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Date : 20220616


Dossier : IMM‑3563‑21

Référence : 2022 CF 919

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 16°juin 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

WASANTHA SARAMBAGE JAYARATHNA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur conteste la décision de la Section d’appel de l’immigration [la SAR] par laquelle cette dernière a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], parce qu’il n’avait pas établi son identité. Il soutient que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de ses documents d’identité. De plus, il demande à la Cour d’accepter de nouveaux éléments de preuve, dont ne disposait pas la SAR et au sujet desquels il affirme qu’il n’a pas pu les obtenir plus tôt.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après : a) l’argument avancé par le demandeur ne correspond à aucun motif, reconnu dans la jurisprudence pertinente ou concordant aux principes énoncés dans celle‑ci, justifiant l’admission en preuve de nouveaux éléments dont ne disposait pas la SAR; b) la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée parce que la décision de la SAR est raisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, demande la qualité de réfugié au Canada en alléguant craindre d’être exposé à un risque de préjudice aux mains de la police, de moines bouddhistes et de membres d’un groupe criminel s’il retournait au Sri Lanka. Il prétend que tous ces gens l’ont menacé et lui ont fait du mal avant qu’il ne soit forcé de quitter le pays.

[4] En 2015, le demandeur a fait l’acquisition d’un étal de poissons, où il a commencé à revendre des poissons qu’il achetait à des grossistes. Il prétend qu’il a acheté l’étal d’un politicien local et qu’il a ensuite été forcé de verser de l’argent à des partisans du politicien afin de pouvoir conserver son étal au marché. De plus, il affirme qu’il a été victime d’extorsion de la part de moines du Bodu Bala Sena qui lui ont fait savoir que, en tant que coreligionnaire, le commerce du poisson allait à l’encontre de leur religion.

[5] De plus, le demandeur prétend qu’en octobre 2015, il s’est rendu dans une boîte de nuit et a vu un groupe d’hommes masqués et armés faire irruption sur les lieux et commencer à s’en prendre aux clients. Il affirme qu’au moment où il tentait de fuir l’immeuble, il a été abordé par un des attaquants, qui a retiré son masque et qui a révélé être un ami. Après l’attaque, le demandeur s’est rendu à l’hôpital pour recevoir des soins. La police l’y a alors interrogé au sujet de l’interaction avec son ami, et il a nié qu’une telle chose se fut produite. Le demandeur précise qu’il a par la suite été menacé par la police, par d’autres personnes en situation d’autorité, ainsi que par les hommes associés à l’attaque perpétrée dans la boîte de nuit.

[6] Le demandeur a pris des dispositions pour fuir le Sri Lanka avec l’aide d’un passeur en décembre 2015 et a demandé l’asile au Canada.

[7] Dans une décision datée du 3 janvier 2020, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur, la question déterminante étant l’identité du demandeur. La SPR a pris en compte les documents produits par le demandeur pour établir son identité, y compris les documents d’enregistrement de naissance, son permis de conduire et sa carte d’identité du marché aux poissons. Elle a souligné l’absence de caractéristiques de sécurité sur les documents de naissance et sur la carte d’identité du marché aux poissons, ainsi que le piètre état du permis de conduire.

[8] De plus, la SPR a souligné l’absence de documents d’identité importants, tels la carte d’identité nationale [la CIN] et le passeport du demandeur, ainsi que ce qu’elle a considéré comme des explications insatisfaisantes quant à ce qui était advenu de ces documents. La SPR a accordé peu de poids aux lettres provenant d’amis et de l’épouse du demandeur attestant son identité. En dernière analyse, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités au moyen d’éléments de preuve fiables et dignes de foi, et elle a rejeté sa demande d’asile. Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR.

III. La décision de la Section d’appel des réfugiés

[9] La SAR a rejeté l’appel interjeté par le demandeur dans une décision datée du 29 avril 2021.

