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Date : 20220613


Dossier : IMM-3420-21

Référence : 2022 CF 877

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 juin 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

SAMSON OSHOKE SADO

JENNIFER OMONEGHO SADO

KING OMO-OGHENA SADO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Samson Oshoke Sado, membre de la royauté du Nigéria, a épousé Mme Jennifer Sado en 2014. N’approuvant pas le mariage, les chefs du clan de M. Sado ont ordonné que les futurs enfants du couple soient soumis à l’excision (pour les filles) ou sacrifiés au nom du dieu Iseh (pour les garçons).

[2] Après le mariage, Mme Sado a été enlevée et excisée contre son gré. En 2015, elle a donné naissance à un bébé qui a subi le même sort et a perdu la vie en raison de saignements excessifs. En octobre 2016, Mme Sado est de nouveau tombée enceinte. Le mois suivant, le grand-prêtre s’est présenté au domicile du couple, à Abuja. Le couple s’est enfui et a refait sa vie à Lagos. Mme Sado a donné naissance à un garçon en juillet 2017.

[3] En septembre 2017, la tante de M. Sado a rencontré par hasard Mme Sado dans un marché à Lagos. M. Sado a ensuite commencé à recevoir des appels de la part du grand-prêtre, qui menaçait de mort sa famille s’il ne revenait pas au village pour sacrifier son fils. Le couple a décidé de quitter le Nigéria.

[4] M. Sado, sa femme et leur fils [ensemble, les demandeurs] sont arrivés au Canada en novembre 2017 et ont présenté une demande d’asile à l’égard du Nigéria au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La demande repose sur la désapprobation du mariage par les membres du clan de M. Sado et les menaces visant les enfants du couple. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a jugé que la demande était crédible et que les demandeurs pouvaient invoquer l’article 96 en raison de leur appartenance à un groupe social, mais qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable à Port Harcourt, au Nigéria. La Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel des demandeurs pour les mêmes motifs [la décision].

[5] Les demandeurs contestent les points suivants : la conclusion de la SAR concernant la non-crédibilité des nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés, l’application par la SAR du critère relatif à une PRI valable, et le traitement par la SAR de la preuve relative à Port Harcourt. Les demandeurs soutiennent également que la SAR a contrevenu à leurs droits à l’équité procédurale.

[6] J’estime que la décision était raisonnable et je rejette la présente demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] Selon les demandeurs, la SAR a commis les erreurs suivantes : 1) elle s’est trompée dans l’analyse des nouveaux éléments de preuve; 2) elle a commis une erreur dans l’application du critère relatif à la PRI; 3) elle s’est fiée à des conclusions déguisées quant à la crédibilité; 4) elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve; et 5) elle avait tort de s’attendre à ce que les demandeurs se cachent dans la région correspondant à la PRI.

[8] Le défendeur soutient que la décision doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[9] Habituellement, la décision de la SAR d’admettre ou non de nouveaux éléments de preuve doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh] aux para 22-29, voir également la jurisprudence récente de la Cour fédérale, postérieure à l’arrêt Vavilov, par exemple Awonusi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 385 au para 10; Bakare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 967 [Bakare] au para 8). C’est la norme de la décision raisonnable que j’appliquerai dans le cadre de mon contrôle.

[10] La norme de la décision raisonnable constitue une norme de contrôle qui est axée sur la déférence, mais qui demeure rigoureuse : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit déterminer si la décision sous examen est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif en question, du dossier dont le décideur était saisi et de l’impact de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.

[11] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou causes de préoccupation relatives à une décision qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[12] Les demandeurs soulèvent plusieurs arguments dans leurs observations écrites. Lors de l’audience, ils ont mis l’accent sur deux questions, sur lesquelles je me prononcerai ci-dessous.

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en n’admettant pas la lettre du grand-prêtre?

[13] Dans leur appel devant la SAR, les demandeurs ont tenté de soumettre en preuve une lettre du grand-prêtre, dans laquelle il réitérait ses menaces à leur égard. La lettre est antérieure à la décision de la SPR. La SAR a refusé d’admettre le document puisque la lettre ne répondait pas aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR a tout de même examiné les facteurs énoncés dans les arrêts Singh et Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385. Après avoir soulevé quelques incohérences dans la lettre, la SAR a conclu que celle-ci semblait avoir été altérée et n’était donc pas crédible.

[14] Selon les demandeurs, la SAR a contrevenu à leurs droits à l’équité procédurale en concluant à la présence d’irrégularités dans la lettre du grand-prêtre sans leur donner la possibilité de répondre à cet égard. Les demandeurs soutiennent que le décideur est tenu d’informer l’intéressé de ses préoccupations quant à la crédibilité : Maniero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 776 aux para 3-4; Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 aux para 9-10.

[15] Lors de l’audience, les demandeurs ont présenté de nouveaux arguments, à savoir que la SAR n’avait pas tenu compte de la pandémie et de l’absence d’éléments de preuve démontrant que M. Sado était fréquemment en contact avec sa sœur, à qui le grand-prêtre avait envoyé sa lettre.

