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Date : 20220607


Dossier : T‑559‑22

Référence : 2022 CF 841

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7°juin 2022

En présence de monsieur le protonotaire Benoit M. Duchesne

ENTRE :

KERRY FITZPATRICK

demandeur

et

DISTRICT 12 DU SERVICE RÉGIONAL DE LA GRC DE CODIAC et SA MAJESTÉ LA REINE

 

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les défendeurs – le District 12 du Service régional de la GRC de Codiac et Sa Majesté la Reine [collectivement les défendeurs] – ont présenté une requête en vue de faire radier la déclaration du demandeur sans autorisation de la modifier, conformément aux alinéas 221(1)a) et c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[2] Les défendeurs soutiennent que la déclaration ne révèle aucune cause d’action contre eux, qu’elle est scandaleuse, frivole et vexatoire et que les allégations qu’avance le demandeur sont frappées de prescription, en application de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur la prescription, LN‑B, 2009, c L‑8.5. Ils allèguent également que la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick est habilitée à trancher le litige qui oppose les parties.

[3] Le demandeur, qui se représente lui‑même, est d’avis que notre Cour a la compétence voulue pour instruire et trancher la présente affaire, que les causes d’action qu’il avance sont raisonnables et que ses demandes ne sont pas prescrites.

[4] Pour les motifs qui suivent, la requête des défendeurs est accueillie et la déclaration est radiée sans autorisation de la modifier.

1. Le droit applicable à une requête en radiation

[5] Le droit qui s’applique à une requête en radiation présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles est bien établi, et le juge Pentney l’a résumé dans la décision Fitzpatrick c District 12 du Service régional de la GRC de Codiac et Sa Majesté la Reine, 2019 CF 1040, une affaire antérieure mettant en cause les mêmes parties, relativement à une déclaration que M. Fitzpatrick a déposée en 2019 et qui a été radiée sans autorisation de la modifier :

[13] Le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], établit le cadre qui s’applique à la requête en radiation :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[14] Comme il a été mentionné précédemment, le droit régissant la requête en radiation vise à protéger les intérêts du demandeur en lui donnant l’occasion de se faire entendre, tout en tenant compte d’autres intérêts importants en évitant d’accabler les parties et le système judiciaire avec des demandes qui sont vouées à l’échec dès le départ. Pour y parvenir, les tribunaux ont élaboré une approche analytique et une série de critères qu’ils doivent appliquer lorsqu’ils examinent une requête en radiation.

[15] Le critère applicable à la requête en radiation met la barre très haute pour les défendeurs; il incombe au défendeur de convaincre la Cour qu’il est évident et manifeste que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, même en supposant que les faits allégués dans la déclaration sont véridiques : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au par. 17; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la p. 980. Le paragraphe 221(2) des Règles renforce ce critère en prévoyant qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête. Compte tenu de cette disposition, les autres éléments de preuve présentés par le demandeur dans sa réponse à la requête en radiation ne peuvent être pris en considération.

[16] Les faits énoncés dans la déclaration doivent être tenus pour véridiques, à moins qu’ils ne puissent manifestement pas être prouvés ou qu’ils équivalent à de simples suppositions. La déclaration doit être interprétée généreusement, et de simples lacunes rédactionnelles ou le fait de mal qualifier une cause d’action ne constitueront pas des motifs justifiant la radiation d’une déclaration, surtout lorsqu’elle est rédigée par une partie qui se représente seule.

[17] De plus, la déclaration doit énoncer les faits à l’appui d’une cause d’action – soit une cause d’action précédemment reconnue en droit, soit une cause que les tribunaux sont disposés à examiner. Le simple fait qu’une cause d’action puisse être nouvelle ou difficile à établir n’est pas, en soi, un motif pour radier la déclaration. À cet égard, la demande doit énoncer les faits qui appuient chacun des éléments de la déclaration.

[18] Comme l’explique le juge Roy dans la décision Al Omani c Canada, 2017 CF 786 [Al Omani], au paragraphe 17, « [i]l doit y avoir un minimum de narration ». Le droit exige toutefois qu’un type très particulier de narration soit exposé dans une déclaration – une narration qui décrit les événements qui auraient causé un préjudice au demandeur, axée uniquement sur les « faits importants » et énoncée de façon suffisamment détaillée de sorte que le défendeur (et la Cour) saura sur quoi les allégations précises sont fondées et de façon à ce que les faits appuient les éléments propres aux diverses causes d’action alléguées comme étant le fondement de la demande.

[19] La Cour fait généralement preuve de souplesse lorsqu’une partie se représente seule, mais cela ne l’exempte pas de se conformer aux règles susmentionnées : Barkley c Canada, 2014 CF 39, au par. 17. La raison en est simple : il serait injuste qu’un défendeur doive répondre à des allégations qui ne sont pas expliquées de façon suffisamment détaillée pour lui permettre de comprendre sur quoi la demande est fondée, ou qu’il soit confronté à des allégations fondées sur des hypothèses ou des suppositions non étayées. Il est tout aussi injuste pour la Cour de devoir veiller à ce que l’audience se déroule de façon efficace et équitable. Le tribunal aurait du mal à déterminer si un élément de preuve en particulier est pertinent ou non, par exemple, si la demande est fondée sur des conjectures ou manque de clarté. Une telle situation mènerait inévitablement à des « recherches à l’aveuglette » par une partie qui cherche à trouver les faits nécessaires pour étayer ses allégations, ainsi qu’à des procès impossibles à gérer qui dureraient beaucoup plus longtemps qu’il ne le faudrait puisque les deux parties tenteraient de gérer des affirmations vagues ou qui changent constamment.

