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Date : 20220613

Dossier : T-73-22

Référence : 2022 CF 880

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2022

En présence du protonotaire Benoit M. Duchesne

ENTRE :

SOPREMA INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

OWEN CORNING CANADA LP

défendeurs

MOTIFS ET ORDONNANCE

[1] La demanderesse Soprema Inc. (ci-après appelée Soprema) a déposé une requête par écrit le 13 avril 2022 en vue d’obtenir une ordonnance au titre de l’article 8 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, prorogeant le délai prévu pour déposer son dossier de réponse à l’encontre de la requête en radiation de son avis de demande qui a été déposée par la défenderesse Owen Corning Canada LP (ci-après appelée OCC). OCC s’oppose à la requête de Soprema au motif que les explications fournies par celle-ci pour justifier le retard ne sont pas suffisantes. Le procureur général du Canada est en accord avec les motifs d’opposition d’OCC et fait valoir que Soprema n’a pas satisfait aux exigences relatives à une prorogation de délai telles qu’elles sont établies dans l’arrêt Canada (Procureur généréal) c Hennelly, [1999] ACF no 846, 1999 CanLII 8190 (CAF).

[2] Pour les motifs qui suivent, la requête de Soprema visant à faire proroger le délai pour déposer ses documents de réponse à la requête en radiation d’OCC est rejetée.

I. Les faits

[3] Soprema et OCC sont des concurrentes en affaire. OCC détient un permis délivré par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) qui expire le 30 juin 2022.

[4] Le 12 janvier 2022, Soprema a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire afin de contester le permis délivré à OCC.

[5] Le 10 février 2022, OCC a déposé une requête en radiation de l’acte de procédure de Soprema au motif que la décision rendue par la Cour dans le dossier T‑475‑21, Soprema Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CF 732, s’appliquait et qu’elle était déterminante quant à l’issue de la demande de contrôle judiciaire de Soprema. Dans cette décision, la juge St-Louis a radié l’avis de demande de contrôle judiciaire présentée par Soprema en vue de contester un permis délivré par ECCC à un autre de ses concurrents, 3313045 Nova Scotia Company. Elle a jugé que Soprema n’avait pas la qualité pour contester le permis délivré selon un intérêt direct ou public et que son avis de demande n’énonçait aucun fait important pouvant mener à l’accueil de la demande. Dans son avis de requête, OCC avance que le même raisonnement s’applique en l’espèce et que l’avis de demande de contrôle judiciaire de Soprema est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Soprema avait interjeté appel de la décision de la juge St-Louis. Dans ses motifs qu’elle a publiés le 3 juin 2022 (Soprema Inc. c Canada (Procureur général), 2022 CAF 103), la Cour d’appel fédérale a rejetée l’appel de Soprema.

[6] La preuve que Soprema a déposée dans le cadre de la présente requête vise à expliquer son retard à présenter des documents de réponse.

[7] OCC a déposé son dossier de requête signifié le 10 février 2022. La requête a été signifiée comme étant présentable devant la Cour pour une audience le 1er mars 2022, en séance générale.

[8] Selon la preuve de Soprema, le 24 février 2022, ses avocats ont discuté de la requête avec les avocats d’OCC et ont accepté que la décision à l’égard de la requête soit prise uniquement sur la base de ses prétentions écrites, aux termes de l’article 369 des Règles. Une lettre a été déposée à la Cour le 25 février 2022 pour confirmer cette entente entre les parties. Elle n’énonçait toutefois aucune autre entente entre les parties concernant le délai à respecter par Soprema pour présenter son dossier de réponse.

[9] Également selon la preuve de Soprema, lors de cette discussion du 24 février 2022, OCC et Soprema ont convenu que cette dernière n’était pas tenue de présenter son dossier de réponse durant la semaine de relâche de 2022 et que les avocats des parties s’entendraient plus tard sur la date à laquelle les documents devraient être déposés. Aucune preuve documentaire ne confirme ces discussions et les ententes alléguées entre les avocats des parties. Aucune preuve ne démontre non plus que d’autres discussions ont été tenues entre les avocats après celle du 24 février 2022.

[10] Selon la preuve de Soprema, ses avocats ont tenu pour acquis que le délai de 10 jours pour le dépôt du dossier de réponse, tel que le prévoit le paragraphe 369(2) des Règles, s’appliquait à la requête en radiation en instance à partir du moment où les parties ont convenu de procéder par écrit. Rien n’indique à partir de quand le délai de 10 jours devait commencer, quand il devait finir et si d’autres discussions avaient eu lieu entre les parties au sujet des prorogations de délai. La preuve ne montre pas non plus si des discussions ont été tenues sur l’échéancier applicable à la requête. On peut donc conclure de la preuve que les avocats de Soprema savaient que le dossier de réponse devait être déposé et signifié dans les 10 jours suivant le 24 février 2022, c’est-à-dire au plus tard le 7 mars 2022, à moins que des mesures ne soient prises pour proroger le délai prescrit par les Règles.

