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Date : 20220615


Dossier : IMM-4910-21

Référence : 2022 CF 898

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2022

En présence de madame la juge Justice Strickland

ENTRE :

MOMOH PEACE EROMOSELE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par le demandeur de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] avait conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité et, par conséquent, qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

Contexte

[2] Le demandeur affirme être un citoyen nigérian. Il soutient que son père, qui est un musulman pieux et un imam, l’a renié après avoir découvert qu’il avait épousé une chrétienne et s’était converti au christianisme. Le demandeur prétend qu’il était recherché par la police à la suite de l’intervention de son père auprès du frère cadet de ce dernier, Rilwan Eromosele, qui est inspecteur général adjoint de la police, un poste très haut gradé au sein du corps policier national. Le demandeur affirme qu’il craint d’être persécuté par son père.

[3] Le demandeur raconte qu’il a fait appel à un « agent de voyage » pour demander un visa pour les États-Unis. Comme le demandeur craignait que son oncle fasse en sorte que les autorités de l’immigration l’arrêtent à l’aéroport, l’agent de voyage s’est arrangé pour que le demandeur voyage avec une femme et les trois enfants de celle-ci en se faisant passer pour son mari. Pour faciliter cette démarche, le demandeur a demandé un passeport nigérian sous le nom de Glee Peace Nwozor. Le demandeur est arrivé aux États-Unis le 10 juin 2017. Il affirme que, peu après son arrivée, il est tombé malade et a dû se faire soigner. Il est demeuré aux États-Unis pendant neuf mois en utilisant en tout temps le nom de Glee Peace Nwozor. Il affirme que, pendant qu’il était aux États-Unis, son épouse lui a fait parvenir par messager sa véritable pièce d’identité. Il est entré au Canada en franchissant la frontière à un endroit irrégulier le 10 mars 2018. Il a demandé l’asile sous le nom de Momoh Peace Eromosele et prétend qu’il s’agit de sa véritable identité.

i. Décision de la SPR

[4] La SPR a rejeté sa demande d’asile dans une décision datée du 9 juillet 2020. La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient l’identité du demandeur et la crédibilité de celui-ci quant à son identité. La SPR a longuement motivé sa décision et a examiné chacun des documents soumis par le demandeur pour établir son identité, à savoir un certificat de naissance, une déclaration d’âge, un bordereau de numéro d’identité nationale [le bordereau NIN], une carte d’électeur, un certificat d’origine, un certificat de baptême, un certificat de mariage, un certificat d’études et une copie du passeport de Mme Blessing Osarenren Eromosele, dont le demandeur affirme qu’elle était son épouse. La SPR a fait part de ses préoccupations concernant chacun de ces documents.

[5] La SPR a également examiné la raison invoquée par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait cherché à obtenir un passeport sous un nom d’emprunt. La SPR a relevé une incohérence entre l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur (le formulaire FDA) — dans lequel le demandeur affirmait que son père avait demandé à son frère policier de haut rang d’intervenir — et son témoignage, dans lequel il déclarait qu’en tant qu’imam, son père avait de bonnes relations et que de nombreuses personnes influentes étaient ses alliées, sans toutefois mentionner le frère de son père. Pour justifier cette omission, le demandeur a expliqué que son oncle déléguait certaines tâches à son subalterne. La SPR n’a pas jugé raisonnable cette explication. La SPR a également fait remarquer que, pendant la période où le demandeur prétendait avoir vécu clandestinement à Port Harcourt, il avait un bail à son nom et un compte bancaire au nom de son épouse, ce qui, selon la SPR, était incompatible avec la prétention du demandeur selon laquelle il était recherché par la police, car, selon la preuve documentaire, l’existence d’un avis de recherche aurait permis à la police de le retrouver.

[6] En ce qui concerne la carte d’électeur et le passeport, qui étaient tous deux censés être des documents officiels authentiques délivrés par la République du Nigéria contenant les empreintes digitales et les données biométriques d’un seul et même individu sous des noms différents, la SPR a conclu qu’elle n’avait aucun moyen de savoir lequel des deux documents indiquait le vrai nom du demandeur. La SPR a conclu que l’incapacité du demandeur de fournir une explication crédible et raisonnable quant à la raison pour laquelle il avait utilisé ce nom d’emprunt minait sa crédibilité. L’une ou l’autre de ces deux identités, voire les deux, était fausse et la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur s’était présenté « quelque part » aux autorités de l’immigration sous une fausse identité. Elle a par conséquent tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur pour ce qui était de son identité.

[7] La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité, comme l’exigent l’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles de la section de la protection des réfugiés. Sa demande d’asile devait donc être rejetée.

Dispositions applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR)

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 [les Règles de la SPR]

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8] La SAR a signalé qu’il est de jurisprudence constante que les documents étrangers apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent doivent être acceptés comme preuve de leur contenu, à moins qu’il n’y ait une raison valable de douter de leur authenticité. Elle a également rappelé que la présomption selon laquelle des pièces d’identité étrangères sont valides est réfutée lorsqu’il y a une raison valable de douter de leur authenticité. La SAR a examiné chacune des pièces d’identité du demandeur, a conclu que la décision de la SPR était bien fondée et a rejeté l’appel.

Questions à trancher et norme de contrôle

[9] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision par laquelle la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité est raisonnable.

[10] Les parties affirment — et j’abonde dans leur sens — que la décision doit être examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. La cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25 et 99).

