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Date : 20220616

Dossier : IMM‑2956‑21

Référence : 2022 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 16 juin 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

HALYNA PARANYCH

DIANA PARANYCH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 6 avril 2021.

[2] Les demanderesses ont demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a entendu leur demande lors d’une audience tenue le 3 février 2020.

[3] Dans une décision datée du 4 mai 2020, la SPR a conclu que les demanderesses avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Kyiv, en Ukraine. La SAR a rejeté l’appel interjeté à l’égard de cette décision.

[4] Devant la Cour, les demanderesses ont fait valoir que la SAR avait rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve et qu’elle avait donné des motifs insuffisants eu égard à l’appréciation de la décision rendue par la SPR. Elles ont soutenu que la SPR et la SAR auraient dû conclure qu’elles ne seraient pas en sécurité si elles retournaient en Ukraine et qu’elles résidaient à Kyiv.

[5] Je reconnais que les demanderesses ont été victimes de violence. Toutefois, je ne crois pas que la SAR a commis le genre d’erreur qui justifie que la Cour intervienne et qu’elle annule sa décision. Plus précisément, la SAR n’a pas eu tort de ne pas admettre cinq documents à titre de nouveaux éléments de preuve et de refuser de tenir une audience. De plus, la SAR a apprécié de façon raisonnable la preuve quant à la question de savoir si les demanderesses seraient exposées à des risques à Kyiv suivant les éléments de preuve figurant dans le dossier. Pour les motifs qui sont énoncés en détail ci‑après, la demande est rejetée.

[6] Il importe de prendre note que l’audience devant la SPR, l’appel interjeté devant la SAR et l’audition de la demande devant la Cour ont tous eu lieu avant le début des hostilités en Ukraine, en 2022. La présente demande a été tranchée suivant les éléments de preuve relatifs aux risques en Ukraine datant d’avant 2022.

I. Faits et décisions à l’origine de la présente demande

[7] Les demanderesses sont une mère (Halyna Paranych) et sa fille (Diana Paranych). Elles sont des citoyennes de l’Ukraine. Avant leur arrivée au Canada, elles résidaient dans une ville d’Ukraine appelée Ternopil, qui est située à quelque six heures de route de Kyiv.

[8] Les demanderesses ont fondé leur demande d’asile présentée au titre de la LIPR sur leur crainte que le directeur d’une école à Ternopil ne les tue ou leur fasse subir de graves préjudices. Halyna Paranych était enseignante à cette école. Elle a allégué que le directeur lui a dit de donner de bonnes notes à ses élèves en échange de pots‑de‑vin, de sorte qu’elle puisse ensuite lui donner l’argent. Elle a refusé. Pour cette raison, le directeur a envoyé ses [traduction] « hommes de main » les attaquer, elle et ses enfants à plusieurs occasions à Ternopil. Deux hommes ont attaqué sa fille, Diana, en décembre 2015. Diana a subi une blessure sérieuse au coude, qui a entraîné une perte de mobilité de son bras.

[9] Les demanderesses ont quitté l’Ukraine en mai 2016 pour se rendre au Canada. Elles ont présenté leur demande d’asile en février 2019.

[10] La SPR a statué que la question déterminante était la PRI. Elle a conclu que les demanderesses bénéficiaient d’une PRI viable à Kyiv.

[11] Les demanderesses ont interjeté appel devant la SAR. Elles ont voulu présenter de nouveaux éléments de preuve. Ces nouveaux éléments se rapportaient à leur affirmation selon laquelle, en juillet 2014, elles avaient déménagé brièvement à Kyiv et elles avaient dû retourner à Ternopil immédiatement parce que les [traduction] « hommes de main » du directeur les avaient retrouvées à Kyiv. Les nouveaux éléments de preuve proposés consistaient en cinq documents :

  • a) des billets de train datés du 1er juillet 2014;

  • b) une plainte à la police datée du 6 juillet 2014;

  • c) un certificat médical daté du 28 juin 2020, selon lequel la demanderesse s’est présentée dans une clinique privée le 6 juillet 2014 avec des meurtrissures sous les yeux et sur sa joue gauche;

  • d) un affidavit d’un propriétaire à Kyiv daté du 26 juin 2020, selon lequel les demanderesses avaient loué une maison lui appartenant pour une période d’un an à compter du 2 juillet 2014, mais qu’elles avaient quitté la maison, avaient annulé le contrat une semaine plus tard le 7 juillet 2014 et étaient parties;

  • e) un bail daté du 2 juillet 2014 pour une location résidentielle à Kyiv.