[20] Il faut une certaine souplesse pour permettre aux parties de se représenter elles‑mêmes et d’avoir accès au système de justice, mais cette souplesse ne peut pas l’emporter sur les exigences ultimes de justice et d’équité pour toutes les parties, et c’est ce que les Règles et les principes énoncés dans la jurisprudence visent à garantir.

[6] La protonotaire Aylen (aujourd’hui juge au sein de notre Cour) a appliqué la même analyse dans la décision et les motifs datés du 27 novembre 2019 et non publiés qu’elle a rendus dans l’affaire Kerry Fitzpatrick c District 12 du Service régional de la GRC de Codiac et Sa Majesté la Reine, Région 1 du ministère du Développement social du Nouveau‑Brunswick et Sa Majesté la Reine, dossier T‑1500‑19, une autre affaire antérieure qui mettait en cause plusieurs des parties visées par la présente affaire, relativement à une déclaration déposée par M. Fitzpatrick en 2019 et radiée sans autorisation de la modifier.

[7] En raison du volumineux dossier de requête en réponse que le demandeur a déposé, il est nécessaire d’expliquer quelque peu les éléments de preuve que l’on peut prendre en considération dans le contexte d’une requête en radiation déposée en vertu soit de l’alinéa 221(1)a), soit de l’alinéa 221(1)c) des Règles.

[8] Le paragraphe 221(2) dispose qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête visant à obtenir une ordonnance en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles. L’effet de ce paragraphe est qu’aucune preuve documentaire ni preuve par affidavit que contient le dossier de requête de l’une ou l’autre des parties ne peut être prise en considération pour ce qui est de savoir si l’acte de procédure de M. Fitzpatrick révèle ou non une cause d’action raisonnable.

[9] Cette interdiction générale d’examiner les éléments de preuve présentés dans le cadre d’une requête en radiation visée à l’alinéa 221(1)a) ne s’applique pas aux documents qui sont par ailleurs expressément mentionnés dans la déclaration en cause et qui sont produits dans des dossiers de requête déposés en lien avec la requête. Ces documents ne constituent pas une « preuve » inadmissible au sens du paragraphe 221(2) des Règles parce qu’ils ont été expressément mentionnés dans la déclaration et sont en fait intégrés par renvoi à l’acte de procédure en question (Paul c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1280 (CanLII), au para 23; voir aussi McLarty c Canada, 2002 CAF 206 (CanLII), au para 10; Harris c Canada, 2000 CanLII 15738 (CAF), [2000] 4 CF 37 (CAF) souscrivant au jugement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Web Offset Publications Limited et al. v Vickery et al. (1999), 1999 CanLII 4462 (CA ONT), 43 O.R. (3d) 802 (CA)).

[10] En l’espèce, la difficulté réside dans le fait que M. Fitzpatrick, dans sa déclaration, qualifie expressément un certain nombre de documents de [TRADUCTION]°« documents utilisés à l’appui » des allégations qu’il formule dans 19 des 45 paragraphes que contient sa déclaration. Chacun de ces documents est mentionné séparément des allégations plaidées. M. Fitzpatrick inclut également dans sa déclaration une liste de 63 documents sous la rubrique des [TRADUCTION]°« documents utilisés à l’appui ». À cet égard, la déclaration ressemble davantage à un affidavit qui fait référence à des pièces documentaires justificatives et auquel est jointe une liste de documents semblable à l’annexe 1 d’un affidavit de documents qui révèle potentiellement plus de documents pertinents que ne le fait une déclaration. Un tel exposé des moyens de preuve dans une déclaration est irrégulier et va à l’encontre de l’article 174 des Règles, lequel exige que « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits » [non souligné dans l’original].

[11] Les documents cités par M. Fitzpatrick en tant que [TRADUCTION]°« documents utilisés à l’appui » doivent être considérés comme une « preuve » que le paragraphe 221(2) des Règles interdit de prendre en considération pour évaluer si une déclaration révèle une cause d’action raisonnable. Toute autre conclusion aurait pour effet de récompenser l’indifférence du demandeur face aux Règles et aux indications rédactionnelles qui figurent dans les décisions antérieures de notre Cour où ses autres déclarations ont été radiées sans autorisation de les modifier.

[12] Le droit qui s’applique à une requête en radiation présentée en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles est le même que celui qui s’applique à une requête en radiation présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Cependant, par contraste, rien n’interdit de prendre en considération une preuve admissible, car le paragraphe 221(2) ne s’applique pas. Le point de mire de l’analyse à effectuer est lui aussi différent, en ce sens que cette analyse vise à déterminer si l’acte de procédure ou les allégations qui y figurent sont scandaleux, frivoles ou vexatoires.

[13] Aucun critère strict ne permet de déterminer si un acte de procédure est scandaleux, frivole ou vexatoire (Mahoney c Canada, 2020 CF 975 (CanLII), aux para 28 et 29) mais les actes de procédure de cette nature comportent des traits distinctifs. Dans la décision Steiner c Canada, 1996 CanLII 3869 (CF), le protonotaire Hargraves a décrit ce qu’est un acte de procédure scandaleux, frivole ou vexatoire :

Par acte de procédure scandaleux, on entend notamment un acte de procédure qui ternit l’image d’une personne en attaquant sa moralité. Une réclamation est frivole lorsqu’elle a peu de valeur ou d’importance ou qu’un [sic] moyen rationnel n’est invoqué à son appui sur le fondement des éléments de preuve ou des règles de droit invoqués au soutien de la demande. Une procédure est vexatoire lorsqu’elle est introduite par malice ou sans motif suffisant ou qu’elle ne saurait déboucher sur un résultat pratique.