Caractère raisonnable de la décision de la SAR

Thèse du demandeur

[11] Le demandeur affirme que la SAR a évalué de façon déraisonnable son certificat de baptême en estimant qu’il n’était pas authentique et qu’il n’avait pas de valeur probante, en ne tenant pas compte des caractéristiques de sécurité du document et en appliquant de façon déraisonnable des renseignements non pertinents et non fiables sur le pays dans le cadre d’une analyse axée sur le résultat.

[12] En outre, la SAR a, selon le demandeur, commis une erreur en estimant que sa carte d’électeur n’était pas authentique et qu’elle ne méritait pas qu’on lui accorde du poids parce que le demandeur avait réussi à se procurer un faux passeport pour quitter le Nigéria. Le demandeur soutient que le recours à de faux documents pour fuir son pays d’origine n’est pas une raison acceptable de contester sa crédibilité ou la fiabilité de ses documents. Pour la même raison, la SAR a, selon le demandeur, commis une erreur en concluant qu’elle ne pouvait pas accorder plus de valeur à sa carte d’électeur qu’au passeport délivré sous le nom de Glee Peace Nwozor [le passeport Nwozor] et qu’elle a commis une erreur de fait en déclarant que le passeport Nwozor était apparemment un document authentique délivré par le Nigéria. De plus, la conclusion de la SAR suivant laquelle la carte d’électeur du demandeur ne permettait pas d’établir son identité véritable était déraisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur pour établir son identité.

[13] Le demandeur affirme aussi que la SAR a interprété de façon erronée et déraisonnable la preuve lors de son examen du certificat d’identification/d’origine du demandeur et qu’elle n’a pas compris le double objectif de ce document. De plus, la SAR a évalué de façon déraisonnable son « West African Examinations Council General Certificate of Education Ordinary Level Result » [[certificat d’études], commettant une erreur de fait en ne lui attribuant aucune valeur probante, et une erreur de droit en ne tirant pas de conclusion claire quant à son authenticité.

[14] Enfin, le demandeur soutient que la prépondérance des preuves d’identité, dont certaines sont des documents délivrés il y a de nombreuses années, a établi son identité en tant que Momoh Peace Eromosele et que la SAR a commis une erreur en adoptant une approche fragmentaire de la preuve plutôt qu’une méthode d’analyse globale.

Thèse du défendeur

[15] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son examen de la carte d’électeur du demandeur. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué de façon raisonnable pourquoi il avait demandé un passeport sous le nom de Glee Peace Nwozor. La SAR a raisonnablement convenu avec la SPR qu’au moins une des identités présentées par le demandeur aux autorités de l’immigration était fausse, et que cela avait miné sa crédibilité. Faute d’explication raisonnable de la part du demandeur, la SPR n’a pas tiré une conclusion contraire à la jurisprudence selon laquelle les conclusions défavorables en matière de crédibilité ne doivent pas être fondées sur la nécessité pour le demandeur d’asile de fuir son pays d’origine à l’aide de faux documents.

[16] La SAR a également conclu de façon raisonnable qu’il ne fallait pas accorder plus de poids à la carte de l’électeur qu’aux autres documents officiels portant un nom différent attribué au demandeur parce que rien ne justifiait de préférer la carte de l’électeur à d’autres documents. Le demandeur avait témoigné qu’il n’avait soumis aucun document lorsqu’il avait demandé sa carte d’électeur, ce qui contredit les renseignements objectifs sur le pays selon lesquels plusieurs éléments d’information sont recueillis, y compris les empreintes digitales et des photos.

[17] Le défendeur affirme que la SAR a conclu de façon raisonnable que le certificat de baptême n’était pas authentique parce qu’il n’indiquait pas de date de naissance ou le nom du père ou de la mère et qu’il contredisait par conséquent les renseignements objectifs sur le pays contenus dans le cartable national de documentation sur le Nigéria [le CND].

[18] Enfin, le défendeur soutient que, lorsqu’on l’examine dans son ensemble, la décision de la SAR est raisonnable.

Analyse

[19] Les principes généraux concernant l’établissement de l’identité ont été énoncés dans le jugement Toure c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1189 [Toure], dans le contexte d’une décision rendue par la SPR :

[31] La demanderesse qui revendique l’asile doit d’abord établir son identité devant la SPR (article 11 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, et article 106 de la LIPR). Elle a un lourd fardeau de preuve, car elle doit produire des documents acceptables établissant son identité (Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743, [2012] ACF no 902, au paragraphe 4 [Su]). Lorsqu’elle tire des conclusions relatives à l’identité, la SPR doit tenir compte de l’ensemble de la preuve concernant l’identité de la demanderesse (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 681, [2009] ACF no 848, au paragraphe 6 [Yang]). Si la demanderesse n’établit pas son identité, la SPR peut tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité (Matingou, précitée, au paragraphe 2).

[32] Il est bien établi également que la question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR et la Cour ne devrait intervenir qu’avec prudence à l’égard des décisions rendues par la SPR sur cette question (Barry c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 8, [2014] ACF no 10, au paragraphe 19 [Barry]). En outre, la juge Gleason affirme dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369, au paragraphe 48 [Rahal] :

[…] Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[20] La SAR a conclu que la décision de la SPR était bien fondée et a formulé deux considérations générales pour justifier sa décision. Tout d’abord, la présomption selon laquelle les documents délivrés à l’étranger sont valables avait été réfutée en l’espèce (citant à l’appui le jugement Teweldebrhand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 418 aux para 14-16 [Teweldebrhand]). Cela ne voulait pas nécessairement dire que les documents déposés par l’appelant n’étaient pas authentiques, mais plutôt que le fardeau de la preuve avait été déplacé et que le demandeur devait prouver leur authenticité. En second lieu, et de façon connexe, les documents avaient été délivrés sous des noms différents et le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir lesquels de ces documents étaient authentiques et lesquels ne l’étaient pas. Il n’y avait donc rien qui permettait de décider que les documents délivrés au nom de Momoh Peace Eromosele étaient valides et que ceux délivrés au nom de Glee Peace Nwozor ne l’étaient pas. La SAR a déclaré que la SPR avait expliqué pourquoi la présomption était réfutée et pourquoi il y avait des motifs valables de douter de l’authenticité des pièces d’identité du demandeur. Elle a par conséquent souscrit au raisonnement de la SPR.