[12] La SAR a refusé d’accepter l’un quelconque de ces documents en tant que nouveaux éléments de preuve au titre de l’article 110 de la LIPR. Elle a aussi refusé de tenir une audience aux termes du paragraphe 110(6).

[13] Dans sa décision, la SAR analyse le bien‑fondé de l’appel eu égard aux questions relatives à la PRI, et elle a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la PRI.

II. Nouveaux éléments de preuve dans la présente demande

[14] Les demanderesses ont produit un nouvel affidavit devant la Cour qui a été exécuté le 6 octobre 2021 par la demanderesse Halyna Paranych. Le document expliquait essentiellement les circonstances dans lesquelles Diana et elle avaient souffert, avaient été maltraitées et avaient subi des préjudices aux mains des [traduction] « hommes de main » du directeur. Il décrivait les agressions dont a été victime Diana et les blessures qu’elle a subies au coude gauche le 15 décembre 2015, qui ont nécessité des interventions chirurgicales en Ukraine et, récemment, au Canada. De plus, il faisait état des blessures subies par Halyna Paranych et de l’intervention chirurgicale qui en a résulté, ainsi que des effets psychologiques de ces blessures. L’affidavit était accompagné de pièces médicales et de photographies.

[15] Le défendeur s’est opposé à l’admission de l’affidavit en preuve devant la Cour, en soutenant qu’il présentait de l’information concernant le fond de la décision rendue par la SAR dont celle‑ci ne disposait pas, et des pièces justificatives présentées pour tenter d’étayer les demandes d’asile. Il a soutenu que les demanderesses n’avaient renvoyé à aucune exception à la règle habituelle voulant que seuls les éléments de preuve dont disposait le décideur soient admissibles dans l’instruction d’une demande de contrôle judiciaire. Il prétend que les éléments de preuve par affidavit, à première vue, ne correspondent à aucune des exceptions à la règle générale. Il a aussi mis en doute la pertinence des éléments de preuve eu égard à la décision de la Cour. Le défendeur a affirmé que l’affidavit devrait être radié ou écarté.

[16] Je conviens avec le défendeur qu’en contrôle judiciaire, la règle générale veut que le dossier de la preuve qui est soumis à la cour de révision se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur. Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 42; Perez c Canada, 2019 CAF 238 au para 16.

[17] La Cour d’appel fédérale a décrit trois exceptions à la règle générale dans les arrêts Perez et Association des universités et collèges : i) un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; ii) un affidavit qui est nécessaire pour porter à l’attention de la cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur administratif, ce qui permet ainsi à la cour de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; iii) un affidavit qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée. Il pourrait y avoir d’autres exceptions, la liste n’étant pas close. Voir les analyses dans l’arrêt Perez, au para 16, et dans l’arrêt Association des universités et collèges, au para 20.

[18] Les demanderesses n’ont pas fait valoir que l’affidavit correspondait à l’une quelconque des exceptions énoncées dans l’arrêt Association des universités et collèges. Elles ont décrit les nouvelles preuves comme une mise à jour sur les blessures qu’elles ont toutes deux subies. Elles ont raison sur ce point. Toutefois, elles auraient aussi dû présenter les éléments de preuve pour faire valoir la gravité des agressions qu’elles ont subies en Ukraine. À cet égard, le défendeur a raison quand il souligne que les éléments portent sur le fond de leur demande d’asile au titre de la LIPR.

[19] Par conséquent, le principe général s’applique, et la preuve par affidavit n’est pas admissible dans le cadre de la présente demande.