[16] Je rejette l’ensemble des arguments des demandeurs. Tout d’abord, dans les observations présentées à la SAR par ces derniers, il n’y a aucune trace d’obstacles attribuables à la pandémie qu’ils auraient surmontés pour obtenir la lettre. Il n’est pas question non plus du moment où ils ont reçu la lettre de la sœur de M. Sado. Selon la seule explication que ce dernier a fournie à la SAR pour justifier la soumission tardive de la lettre, il ne savait pas qu’il pouvait déposer une lettre à titre d’élément de preuve après l’audience.

[17] La SAR a estimé que la lettre était normalement accessible au moment de la décision, compte tenu du fait que les demandeurs avaient eu environ six mois pour la transmettre à la SPR. La SAR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que la lettre n’était pas normalement accessible au moment de la décision de la SPR. Toutes ces conclusions sont étayées par le dossier, et les demandeurs n’ont pas réussi à produire des éléments de preuve permettant de contredire les conclusions de la SAR.

[18] À mon avis, il était inutile que la SAR procède à une évaluation de la crédibilité du nouvel élément de preuve puisque le document en question ne satisfaisait à aucune des exigences énoncées au paragraphe 110(4). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’une erreur de la part de la SAR dans son évaluation de la crédibilité de la lettre, ou une erreur procédurale connexe, ne serait pas déterminante et ne justifierait pas la tenue d’un réexamen.

B. La conclusion de la SAR à l’égard de la PRI est-elle déraisonnable?

[19] Lors de l’audience, les demandeurs ont principalement soutenu qu’en concluant qu’il y avait une PRI valable à Port Harcourt, la SAR avait omis de prendre en compte les éléments de preuve dont elle disposait ou les avait mal interprétés.

[20] Les demandeurs ont fait valoir que Port Harcourt est beaucoup plus proche de leur ville natale que les autres villes où ils avaient déjà déménagé et qu’il s’agit d’une ville plus petite que Lagos. En outre, les demandeurs affirment avoir été retrouvés à deux reprises par le passé dans cette ville. Selon eux, c’était là la preuve qu’on pourrait les retrouver à nouveau. La SAR avait également qualifié d’hypothèse la possibilité pour les demandeurs de rencontrer par hasard quelqu’un qui connaît l’un des membres de leur famille qui vivent à Port Harcourt. Les demandeurs ont contesté cette conclusion.

[21] Je relève que les demandeurs ont présenté des arguments similaires devant la SAR, qui les a tous rejetés pour les motifs suivants : Port Harcourt est situé dans un autre État; les demandeurs n’ont jamais vécu ou travaillé à Port Harcourt, ce qui signifie que les circonstances qui ont fait en sorte qu’ils ont été trouvés à Abuja ou à Lagos ne s’appliquent pas à Port Harcourt; et les demandeurs n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les membres de leur famille savaient qu’ils étaient recherchés par le grand-prêtre et qu’ils comploteraient pour leur causer du tort. À la lumière de la preuve présentée à la SAR, je ne vois aucune raison de modifier ces conclusions.

[22] En fait, les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour

[23] Le défendeur fait également valoir que, dans une décision récente où les faits étaient essentiellement similaires, le juge McHaffie a confirmé la conclusion de la SAR selon laquelle le risque de rencontrer par hasard dans une grande ville quelqu’un qui reconnaîtrait les demandeurs était trop hypothétique pour permettre d’étayer une « possibilité sérieuse » de persécution même si les demandeurs avaient déjà été retrouvés dans une autre ville où ils avaient beaucoup plus d’attaches : Bakare, aux paras 4, 22-24.

[24] Le juge McHaffie a fait remarquer ce qui suit dans la décision Bakare :

[24] […] Bien que les Bakare se fondent sur la rencontre apparemment fortuite au marché à Uyo, à la suite de laquelle leur présence a été communiquée aux aînés, la SAR s’est raisonnablement fondée sur la taille de Lagos pour conclure qu’il était hypothétique qu’ils courent le risque d’y être retrouvés par un membre de la communauté, en particulier une personne qui voudrait aider les aînés à les leur ramener, alors qu’on ne savait pas si ces derniers avaient la motivation de les retrouver.

[25] J’estime que la décision Bakare est pertinente dans notre contexte et qu’un constat semblable peut être tiré en l’espèce à l’égard de la conclusion de la SAR.

[26] En ce qui concerne les autres arguments présentés par les demandeurs dans leurs observations écrites, mais pas dans leurs observations de vive voix, je dirai simplement que je ne trouve pas ces arguments convaincants.

IV. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3420-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3420-21

 

INTITULÉ :

SAMSON OSHOKE SADO, JENNIFER OMONEGHO SADO, KING OMO‑OGHENA SADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par VIDéOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 3 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge GO

 

DATE DES MOTIFS :

le 13 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Christina Maria Gural

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Zofia Rogowska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christina Maria Gural

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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