Le paragraphe 2 de la déclaration est certainement scandaleux, étant donné que sans motifs à l’appui, le demandeur y attaque la moralité de l’avocate de la Couronne qui s’est occupée initialement du dossier.

L’acte de procédure est, dans son ensemble, insuffisant à sa face même. Le demandeur n’y invoque aucun moyen rationnel fondé sur la preuve ou sur le droit pour appuyer sa demande. Il se contente de se plaindre d’une enquête policière, laquelle n’était pas, ainsi que je l’ai souligné, abusive, compte tenu des circonstances, et il poursuit en dénigrant de façon déraisonnable l’avocate de la Couronne. En tant que telle, la demande est frivole.

[14] Dans la décision Lawyers’ Professional Indemnity Co. c Coote, 2013 CF 643 au paragraphe 25 (CanLII), confirmée par 2014 CAF 98 (CanLII), notre Cour a cité les principes qui suivent au sujet des indices d’une instance vexatoire, comme les a précisés la juge Carolyn Layden‑Stevenson dans la décision R. c Mennes, 2004 CF 1731 au paragraphe 77, en y souscrivant :

a) constitue une procédure vexatoire le fait d’intenter une ou plusieurs actions pour décider d’une question qui a déjà été tranchée par un tribunal compétent;

b) l’action est vexatoire s’il est évident qu’une action ne peut aboutir, ou bien si celle‑ci ne peut absolument rien donner de bon, ou bien si aucune personne raisonnable ne peut raisonnablement s’attendre à obtenir un moyen de redressement;

c) l’action est vexatoire notamment si elle a un but inopportun, notamment le harcèlement et l’oppression d’autres parties par une multitude d’instances qui n’ont pas pour objet de revendiquer des droits légitimes;

d) les instances vexatoires présentent cette caractéristique générale que les motifs invoqués et questions soulevées tendent à être repris dans d’autres actions subséquentes, où ils sont répétés et apprêtés de rajouts, souvent de pair avec des poursuites contre les avocats qui ont représenté la partie ou la partie adverse par le passé;

e) en décidant si une instance est vexatoire, la Cour doit tenir compte de tout l’historique de l’affaire et non seulement de savoir si, à l’origine, il s’agissait d’une bonne cause d’action;

f) le fait que la personne qui institue la procédure ne paie pas les dépens lorsqu’elle n’a pas gain de cause est un des facteurs dont il faut tenir compte pour décider si l’instance est vexatoire;

g) la conduite du défendeur qui persiste à interjeter appel de décisions judiciaires tout en n’ayant jamais gain de cause peut constituer une conduite vexatoire.

[15] Enfin, la question de savoir si une action est vexatoire ou non doit être tranchée en fonction de normes objectives plutôt que subjectives. Pour rendre sa décision, le tribunal peut admettre d’office ses propres dossiers et les actes de procédure qui s’y trouvent (R. c Mennes, 2004 CF 1731, au para 79).

2. LA DÉCLARATION

[16] Le demandeur a déposé sa déclaration le 14 mars 2022. Il réclame aux défendeurs des dommages‑intérêts d’un montant de 6 900 000 $. Ses demandes sont groupées sous trois (3) rubriques, mais chacune semble être essentiellement basée sur la même série de faits qu’il évoque.

[17] La première demande est un montant de dommages‑intérêts de 520 494,22 $, qui équivaut aux pertes qu’il aurait subies par suite de la violation des droits que lui confère l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte] en raison de fausses déclarations que les défendeurs auraient censément faites. Selon le demandeur, ces pertes se composent de la perte de sa maison et de 85 % de son contenu, d’une ingérence de l’État dans le concept du parent gardien légal et de l’enlèvement par un parent ainsi que du paiement d’une créance de 10 987,44 $ envers Revenu Canada pour des allocations familiales gouvernementales et résultant directement de l’enlèvement qu’il a commis. Il a quantifié ces pertes à 40 987,44 $. Le reste de la somme demandée, soit un montant de 479 506,78 $ en dommages‑intérêts découlant de déclarations inexactes de la part des défendeurs, dont la prétendue fabrication d’éléments de preuve par ces derniers, une mesure qui constitue censément une ingérence de l’État dans son intégrité psychologique, ce qui contrevient à son [TRADUCTION]°« ordonnance de garde FDM 208‑16 ». Cette première demande est reformulée à l’annexe A de la déclaration en des termes différents, mais l’effet demeure le même.

[18] La deuxième demande concerne des dommages‑intérêts d’un montant de 1 918 027,12 $ par suite de prétendues atteintes aux droits que lui confèrent les articles 8, 9, 10 et 12 de la Charte. Il y aurait eu atteinte à ces droits par la conduite et la prétendue négligence de deux agents de la GRC, les agents Estabrooks et Savoie, lesquels ne sont ni l’un ni l’autre partie à la présente instance, dans le cadre de la série de faits allégués dans la déclaration. À l’annexe B de cette dernière, le demandeur précise que les atteintes dont il se plaint auraient eu lieu le 24 mars 2019.

[19] La troisième demande a trait à des dommages‑intérêts punitifs découlant d’une ingérence délibérée de la part des défendeurs dans des relations contractuelles, soit le fait d’aider et d’encourager l’enlèvement par un parent, ainsi qu’un montant de 4 461 478,66 $ en dommages‑intérêts pour diffamation par suite des prétendus agissements des défendeurs, d’une ingérence dans des relations contractuelles et de déclarations inexactes et frauduleuses.

