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Date : 20220616


Dossier : IMM-3376-20

Référence : 2022 CF 910

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MAILA BAAO CEGUERRA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 juillet 2020 (la décision) par laquelle un agent principal (l’agent) a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire (le PST) comme solution de rechange.

[2] La demanderesse allègue que la décision est déraisonnable parce que l’agent a commis trois erreurs. Tout d’abord, l’agent a manqué de compassion pour la discrimination qu’elle a subie aux Philippines en tant que lesbienne, et au Canada en tant que victime de fraude à l’emploi. Ensuite, il n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant l’efficacité réelle de la protection de l’État et l’expérience des personnes LGBTQ+ vivant aux Philippines. Enfin, il a fait abstraction des éléments de preuve et n’a pas exposé suffisamment de raisons pour rejeter la demande de PST.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande visant à annuler la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est accueillie et la demande visant à annuler la décision relative à la demande de PST est rejetée.

II. Contexte factuel

[4] La demanderesse est une citoyenne des Philippines qui s’identifie comme une lesbienne déclarée. Dans un affidavit accompagnant sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a décrit les nombreuses difficultés et discriminations auxquelles elle a été confrontée aux Philippines, en particulier en tant que lesbienne déclarée cherchant un emploi.

[5] En 2005, elle a commencé à postuler à l’étranger, mais elle a encore été victime de discrimination. La demanderesse a fini par obtenir un emploi à Taïwan en juillet 2008, mais celui-ci a pris fin de manière inattendue au bout de six mois en raison de la crise économique en vigueur dans le pays.

[6] La demanderesse est entrée au Canada en provenance de Taïwan en tant que travailleuse étrangère temporaire le 25 février 2013.

[7] En janvier 2014, alors que son permis de travail était encore valide, la demanderesse a fait appel à une agence appelée LINK4STAFF (l’agence) afin de postuler pour un emploi auprès d’un employeur qui possédait un avis relatif au marché du travail. La demanderesse a commencé à travailler dans une ferme de culture de champignons sans signer de contrat afin d’envoyer de l’argent à sa mère malade aux Philippines.

[8] En mars 2014, la demanderesse a signé un contrat avec la ferme de culture de champignons. Elle n’a pas reçu de copie du contrat et a supposé que le processus d’obtention d’un avis relatif au marché du travail avait été amorcé.

[9] La demanderesse a posé de multiples questions à l’agence au sujet de l’avis relatif au marché du travail. L’agence s’est contentée de répondre que l’avis relatif au marché du travail avait été approuvé en octobre 2014. Il s’est avéré par la suite qu’il n’y avait pas d’avis relatif au marché du travail.

[10] Le 15 avril 2015, la demanderesse a obtenu un permis de travail. Elle affirme que son employeur lui a dit, sans aucune pièce justificative, que le permis de travail avait été délivré après l’approbation en tant qu’aide familiale résidante. Le 5 février 2017, la demanderesse a reçu un courriel dans son compte gouvernemental en ligne indiquant qu’elle n’était pas membre du Programme des aides familiaux résidants. Comme seule l’agence pouvait accéder au compte, la demanderesse l’a contactée, à plusieurs reprises, au sujet du message. La demanderesse n’a jamais reçu d’information de l’agence.

[11] Le 2 août 2018, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui faisait état de son engagement dans son église et la communauté des travailleurs migrants. Au Canada, la demanderesse est très impliquée dans sa communauté religieuse et dans la communauté des travailleurs migrants. Elle est une membre active de Migrante Ontario depuis 2017.

[12] Le demanderesse a également demandé la délivrance d’un PST conjointement à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le 20 juillet 2020, l’agent a rejeté les deux demandes dans sa décision.

III. Question préliminaire

[13] Le dossier certifié du tribunal (le DCT) ne contient pas la mise à jour du 10 juillet 2020 censée avoir été envoyée par l’ancien représentant de la demanderesse. Il est allégué que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire initiale et la mise à jour du 10 juillet ont toutes deux été présentées avant que la décision ne soit rendue, 10 jours plus tard, le 20 juillet 2020. La demanderesse soutient qu’il faut présumer que la mise à jour a été reçue, car rien ne prouve qu’elle a été reçue par la suite.

[14] Le défendeur affirme que le bureau de traitement des demandes n’a aucune trace de la mise à jour du 10 juillet, et un affidavit le confirme. L’agent ne disposait pas de la mise à jour, et le bureau de traitement ne l’a jamais reçu non plus, comme l’indique le fait qu’elle ne figure pas dans le DCT.