[21] Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur conteste expressément les conclusions tirées par la SAR en ce qui concerne quatre documents : le certificat de baptême, la carte d’électeur, le certificat d’origine et le certificat d’études. Il soutient également que la SAR a commis une erreur en analysant ces documents et ses autres pièces d’identité de façon fragmentaire plutôt que globale.

[22] À mon avis, l’analyse que la SAR a faite du certificat de naissance et de la déclaration d’âge est importante parce que, se fondant sur cette analyse, la SAR a conclu que la présomption de validité n’était plus en jeu. De plus, l’analyse de ces documents par la SAR serait prise en compte dans son analyse globale, ainsi que dans l’évaluation par notre Cour du caractère raisonnable global de la décision de la SAR. Par conséquent, même si le demandeur ne les a pas contestées, je vais traiter d’abord de ces conclusions.

i. Certificat de naissance/déclaration d’âge

[23] La SPR a consacré 18 paragraphes de sa décision à l’examen du certificat de naissance et de la déclaration d’âge. S’agissant du certificat de baptême, la SPR a relevé que certains renseignements élémentaires et nécessaires n’y figuraient pas, comme le sceau de l’autorité compétente, la date du sceau et l’identité de l’autorité compétente. Compte tenu de la preuve documentaire concernant les certificats de naissance et du défaut du demandeur de justifier raisonnablement la raison des incohérences, et vu son incapacité à fournir des explications raisonnables concernant l’enregistrement de sa naissance et les documents utilisés par son épouse pour obtenir le certificat de naissance, la SPR a conclu que le certificat de naissance était inauthentique et que le demandeur n’en avait pas établi la fiabilité.

[24] En ce qui concerne la déclaration d’âge, la SPR a fait remarquer que le signataire du document avait indiqué qu’il était un cousin du demandeur. Le signataire du document déclarait que le demandeur était né le 4 avril 1970 et que sa naissance n’avait pas été enregistrée, mais qu’elle avait été inscrite dans le dossier de la famille. Toutefois, dans le témoignage qu’il a donné devant la SPR, le demandeur a affirmé que l’auteur de ce document n’était pas son cousin et que les personnes qui délivraient ce type de document étaient rémunérées. La SPR a conclu que, comme les renseignements sur lesquels les autorités s’étaient fondées pour délivrer la déclaration d’âge provenaient d’une personne qui ne connaissait pas le demandeur et qui ne pouvait attester de son identité — son nom ou sa date de naissance — et comme le demandeur n’était pas en mesure d’indiquer s’il était accompagné de l’une de ses connaissances ou d’un membre plus âgé de sa famille pour attester de sa date de naissance lorsqu’il avait demandé la déclaration d’âge, celle-ci ne constituait pas une preuve corroborante établissant l’identité du demandeur.

[25] La SPR a également abordé la contradiction entre le certificat de naissance et la déclaration d’âge. Plus précisément, même si le demandeur avait présenté un certificat de naissance, la déclaration d’âge indiquait que sa naissance n’avait pas été enregistrée. La SPR n’a pas jugé raisonnable l’explication du demandeur selon laquelle il est de pratique courante d’indiquer que la naissance n’a pas été enregistrée, étant donné que le demandeur avait été en mesure d’obtenir un certificat de naissance et que, selon la preuve documentaire objective, un certificat de naissance n’est délivré que si la naissance a été enregistrée. Par conséquent, la SPR n’a accordé aucune valeur à la déclaration d’âge.

[26] Pour sa part, la SAR a conclu que, même si les renseignements objectifs sur le pays indiquaient que, pour pouvoir obtenir son certificat de naissance, il fallait soumettre certains documents, le demandeur n’avait pas été en mesure de nommer les documents que sa femme avait présentés pour obtenir son certificat de naissance. De plus, le demandeur était incapable de dire si sa naissance avait été enregistrée ou non. Les renseignements objectifs sur le pays concernant le Nigéria indiquaient que, si la naissance du demandeur n’avait pas été enregistrée, la pratique courante était de délivrer une lettre d’attestation, et non un certificat de naissance.

[27] La SAR n’a pas déclaré explicitement que la SPR avait conclu à bon droit que le certificat de naissance n’était pas authentique et elle n’a pas tiré sa propre conclusion à cet égard. La SAR a toutefois estimé que la SPR avait aussi correctement analysé le certificat de naissance à la lumière de la déclaration d’âge et a convenu avec la SPR que ces deux documents ne présentaient pas une histoire cohérente. Le demandeur avait présenté un certificat de naissance, ce qui sous-entendait que sa naissance avait été enregistrée. Toutefois, il est clairement indiqué, dans la déclaration d’âge, [traduction] « que, au moment de sa naissance, celle-ci n’a pas été enregistrée, mais a été inscrite à cette fin dans le dossier de la famille ». Bien que le demandeur ait témoigné, à l’audience de la SPR, qu’il est pratique courante d’indiquer sur la déclaration d’âge que la naissance n’a pas été enregistrée, la SAR s’est dite incapable de trouver de l’information objective sur le pays pour appuyer cette assertion.