[20] Le demandeur invoque, à l’appui de ses demandes, l’article 10 et les paragraphes 35(1) et (2) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50 ainsi que la Charte. Il fait valoir que notre Cour a compétence pour trancher la présente affaire, conformément aux alinéas 17(5)a) et b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[21] Les demandes du demandeur semblent être fondées de manière générale sur son appréciation de la conduite de deux agents de la GRC, les agents Estabrooks et Savoie, qui ont agi sur la foi de ce qu’il qualifie de déclarations inexactes et frauduleuses de la part de son ex‑épouse et d’autres personnes sensibles aux intérêts de celle‑ci, à savoir qu’il avait menacé de trancher la gorge de son propre fils. Cependant, comme nous le verrons plus loin, certaines demandes semblent également reposer sur la conduite de tierces personnes.

[22] Une dénonciation a été faite sous serment en rapport avec les informations que les agents Estabrooks et Savoie ont reçues au sujet de la menace proférée. Le demandeur a été arrêté le 24 mars 2019 pour avoir proféré cette menace et aussi pour avoir manqué à un engagement pris envers la Cour en lien avec des ordonnances judiciaires antérieures, soit celui d’informer le tribunal de tout changement d’adresse. Le demandeur fait valoir que, le 27 mars 2019, le ministère public a retiré l’accusation d’avoir proféré des menaces. Celle d’avoir manqué à un engagement pris envers la Cour n’a pas été retirée.

[23] Le demandeur allègue que les agents Estabrooks et Savoie ont fait preuve de négligence dans la manière dont ils ont fait enquête sur les informations fournies par son ex‑épouse qui ont mené à son arrestation le 24 mars 2019. Il fait valoir que les agents de la GRC avaient envers lui, en tant que suspect, une obligation de diligence. Bien qu’elle n’ait pas été plaidée, la seule conclusion que l’on peut tirer en lisant certains passages de la déclaration est que le demandeur croit que les agents de la GRC en question ont manqué à l’obligation de diligence qu’ils avaient, dit‑il, à son égard. La norme de diligence en question n’est pas plaidée. Pas plus que la manière dont les agents auraient manqué à l’obligation de diligence. Les deux agents ne sont pas nommés dans la présente instance et aucune demande de réparation précise n’est avancée contre l’un ou l’autre d’entre eux à titre personnel pour cause de négligence, sauf dans une annexe jointe à la déclaration.

[24] Le demandeur soutient qu’il a porté plainte auprès de la GRC au sujet de ces agents, en vertu du paragraphe 45.35(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 [la Loi sur la GRC]. La GRC lui aurait fourni un rapport exposant le sommaire de son enquête, ainsi que ses conclusions, conformément à l’article 45.64 de la Loi sur la GRC. Le demandeur invoque explicitement ce document dans ses allégations à titre de [TRADUCTION]°« Dernier avis » daté du 15 septembre 2020. Il ajoute que la teneur du [TRADUCTION]°« Dernier avis » de la GRC en réponse à sa plainte comporte des déclarations inexactes et frauduleuses et que celles‑ci montrent de quelle façon les agents Estabrooks et Savoie ont porté atteinte aux droits que lui confèrent les articles 8, 9, 10 et 12 de la Charte.

[25] Ces faits semblent être survenus au beau milieu d’un litige en matière de garde d’enfants entre le demandeur et son ex‑épouse. Un grand nombre des paragraphes que comporte l’acte de procédure exposent des situations, des communications et des faits qui se sont déroulés entre M. Fitzpatrick, son ex‑épouse et des proches, dans ce qui constitue de toute évidence une situation conflictuelle et litigieuse très sérieuse mettant en cause un certain nombre de membres de la famille, proche et éloignée, plusieurs enfants d’âge mineur, leur sécurité et leur garde. Le demandeur allègue qu’après son arrestation du 24 mars 2019, ses fils dont il avait la garde lui ont été enlevés et confiés à la garde « illégale » de son ex‑épouse.

[26] Le demandeur fait valoir qu’en donnant suite aux informations de son ex‑épouse et d’autres personnes au sujet de la menace qu’il aurait proférée, la GRC s’est ingérée frauduleusement dans les relations contractuelles qu’il entretenait avec son ex‑épouse. Les relations contractuelles en question sont désignées comme suit : [TRADUCTION]°« Ordonnance de garde FDM‑208‑16 ». Le demandeur n’a ni allégué ni produit d’autres contrats à l’appui de ses allégations d’ingérence dans des relations contractuelles.

[27] Tous ces faits, de pair avec la conduite censément abusive de la GRC dans le cadre de ceux‑ci, constitueraient le fondement d’une attribution de dommages‑intérêts punitifs non quantifiés.

[28] Si on interprète de manière fort libérale la déclaration, il semble que le demandeur se base sur son arrestation, faite le 24 mars 2019 par les agents de la GRC à la suite d’informations émanant de son ex‑épouse et servant de fondement à ses prétendues pertes financières, pour formuler ses allégations selon lesquelles il y a eu atteinte aux droits que lui confèrent les articles 7, 8, 9, 10 et 12 de la Charte, ainsi que pour réclamer des dommages‑intérêts en raison de l’ingérence délibérée de la GRC dans ses relations contractuelles relatives à la garde d’enfants.

3. Les positions des parties

[29] Les défendeurs ont déposé leur requête sous la forme d’une requête à trancher par écrit, et le demandeur, dans ses documents de réponse, ne s’est pas opposé à ce que la requête soit tranchée de cette manière. Étant donné que le demandeur se représente lui‑même, la Cour a demandé que les parties confirment leur intention de procéder par écrit seulement, sans observations orales. Le 31 mai 2022, les parties ont confirmé chacune à la Cour qu’elles souhaitaient que la présente requête soit instruite par écrit seulement.