[10] En ce qui concerne les documents d’identité du demandeur, la SAR a fait remarquer qu’aucun passeport n’avait été fourni et que le demandeur avait affirmé qu’il était possible que l’agent avec lequel il avait travaillé pour fuir le pays en eût demandé un pour lui, puisque cette personne détenait un passeport ayant servi à lui faire quitter le Sri Lanka. La SAR a souligné que, lorsqu’il a été invité à dire ce qui était advenu du passeport, le demandeur avait affirmé que l’agent l’avait gardé et qu’il n’avait pas tenté d’en obtenir une copie ou de l’obtenir de l’agent après son entrée au Canada, puisqu’ils n’étaient plus en contact.

[11] La SAR a conclu que l’absence d’éléments de preuve quant à la moindre tentative de la part du demandeur pour s’enquérir de ce qui était advenu du passeport ou pour vérifier si un passeport valide avait été délivré pour lui était déraisonnable, d’autant plus qu’il avait été interrogé à ce sujet lors de l’audience devant la SPR. La SAR a jugé que les explications fournies par le demandeur pour justifier l’absence d’efforts déployés en ce sens étaient insatisfaisantes, étant donné qu’il avait été avisé que la question de l’identité était en litige et qu’il était représenté par un conseil, qui, peut‑on supposer, l’avait sensibilisé à l’importance des documents d’identité. De plus, la SAR a fait remarquer que plus d’un an s’était écoulé depuis le rejet de sa demande d’asile par la SPR et que le demandeur n’avait toujours pas fait le moindre effort pour savoir ce qui était advenu de son passeport.

[12] Au sujet de la CIN du demandeur, la SAR a souligné que la SPR avait qualifié d’incohérent le témoignage du demandeur au sujet de ce qui était advenu du document. La SAR a pris en compte l’argument avancé par le conseil selon lequel les affirmations du demandeur n’étaient pas incohérentes, mais elle a jugé que le témoignage du demandeur sur ces questions était changeant et confus.

[13] La SAR a conclu que l’absence de la CIN du demandeur constituait un problème dans les circonstances. Elle a souligné l’affirmation faite par le demandeur devant la SPR selon laquelle le numéro de la CIN figurait aussi sur son certificat de naissance, son permis de conduire, sa carte du marché aux poissons et son certificat de résidence. La SAR a toutefois souscrit à la position de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de numéro de CIN sur le certificat de naissance. Quoi qu’il en soit, la SAR a jugé que le prétendu numéro de CIN, en soi, ne constituait pas une preuve suffisante de l’identité du demandeur. Elle a aussi conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve au dossier que le demandeur ait tenté de confirmer l’existence de sa CIN. La SAR a conclu que l’absence de la CIN du demandeur, ou, subsidiairement, d’explication raisonnable quant à ce qui était advenu du document, ainsi que l’absence de preuve d’efforts de sa part pour en confirmer l’existence, minaient davantage sa crédibilité quant à son identité.

[14] Au sujet du permis de conduire du demandeur, la SAR a accepté les conclusions de la SPR quant à la carte, dont le fait que celle‑ci était pâlie et que la puce biométrique avait été fixée au dos de la carte avec du ruban gommé. Elle a conclu que le mauvais état de la carte ne suffisait pas pour conclure que le document n’était pas authentique, mais que l’état dans lequel était le document posait problème pour ce qui était de sa capacité à confirmer l’identité du titulaire. Une fois de plus, la SAR a souligné que le demandeur n’avait fait aucun effort pour authentifier le permis de conduire, même s’il avait été avisé des préoccupations de la SPR. Elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel la SPR aurait pu faire authentifier le document, en soulignant qu’il incombe au demandeur de fournir des documents acceptables. Elle a conclu son analyse de la question en accordant peu de poids au permis de conduire.

[15] De plus, la SAR a accordé peu de poids aux documents d’enregistrement de naissance. Suivant sa propre analyse, elle a conclu qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute l’authenticité des documents, mais elle a affirmé que, même s’il s’agissait de documents authentiques, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour établir un lien entre le nom qui y figure et le demandeur. Elle a fait remarquer que les documents ne comportaient pas de renseignements biométriques permettant de lier avec fiabilité le document et le titulaire et elle a conclu que le fait qu’un document semble avoir été délivré au cours de l’année de naissance du demandeur ne constitue pas une preuve convaincante du lien entre le document et lui.