[11] Bien que cela ne soit pas mentionné dans l’affidavit que Soprema a déposé à l’appui de sa requête, le dossier de la Cour montre que le greffe a communiqué avec les avocats de Soprema le 15 mars 2022 pour s’informer des prochaines étapes dans l’affaire. Les avocats de Soprema ont déclaré avoir informé le greffe de la date à laquelle ils déposeraient une requête en prorogation de délai pour le dépôt du dossier de réponse de Soprema à la requête en radiation d’OCC.

[12] Comme le temps s’est écoulé sans que Soprema dépose quoi que ce soit en lien avec la requête en radiation d’OCC, le greffe a écrit aux avocats de Soprema le 30 mars 2022 pour vérifier s’ils avaient l’intention de répondre à la requête en radiation. Le 31 mars 2022, les avocats de Soprema lui ont répondu par courriel qu’ils avaient l’intention de déposer une requête en prorogation de délai pour la signification et le dépôt du dossier de réponse de Soprema.

[13] Cette requête a été déposée le 13 avril 2022, approximativement deux semaines après la deuxième demande de la Cour à propos de l’intention de Soprema de répondre à la requête en radiation d’OCC, 29 jours après la première demande de la Cour aux avocats de Soprema sur le même sujet, 48 jours après la conversation du 24 janvier 2022 entre les avocats au sujet de la conversion de la requête d’OCC en requête par écrit, et 48 jours après la date à laquelle les avocats de Soprema ont su qu’ils avaient 10 jours pour présenter un dossier de réponse à la requête par écrit d’OCC selon le paragraphe 369(2) des Règles.

[14] Outre ce qui précède, dans la preuve que Soprema présente pour justifier son retard et demander une prorogation de délai, celle-ci affirme que ses avocats étaient en vacances, en préparation, en interrogatoires, en cour ou à l’extérieur de Montréal du 12 mars au 10 avril 2022.

II. Les questions en litige et le droit applicable

[15] Les arrêts de principe concernant les prorogations de délai établissent les principes à appliquer ainsi que les facteurs à prendre en compte dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prévu pour la signification et le dépôt des documents de réponse de Soprema.

[16] Au paragraphe 3 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF), la Cour d’appel fédérale a déclaré que le test à appliquer dans le cadre d’une requête en prorogation de délai est de savoir si le demandeur a démontré les éléments suivants : 1) une intention constante de poursuivre sa demande; 2) que la demande est bien fondée; 3) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; 4) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[17] Au paragraphe 62 de l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, la Cour d’appel fédérale a mentionné que le défaut de répondre par l’affirmative à l’une des quatre questions énoncées dans l’arrêt Hennelly ne permet pas nécessairement de déterminer si la prorogation demandée est justifiée.

[18] Aux paragraphes 24 à 28 de la décision Canada c Tran, 2008 CF 297, la Cour a déclaré que, reconnaissant qu’il faut un certain temps pour se préparer et s’organiser une fois que l’on sait qu’on aura besoin d’une prorogation de délai, il sera difficile de justifier une telle demande lorsque plus de 30 jours se sont écoulés depuis que l’on a pris connaissance de ce besoin. Dans un tel cas, une explication raisonnable doit être fournie.

[19] Au paragraphe 45 de l’arrêt Alberta c Canada, 2018 FCA 83, la Cour d’appel fédérale a mentionné que, dans le cadre d’une demande de prorogation de délai, la considération primordiale est de veiller à ce que la justice soit rendue entre les parties.

[20] En l’espèce, il y a peu d’éléments de preuve, voire aucun, qui démontrent une intention constante de la part de Soprema de répondre à la requête en radiation d’OCC. Au mieux, Soprema affirme avoir discuté de la requête en radiation d’OCC avec les avocats de celle-ci le 24 février 2022 et reconnaît qu’elle avait 10 jours pour déposer son dossier de réponse afin de se conformer au paragraphe 369(2) des Règles. Rien ne prouve que Soprema a pris des mesures pour discuter des délais ou de la date à laquelle elle devait présenter son dossier de réponse à OCC après la discussion du 24 février 2022. On ne peut pas savoir si la réponse que Soprema voulait donner à la requête en radiation est bien fondée, car aucune preuve n’a été déposée et on ne sait pas en quoi elle consiste. La seule preuve de préjudice au dossier se limite à une déclaration d’OCC selon laquelle elle continue de dépenser des ressources pour se défendre contre les actions que Soprema intente, mais qu’elle ne poursuit pas en temps voulu, ce qui cause préjudice à OCC.