[30] La position des défendeurs est que la déclaration du demandeur est la quatrième qu’il dépose contre eux depuis 2019, que cette toute dernière déclaration découle essentiellement des mêmes faits qui ont été plaidés dans d’autres instances (dossiers nos T‑658‑19, T‑1500‑19 et T‑1979‑19), lesquelles ont toutes été radiées par la Cour sans autorisation de modification, et qu’il s’agit en fait d’une version modifiée des actes de procédure qui ont été présentés antérieurement dans des dossiers judiciaires différents.

[31] Les défendeurs soutiennent que la déclaration est dénuée des faits importants qui sont exigés pour étayer l’une quelconque des causes d’action avancées, avec le résultat qu’il est évident que les demandes n’ont aucune chance raisonnable de succès et qu’il y a lieu de les radier en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Ils ajoutent que la déclaration est scandaleuse, frivole et vexatoire car elle est vague et à ce point dépourvue de fondement factuel qu’il leur est impossible d’y répondre. De plus, l’absence des détails complets qui sont nécessaires pour étayer les allégations de fraude et d’intention, comme l’exige l’alinéa 181(1)b) des Règles, fait ressortir que cette quatrième tentative du demandeur pour peaufiner ses demandes n’est rien de plus qu’une attaque injustifiée contre leur intégrité et qu’elle mène à la conclusion qu’il convient de radier le présent acte de procédure sans autorisation de le modifier, conformément à l’alinéa 221(1)c) des Règles.

[32] Enfin, les défendeurs soutiennent aussi que plusieurs des allégations qu’avance M. Fitzpatrick sont prescrites par le délai de deux ans que fixe l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur la prescription, LN‑B 2009, c L8.5 et que les tribunaux du Nouveau‑Brunswick sont compétents pour trancher le litige.

[33] Le demandeur est d’un avis tout à fait contraire. Dans ses observations écrites, il réitère dans une large mesure la teneur de sa déclaration avec quelques précisions supplémentaires, dont certaines valent la peine d’être mentionnées.

[34] Le demandeur allègue que les déclarations inexactes de la GRC qui donnent lieu à une cause d’action figurent dans le [TRADUCTION]°« Dernier avis », daté du 15 septembre 2020, qu’a produit la GRC en lien avec sa plainte contre les deux agents. Il soutient que ce fait à lui seul montre que sa déclaration de 2022 est bel et bien nouvelle. Il n’aurait pas pu savoir que les déclarations inexactes contenues dans ce [TRADUCTION]°« Dernier avis » du 15 septembre 2020 étaient en fait inexactes avant qu’on l’acquitte de l’accusation d’avoir omis de faire part de son changement d’adresse après le procès tenu le 22 juin 2021, donnant ainsi lieu à une question liée à la découverte de faits.

[35] Il précise en outre que les allégations de diffamation qu’il avance découlent de déclarations qu’ont faites par écrit son ex‑épouse, d’autres membres de leurs familles respectives ainsi que des amis, et non d’écrits quelconques de la part des défendeurs.

[36] M. Fitzpatrick précise que son allégation d’ingérence délibérée dans des relations contractuelles a trait à une ordonnance judiciaire relative à la garde de ses enfants. Il soutient qu’une ordonnance judiciaire d’un tribunal de la famille est un contrat juridiquement contraignant qui crée une obligation que les tribunaux doivent faire respecter et que son arrestation, en mars 2019, l’a empêché de se conformer à une ordonnance de garde rendue par la Cour du Nouveau‑Brunswick. Il soutient que cette ingérence, par le truchement de l’arrestation, est considérée comme une ingérence délibérée dans des relations contractuelles qui, en fait, étaye l’allégation présentée.

4. L’analyse fondée sur l’alinéa 221(1)a) des Règles

[37] L’analyse qui suit est faite tout en interprétant la déclaration de manière libérale et souple afin de tenir compte de toute lacune rédactionnelle n’ayant pas d’incidence sur des questions de droit substantiel ou des principes de procédure qui sont conçus pour rendre les causes d’action intelligibles et permettre d’y répondre.

a) Les déclarations inexactes et frauduleuses

[38] La première allégation avancée dans l’acte de procédure est présentée sous la forme d’une déclaration inexacte et de la prétendue fabrication d’éléments de preuve par les défendeurs, lesquelles constitueraient chacune, selon le demandeur, une atteinte aux droits que l’article 7 de la Charte lui confère.

[39] Les déclarations inexactes qu’indique le demandeur sont celles qui sont plaidées aux paragraphes 8 à 14 inclusivement de la déclaration. Au paragraphe 14 de cette dernière, le demandeur indique que [TRADUCTION]°« […] le Dernier avis constitue les déclarations inexactes qui ont servi de cause d’action contre le défendeur ». Les déclarations inexactes reprochées sont qualifiées de frauduleuses et elles sont contenues dans le document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis » de la GRC, qui a été produit à la suite de la plainte du demandeur contre les agents Estabrooks et Savoie auprès de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, conformément à la Loi sur la GRC. Les déclarations inexactes reprochées semblent être une énumération des faits vérifiés et des mesures prises par la GRC au cours de son enquête sur la plainte déposée par le demandeur, comme l’exige l’article 45.64 de la Loi sur la GRC. Ces faits comprennent les allégations qu’ont formulées l’ex‑épouse, des membres de la famille et des connaissances du demandeur et qui ont mené, en partie, à son arrestation le 24 mars 2019. Il semble soutenir que le fait que la GRC se soit fondée sur les prétendues déclarations inexactes et frauduleuses de son ex‑conjointe au sujet des menaces de lésions corporelles qui auraient été proférées constitue la preuve que la GRC a fabriquée contre lui.

