte et des justiciers contre lui. Son oncle a pourchassé l’épouse et les enfants de M. Lawal dans plusieurs endroits, et l’épouse de ce dernier a souvent l’impression d’être traquée lorsqu’elle quitte la maison. L’oncle avait appris que M. Lawal avait quitté le Nigéria, mais il a tout de même contacté sa mère pour lui demander où il se trouvait. Tous ces témoignages ont été acceptés par la SPR, qui a estimé que M. Lawal était généralement crédible.

[16] La SAR a néanmoins conclu que la preuve dans le cartable national de documentation de la CISR pour le Nigéria ne suffisait pas à démontrer que le refus du titre de grand prêtre entraînerait nécessairement des conséquences négatives pour une personne comme M. Lawal. Selon une réponse à une demande d’information sur laquelle la SAR s’est appuyée, le refus d’une personne d’assumer le rôle hérité du prêtre de sanctuaire peut constituer un « grave problème » dans de nombreuses communautés, car cette personne peut attirer la « colère divine » sur elle-même, ainsi que sur la communauté locale. La SAR a accepté que les membres de la communauté locale d’un sanctuaire puissent croire à la possibilité d’une « colère divine », mais il était peu probable que M. Lawal soit visé parce qu’il vit dans un grand centre urbain.

[17] M. Lawal affirme que la SAR a examiné l’information contenue dans le cartable national de documentation de manière sélective et qu’elle a conclu de manière déraisonnable qu’il ne courrait aucun risque dans les grands centres urbains. Il a produit un affidavit dans lequel il a confirmé que son oncle est un membre actif d’une secte qui a démontré sa volonté de l’attaquer sur son lieu de travail et de menacer sa femme et ses enfants à de multiples endroits. Il affirme que les recherches continuelles de son oncle pour trouver l’endroit où il se trouvait confirment qu’il est encore motivé à le retrouver. De plus, M. Lawal doit s’inscrire comme médecin s’il veut pratiquer, ce qui facilite le travail de son oncle.

[18] Le défendeur fait valoir que la conclusion de la SAR selon laquelle M. Lawal était généralement crédible ne signifie pas que tout ce qu’il a dit doit être accepté comme vrai. La SAR a tenu compte du témoignage de M. Lawal et des autres éléments de preuve au dossier. La SAR a raisonnablement conclu que la crainte de M. Lawal de subir un préjudice dans la ville proposée comme PRI n’était pas étayée par la preuve objective, et elle a accordé davantage de poids à cette preuve.

[19] La SAR a le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un demandeur, et ce, même si elle conclut que le témoignage du demandeur est crédible et digne de foi (Matore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1009 au para 24). La SAR a accepté que M Lawal a été menacé et harcelé à Lagos lorsqu’il a refusé de devenir abore, et elle a reconnu que son oncle avait les moyens de le poursuivre dans tout le Nigéria. Toutefois, la SAR a raisonnablement conclu que l’oncle n’avait pas de motivation pour le faire à l’heure actuelle.

[20] M. Lawal a continué de travailler à la même clinique après avoir subi les menaces de son oncle. L’oncle de M. Lawal n’a fait aucun effort pour le poursuivre lors des quatre mois qui ont précédé son départ du Nigéria, et M. Lawal n’a pas subi de représailles après avoir prévenu la police de l’attaque à la clinique. Rien ne prouve que l’oncle ait eu un quelconque contact avec la femme et les enfants de M. Lawal après qu’ils eurent quitté la maison de sa belle-mère en 2018. La famille a continué de vivre au Nigéria pendant plusieurs années sans faire face à d’autres incidents.

[21] M. Lawal ne prétend pas avoir de liens avec une religion autochtone ou un système de croyances s’alignant sur ceux des sanctuaires ou des cultes. Aucune preuve n’a été soumise à la SAR pour démontrer que l’influence des sanctuaires s’étend aux centres urbains comme Abuja, ou que l’OPC aidera les sectes à retrouver des gens.

[22] La conclusion de la SAR selon laquelle M. Lawal dispose d’une PRI viable à Abuja était donc raisonnable.

V. Conclusion

[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5983-21

 

INTITULÉ :

ABIDEEN AYODIMEJI LAWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Zohra Safi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ZSN Law Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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