III. Norme de contrôle à appliquer dans la présente demande

[20] Les parties conviennent que la Cour doit appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12‑13. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15.

[21] Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ de l’examen : Vavilov, au para 84. Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse au raisonnement suivi et au résultat : Vavilov, aux para 83 et 86. La cour de révision doit interpréter les motifs de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 91‑96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, plus particulièrement aux para 85, 99, 101, 105‑106 et 194.

IV. Analyse

A. La décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR

[22] J’estime que l’issue de la présente demande porte essentiellement sur les conclusions tirées par la SAR quant à l’admissibilité en preuve des cinq nouveaux éléments de preuve relatifs au bref séjour des demanderesses à Kyiv au début de juillet 2014. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que les demanderesses bénéficiaient d’une PRI viable à Kyiv. Si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve selon lesquels les demanderesses avaient tenté de s’établir à Kyiv et que les [traduction] « hommes de main » du directeur les avaient retrouvées dans les jours suivant leur arrivée et leur avaient immédiatement causé des préjudices, la présente demande de contrôle judiciaire aurait été accueillie, et la SAR devrait réexaminer l’affaire avec l’admission potentielle de nouveaux éléments de preuve susceptibles de changer l’issue de la demande d’asile des demanderesses.

[23] Toutefois, après avoir examiné attentivement les observations des demanderesses, je ne relève pas d’erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement ou dans les conclusions de la SAR.

[24] En premier lieu, la SAR a renvoyé au bon critère juridique pour l’admission en preuve de nouveaux éléments au titre du paragraphe 110(4), à savoir s’ils sont nouveaux, crédibles et pertinents conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230.

[25] En deuxième lieu, la SAR a donné deux raisons pour ne pas admettre en preuve les nouveaux éléments. Je ne relève aucune erreur dans ces raisons.

[26] La SAR n’ignorait pas que les documents se rapportaient à la période en 2014 au cours de laquelle les demanderesses auraient résidé brièvement à Kyiv, même si deux des documents ont été créés en 2020. Elle a pris en compte l’unique explication donnée par les demanderesses quant à savoir pourquoi elles n’avaient pas présenté les cinq documents à la SPR : elles ne les avaient pas au moment de l’audience devant la SPR. Les demanderesses ont fait savoir à la SAR qu’elles avaient tenté, sans succès, de retrouver le propriétaire à Kyiv, mais qu’elles avaient seulement reçu les documents après l’audience. La SAR a jugé que l’explication donnée pour ne pas avoir présenté les documents à la SPR n’était pas satisfaisante, parce qu’elle ne justifie pas le dépôt tardif des trois documents ne se rapportant pas au propriétaire ou au bail (p. ex. les billets de train, la plainte à la police et le certificat médical). De plus, la SAR a fait remarquer que la date pertinente pour la prestation d’éléments de preuve supplémentaires n’était pas la date de l’audience devant la SPR, mais plutôt la date de la décision de la SPR, qui a été rendue trois mois après l’audience. La SAR a sous‑entendu que les demanderesses auraient pu envoyer les éléments de preuve supplémentaires après l’audience, mais avant la décision, si elles avaient constaté qu’elles avaient oublié de mentionner leur bref déménagement à Kyiv suivi d’un départ précipité en juillet 2014 ou qu’elles avaient obtenu l’affidavit du propriétaire et le bail au cours de cette période de trois mois. J’estime que la décision de la SAR à ce sujet n’était pas déraisonnable.

[27] De plus, la SAR a conclu que les documents n’étaient pas admissibles en preuve parce qu’ils n’étaient pas crédibles. La SAR a affirmé ce qui suit :

C’est la première fois, dans le cadre de la présente procédure, que Mme Paranych mentionne avoir été attaquée par les hommes de main du directeur à Kiev. Elle n’a pas mentionné une telle attaque dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile ni dans son témoignage à l’audience. En particulier, quand la SPR a demandé à Mme Paranych pourquoi elle ne pourrait pas vivre en sécurité à Kiev, cette dernière a invoqué plusieurs raisons pour lesquelles le directeur serait en mesure de la trouver à Kiev. Toutefois, elle n’a absolument pas mentionné qu’elle avait tenté de déménager à Kiev et qu’elle y avait été trouvée par les hommes de main du directeur dans le passé

Les demanderesses n’ont pas contesté ce raisonnement directement. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans ce raisonnement. De plus, je constate que l’argument présenté par écrit par les demanderesses après l’audience devant la SPR ne mentionnait aucun incident violent qui se serait produit pendant le bref séjour des demanderesses à Kyiv.