[40] Une allégation de déclaration inexacte et frauduleuse requiert les éléments suivants : 1) une fausse déclaration du défendeur, 2) le défendeur savait que la déclaration était fausse ou ne s’est pas soucié de sa véracité ou de sa fausseté, 3) le défendeur avait l’intention de tromper le demandeur, 4) la fausse déclaration est importante et le demandeur a été incité à agir, et 5) le demandeur a subi un préjudice (EnerWorks Inc. v Glenbarra Energy Solutions Inc., 2012 ONSC 414 (CanLII), au para 58). Aux termes de l’alinéa 181(1)a) des Règles, la déclaration doit contenir des précisions sur la prétendue fraude (Bergeron c Canada (Service correctionnel), 2016 CF 235 (CanLII), au para 13).

[41] Le demandeur ne fait pas valoir que l’un ou l’autre des défendeurs avait l’intention de le tromper. Il ne dit pas non plus qu’il s’est fondé sur l’une quelconque des déclarations inexactes et frauduleuses qui auraient été faites dans le document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis » ou qu’il a été incité à agir de quelque manière sur la foi de ces dernières. Par ailleurs, il n’est pas allégué que le demandeur a posé un geste préjudiciable quelconque en se fondant sur ce [TRADUCTION]°« Dernier avis » ou sur sa teneur.

[42] La déclaration n’allègue pas de faits importants à l’appui de l’ensemble des éléments essentiels d’une allégation de déclaration inexacte et frauduleuse. Elle ne contient donc aucune cause raisonnable d’action pour déclaration inexacte et frauduleuse.

[43] La prétendue preuve fabriquée est la menace proférée que la GRC a examinée dans le cadre de son enquête initiale avant d’arrêter M. Fitzpatrick le 24 mars 2019 et dont il est rendu compte dans le document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis ». La GRC a reçu les informations concernant la menace proférée mais ce n’est pas elle qui l’a créée. Aucun fondement factuel n’est plaidé pour l’allégation selon laquelle la GRC a fabriqué une preuve.

[44] Comme il est évident que l’allégation de déclaration inexacte et frauduleuse et de preuve fabriquée n’a aucune chance de succès, il est évident aussi que l’allégation relative à l’article 7 de la Charte, qui repose sur le succès de l’une ou l’autre de ces allégations, n’a aucune chance de succès elle non plus.

b) La négligence et l’enquête négligente

[45] La seconde allégation est formulée en termes de négligence. M. Fitzpatrick invoque la négligence à l’encontre des deux agents (Estabrooks et Savoie) qui ont pris part aux faits survenus le 24 mars 2019, et aussi à l’encontre du défendeur (mentionné dans l’acte de procédure) pour ne pas s’être conformé à des dispositions précises de la Loi sur la GRC en lien avec la classification de ses plaintes concernant les deux agents.

[46] Le demandeur soutient, aux paragraphes 25 et 26 de sa déclaration, que les agents de la GRC, les agents Estabrooks et Savoie, ont fait enquête de manière négligente sur les allégations selon lesquelles il aurait proféré une menace et omis de faire état d’un changement d’adresse. Il soutient également que, en tant que suspect, ces mêmes agents avaient envers lui une obligation de diligence.

[47] Ces allégations déclaratoires ne répondent pas au seuil minimal requis qu’exigent les allégations justifiables de négligence ou d’enquête négligente.

[48] Dans l’arrêt 1688782 Ontario Inc. c Aliments Maple Leaf Inc., 2020 CSC 35 (CanLII), au paragraphe 18, la Cour suprême du Canada a réitéré que le demandeur, pour avoir gain de cause dans le cas d’une demande fondée sur la négligence, est tenu de prouver tous les éléments constitutifs du délit de négligence : 1) que le défendeur avait une obligation de diligence envers le demandeur, 2) que le comportement du défendeur a contrevenu à la norme de négligence, 3) que le demandeur a subi un préjudice, et 4) que ce préjudice a été causé, en fait et en droit, par le manquement du défendeur. Ces éléments doivent être plaidés dans la déclaration, et chacun d’eux doit être étayé par des faits importants, à défaut de quoi il n’y a pas de cause d’action raisonnable en négligence. La déclaration ne plaide pas chacun de ces éléments et n’inclut pas d’allégations de faits importants à l’appui de tous les éléments qu’il est nécessaire de plaider. Par ailleurs, les allégations que formule M. Fitzpatrick dans le corps de sa déclaration visent des personnes qui ne sont pas parties à l’instance.

[49] Le délit d’enquête négligente exige également que la déclaration fasse la preuve de tous les éléments constitutifs de ce délit et, plus précisément que : 1) le défendeur a engagé une action criminelle, 2) l’instance a été conclue en faveur du demandeur, 3) il doit y avoir eu une absence de motifs raisonnables et probables pour engager l’instance contre le demandeur, 4) en effectuant l’enquête, le défendeur avait une obligation de diligence envers le demandeur, et il n’a pas satisfait à la norme objective qu’est celle d’un agent de police raisonnable agissant dans des circonstances semblables, et 5) si des accusations ont été poursuivies, le demandeur doit établir notamment, que l’action criminelle a été conclue en sa « faveur », étant entendu que lorsque l’action criminelle engagée contre l’accusé est réglée par le fait que le ministère public a retiré les accusations en échange du fait que l’accusé s’engage à ne pas troubler l’ordre public, ce résultat n’est pas une issue qui est favorable à l’accusé (Romanic v Johnson, 2012 ONSC 3449, aux para 9 et 23, [2012] OJ no 2642, conf par 2013 ONCA 23, [2013] OJ no 229).

