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Date : 20031128

Dossier : T-2006-99

Référence : 2003 CF 1401

Montréal (Québec), le 28 novembre 2003

Présent :          ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE :

                                                                    CAMOPLAST INC.

                                                            demanderesse/

                                          défenderesse reconventionnelle

                                    et

                        SOUCY INTERNATIONAL INC.

                                    et

                               KIMPEX INC.

                                                           défenderesses/

                                       demanderesses reconventionnelles

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une requête de la demanderesse pour l'émission d'une ordonnance de confidentialité en vertu des règles 3, 4 et 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) afin qu'un certain nombre de documents ayant trait à ses activités de recherche et développement quant aux possibilités de réduire le bruit généré par les chenilles de motoneige (les documents à protéger) ne soient pas accessibles à la partie adverse mais soient néanmoins accessibles aux procureurs de cette dernière et à un expert externe aux défenderesses Soucy International Inc. et Kimpex Inc. (ci-après collectivement comme la défenderesse Soucy).

[2]                 Le point d'achoppement entre les parties n'a pas vraiment trait au fait de réduire l'accès du public aux documents à protéger mais au fait de savoir si le représentant de Soucy qui assiste les procureurs de cette dernière et qui est la personne en charge des activités de recherche et de développement auprès de la défenderesse Soucy doit pouvoir avoir accès aux documents à protéger.

[3]                 Je considère pour les motifs qui suivent qu'il y a lieu d'accorder, avec frais à suivre, la requête de la demanderesse et d'émettre sous pli séparé une ordonnance de confidentialité suivant les termes soumis par la demanderesse au projet d'ordonnance joint à son dossier de requête; ordonnance à laquelle on aura retranché toutefois le paragraphe 2(vii).


[4]                 À l'appui de sa requête la demanderesse a soumis un affidavit de son chargé du département de la recherche et du développement (l'affidavit de Denis Courtemanche) dans lequel ce dernier identifie suffisamment à mon avis que les documents à protéger sont de nature confidentielle, qu'ils ont été et sont traités à tout moment pertinent de telle façon et qu'un préjudice sérieux et important serait causé à la demanderesse si le chargé de la recherche et du développement chez Soucy (M. Deland) - principal compétiteur de la demanderesse - avait accès à ces documents.

[5]                 Je considère ici que l'affidavit de Denis Courtemanche rencontre tant ce qui est exigé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Glaxo Group Ltd. v. Novopharm Ltd. (1998), 81 C.P.R. (3d) 185, page 187, paragraphe [6] que ce qui est applicable en l'espèce des enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522.

[6]                 Dans l'arrêt Sierra Club, la Cour faisait face à une demande d'ordonnance de confidentialité sous la règle 151 dans le cadre d'un contexte qui est au départ fort différent du nôtre. La Cour suprême identifie comme suit au paragraphe 84 de ses motifs le contexte de droit public auquel elle faisait face :

84.      La requête est liée à une demande de contrôle judiciaire d'une décision du gouvernement de financer un projet d'énergie nucléaire. La demande est clairement de nature publique, puisqu'elle a trait à la distribution de fonds publics en rapport avec une question dont l'intérêt public a été démontré. De plus, comme le souligne le juge Evans, la transparence du processus et la participation du public ont une importance fondamentale sous le régime de la LCÉE. En effet, par leur nature même, les questions environnementales ont une portée publique considérable, et la transparence des débats judiciaires sur les questions environnementales mérite généralement un degré élevé de protection. À cet égard, je suis d'accord avec le juge Evans pour conclure que l'intérêt public est en l'espèce plus engagé que s'il s'agissait d'un litige entre personnes privées à l'égard d'intérêts purement privés.

(Je souligne.)

[7]                 En l'espèce, il s'agit d'un cas de contrefaçon et d'invalidité alléguées à l'égard d'un brevet. Il s'agit donc ici bien plus "d'un litige entre personnes privées à l'égard d'intérêts purement privés".

[8]                 Au paragraphe 53 de ses motifs, la Cour suprême énonce comme suit le test en deux étapes qu'elle se donne de résoudre face à la situation qui lui était soumise :

53            Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l'espèce l'analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d'énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l'espèce :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a)              elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige, en l'absence d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)              ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.


[9]                 Quant au premier élément du test, soit celui de nécessité, l'affidavit de Denis Courtemanche réfère, outre les aspects confidentiels déjà mentionnés, à l'existence d'une entente de confidentialité entre la demanderesse et la firme Bombardier. M. Courtemanche n'a pas été contre-interrogé sur son affidavit et Soucy n'a pas déposé de preuve contraire. Partant, la Cour ne saurait remettre en question l'existence ou la portée de cette entente du fait qu'elle serait verbale et non colligée par écrit. On ne peut également écarter l'existence d'une telle entente du fait que la demanderesse n'a pas produit d'affidavit réciproque de Bombardier pour corroborer l'existence de l'entente. Je suis donc satisfait ici qu'il est question d'un intérêt commercial général ou important.

[10]            Quant à la possibilité d'options raisonnables autres que l'ordonnance de confidentialité recherchée, je suis satisfait, vu la situation de M. Deland chez Soucy, qu'il est raisonnable que la demanderesse ne veuille pas se satisfaire d'une ordonnance qui permettrait à ce dernier d'avoir accès aux documents protégés sous condition pour ce dernier d'être tenu à la confidentialité. Par ailleurs, je suis satisfait qu'en l'espèce il n'existe pas d'autres options raisonnables que celle d'émettre l'ordonnance recherchée.

[11]            D'autre part, je suis satisfait que les effets bénéfiques de l'ordonnance de confidentialité recherchée l'emportent sur ses effets préjudiciables. Quant à ces derniers effets, Soucy a essentiellement fait valoir qu'elle ne pourrait faire valoir sa position si M. Deland n'a pas accès aux documents protégés.


[12]            Bien que ce soit la demanderesse qui ait le fardeau de preuve sur la présente requête, je pense que l'on aurait pu s'attendre à ce que Soucy dépose un affidavit pour étayer une telle allégation, ce qu'elle n'a pas fait. Ici, les procureurs de Soucy auront assurément accès aux documents à protéger. De plus, le projet d'ordonnance soumis par la demanderesse prévoit à son paragraphe 11 qu'un expert n'ayant pas de lien étroit avec l'une ou l'autre des parties pourrait assister tout procureur. Je pense donc que l'équilibrage recherché sous le deuxième élément du test de Sierra Club favorise également l'émission de l'ordonnance de confidentialité recherchée par la demanderesse. Tel que mentionné plus avant, une telle mesure, par ordonnance séparée, est accordée.

Richard Morneau

protonotaire


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-2006-99

CAMOPLAST INC.

                                                                                           demanderesse/

                                                                 défenderesse reconventionnelle

et

SOUCY INTERNATIONAL INC.

et

KIMPEX INC.

                                                                                           défenderesses/

                                                             demanderesses reconventionnelles


LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :le 24 novembre 2003


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

EN DATE DU :28 novembre 2003

ONT COMPARU:


Me Jean-Sébastien Brière

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Me Éric Ouimet

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Smart & Biggar

Montréal (Québec)

pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle

Brouillette Charpentier Fortin

Montréal (Québec)

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles

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