[16] En ce qui concerne la carte d’identité du marché aux poissons, la SAR n’a pas souscrit à l’analyse de la SPR concernant une divergence relevée dans le témoignage du demandeur quant au numéro d’étal de poissons. La SAR a conclu que cette divergence avait été expliquée de façon raisonnable et qu’elle ne suffisait pas pour mettre en doute l’authenticité du document. Elle a toutefois conclu que la carte n’était pas délivrée par le gouvernement, qu’elle contenait une photographie qui n’était pas visible et qu’elle ne comportait pas de caractéristiques de sécurité ni de renseignements biométriques.

[17] Enfin, la SAR a accordé peu de poids aux lettres de l’épouse du demandeur, au sujet desquelles elle a jugé qu’elles n’abordaient pas les efforts déployés par le demandeur et elle pour obtenir des documents d’identité. De même, elle a accordé peu de poids aux lettres envoyées par l’ami du demandeur et par le centre missionnaire bouddhiste de Brampton, ainsi qu’aux certificats de moralité, étant donné que ces documents n’avaient pas été faits sous serment et ne comportaient aucune caractéristique d’authentification.

[18] En rejetant l’appel, la SAR a conclu que l’ensemble de la preuve présentée ne suffisait pas pour établir l’identité du demandeur. De plus, elle a estimé que le demandeur n’avait pas fourni d’explications raisonnables concernant l’absence de documents d’identité suffisants ni démontré qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour obtenir des documents d’identité, et ce, en dépit du fait qu’il se trouvait au Canada depuis plus de cinq ans, qu’il était représenté par un conseil, qu’il avait été dûment avisé des réserves de la SPR au sujet de son identité et qu’il avait eu amplement le temps de le faire.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[19] Le demandeur soulève deux questions pour examen par la Cour :

  1. La Cour devrait‑elle admettre en preuve de nouveaux éléments au sujet de l’identité du demandeur?

  2. La décision de la SAR était‑elle raisonnable?

[20] Aucune norme de contrôle ne s’applique à la question de savoir si la Cour devrait admettre de nouveaux éléments de preuve. Comme le laisse entrevoir la formulation de la seconde question en litige, le fond de la décision de la SAR est assujetti à la norme de la décision raisonnable.

V. Analyse

A. La Cour devrait‑elle admettre en preuve de nouveaux éléments au sujet de l’identité du demandeur?

[21] À l’appui de la présente demande, le demandeur a exécuté un affidavit en date du 25 juin 2021, dans lequel il affirme que sa conjointe de fait s’était récemment rendue au complexe abritant son état de poissons et avait pu récupérer sa CIN originale. Sa conjointe lui a envoyé la carte par service de messagerie, et l’affidavit est accompagné d’une copie de la CIN et de l’enveloppe du service de messagerie, pièces que le demandeur tente de faire admettre en preuve dans la présente demande de contrôle judiciaire. De plus, il fournit dans son affidavit des explications quant aux raisons pour lesquelles sa conjointe n’avait pas pu obtenir la CIN plus tôt.

[22] Les deux parties invoquent l’arrêt Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 [Première nation Namgis] de la Cour d’appel fédérale au para 7, lequel explique que la règle générale, sous réserve de quelques exceptions, veut que les seuls documents admissibles lors d’un contrôle judiciaire soient ceux qui ont été produits au décideur administratif. La cour de révision doit rejeter toute tentative de dépôt d’éléments de preuve intéressant le fond d’une décision administrative et dont ne disposait pas le décideur.

[23] Cependant, le demandeur souligne que l’arrêt Première nation Namgis explique aussi que la règle générale doit être appliquée avec souplesse, qu’elle admet des exceptions et qu’y sont énoncées des catégories précises (aux para 8‑10). Il soutient que la présente affaire constitue une situation exceptionnelle, en ce sens que la CIN est l’un des principaux documents d’identité, dont l’incapacité du demandeur à le produire a amené la SAR à rejeter l’appel, et que le document est maintenant disponible. Il affirme que, maintenant que le document est disponible, la question de son identité peut désormais être résolue ou, à tout le moins, être mieux appréciée par la SAR.