[28] En troisième lieu, les demanderesses ont fait valoir que la SAR n’a présenté aucun raisonnement à l’égard de ses conclusions. Comme le montre l’analyse qui précède, la SAR a bel et bien exposé les raisons pour lesquelles elle avait décidé de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve proposés. J’estime que ces raisons satisfaisaient aux exigences de justification énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[29] Par conséquent, je conclus que les demanderesses n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a décidé de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4).

B. La décision de la SAR de ne pas tenir d’audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR

[30] Les demanderesses ont fait valoir que la décision de la SAR quant à la crédibilité des documents constituait une conclusion qui aurait dû être tirée à la suite d’une audience. Plus précisément, les demanderesses ont soutenu que la SAR a mis en doute la crédibilité de la demanderesse sans lui offrir la possibilité de répondre dans une audience. Elles ont évoqué un possible manquement à l’équité procédurale.

[31] J’estime que les observations formulées par les demanderesses ne traduisent pas fidèlement la teneur et les exigences des paragraphes 110(4) et 110(6). Les questions relatives à la crédibilité des nouveaux éléments de preuve proposés ont trait à l’admissibilité de ceux‑ci aux termes du paragraphe 110(4) suivant l’interprétation qu’en a faite la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh. Le paragraphe 110(6) prévoit que la SAR peut tenir une audience si elle estime que l’admission des documents en preuve soulève une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause.

[32] En l’espèce, la SAR n’a pas admis les documents en tant que nouveaux éléments de preuve étant donné qu’elle a jugé qu’ils n’étaient pas crédibles. La conclusion de la SAR quant à la crédibilité se limitait aux documents eux‑mêmes, et ne concernait pas la crédibilité des demanderesses. Pour cette raison, la possibilité de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) était exclue. Les demanderesses n’ont invoqué aucun autre motif juridique pour lequel la SAR tiendrait une audience.

[33] Par conséquent, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle et n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR.

C. L’analyse de la PRI effectuée par la SAR

[34] Les demanderesses ont formulé plusieurs observations connexes au sujet de l’analyse effectuée par la SPR et la SAR relativement à la ville de Kyiv en tant que PRI. Aucune des parties n’a contesté les affirmations de la SAR en ce qui concerne le critère juridique en deux volets applicable à une PRI. La SAR a renvoyé à l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF) de la Cour d’appel fédérale.

[35] Comme il est mentionné précédemment, c’est la décision de la SAR qui est visée par le contrôle, et non pas la décision de la SPR. De plus, la plupart des observations formulées par les demanderesses au sujet de l’analyse relative à la PRI se rapportaient aux éléments de preuve relatifs à juillet 2014. Les demanderesses ont soutenu qu’elles seraient en fait exposées à des risques à Kyiv et que le résultat de l’analyse de la PRI aurait dû être différent. Ces observations portaient sur le premier volet de l’analyse de la PRI.

[36] La plus grande partie des arguments avancés par la demanderesse demandaient à la Cour de soupeser ou d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAR et, ce faisant, la Cour devrait prendre en compte les éléments de preuve que la SAR avait jugés inadmissibles. Toutefois, la Cour ne peut pas substituer son opinion à la conclusion de la SAR, avec ou sans les éléments de preuve inadmissibles. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la SAR, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov, aux para 125‑126. J’estime qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles en l’espèce. Les demanderesses n’ont invoqué aucune preuve que la SAR aurait écartée ni aucune preuve essentielle ou importante eu égard à l’analyse de la PRI ou à leur position qu’aurait dû examiner la SAR et qui contredirait la conclusion tirée par celle‑ci.