[28] La SAR a conclu que les préoccupations liées au certificat de naissance et à la déclaration d’âge étaient suffisantes pour justifier la conclusion selon laquelle la présomption que les pièces d’identité de l’appelant sont valables avait été réfutée, de sorte que le fardeau incombait au demandeur d’établir leur validité.

ii. Le bordereau de numéro d’identité national

[29] Tout comme la conclusion que la SAR a tirée au sujet de son certificat de naissance, le demandeur ne conteste pas, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la conclusion de la SAR sur le bordereau NIN.

[30] La SAR a estimé qu’il ne fallait accorder aucun poids au bordereau NIN parce qu’il n’avait aucune valeur probante. Ce bordereau confirmait seulement que le demandeur avait demandé une carte d’identité nationale, et non qu’on lui en avait délivré une. La SAR a également signalé le point 3.9 du CND sur le Nigéria intitulé « [i]nformation sur la mise en place de la carte d’identité nationale (CIN), y compris sur l’instauration du numéro d’identité national (NIN); les exigences et la marche à suivre pour obtenir un NIN et une CIN », qui expliquait qu’après avoir présenté sa demande de numéro d’identité nationale, le demandeur devait revenir dans un délai de deux à sept jours ouvrables, car la délivrance de ce document était assujettie à un processus « d’authentification et de vérification ». La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi par la suite que ces formalités avaient été suivies et a rappelé que le demandeur avait déclaré qu’il n’avait pas reçu de carte d’identité nationale.

iii. Le certificat de baptême

[31] La SAR n’a accordé aucun poids au certificat de baptême aux fins de l’établissement de l’identité de l’appelant, parce que le document n’était pas authentique et n’avait pas de valeur probante. La SAR a déclaré ce qui suit :

[28] Le certificat de baptême a été délivré au nom de Momoh Peace Eromosele et est daté du 4 août 1999. Le certificat de baptême a été délivré par le ministère de la délivrance du Saint-Esprit de la révélation de Dieu (God’s Revelation Holy Ghost Deliverance Ministry), et signé par le [traduction] « superviseur général ».

[29] Ni la date de naissance ni le nom du parent ne sont indiqués sur le certificat de baptême, ce qui n’est pas cohérent avec l’information objective sur le Nigéria, selon laquelle ces renseignements devraient figurer sur les certificats de baptême :

Dans un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un prêtre catholique de l’État de Nassarawa a précisé que les certificats de baptême contiennent la date de naissance de la personne, ainsi que d’autres renseignements comme son nom et celui de ses parents (prêtre catholique 22 oct. 2013). Le prêtre catholique a déclaré que les certificats de baptême sont [traduction] « souvent utilisés au même titre qu’un certificat de naissance par leurs détenteurs, puisque bon nombre de naissances ne sont pas enregistrées, et que les gens n’ont donc pas de certificat de naissance » (ibid.). Il a affirmé que la date de naissance qui figure sur un certificat de baptême est souvent considérée comme la date de naissance officielle (ibid.).

[Note de bas de page omise]

[32] La SAR a retenu l’argument du demandeur selon lequel la SPR avait commis une erreur en signalant que le certificat de baptême ne portait pas le sceau de l’autorité compétente et ne précisait pas l’identité de l’autorité compétente. La SAR a toutefois conclu que la question de la suffisance du sceau ou celle de savoir si le « superviseur général » était l’autorité compétente étaient secondaires, compte tenu du fait, très important, que le certificat ne fournissait ni la date de naissance ni le nom de ses parents, contrairement à l’information objective sur le pays indiquant que ces informations devaient figurer sur les certificats de baptême. Selon la prépondérance des probabilités, l’absence de ces renseignements élémentaires rendait ce document inauthentique. La SAR a ajouté que, par-dessus tout, le document n’avait aucune valeur probante. Même s’il indiquait le nom de « Momoh Peace Eromosele », ce document ne contenait aucun renseignement permettant d’établir un lien avec le demandeur, comme sa date de naissance ou le nom de ses parents.

[33] Le demandeur a reproduit la section du CND NGA104601 intitulée « Nigéria. Information sur les exigences et la marche à suivre applicables aux adultes qui présentent une demande de certificat de naissance, au pays et à l’étranger », daté du 8 novembre 2013. Il conteste la source de l’information — en l’occurrence un prêtre catholique — selon laquelle les certificats de baptême indiquent la date de naissance de la personne, ainsi que d’autres renseignements tels que son nom et le nom de ses parents.

[34] Le demandeur affirme qu’il n’est nulle part indiqué dans ce document qu’un prêtre catholique possède des connaissances sur les confessions non catholiques au Nigéria et que rien dans le nom de l’autorité compétente, en l’occurrence le « ministère de la délivrance du Saint-Esprit de la révélation de Dieu » ne permet de penser qu’il s’agit d’un ministère ou d’une église catholique. Il était donc déraisonnable de se fier aux déclarations non corroborées d’un prêtre catholique pour conclure que le certificat de baptême n’était pas authentique. En outre, dans sa déclaration, le prêtre laisse entendre que ces certificats de baptême seraient normalement délivrés en même temps que la naissance, ce qui n’est pas le cas pour le demandeur, étant donné que son certificat de baptême a été délivré le 4 août 1999, alors qu’il avait 29 ans et s’était converti au christianisme.

[35] À mon avis, même si le demandeur affirme que les renseignements fournis par le prêtre catholique ne sont pas fiables, il ne s’agit que de spéculations.