[15] La demanderesse n’a présenté aucun affidavit de signification ni aucune preuve de réception par le défendeur.

[16] Il incombe à la demanderesse de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la mise à jour a été reçue par le bureau de traitement. Aucune preuve de ce genre n’ayant été présentée, je conclus que la mise à jour du 10 juillet n’a pas été reçue et n’a pas donc pas été soumise à l’attention de l’agent. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte des documents sur la mise à jour du 10 juillet qui se trouvent aux pages 281 à 322 du dossier de la demande.

[17] De même, les documents du PST aux pages 240 à 280 du dossier de la demande ne se trouvent pas dans le DCT et ne seront pas examinés en l’espèce.

[18] Comme ces documents ne sont pas parvenus au bureau de traitement, plusieurs arguments de la demanderesse ne sont pas fondés sur la preuve figurant dans le DCT et ne peuvent être pris en considération en l’espèce.

IV. Questions en litige

[19] La seule question est de savoir si la décision est raisonnable.

[20] La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas fait preuve de compassion lors de l’évaluation de son établissement au Canada.

[21] La demanderesse soutient également que l’agent a fait fi des éléments de preuve et s’est appuyé sur des conjectures pour conclure que la demanderesse ne serait pas confrontée à des difficultés si elle était renvoyée aux Philippines.

[22] Le défendeur soutient que la demanderesse demande simplement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et qu’il n’y a pas d’erreurs justifiant l’intervention de la Cour.

[23] La demanderesse répond que le défendeur n’a pas répondu de manière substantielle aux questions qu’elle a soulevées.

V. Norme de contrôle

[24] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a procédé à un examen approfondi du droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. Elle a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas au vu des faits en l’espèce. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, aux para 23 et 100.

[25] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et elle est axée sur la décision rendue, y compris sur sa justification. Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100.

[26] Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 15 et 85.

VI. Décision faisant l’objet du contrôle

[27] L’agent a fait remarquer que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur l’établissement de la demanderesse au Canada, les conditions défavorables aux Philippines, l’action contre son ancienne agence de placement et le soutien financier apporté à sa mère.

[28] La demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse a été rejetée en raison de l’insuffisance de la preuve.

[29] J’estime qu’il suffit de discuter du traitement réservé par l’agent aux facteurs de l’établissement de la demanderesse au Canada et des conditions défavorables aux Philippines.

[30] La demande de PST a été rejetée parce qu’il y avait peu d’éléments dans les documents indiquant que la demanderesse avait intenté une action en justice contre LINK4STAFF ou, si elle l’avait fait, rien n’indiquait l’état d’avancement de cette action. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable fondée sur les documents dans le DCT.

VII. Analyse

A. Établissement

[31] L’agent a conclu que la demanderesse avait résidé au Canada pendant sept ans et qu’il s’agissait d’une période considérable. L’agent a ensuite souligné que la demanderesse était sans statut au Canada depuis plusieurs années et qu’elle n’avait pu régulariser son statut.

[32] Comme la demanderesse avait une sœur au Canada, tandis que sa mère et ses neuf autres frères et sœurs résidaient aux Philippines ou dans d’autres pays, l’agent a conclu que les documents présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations humanitaires démontraient que les liens familiaux de la demanderesse avec les Philippines étaient plus importants que ses liens familiaux avec le Canada.

[33] L’agent a souligné le fait que la demanderesse était employée de mars à octobre 2013 et de janvier 2014 à août 2016, mais il a également fait remarquer qu’elle était sans emploi depuis août 2016 et que sa demande de renouvellement de permis de travail avait été rejetée en décembre 2019.

[34] L’agent a noté l’engagement de la demanderesse dans sa communauté et en tant que membre de Migrante Ontario, où elle a participé à diverses activités et pour qui elle a fait du bénévolat. L’agent a également souligné que la demanderesse a des amis proches et des connaissances, dont plusieurs ont écrit des lettres d’appui.

[35] L’agent a répété ses conclusions en ce qui concerne les liens familiaux de la demanderesse au Canada par rapport aux Philippines, le fait que la demanderesse a travaillé pendant plusieurs années et a pu envoyer de l’argent à sa famille aux Philippines et qu’elle était sans emploi depuis août 2016, ce qui est une période assez longue.