[50] Bien que l’acte de procédure énonce certains de ces éléments, tous ne sont pas plaidés, pas plus qu’ils ne sont étayés par des allégations de faits importants. La déclaration indique que l’accusation d’avoir proféré des menaces de mort a été retirée, mais elle ne dit rien sur l’autre accusation, celle d’avoir omis de faire état d’un changement d’adresse. La déclaration est lacunaire à l’égard de cette allégation et elle ne révèle pas une cause d’action raisonnable pour une allégation d’enquête négligente.

[51] Bien que la question ne soit pas plaidée, M. Fitzpatrick laisse entendre que la GRC a fait preuve de négligence dans la manière dont elle a traité sa plainte contre les agents Estabrooks et Savoie parce qu’elle a manqué à certaines dispositions de la Loi sur la GRC au sujet de la classification de sa plainte. Bien qu’il soit possible qu’une violation d’une loi aide à établir une norme de diligence dans une instance fondée sur la négligence, un manquement à une loi ne constitue pas à lui seul un délit passible d’une action en justice (La Reine (Can.) c Saskatchewan Wheat Pool, 1983 CanLII 21 (CSC), [1983] 1 RCS 205, aux p 225‑226). Les diverses allégations du demandeur au sujet du manquement à la Loi sur la GRC ne sont pas plaidées de manière à révéler une cause d’action raisonnable.

 

c) L’ingérence intentionnelle dans des relations contractuelles

[52] L’allégation du demandeur au sujet d’une ingérence intentionnelle dans des relations contractuelles repose sur l’allégation selon laquelle son arrestation, survenue le 24 mars 2019, l’a empêché de se conformer à une [TRADUCTION]°« Ordonnance de garde FDM‑208‑16 », une ordonnance judiciaire concernant la garde de ses enfants. M. Fitzpatrick confond un contrat et une ordonnance judiciaire. Un contrat, et en fait un contrat qui pourrait être en litige dans une allégation d’ingérence intentionnelle dans des relations contractuelles, est un contrat conclu entre particuliers. Une ordonnance judiciaire, même si elle est rendue avec le consentement des parties qu’elle vise, n’est pas un contrat entre particuliers comme l’envisagent les éléments du délit. La déclaration ne révèle donc aucune cause d’action raisonnable pour cette allégation.

d) La diffamation

[53] La déclaration indique que le demandeur a été l’objet de propos diffamatoires de la part de diverses personnes et, plus précisément : Judy May Augustine, son ex‑épouse Mellissa Hebert et d’autres. Il ne précise pas de quelle manière l’un ou l’autre des défendeurs ont pu l’avoir diffamé. La déclaration ne comporte aucune cause raisonnable d’action fondée sur la diffamation à l’encontre de l’un ou l’autre des défendeurs.

e) Les prétendues atteintes aux droits que garantissent au demandeur les articles 7, 8, 9, 10 et 12 de la Charte

[54] Pour établir l’existence d’une atteinte aux droits que lui confèrent les articles 7, 8, 9, 10 et 12 de la Charte, le demandeur est tenu de plaider tous les faits justificatifs nécessaires. Il allègue que, le 24 mars 2019, il a été porté atteinte à chacun de ces droits.

[55] Il soutient que les agents ayant rédigé la dénonciation qui a mené à son arrestation ont violé la « règle d’exclusion de la preuve intéressée » et que la GRC n’a pas communiqué de manière pleine et entière la totalité des informations que connaissaient les agents Estabrooks et Savoie devant le juge qui a autorisé le mandat d’arrestation. Il ajoute que les défendeurs [TRADUCTION]°« savaient physiquement que leur source était en état d’ébriété et n’était pas dans le bon état d’esprit ».

[56] Ces allégations n’énoncent pas de faits pertinents qui révèlent une cause d’action raisonnable, relativement aux prétendues atteintes aux droits que lui confèrent les articles 7, 8, 9, 10 et 12 de la Charte (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227 (CanLII), au para 21).

[57] La demande de réparation constitutionnelle que sollicite le demandeur en vertu de l’article 24 de la Charte n’a aucune chance de succès car les prétendues atteintes sous‑jacentes ne révèlent pas l’existence d’une cause raisonnable d’action, encore moins d’une cause d’action susceptible de mener à une ordonnance portant que ses propres fils soient appréhendés en raison [TRADUCTION]°« du tort irréparable et des menaces » qu’ils ont censément causés et proférés à son encontre.

[58] La déclaration, telle qu’elle a été rédigée, ne révèle aucune cause raisonnable d’action et il convient de la radier sur le fondement de l’alinéa 221(1)a) des Règles.

5. L’analyse de l’alinéa 221(1)c) des Règles

[59] Dans leur cahier de jurisprudence les défendeurs ont inclus les motifs pour lesquels le juge Pentney et la protonotaire Aylen ont radié les demandes du demandeur dans les dossiers portant les numéros T‑658‑19 et T‑1500‑19. Il ressort d’un examen de ces décisions que les allégations que le demandeur a formulées en 2019 ont été avancées sur le fondement des mêmes faits et des mêmes circonstances que ceux qui ont précédé et suivi le 24 mars 2019, et sur lesquelles il se fonde en l’espèce. Dans ces instances, les déclarations ont été radiées, sans autorisation de les modifier, parce qu’elles ne révélaient pas de cause d’action raisonnable.

[60] La présente déclaration est la quatrième du demandeur dans laquelle il sollicite réparation contre les défendeurs en invoquant les mêmes circonstances et les mêmes faits que ceux qui ont précédé et suivi le 24 mars 2019. La présente déclaration présente les caractéristiques d’une instance scandaleuse, frivole ou vexatoire, en ce sens que les motifs et les questions en litige, à une exception près, ont été soulevés dans des instances antérieures et ont été intégrés à la présente instance avec un peu de contenu supplémentaire (voir R. c Mennes, précité).