[36] Le demandeur n’a invoqué aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation qu’il existe une différence entre les certificats de baptême délivrés par les autorités catholiques et ceux délivrés par les autorités de toute autre confession. En réalité, le demandeur émet l’hypothèse que, dans son cas, l’autorité qui a délivré son certificat de baptême n’était pas catholique, mais il n’a offert aucun élément de preuve à cet égard, et ce, même si son certificat de baptême aurait été délivré alors qu’il avait 29 ans et qu’il saurait probablement s’il avait été baptisé dans une église catholique. En outre, même si le prêtre en question a déclaré que les certificats de baptême sont très souvent utilisés comme certificats de naissance par le titulaire du document, cette affirmation n’établit pas, contrairement à ce que prétend le demandeur, que le type de certificat de baptême dont parlait le prêtre serait normalement délivré au moment de la naissance, ce qui n’est d’ailleurs pas pertinent. La situation en l’espèce est différente de celle de l’affaire Kathirkamu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 409 (CanLII), invoquée par le demandeur. Dans le cas qui nous occupe, la SAR a clairement expliqué pourquoi elle estimait que le certificat de baptême n’était pas authentique et elle a fondé cette conclusion sur les éléments de preuve du CND relatifs à ce que les certificats de naissance sont censés contenir. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à un nouvel examen de la preuve tirée du CND qui a été examinée par la SAR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59 et 61; Vavilov au para 125).

[37] Le demandeur affirme également que la SAR a omis de façon déraisonnable de tenir compte des caractéristiques d’authenticité du certificat de baptême. Toutefois, contrairement à la situation dans la décision Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182, que le demandeur a également invoquée, il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle une caractéristique de sécurité a été négligée. La SAR a pris acte du sceau et de la signature, mais a estimé que ces caractéristiques étaient secondaires par rapport aux renseignements manquants qu’elle s’attendait à trouver dans le certificat de baptême compte tenu des renseignements objectifs sur le pays que l’on trouve dans le CND. Il était loisible à la SAR d’accorder moins de poids aux caractéristiques de sécurité qu’aux renseignements manquants. Et, comme l’a souligné la SPR, le nom de l’autorité compétente n’était pas indiqué sur le sceau.

[38] À mon avis, faute de preuve établissant ou même donnant à penser que le document contenant des renseignements subjectifs sur le pays n’était pas fiable ou fondé, la SAR a conclu de façon raisonnable que le certificat de baptême n’était pas authentique.

iv. La carte d’électeur

[39] La SAR a estimé qu’il ne convenait pas d’accorder plus de poids à la carte d’électeur qu’aux autres documents officiels délivrés au demandeur sous un autre nom. En d’autres mots, rien ne permettait d’accorder plus d’importance à ce document qu’au passeport Nwozor. La SAR s’est dite d’accord avec le raisonnement suivi par la SPR sur ce point aux paragraphes 93 à 97 de sa décision.

[40] Le demandeur affirme que la SAR n’a essentiellement accordé aucun poids à sa carte d’électeur ou l’a jugée non authentique parce qu’il avait réussi à se procurer un faux passeport pour quitter le Nigéria. Toutefois, le recours à de faux documents dans le but de quitter le pays d’origine ne constitue pas une raison valable de mettre en doute la crédibilité du demandeur ou la fiabilité de ses documents (voir notamment Teneqexhiu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 397 (CanLII), aux para 4, 5 et 14).

[41] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur. Au contraire, devant la SPR, le demandeur n’avait fourni aucune explication raisonnable pour justifier sa décision de demander un passeport sous le nom de Glee Peace Nwozor. Son défaut d’offrir des explications à ce sujet a miné sa crédibilité.

[42] Notre Cour a jugé qu’on commet une erreur lorsqu’on tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile uniquement parce que ce dernier a utilisé des documents frauduleux pour échapper à la persécution alors que la nécessité de recourir à de faux documents a été établie (voir Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4 aux para 42-45, 55-56).

[43] En l’espèce, la SPR a exposé en détail les raisons pour lesquelles elle n’acceptait pas les explications fournies par le demandeur pour justifier la nécessité pour lui d’obtenir le passeport Nwozor (para 68 à 97 de sa décision). Plus précisément, la SPR a estimé que le demandeur n’avait pas expliqué de façon raisonnable la divergence relevée entre son formulaire FDA et son témoignage quant à la façon dont son père s’y était pris pour le faire rechercher par la police. De plus, la SPR a fait remarquer que, pendant la période où il prétendait avoir vécu clandestinement à Port Harcourt, le demandeur avait un bail à son nom et un compte bancaire au nom de son épouse, de sorte que, s’il était recherché, il aurait été facile pour la police de découvrir où il se trouvait. Pour cette raison, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en ce qui avait trait à la raison pour laquelle il avait obtenu un passeport sous le nom de Glee Peace Nwozor. La SPR a également mentionné des éléments de preuve documentaire sur l’omniprésence de documents frauduleux au Nigéria, y compris le fait que tous les types de documents authentiques — comme les passeports — pouvaient être obtenus au moyen de faux documents.