[36] À l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a fourni un affidavit daté du 7 juillet 2018. Elle a attesté de plusieurs cas de discrimination aux Philippines en raison du fait qu’elle était plus âgée et lesbienne lorsqu’elle a postulé des emplois pour lesquels elle était qualifiée. Elle a également attesté de mauvais traitements financiers et contractuels à son encontre par l’agence, qui lui a menti à plusieurs reprises sur les emplois, son statut professionnel actuel et les occasions d’emploi.

[37] L’agent a énoncé les faits, parfois à deux reprises, et a tiré une conclusion. La décision ne contient aucune analyse permettant à la Cour de comprendre le fil du raisonnement suivi par l’agent.

[38] L’agent a conclu l’analyse sur l’établissement en disant : [traduction] « Bien que j’aie accordé un poids favorable à ces éléments, je ne peux conclure qu’ils démontrent un degré d’établissement très élevé au Canada ».

[39] Il est impossible de comprendre comment ou pourquoi l’agent est arrivé à cette conclusion ni ce qui manquait ou serait nécessaire pour démontrer « un degré d’établissement très élevé au Canada ». Là encore, l’agent n’expose aucun motif et tire seulement une conclusion qui n’est pas intelligible, transparente ou justifiée, ce qui rend la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[40] L’agent fait référence à l’absence de statut d’immigration de la demanderesse à plusieurs reprises. Il ne s’agit pas d’une approche raisonnable, comme l’a déclaré le juge Grammond dans la décision Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 349 au paragraphe 11 :

[...] le pouvoir d’octroyer une dispense CH vise à « assouplir la rigidité de la loi ». L’exercice de ce pouvoir suppose, dès le départ, une situation non conforme à la Loi. On ne peut donc, sans tomber dans un raisonnement circulaire, invoquer l’illégalité ou la non-conformité à la Loi comme obstacle à l’octroi d’une dispense CH.

B. Conditions défavorables dans le pays

[41] L’agent a nommé les conditions défavorables pertinentes aux Philippines, notamment un taux de chômage élevé, la discrimination à l’encontre des personnes LGBTQ+ ainsi que la corruption et l’impunité dans le système de justice pénale.

C. Taux de chômage

[42] L’agent a souligné que la demanderesse était née et avait grandi aux Philippines, qu’elle y avait résidé pendant de nombreuses années et qu’elle y avait terminé ses études secondaires et obtenu un diplôme postsecondaire en technologie de l’électronique, profil informatique. L’agent a jugé que la familiarité de la demanderesse avec les Philippines et son éducation l’aideraient grandement à obtenir un emploi aux Philippines. L’agent a également fait remarquer que la demanderesse avait été en mesure de trouver un emploi au Canada et, auparavant, à Taïwan, et a conclu que ces expériences l’[traduction] « aideraient grandement » à obtenir un emploi aux Philippines.

[43] Cette conclusion va à l’encontre des déclarations ultérieures de l’agent concernant la situation des personnes LGBTQ+ aux Philippines. L’agent a souligné que la demanderesse avait déjà été victime de discrimination aux Philippines pendant de nombreuses années parce qu’elle était lesbienne et qu’elle n’avait pu obtenir d’emploi dans ce pays en raison de cette discrimination.

[44] L’agent n’a pas expliqué comment la demanderesse, qui est aujourd’hui plus âgée et toujours lesbienne déclarée, profiterait de sa connaissance des Philippines et de son éducation, deux éléments qu’elle possédait déjà alors que les emplois pour lesquels elle était qualifiée étaient inaccessibles. La seule chose qui a changé est que la demanderesse est maintenant plus âgée, et donc moins apte au travail qu’auparavant.

[45] L’agent a déclaré que les documents présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations humanitaires n’indiquaient guère que la demanderesse ne pourrait travailler à nouveau à l’étranger, comme elle l’avait fait auparavant, si elle ne pouvait obtenir un emploi à son retour aux Philippines.

[46] L’agent a incorrectement exposé le fardeau qui incombait à la demanderesse. Elle n’était pas tenue de démontrer qu’elle ne pouvait pas travailler à Taïwan. L’agent devait trancher la question de savoir si la demanderesse pourrait trouver du travail aux Philippines. « À l’étranger » ne désigne pas les Philippines, qui sera le pays de renvoi de la demanderesse.