[21] J’estime que la preuve déposée par Soprema pour répondre aux trois premiers facteurs de l’arrêt Hennelly n’est pas convaincante.

[22] L’explication que donne Soprema pour justifier une partie de son retard à déposer son dossier de réponse est que ses avocats étaient occupés, tant sur le plan professionnel que personnel, entre le 12 mars et le 10 avril 2022. On peut conclure de la preuve de Soprema que durant ces 29 jours, ses avocats ne pouvaient pas trouver le temps de demander une prorogation de délai en temps opportun même après avoir informé la Cour qu’ils le feraient à deux occasions distinctes durant cette période. Bien que quelques prorogations puissent être accordées de temps en temps vu la surcharge de travail et ses effets sur les instances qui ne sont pas immédiatement urgentes, le fait de dire à la Cour que des mesures seront prises, mais de ne pas respecter cette parole dans les délais est un facteur qui joue contre l’octroi d’une prorogation de délai pour le dépôt de documents de réponse.

[23] Même si j’acceptais que la preuve de Soprema selon laquelle ses avocats étaient occupés constitue une explication raisonnable justifiant qu’aucune mesure n’ait été prise entre le 12 mars et le 10 avril 2022, ce qui n’est pas le cas, il demeure qu’aucune explication n’a été donnée pour justifier l’inaction de Soprema entre le 10 et le 14 février.

[24] Les parties s’étaient entendues pour proroger le délai pour le dépôt du dossier de réponse de Soprema au-delà de la semaine de relâche de 2022, mais la preuve ne fournit aucune explication pour justifier le retard dans le dépôt et la signification des documents de Soprema entre le 7 et le 12 mars 2022 ni après, mis à part le fait que les parties s’étaient entendues le 24 février 202 pour discuter de la date de dépôt plus tard et que les avocats étaient occupés. Bien que les parties discutent régulièrement des prorogations de délai pour les diverses étapes d’une procédure et qu’elles soient encouragées à le faire lorsque la situation le justifie, le délai pour le dépôt d’un dossier de réponse dans le cadre d’une requête par écrit demeure fixé par le paragraphe 369(2). Seul l’article 7 des Règles permet la prorogation d’un délai par la tenue de discussions ou par une entente entre les parties. La Cour doit être gardée au courant, et elle doit approuver la prorogation du délai. Soprema savait que la lettre du 25 février 2022 envoyée à la Cour pour confirmer que la requête en radiation serait instruire sur la base des prétentions écrites exigeait qu’elle dépose et signifie ses documents de réponse dans les 10 jours et que la Cour pourrait trancher la requête à la fin de ces 10 jours, à moins que Soprema demande une prorogation de délai ou qu’elle dépose le consentement de toutes les parties à une prorogation conformément à l’article 7 des Règles. Elle n’a pas demandé de prorogation durant cette période.

[25] Soprema n’a pas donné d’explication raisonnable pour justifier le fait de ne pas avoir demandé de prorogation de délai avant le 13 avril 2022 alors qu’elle savait ou qu’elle ne pouvait ignorer qu’une telle prorogation serait nécessaire après le 7 mars 2022. À mon avis, la décision Canada c Tran s’applique. La preuve présentée dans le cadre de la présente requête ne permet pas de conclure qu’il serait justifié d’accorder une prorogation de délai à Soprema pour qu’elle dépose son dossier de réponse à la requête en radiation d’OCC. Soprema ne m’a pas convaincu que justice serait faite entre les parties si je prorogeais le délai afin de lui permettre de déposer son dossier de réponse à la requête en radiation d’OCC, particulièrement vu que le permis d’OCC, qui est au cœur même de l’affaire, expirera le 30 juin 2022.


 

LA COUR ORDONNE :

1. La requête en prorogation du délai présentée par la demanderesse et partie requérante Soprema Inc. pour le dépôt et la signification de son dossier de réponse à la requête en radiation de la défenderesse Owens Corning Canada LP est rejetée.

2. Aucuns dépens ne seront adjugés dans la présente requête, car aucune des parties n’en a sollicité.

En blanc

« Benoit D. Duchesne »

En blanc

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-73-22

 

INTITULÉ :

SOPREMA INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et OWEN CORNING CANADA LP

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUIN 2022

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE PROTONOTAIRE B.M. DUCHESNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2022

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christine Duchaine

Johnathan Coulombe

Sylviane Renée

SODAVEX Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michelle Kellam

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Raphael Lescop

François Goyer

IMK, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

POUR LA DÉFENDERESSE

OWEN CORNING CANADA LP

 

 

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