[44] Pour ce qui est de la carte d’électeur, qui, selon le demandeur, a été délivrée en 2014, la SPR a renvoyé au CND sur le Nigéria, qui indiquait qu’entre 2011 et 2015, il y avait eu des cas où une même personne s’était inscrite pour voter sous différents noms. La SPR n’a accordé aucun poids à la carte d’électeur. La SPR a également expliqué pourquoi elle ne préférait pas le passeport Nwozor à la carte d’électeur. Le passeport Nwozor et la carte d’électeur étaient des documents officiels authentiques délivrés par la République du Nigéria qui contenaient les empreintes digitales et les données biométriques d’un seul et même individu sous des noms différents. La SPR a conclu qu’elle n’avait aucun moyen de savoir lequel des deux documents contenait le vrai nom du demandeur. Elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en ce qui avait trait à son identité en raison du fait qu’il avait utilisé une fausse identité et qu’il n’avait pas expliqué raisonnablement pourquoi il avait utilisé une fausse identité, ce qui minait la crédibilité de son affirmation qu’il était Momoh Peace Eromosele.

[45] La SAR a renvoyé à la conclusion de la SPR sur le passeport Nwozor et la carte d’électeur et a déclaré ce qui suit :

[40] Je conclus que le raisonnement de la SPR, aux paragraphes 93 à 97 de sa décision, est correct, et je souscris à son analyse selon laquelle, compte tenu des empreintes digitales et de la photo, la carte d’électeur délivrée au nom de Eromosele Momoh Peace, ne mérite pas plus de poids que le passeport délivré au nom de Glee Peace Nwozor, lequel serait également un document authentique délivré au Nigéria, compte tenu des empreintes digitales et de la photo. Comme l’a souligné la SPR, [traduction] « le tribunal n’a aucun moyen de savoir lequel des deux documents contient le vrai nom du demandeur d’asile ». En d’autres mots, les deux documents ont été délivrés par le gouvernement et contiennent des empreintes digitales et des photos, et il n’y a rien qui me permette d’accorder à l’un des documents, délivrés à un certain nom, plus de poids qu’à l’autre, délivré à un nom différent. Cela est particulièrement pertinent, puisque la fiabilité des cartes d’électeur peut être remise en question, comme cela est indiqué dans l’information objective sur le pays, mentionnée plus haut.

[46] Je vais tout d’abord traiter de l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis une erreur de fait en déclarant que le passeport Nwozor était censé être un document authentique. Cet argument est mal fondé. Suivant la preuve, le demandeur avait présenté une demande de passeport sous le nom de Glee Peace Nwozor. Ce passeport a été délivré par les autorités nigérianes et renferme les mêmes données biométriques que la carte d’électeur détenue au nom de Momoh Peace Eromosele. Autrement dit, rien ne permet de penser que le passeport Nwozor est un faux. Il s’agit plutôt d’un document officiel délivré par les autorités nigérianes. Il est censé être authentique. Le fait que le demandeur désavoue maintenant le passeport Nwozor au motif qu’il aurait été contraint de l’obtenir sous un nom d’emprunt pour pouvoir fuir le pays ne signifie pas nécessairement qu’il n’est pas authentique; le demandeur affirme plutôt qu’il l’a obtenu par fraude.

[47] Ensuite, il ressort clairement de ses motifs que la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur parce qu’il avait utilisé un document prétendument frauduleux, le passeport Nwozor, pour échapper à la persécution. La SPR a plutôt tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur parce qu’elle n’a pas accepté les raisons avancées par le demandeur pour expliquer pourquoi il était nécessaire d’obtenir le passeport Nwozor. Autrement dit, la SPR n’a pas accepté que le demandeur avait besoin d’un faux passeport pour fuir parce qu’elle n’a pas jugé crédibles les raisons qu’il a invoquées pour expliquer pourquoi il avait dû fuir. Par conséquent, compte tenu de cette conclusion défavorable sur la crédibilité, la SPR a estimé que le demandeur s’était présenté « quelque part » sous une fausse identité.

[48] Dans les observations qu’il a formulées devant la SAR, le demandeur a fait valoir que la SPR avait commis une erreur en ne reconnaissant aucune valeur probante à la carte d’électeur sans tirer de conclusion explicite quant à son authenticité.

[49] À mon avis, le problème réside dans le fait que la SAR n’a pas souscrit expressément aux conclusions tirées par la SPR au sujet de la crédibilité et qu’elle n’a pas non plus tiré elle-même de conclusion défavorable quant à la crédibilité. Autrement dit, la SAR n’a pas effectué, en ce qui concerne les conclusions défavorables tirées par la SPR au sujet de la crédibilité du demandeur, sa propre analyse, ce qui a eu une incidence sur son analyse de la carte d’électeur et du passeport Nwozor (Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 506 au para 52; Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 au para 125).

[50] Je suis également enclin à abonder dans le sens du demandeur lorsqu’il affirme que la SAR a évité de se compromettre dans son analyse de la carte d’électeur. Tout en mentionnant des éléments de preuve documentaire objectifs suivant lesquels les cartes d’électeurs n’étaient pas nécessairement fiables, la SAR n’a pas conclu que la carte d’électeur n’était pas authentique ou, plus précisément, qu’elle avait été obtenue par fraude (Mabirizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1354 aux para 18-20; Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 aux para 27-29; Ogbebor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 994 aux para 17-21). On ne sait pas non plus quel poids, le cas échéant, la SAR a accordé à la carte d’électeur ou au passeport Nwozor pour établir l’identité du demandeur.

[51] À mon avis, la SAR a commis une erreur en analysant la conclusion de la SPR et en ne se prononçant pas sur l’authenticité de la carte d’électeur.

v. Le certificat d’origine

[52] La SPR a fait observer que, comme elle avait conclu que le certificat de naissance du demandeur n’était pas authentique, la présomption avait été réfutée en ce qui concerne les autres pièces d’identité du demandeur, y compris le certificat d’origine. La SPR a conclu que, dans ces conditions, le certificat d’origine n’avait pas une valeur probante suffisante pour établir l’identité du demandeur.