[24] Je conviens que la règle générale, qui empêchait l’admission en preuve de nouveaux éléments en contrôle judiciaire, doit être appliquée avec souplesse et que les catégories d’exceptions reconnues dans des décisions antérieures ne sont pas exhaustives. Toutefois, il est expliqué dans l’arrêt Première nation Namgis que les exceptions s’appliquent lorsque l’admission d’éléments de preuve par la cour de révision n’est pas incompatible avec les rôles différents joués par la cour de révision et par le tribunal administratif (au para 9). Par exemple, les affidavits servent parfois à attirer l’attention de la cour sur des lacunes en matière de procédure ne pouvant être décelées dans le dossier de preuve du tribunal administratif, ce qui permet à la cour de s’acquitter de sa fonction d’examiner les questions d’équité procédurale (voir, par exemple, l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20).

[25] En revanche, le but dans lequel le demandeur cherche à faire admettre en preuve la CIN est directement lié au bien‑fondé de sa demande d’asile, dont l’appréciation revient à la SAR. Il serait incompatible avec les rôles différents joués par la SAR et la Cour en contrôle judiciaire d’admettre en preuve cet élément dont ne disposait pas la SAR.

[26] Je constate que le demandeur prétend aussi que cet élément de preuve est pertinent eu égard à ce qui, d’après lui, constitue une question d’équité procédurale dans la décision de la SAR. Il fonde son affirmation sur la décision Nchelem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1162 [Nchelem] aux para 13‑15, laquelle invoquait l’exception qui s’applique lorsque l’élément de preuve est produit à l’appui d’une allégation intéressant l’équité procédurale. En l’espèce, la Cour a admis en preuve une lettre qui n’avait pas été soumise à l’agent chargé de l’examen d’une demande de permis de travail postdiplôme, parce qu’elle faisait ressortir les éléments de preuve que le demandeur aurait pu présenter à l’agent si ce dernier lui avait donné la possibilité de le faire.

[27] Cependant, le raisonnement sous‑tendant la décision Nchelem reposait sur la conclusion de la Cour selon laquelle l’agent avait une obligation d’équité envers le demandeur consistant à l’informer de sa réserve selon laquelle les stages pratiques effectués par le demandeur équivalaient à travailler sans autorisation au Canada, de manière à lui donner la possibilité d’y répondre. Le problème, lorsque le demandeur invoque la décision Nchelem, tient au fait que l’argument qu’il avance en l’espèce ne relève pas, en fait, de l’équité procédurale.

[28] Le demandeur prétend que la SPR a manqué au principe d’équité procédurale en ce sens qu’elle a scruté sa preuve à la loupe et lui a imposé un seuil plus élevé que la norme appropriée quant aux éléments de preuve nécessaires pour établir son identité. Le demandeur invoque la décision Sheikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 176, dans laquelle la Cour a jugé que la façon dont la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait traité les éléments de preuve documentaire constituait un manquement à l’équité procédurale. La Cour a souligné que, bien qu’il incombe généralement au demandeur de démontrer le bien‑fondé de sa demande, on ne peut prévoir à quel point le tribunal sera exigeant. Étant donné qu’un document qui semble provenir d’une autorité étrangère est valide a priori, l’équité procédurale commandait que le demandeur soit informé des doutes du tribunal et ait la possibilité de les dissiper (aux para 9‑10).

[29] Je conviens que, lorsqu’un décideur doute de l’authenticité d’un document, cela peut donner naissance à une obligation d’équité procédurale consistant à informer le demandeur de ce doute et à lui donner la possibilité de le dissiper. Toutefois, ce principe ne s’applique pas au raisonnement de la SAR en l’espèce, qui ne reposait pas sur l’authenticité des éléments de preuve sur lesquels se fondait le demandeur, mais plutôt sur leur valeur probante dans l’établissement de son identité.