[47] La conclusion selon laquelle la demanderesse pourrait être en mesure de travailler « à l’étranger », si elle ne trouvait pas de travail aux Philippines, n’est pas pertinente pour l’analyse de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, il semble que cette conclusion ait joué un rôle important dans la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas démontré l’existence de conditions d’emploi défavorables aux Philippines :

[traduction]
Dans l’éventualité où la demanderesse ne parviendrait pas à obtenir un emploi à son retour aux Philippines, je fais remarquer que la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande fondée sur des considérations humanitaires comprend peu d’éléments de preuve qui démontrent qu’elle serait incapable de postuler à nouveau un emploi à l’étranger, comme elle l’a fait avec succès dans le passé.

[48] Je conclus que les commentaires de l’agent concernant les conditions défavorables dans le pays sont fondés sur des hypothèses et la prise en compte de facteurs non pertinents tels que l’emploi à Taïwan. Compte tenu des faits dont l’agent disposait, son raisonnement est à la fois incohérent et irrationnel.

D. Traitement des personnes LGBTQ+

[49] L’agent a reconnu que plusieurs rapports de recherche indiquent que la discrimination à l’encontre des personnes LGBTQ+ dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, des soins de santé, du logement et des services sociaux est un problème qui persiste aux Philippines.

[50] L’agent a constaté que ces mêmes rapports indiquaient que la majorité de la population philippine acceptait les personnes LGBTQ+ et que des lois anti-discrimination avaient récemment été mises en œuvre dans de nombreuses municipalités et provinces des Philippines.

[51] L’agent a reconnu que la demanderesse pourrait être victime d’une certaine discrimination en raison de son orientation sexuelle, mais il n’a pas conclu que les documents présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations humanitaires démontraient que les lois des Philippines ne permettraient pas à la demanderesse de régler ce problème.

[52] Je conviens avec la demanderesse que l’agent s’est appuyé sur l’existence des lois comme recours dans le cas où la demanderesse serait victime de discrimination, mais il n’a pas tenu compte des éléments de preuve contenus dans le rapport de 2017 du Département d’État des États‑Unis sur les droits de la personne aux Philippines selon lesquels les lois n’y étaient pas appliquées. En ce qui concerne la discrimination dans l’emploi, le rapport indiquait, par exemple, que les lois n’interdisaient pas la discrimination dans l’emploi quant à l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’âge, ainsi qu’une variété d’autres caractéristiques personnelles qui ne figurent pas dans la présente demande. Les arrêtés locaux contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne s’appliqueraient qu’à 15 % de la population philippine.

[53] Un autre document traitant de l’intimidation des enfants LGBT à l’école indique que dans le cadre d’une politique de protection de l’enfance, une loi contre l’intimidation a été adoptée en 2013 pour mettre en œuvre des règles et des règlements interdisant l’intimidation et le harcèlement fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Le même document indiquait toutefois que les politiques étaient strictes en théorie, mais qu’elles n’étaient pas appliquées adéquatement.

[54] Quand un décideur fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’il passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que le décideur n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. Lorsque les éléments de preuve passés sous silence sont essentiels et contredisent la preuve sur laquelle s’appuie la décision, la cour de révision peut déduire que le décideur a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 aux para 14‑17. Dans ce cas, et c’est ce qui s’est produit en l’espèce, la décision est déraisonnable.

VIII. Conclusion

[55] La décision est formée d’un ensemble de déclarations factuelles, de résumés d’arguments et de conclusions péremptoires tirées sans analyse ou mise en balance claire. Les motifs n’aident pas la Cour à comprendre le raisonnement sous‑jacent à la décision. L’examen du dossier sous‑jacent n’est pas non plus d’un grand secours à cet égard, car les motifs ne tiennent pas compte de la plupart des éléments de preuve contenus dans le dossier.

[56] Les motifs qui ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire, comme c’est le cas en l’espèce, permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision et ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement : Vavilov, au para 102.

[57] Les agents appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doivent véritablement examiner tous les faits et facteurs pertinents portés à leur connaissance et leur accorder du poids : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 25. Les motifs de l’agent ne montrent pas que cela a été fait, en particulier à la lumière de l’affidavit détaillé de la demanderesse et de la documentation qui n’est pas traitée dans la décision.

[58] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est déraisonnable et doit être annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[59] Comme je l’ai indiqué précédemment, j’estime que l’agent a raisonnablement rejeté la demande de PST sur le fondement des éléments de preuve contenus dans le DCT.

[60] Les parties n’ont pas proposé de questions à certifier et je conclus qu’il n’y en a aucune au vu des faits.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3376-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande d’annulation de la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. La demande d’annulation de la décision relative à la demande de PST est rejetée.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3376-20

 

INTITULÉ :

MAILA BAAO CEGUERRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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