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Date : 20220624


Dossier : IMM‑4479‑20

Référence : 2022 CF 955

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

DEPENG REN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENTS ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision datée du 27 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés portant que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en tant qu’adepte du Falun Gong (la décision).

[2] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la SAR n’a pas fait preuve d’un raisonnement intrinsèquement cohérent et rationnel dans son évaluation de l’authenticité du « chuanpiao » (la citation à comparaître). L’erreur est d’autant plus grave que la SAR se fie au même raisonnement problématique pour conclure que le demander n’avait pas établi le bien‑fondé de sa demande d’asile sur place.

II. Contexte factuel

[3] Le demandeur est né en décembre 1994, en Chine. Un trouble du sommeil nuisant à ses études et à sa vie de tous les jours l’a empêché d’aller à l’école secondaire. Sa capacité à trouver un emploi en a aussi souffert, ce qui a empiré son trouble du sommeil.

[4] En janvier 2016, un ami du demandeur lui a dit qu’il avait déjà souffert d’une dépression et qu’il avait réussi à la surmonter grâce à la pratique du Falun Gong. Le demandeur s’est joint à un groupe de 13 autres personnes qui pratiquaient au domicile des membres. Ensemble, les adeptes pratiquaient cinq exercices et étudiaient le livre de maître Li, Zhuan Falun.

[5] À la mi‑novembre 2016, le Bureau de la sécurité publique (PSB) a effectué une descente dans la maison où le demandeur et les autres membres du groupe pratiquaient. Ils sont parvenus à prendre la fuite grâce à l’avertissement d’un guetteur.

[6] Le demandeur s’est caché chez sa tante. Ses parents l’ont appelé pour lui dire que le PSB le cherchait et qu’il avait laissé un « chuanpiao » pour lui. Ils ont aussi informé la tante que l’un des adeptes se cachait et que deux autres avaient été arrêtés.

[7] Le demandeur a quitté la Chine le 12 juillet 2017 avec l’aide d’un passeur. Il a signé le formulaire Fondement de la demande d’asile le 10 octobre 2017. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reçu le formulaire le 28 novembre 2017.

III. Analyse de la décision

[8] La principale question en litige que le demandeur soulève dans la présente demande porte sur le traitement incohérent par la SAR du « chuanpiao » qu’il a fourni à l’appui de son allégation selon laquelle il est poursuivi par le PSB pour avoir pratiqué le Falun Gong.

[9] L’analyse par la SAR du « chuanpiao » commence au paragraphe 37. Selon la SAR, si la traduction dit « citation à comparaître ou assignation », le document ne concorde pas avec les éléments de preuve documentaire. Le format chinois montre d’ailleurs qu’il s’agit d’une citation à comparaître devant un tribunal. Cette conclusion est réitérée au paragraphe 38, où la SAR estime qu’« [i]l est plus probable que le contraire que le document présenté est en fait une citation à comparaître devant un tribunal ». La SAR note également que, bien que le « chuanpiao » oblige les parties à se présenter en cour, la plupart des témoins en font fi, car aucune peine n’est imposée en cas de non‑respect.

[10] Au paragraphe 40, la SAR conclut que le document en question n’est pas une citation à comparaître authentique du PSB, mais plutôt une ordonnance d’un tribunal qu’il est facilement possible d’obtenir sur Internet et dont le non‑respect n’entraîne aucune sanction.

[11] L’incohérence dans les motifs fournis par la SAR se trouve au paragraphe 48, dans l’évaluation de la demande d’asile sur place du demandeur. La SAR y rappelle que le demandeur n’a pas démontré une connaissance des principes et des exercices du Zhuan Falun, puis présente la conclusion suivante : « La citation à comparaître n’est probablement pas authentique et, même s’il s’agissait d’une véritable citation à comparaître devant un tribunal, il n’y a habituellement pas de conséquences en cas de non‑respect. »

[12] Cette déclaration contredit directement la conclusion énoncée au paragraphe 38 de la décision, à savoir qu’« [i]l est plus probable que le contraire que le document présenté est en fait une citation à comparaître devant un tribunal ».

[13] Il est reconnu que la SAR possède l’expertise nécessaire pour évaluer l’authenticité des documents corroborants et le poids à leur donner. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve, et je refuse de procéder à un tel exercice.

[14] La logique globale de la SAR qui ressort de ses motifs comporte une faille décisive. Il est impossible que les deux conclusions soient justes. Soit il s’agit réellement d’une citation à comparaître devant un tribunal, soit le document en question n’est probablement pas authentique.

[15] Ces conclusions concernant l’authenticité de la citation à comparaître devant un tribunal ne peuvent pas coexister. Le raisonnement de la SAR n’est pas intrinsèquement cohérent et aucune analyse rationnelle ne peut justifier l’existence de ces deux conclusions opposées tirées par la SAR au sujet du même document clé. En raison de ces conclusions opposées, la décision est inintelligible, non justifiée et loin d’être transparente. La décision est donc déraisonnable : voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85.

[16] Comme j’ai conclu que la décision est déraisonnable, j’estime qu’elle doit être annulée. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les autres arguments des parties.

[17] La demande est accueillie et la décision est annulée. L’affaire sera renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

[18] Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4479‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande est accueillie et la décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

  1. Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4479‑20

 

INTITULÉ :

DEPENG REN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 9 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Diane B. Coulthard

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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