[30] À l’appui de sa position selon laquelle la SAR lui a imposé un seuil plus élevé que la norme appropriée en ce qui concerne les éléments de preuve nécessaires pour établir son identité, le demandeur renvoie aussi à des décisions dans lesquelles le rejet des demandes d’asile fondées sur des catégories de documents semblables à celles présentées par le demandeur, avait été jugé déraisonnable. Par exemple, dans la décision Kathirkamu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 409 [Kathirkamu] au para 36, la Cour a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur dans la façon dont elle avait traité les documents d’identité du demandeur, qui comprenaient un certificat de naissance et une carte d’identité postale. La Cour a conclu que le tribunal avait appliqué une norme abusive et arbitraire à ces documents d’identité, en les rejetant parce que rien ne prouvait qu’ils constitueraient des substituts convenables d’une CIN pour les autorités sri‑lankaises. Toutefois, pour la Cour, cette conclusion n’est pas une question d’équité procédurale, et je ne la considérerais pas comme telle non plus.

[31] De plus, le demandeur invoque, à titre d’exemple supplémentaire, la décision Shokunbi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 557 [Shokunbi] aux para 11‑14, dans laquelle la Cour a jugé que le rejet d’un permis de conduire en tant que preuve d’identité de la demanderesse par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était manifestement déraisonnable. Cependant, là encore, la Cour ne considère pas cette question comme intéressant l’équité procédurale. En fait, les termes utilisés par la Cour montrent que celle‑ci analysait le caractère raisonnable de la décision de la Commission, quoiqu’au regard de la norme de la décision manifestement raisonnable qui s’appliquait au droit administratif de l’époque.

[32] Je reviendrai sur ces décisions plus loin dans les présents motifs, lorsque j’apprécierai les arguments avancés par le demandeur quant au caractère raisonnable de la décision de la SAR. Toutefois, aux fins de la présente affaire, je conclus qu’elles n’aident pas la cause du demandeur lorsque celui‑ci affirme que ses arguments soulèvent des questions d’équité procédurale permettant la présentation de nouveaux éléments de preuve. Les arguments du demandeur se rapportent à l’appréciation des éléments de preuve effectuée par la SAR, et le nouvel élément de preuve, la CIN, ne peut pas servir à contester cette appréciation (voir Nchelem, au para 14).

[33] Enfin, le demandeur invoque la décision Omar c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1740 [Omar] aux para 7‑8, dans laquelle le juge Pinard a conclu que des circonstances très exceptionnelles justifiaient une entorse au principe général de l’exclusion de la preuve extrinsèque que le décideur avait devant lui. Le juge était saisi d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR); il avait auparavant dans ce dossier instruit une demande de sursis au renvoi, à laquelle il avait fait droit. À l’appui de ses observations sur le préjudice irréparable formulées dans le cadre de la demande de sursis au renvoi, le demandeur avait présenté de nouveaux éléments de preuve de risques dont ne disposait pas l’agent d’ERAR. Lorsqu’il a, par la suite, examiné la demande elle‑même, le juge Pinard a conclu qu’il fallait examiner ces nouveaux éléments de preuve avant le renvoi du demandeur et a renvoyé l’affaire à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision.

[34] Il n’est pas clairement mentionné dans la décision Omar si le juge avait relevé une erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent d’ERAR. En fait, l’issue de cette affaire semble reposer sur le fait que, en accordant un sursis au renvoi, la Cour elle‑même avait conclu, sur la foi des nouveaux éléments de preuve, que le demandeur serait exposé à des risques sérieux à sa vie et/ou à sa sécurité, s’il était renvoyé du Canada. À la lumière de cette conclusion, la Cour a jugé qu’un autre ERAR devait être effectué. Je souscris à l’observation formulée par le défendeur selon laquelle la décision Omar est différente de l’espèce, puisque la SPR, la SAR ou la Cour n’ont pas conclu que le demandeur était exposé à des risques. La présente affaire tombe carrément sous le coup de la règle générale selon laquelle de nouveaux éléments ne peuvent pas être admis en preuve dans un contrôle judiciaire.

B. La décision de la SAR était‑elle déraisonnable?

[35] Comme il est mentionné précédemment, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en lui imposant un fardeau plus élevé quand il s’agissait de prouver son identité. Il cite un grand nombre de décisions à l’appui de sa position. Le défendeur soutient que, même si le demandeur relève de nombreuses affaires dans lesquelles la Cour a conclu que le décideur compétent avait commis une erreur dans l’appréciation des documents d’identité, cette approche eu égard à la contestation de la décision rendue par la SAR n’aide pas sa cause, puisque le demandeur n’a pas démontré que ces affaires sont analogues aux faits à l’espèce.