[53] La SAR a estimé que le certificat d’origine n’avait aucune utilité pour répondre à la question de l’identité du demandeur, étant donné que, selon l’information objective sur le pays, le lieu d’origine s’entend du lieu de naissance ancestrale paternelle de l’individu et non du lieu de naissance de ce dernier. En d’autres mots, le certificat porte sur la naissance de quelqu’un d’autre que le demandeur. Les mêmes preuves documentaires objectives indiquaient également que les certificats d’origine n’avaient aucune valeur juridique et qu’ils n’étaient assujettis à aucun critère écrit établi.

[54] Le demandeur soutient que la SAR a mal interprété la preuve documentaire objective pour évaluer le certificat d’origine dès lors que l’objet principal de l’examen de ce document était de vérifier l’identité du demandeur en tant que Momoh Peace Eromosele, et non son lieu de naissance au Nigéria. Le demandeur affirme que, comme son nom l’indique (certificat d’identité/d’origine), ce document a comme double objectif d’identifier le titulaire du certificat et son lieu de naissance paternel. Puisque la SAR n’a pas reconnu ce fait, elle n’a donc pas tenu compte de ce document et des autres pièces d’identité pour établir l’identité du demandeur en tant que Momoh Peace Eromosele.

[55] Le CND indique qu’à défaut de dispositions législatives prescrivant des exigences documentaires en la matière, la preuve du « droit d’être Nigérian » se fait au moyen d’un certificat d’identité autochtone. Ce document n’a aucune valeur juridique et il n’existe aucun critère écrit qui permettrait de contester le refus de reconnaître ce droit. D’autres documents contenus dans le CND indiquent que le certificat d’État d’origine constitue une preuve de l’État dont la personne affirme être un ressortissant et peut être utilisé comme moyen général d’identification. Les preuves exigées pour pouvoir se faire délivrer un certificat varient d’un État à l’autre. En somme, un certificat d’origine est délivré par le gouvernement de l’État plutôt que par le gouvernement fédéral du Nigéria. Il semblerait qu’il s’agisse d’un document officiel pouvant servir d’identification et pouvant être utilisé à certaines fins administratives par les administrations locales et étatiques et par le gouvernement fédéral. Dans ce contexte et compte tenu du fait que le certificat d’identité/d’origine présentée par le demandeur (apparemment délivré par le gouvernement local d’Esan West, État d’Edo, Nigéria) contient non seulement son nom, mais aussi sa photographie, je conviens avec le demandeur que la SAR a commis une erreur en concluant que ce document ne portait pas sur son identité, mais plutôt sur la naissance d’une autre personne.

[56] Cela dit, compte tenu de ses conclusions sur le certificat de naissance du demandeur, il était loisible à la SAR d’exiger du demandeur qu’il démontre l’authenticité du certificat d’origine. La SAR ne semble toutefois pas avoir remis en question l’authenticité du document. Et, du moins à première vue, le document semble avoir une certaine valeur probante.

[57] Je suis également d’accord avec le demandeur pour dire que si la SAR ne remettait pas en question l’authenticité du certificat d’origine, elle aurait dû en tenir compte en même temps que les autres documents présentés par le demandeur qui, eux aussi, du moins à première vue, appuyaient son identité en tant que Momoh Peace Eromosele. Ainsi que le souligne le demandeur, seul le passeport Nwozor indique qu’il est Glee Peace Nwozor; tous les autres documents sont au nom de Momoh Peace Eromosele.

[58] À cet égard, notre Cour a déjà fait remarquer qu’:« [i]l faut considérer la preuve dans son ensemble. Aucun élément ne doit être écarté simplement parce qu’il est un élément » (Warsame c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 920 au para 47, voir également Warsame c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 118 aux para 16 à 18; Teganya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 42 au para 25). À mon avis, l’analyse du certificat d’origine qu’a effectuée la SAR est erronée parce qu’elle a « analys[é] essentiellement cet élément de preuve isolément, et non d’un point de vue téléologique et contextuel qui tient compte des autres éléments de preuve dont elle dispos[ait] » (Warsame c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 920 au para 47).

vi. Certificat de mariage, certificat d’études et passeport de Mme Eromosele

[59] La SPR a conclu que le certificat de mariage n’était pas censé être un document officiel et que la preuve documentaire indiquait que Benin City est un centre de l’industrie de la gravure et qu’on peut pratiquement s’y procurer tout document falsifié, des certificats de naissance aux diplômes. Le certificat d’études était une attestation d’études délivrée par le Western African Examination Council. La SPR a conclu que ces documents n’étaient pas suffisants pour atténuer tous les autres problèmes qu’elle avait relevés et pour établir l’identité du demandeur en tant que Momoh Peace Eromosele. La SPR a également conclu que l’extrait du passeport de Mme Eromosele n’était pas suffisant pour établir l’identité du demandeur puisqu’il ne faisait aucune mention de lui.

[60] La SAR a conclu que le certificat de mariage, le certificat d’études et le passeport de Mme Eromosele n’étaient pas suffisants pour établir l’identité du demandeur. Le certificat de mariage n’était pas crédible puisqu’il ne s’agissait pas d’un document officiel et qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui de son authenticité. La SAR a déclaré que même si l’omniprésence de documents frauduleux ne signifiait pas nécessairement qu’un document est frauduleux, dans l’affaire dont elle était saisie, la présomption d’authenticité avait été réfutée et le demandeur n’avait pas fourni de preuve suffisante pour établir l’authenticité du document.