[61] Je conclus que la déclaration, de pair avec les allégations qui y sont formulées par le demandeur, est scandaleuse, frivole et vexatoire, à l’exception de l’allégation fondée sur une déclaration inexacte et frauduleuse qui a été avancée à l’égard du document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis » du 15 septembre 2020. Comme il a été mentionné plus tôt, cette allégation est rejetée parce qu’elle ne révèle pas de cause d’action raisonnable.

6. Autorisation de modification

[62] Les défendeurs font valoir que M. Fitzpatrick ne devrait pas être autorisé à modifier l’acte de procédure qu’il a présenté dans le cadre de la présente action. Je suis d’accord.

[63] En règle générale, si une modification peut combler une lacune dans un acte de procédure, la Cour devrait être disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire pour l’autoriser, sous réserve de l’examen de questions telles que le préjudice qui en découle et les dépens (Pearson c Canada, 2008 CF 1367 (CanLII), au para 47). Une modification doit être autorisée lorsqu’il s’agit de cerner les véritables questions en litige, à condition cependant que cette autorisation n’entraîne pour l’autre partie aucune injustice qui ne puisse être réparée par l’adjudication de dépens et qu’une telle modification soit dans l’intérêt de la justice : Canderel Ltd. c Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 CF 3, à la p 10 (CA); Apotex Inc. c Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 (CanLII), au para 4). Néanmoins, ceux qui ne respectent pas les Règles et leur objet ne peuvent guère s’attendre à ce que les tribunaux leur fassent bon visage lorsqu’ils leur demandent d’exercer en leur faveur le pouvoir discrétionnaire que les Règles leur confèrent (Apotex Inc. c Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 (CanLII), au para 4). Les allégations qui sont radiées au motif qu’elles constituent un abus de procédure ne sont pas de la nature de celles qu’une modification peut corriger (Pearson c Canada, 2008 CF 1367 (CanLII), au para 48).

[64] À mon avis, à l’exception de l’allégation de déclaration inexacte et frauduleuse qui est fondée sur le document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis » du 15 septembre 2020, l’acte de procédure dont il est question en l’espèce est une quatrième tentative en autant d’années pour plaider les mêmes allégations en prenant pour base les mêmes faits et en avançant les mêmes allégations générales que celles qui ont été antérieurement radiées sans autorisation de modification. Les motifs et les questions en litige ont été soulevés dans des actes de procédure antérieurs et intégrés à la présente action, où ils ont été répétés et étoffés. C’est là une caractéristique distinctive d’un acte de procédure scandaleux, frivole et vexatoire. Comme l’acte de procédure est de la nature d’un abus de procédure, il n’est pas du genre qu’une modification peut corriger.

[65] L’allégation concernant le document intitulé [TRADUCTION]°« Dernier avis » du 15 septembre 2020 n’est pas scandaleuse, frivole ou vexatoire, même si elle n’a pas été plaidée convenablement et qu’elle ne révèle donc pas une cause d’action raisonnable. Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune raison pour autoriser M. Fitzpatrick à modifier son acte de procédure à l’égard de l’allégation formulée sur le fondement du document [TRADUCTION« Dernier avis ». Les faits sous‑jacents qui sont nécessaires pour pouvoir corriger l’acte de procédure lacunaire par la voie d’une modification sont que le demandeur doit avoir été incité à agir et, a effectivement agi, à son détriment par suite d’une déclaration inexacte contenue dans le document [TRADUCTION« Dernier avis ». La nature de ce document est celle d’un compte rendu de faits plutôt que d’une invitation à agir. La description qui y est faite de l’enquête menée par la GRC sur la plainte déposée contre les deux agents ne contient aucun incitatif sur la foi duquel le demandeur aurait pu agir à son détriment. Les éléments manquants qui auraient permis de corriger l’allégation ne concordent pas avec la nature du document et sa teneur, et il est donc impossible d’en faire la preuve en lien avec l’allégation formulée. Cela étant, l’allégation est rejetée et elle ne peut être corrigée par voie de modification.

[66] L’autorisation de modifier la déclaration est donc rejetée.

[67] Compte tenu de l’analyse qui précède et des conclusions selon lesquelles la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable et est scandaleuse, frivole et vexatoire, il n’est nul besoin que la Cour analyse les arguments en matière de compétence et de délai de prescription qu’ont invoqués les défendeurs.

7. Les dépens

[68] Les défendeurs ont demandé que leurs dépens leur soient adjugés sous la forme d’une somme globale dans le cadre de la présente requête, mais sans suggérer un montant quelconque. Le demandeur est d’avis que les parties devraient supporter les dépens de la présente requête qui leur sont propres.

[69] Les défendeurs ont droit à leurs dépens à titre de partie ayant obtenu gain de cause. Je fixe par la présente les dépens relatifs à la présente requête à une somme forfaitaire de 750 $, ce qui équivaut au milieu de la colonne III du tarif B.

LA COUR ORDONNE :

1 La requête des défendeurs est accueillie.

2 La déclaration présentée dans le cadre de la présente instance est radiée, sans autorisation de modification.

3 Le demandeur paiera aux défendeurs des dépens d’un montant forfaitaire de 750 $.

« Benoit M. Duchesne »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑559‑22

 

INTITULÉ :

KERRY FITZPATRICK c DISTRICT 12 DU SERVICE RÉGIONAL DE LA GRC DE CODIAC et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO) (PAR ÉCRIT)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

PAR ÉCRIT

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE PROTONOTAIRE B.M. DUCHESNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUIN 2022

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kerry Fitzpatrick

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

POUR LE DÉFENDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Ami Assignon

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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