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Date : 20220622

Dossier : IMM-3887-21

Référence : 2022 CF 933

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2022

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

EDSON MERIA VALDEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision datée du 5 mai 2021. Dans cette décision, le délégué du ministre a déféré l’affaire à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) pour enquête en vertu de l’art 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II. Analyse

[2] Le défendeur a invoqué un argument sur le caractère prématurité de l’affaire en se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (la CAF) dans l’affaire Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CAF 81 [Lin]. Le défendeur soutient que la présente demande devrait être rejetée pour cause de prématurité.

[3] Le demandeur a soutenu que la présente affaire se distingue de l’affaire Lin, qu’elle n’est pas prématurée et qu’elle se rapproche davantage de l’affaire XY c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 831 [XY]. Par conséquent, étant donné que la peine qui lui avait été infligée était de 15 mois et que celle-ci dépassait la limite de six mois, il n’a pas le droit de s’adresser à la Section d’appel de l’immigration (la SAI); il ne peut s’adresser qu’à la SI. Le demandeur a également soutenu que, dans l’affaire Lin, la Cour avait à se pencher sur de fausses déclarations, de sorte que le demandeur avait la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire état de sa situation personnelle à la fois devant la SI et la SAI. Le demandeur a déclaré qu’en l’espèce, à la différence de l’affaire Lin, il est question d’une grande criminalité et que, par conséquent, sa situation personnelle ne peut pas être prise en compte par la SI; la SI regarde uniquement s’il a été déclaré coupable de l’infraction; le cas échéant, il fera l’objet d’une mesure de renvoi et ses motifs d’ordre humanitaire ne seront pas pris en compte. Pour appuyer ses dires, le demandeur invoque que, dans la décision XY (aux para 37-48) qui concerne une question relevant de l’art 37, la Cour a effectué une distinction entre l’affaire Lin et celle dont elle était saisie, et a jugé que la demande de contrôle judiciaire n’était pas prématurée.

[4] Le défendeur a exprimé son désaccord et a fait valoir qu’une démarche administrative auprès de la SI est à la disposition du demandeur et que ce dernier devrait l’entreprendre avant de présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Cependant, le défendeur reconnaît qu’à la différence de l’affaire Lin, le demandeur ne peut pas s’adresser à la SAI (au titre de l’art 64 de la LIPR). De plus, le défendeur a relevé que le demandeur pouvait également présenter une demande indépendante fondée sur des considérations d’ordre humanitaire pour que sa situation personnelle soit prise en compte. Ainsi, le défendeur a soutenu que la présente affaire n’est pas différente de l’affaire Lin et que la demande devrait être rejetée pour cause de prématurité.

[5] Je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée et que la présente affaire ne se distingue pas de l’affaire Lin. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande en l’espèce pour cause de prématurité, étant donné que le demandeur dispose d’un autre recours approprié qui doit être épuisé avant qu’il ne s’adresse à la Cour.

[6] Bien sûr, il existe des différences factuelles entre l’affaire en cause et l’affaire Lin. Toutefois, un examen attentif de l’arrêt Lin permet de dégager le principe selon lequel s’il est possible pour le demandeur de s’adresser à la SI, ce dernier doit le faire avant de s’adresser à la Cour fédérale.

[7] Le demandeur a la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire valoir ses arguments lors de l’enquête de la SI. Bien que je comprenne l’argument du demandeur selon lequel cela pourrait ne pas aboutir à la dispense qu’il sollicite, il ne s’agit pas, en l’espèce, de la circonstance exceptionnelle abordée par le juge Stratas dans l’arrêt Lin.

[8] Les demandeurs qui sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu de l’art 44 de la LIPR peuvent voir leur demande jugée prématurée s’ils n’ont pas épuisé les recours administratifs à leur disposition auprès de la SI et, le cas échéant, auprès de la SAI. Comme il est indiqué dans l’arrêt Lin, « [s]elon la règle générale, aucun contrôle judiciaire ne devrait être demandé avant que tous les recours administratifs ouverts et adéquats aient été exercés ». La CAF a déclaré que les résidents permanents doivent épuiser tout autre recours administratif à leur disposition après la réception d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada rendue en vertu des art 44(1) et 44(2), plutôt que de solliciter un contrôle judiciaire. La CAF s’est appuyée sur l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, pour conclure que l’appelant disposait de recours adéquats devant la SI et la SAI. Elle n’a pas effectué une distinction d’une situation sous-jacente où seul le recours auprès de la SI est possible.

[9] Comme le précise l’arrêt Lin, au paragraphe 5 : « Pour renforcer ce point, il convient de souligner l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui interdit de demander le contrôle judiciaire tant que tous les appels administratifs n’ont pas été épuisés. »

[10] Cependant, comme il a été relevé ci-dessus, il y a de rares exceptions à ce principe général, mais selon mon examen des faits, aucune circonstance exceptionnelle pouvant justifier une telle exception ne s’applique en l’espèce. En effet, la CAF place la barre très haut pour ce qui est des circonstances exceptionnelles, allant jusqu’à déclarer que les « exception[s] [sont] “très rare[s]” et [que] le seuil à atteindre pour qualifier d’exceptionnelles les circonstances est élevé, comme c’est le cas pour les brefs de prohibition » (Lin au para 6). La CAF nous rappelle aussi que « les instances législatives ont confié la prise de décisions sur le fond aux décideurs administratifs, et non aux tribunaux judiciaires, et donc, à défaut de circonstances exceptionnelles ou d’une loi prévoyant le contraire, les tribunaux de révision ne devraient pas intervenir avant que les décideurs administrateurs aient terminé leur tâche » (Lin au para 6).

[11] Aucune des exceptions ne s’applique dans la présente affaire, puisque le demandeur dispose d’un recours auprès de la SI et qu’en outre la CAF a déclaré ce qui suit : « [l]es appelants dans le dossier A-279-19 soulignent l’importance des questions qu’ils soulèvent ainsi que des questions de compétence et d’équité procédurale; toutefois, comme l’arrêt C.B. Powell nous l’enseigne, ces éléments ne constituent pas à eux seuls des circonstances exceptionnelles » (Lin, au para 7). Je suis d’avis que les questions de compétence et d’équité procédurale sont au moins aussi importantes que l’argument du demandeur selon lequel sa situation personnelle ne pourrait être prise en compte lors de l’examen de la SI. Par conséquent, la présente affaire ne cadre pas dans les exceptions prévues.

[12] Ainsi, je suis d’avis que le demandeur devrait épuiser le recours adéquat dont il disposait avant de s’adresser à la Cour fédérale; par conséquent, la présente demande est prématurée.

[13] La demande est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3887-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée au motif qu’elle est prématurée, et ce, sans porter atteinte au droit du demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme à la Cour fédérale lorsqu’il aura épuisé tous les autres recours à sa disposition.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3887-21

 

INTITULÉ :

EDSON MERIA VALDEZ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Faraz Bawa

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART SHARMA HARSANYI

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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