[36] J’estime très judicieuse la façon dont le défendeur décrit les observations formulées par le demandeur. Par exemple, le demandeur cite quelques décisions relativement au principe voulant que les documents délivrés par un État étranger soient réputés être valides. Comme il est mentionné précédemment dans les présents motifs, ce principe n’aide pas la cause du demandeur, puisque l’analyse effectuée par la SAR concernait le caractère suffisant des éléments de preuve relatifs à l’identité, et non pas les conclusions quant à leur authenticité.

[37] De même, et, encore, comme il a été mentionné précédemment, le demandeur renvoie aussi à des décisions dans lesquelles le rejet des demandes d’asile fondées sur des catégories de documents semblables à celles qu’il a présentées avait été jugé déraisonnable (voir, par exemple, les décisions Kathirkamu, au para 36; Shokunbi, aux para 11‑14; Selvarasu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 849 au para 34; Ratheeskumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1232 au para 28‑30). Cependant, chacune de ces décisions reposait sur des erreurs susceptibles de contrôle précises que la Cour avait relevées dans le raisonnement du décideur administratif. Elles ne soutiennent aucune proposition générale selon laquelle il est déraisonnable que la SPR ou la SAR refuse d’accepter telle ou telle catégorie de documents comme étant des éléments de preuve suffisants quant à l’identité d’un demandeur d’asile.

[38] Je ne crois pas que les décisions citées par le demandeur minent le caractère raisonnable du raisonnement particulier sur lequel la SAR a fondé sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité. La SAR a conclu que l’ensemble des éléments de preuve présentés par le demandeur ne suffisait pas pour établir son identité, c.‑à‑d. qu’il n’avait pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il est bel et bien qui il prétend être. En ce qui concerne les principaux documents d’identité sur lesquels se fonde le demandeur (le permis de conduire, ses documents de naissance, et la carte d’identité du marché aux poissons), la conclusion de la SAR repose en grande partie sur le fait qu’elle ne peut pas établir un lien entre ces documents et le demandeur. La SAR a pris en compte ces documents et le témoignage du demandeur relativement aux documents et a exposé les raisons pour lesquelles elle ne leur avait pas accordé un poids suffisant pour établir son identité. Comme le soutient le défendeur, le demandeur n’est pas d’accord avec le poids qui a été accordé aux éléments de preuve qu’il a produits, mais cela n’est pas une raison pour que la Cour intervienne en contrôle judiciaire.

[39] De plus, il ressort clairement des faits que la décision rendue par la SAR reposait de façon considérable sur sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas donné d’explications raisonnables quant à son incapacité à fournir une copie de son passeport ou de sa CIN et, plus particulièrement, sur son omission de démontrer qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour obtenir ces documents, même s’il se trouvait au Canada depuis plus de cinq ans, qu’il était représenté par un conseil et qu’il avait été dûment informé des doutes qu’avait la SPR quant à son identité. Là encore, le demandeur ne souscrit pas à la conclusion de la SAR, mais l’argument qu’il avance ne mine pas le caractère raisonnable de l’analyse effectuée par celle‑ci. Il affirme qu’il dispose désormais de sa CIN et que cela montre qu’il a déployé des efforts suffisants pour obtenir des documents d’identité. Cependant, comme il est expliqué précédemment dans les présents motifs, cet élément de preuve n’était pas devant la SAR et ne peut pas aider le demandeur à contester la décision rendue par celle‑ci.

[40] Puisque j’ai conclu que la SAR n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3563‑21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3563‑21

INTITULÉ :

WASANTHA SARAMBAGE JAYARATHNA

C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR vidÉoconfÉrence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge SOUTHCOTT.

DATE DES MOTIFS :

le 16 juin 2021

COMPARUTIONS :

Yasin Ahmed Razak

POUR LE DEMANDEUR

 

Idorenyin Udoh‑Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Razak Law

Etobicoke (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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