[37] Les demanderesses ont soutenu vigoureusement que les éléments de preuve soumis à la SPR et la SAR démontraient qu’elles ne disposent d’aucune PRI sécuritaire en Ukraine. Elles n’ont toutefois pas présenté d’éléments de preuve à la SPR au sujet de leur déménagement qui aurait avorté à Kyiv en juillet 2014. Leur formulaire Fondement de la demande d’asile ne renfermait aucun élément de preuve de cette nature. En fait, comme l’a soutenu le défendeur dans le cadre de la présente demande, les adresses inscrites sur le formulaire ne se rapportaient qu’à une adresse à Ternopil, en Ukraine, et à une adresse au Canada. Il n’y avait aucune mention d’une adresse à Kyiv.

[38] De plus, les demanderesses ont contesté l’analyse effectuée par la SAR concernant deux autres questions. La première était celle de savoir si le directeur s’intéressait toujours à Halyna Paranych. Cette dernière a affirmé que son époux et son fils avaient été forcés de se cacher. La SPR a conclu que cette affirmation n’était pas crédible. Les demanderesses n’ont pas contesté cette conclusion en appel devant la SAR. Celle‑ci a quand même examiné les éléments de preuve et a souscrit à la conclusion et aux motifs de la SPR. En dépit du fait que les demanderesses ont présenté des observations sur cette question à la Cour, je ne vois aucun motif permettant à la Cour d’examiner une question qui n’a pas fait l’objet d’un appel devant la SAR ni la moindre erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR.

[39] De plus, les demanderesses ont contesté l’analyse de la SAR concernant la question de savoir si elles seraient toujours exposées à des risques à Kyiv (sans les nouveaux éléments de preuve proposés). La SAR a convenu avec la SPR que les éléments de preuve présentés par la demanderesse quant à la façon dont le directeur pourrait la retrouver à Kyiv étaient hypothétiques. Ici encore, la Cour ne peut pas soupeser à nouveau les éléments de preuve et tirer une conclusion différente. Je ne puis pas conclure que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en l’espèce.

[40] Qui plus est, les demanderesses ont prétendu que la SPR et la SAR avaient commis une erreur de droit en exigeant d’elles qu’elles se soient déjà prévalues de la PRI à Kyiv avant de demander l’asile. Je conviens avec le défendeur que ni la SPR ni la SAR n’ont fait mention d’une telle exigence.

[41] Enfin, les demanderesses ont fait valoir que la décision de la SPR ne tenait pas compte d’éléments de preuve selon lesquels il était possible de soudoyer des fonctionnaires en Ukraine, ce qui permettrait au directeur de les retrouver à Kyiv. Cette affirmation ne peut être retenue. D’abord, c’est la décision de la SAR qui fait l’objet du contrôle par la Cour, et non pas la décision de la SPR. De plus, les demanderesses n’ont renvoyé à aucun élément de preuve se rapportant à la corruption de fonctionnaires qui soit pertinent ou déterminant eu égard aux faits de l’espèce. Les éléments de preuve selon lesquels la police n’aurait pas réagi à la demande d’aide de la demanderesse ne sont pas suffisants pour démontrer une erreur susceptible de contrôle.

V. Conclusion

[42] J’estime que, selon les normes établies par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, la Cour n’a aucun motif pour conclure que la décision de la SAR était déraisonnable.

[43] Par conséquent, la demande est rejetée. À l’audience, le défendeur a demandé que le mot « Canada » soit retiré du nom du défendeur dans l’intitulé. Aucune objection n’a été soulevée, et je suis d’accord.

[44] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2956‑21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour que soit inscrit le nom exact du défendeur, soit ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2956‑21

 

INTITULÉ :

HALYNA PARANYCH ET DIANA PARANYCH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER DÉCEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Syeda Saima Kazmi

POUR LES DEMANDERESSES

 

Robert L. Gibson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Syeda Saima Kazmi

Avocate

Surrey (C.‑B.)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Robert L. Gibson

Procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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