[61] Je relève que le certificat de mariage a été délivré par le « Ministry of Perfection International Inc. » (Worldwide Deliverance & Information Centre) et qu’il indique que Eromosele P. Memok et Oronsaye O. Blessing se sont épousés selon la volonté de Dieu et conformément aux lois du « Ministry of Perfection Church Worldwide ». Il est censé avoir été signé par la mariée, ses parents, le marié, les témoins, le surveillant général et le ministre officiant. Même s’il est revêtu d’un sceau, celui-ci ne porte aucune mention.

[62] Il ne s’agit pas d’un document officiel délivré par les autorités nigérianes. Il était donc loisible à la SAR de lui accorder une valeur probante limitée pour établir l’identité du demandeur. Ce qui est plus problématique, c’est que même si elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que le certificat de mariage était authentique, la SAR n’a pas examiné le certificat de mariage à la lumière des photographies de mariage et de la page du passeport qui est était censée montrer la photo de Mme Eromosele. Même si, à lui seul, le certificat de mariage n’aurait peut-être pas été suffisant pour établir l’identité du demandeur, la SAR aurait dû l’évaluer à la lumière des autres documents présentés à l’appui de l’identité du demandeur en tant que Momoh Peace Eromosele.

[63] La SAR a estimé que le certificat d’études n’avait pas de valeur probante parce qu’il ne contenait que des résultats et qu’il s’agissait donc simplement d’un relevé de notes.

[64] Le demandeur affirme que la SAR n’a pas tenu compte du fait que le West African Examinations Council est un organisme international responsable des examens, ni du fait que le certificat était revêtu d’un sceau officiel et de la signature du greffier et du président et qu’il indiquait le numéro de candidat du demandeur et le numéro du certificat. Le demandeur soutient que la SAR a mal interprété ces éléments de preuve puisqu’il s’agissait d’un document authentique délivré il y a 35 ans. Il affirme que la SAR aurait dû examiner ce document à la lumière des autres pièces d’identité qu’il avait soumises pour établir son identité et que l’omission de la SAR de reconnaître une valeur probante à ce document constitue une erreur de fait susceptible de révision. Il affirme également que le défaut d’accorder à ce document la moindre valeur probante constitue une erreur de droit en l’absence de conclusion explicite quant à son authenticité. Il ajoute que la SAR exigeait implicitement que le certificat d’études contienne des caractéristiques d’authenticité, par exemple une photographie.

[65] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SAR exigeait implicitement que le certificat d’études contienne une photographie. Et, encore une fois, le certificat d’études n’est pas une pièce d’identité délivrée par les autorités nigérianes. Le demandeur n’invoque pas non plus d’éléments de preuve à l’appui de son argument que le West African Examinations Council est un organisme international responsable des examens ou pour confirmer autrement l’authenticité de ce document.

[66] Cela dit, la SPR a cité dans une note de bas de page un extrait du CND concernant l’omniprésence de documents frauduleux, sans pour autant confirmer clairement l’authenticité du certificat d’études. Et, bien que le document porte le nom du demandeur et qu’il soit revêtu d’un sceau, la SAR ne s’est pas prononcée sur son authenticité. Encore une fois, comme pour le certificat de mariage, le certificat d’études n’était peut-être pas suffisant pour établir l’identité du demandeur, mais la SAR a commis une erreur en ne se prononçant pas sur l’authenticité du document ou sur sa valeur probante à la lumière de toutes les pièces d’identité soumises par le demandeur sous le nom de Momoh Peace Eromosele (Warsame c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 920 au para 47; Warsame c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 118 aux para 16-18; Teganya au para 25).

[67] La SAR a conclu que le passeport de Mme Eromosele n’avait aucune valeur probante, car il ne mentionnait pas le nom du demandeur et ne renfermait aucun détail. Cela est vrai, mais le passeport de Mme Eromosele a été délivré à une personne portant le même nom de famille que le demandeur et contient une photographie dont la SAR aurait pu tenir compte en la comparant avec les photos de mariage. Dans ces conditions, ce document a peut-être une valeur probante.

Conclusion

[68] La SAR a commis une erreur dans son analyse de la carte d’électeur, notamment en ne faisant pas sienne la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité et en ne procédant pas à sa propre analyse concernant la conclusion défavorable tirée par la SPR au sujet de la crédibilité du demandeur. En outre, la SAR n’a pas déterminé si la carte d’électeur, le certificat d’études, le certificat d’origine ou le certificat de mariage étaient authentiques. Elle n’a pas non plus cherché à savoir si ces documents, ainsi que les photos de mariage et la photo de passeport de Mme Eromosele, avaient, lorsqu’on les examinait globalement et non pas isolément, une valeur probante suffisante pour répondre aux préoccupations exprimées par la SAR au sujet des pièces d’identité principales — comme le certificat de naissance — et pour établir l’identité du demandeur en tant que Momoh Peace Eromosele (voir Nti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 595 au para 21). Par conséquent, je conclus que la décision de la SAR n’est pas raisonnable.

[69] Il se peut fort bien qu’un autre commissaire de la SAR en arrive au même résultat après réexamen de l’affaire, mais il n’en demeure pas moins que les motifs énoncés en l’espèce par la SAR ne justifient pas la décision qu’elle a rendue.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4910-21

LA COUR STATUE QUE :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

  3. aucuns dépens ne sont adjugés;

  4. aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4910-21

 

INTITULÉ :

MOMOH PEACE EROMOSELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence AU MOYEN DE Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Taiwo Olalere

 

POUR Le demandeur

 

Yusuf Khan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrister, Solicitors and Notary Public

Olalere Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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