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Date : 20220624


Dossier : IMM-5820-21

Référence : 2022 CF 956

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

Juan Alfonso GARCIA CORRALES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Juan Alfonso Garcia Corrales, est un citoyen mexicain de 38 ans qui craint d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle et de son appartenance à un groupe social découlant de sa relation avec un journaliste mexicain. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 juillet 2021, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision rendue le 6 janvier 2021 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait conclu que M. Garcia Corrales n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, les éléments importants de sa demande d’asile. La SAR a relevé des incohérences et des contradictions entre le formulaire Fondement de la demande d’asile initial [le formulaire FDA] de M. Garcia Corrales, l’addenda à son récit [le formulaire FDA modifié] et son témoignage sur des faits clés au cœur de sa demande d’asile; les documents qu’il a fournis à l’appui n’ont pas dissipé ces préoccupations liées à la crédibilité.

[2] Je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse de la SAR et dans son appréciation de la preuve. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte et les décisions administratives sous-jacentes

[3] M. Garcia Corrales est un homme gai de Veracruz, au Mexique. Il est arrivé au Canada le 19 janvier 2019, et a demandé l’asile le 12 février 2019. Dans son formulaire FDA — qu’il a rempli sans l’aide d’un conseil — M. Garcia Corrales a affirmé que sa famille l’avait rejeté en raison de son orientation sexuelle, qu’il avait été victime de discrimination dans son lieu de travail, et qu’il vivait dans la peur à cause de la violence généralisée visant les homosexuels au Mexique et du fait que la police n’est que peu ou pas disposée à protéger les homosexuels d’une telle violence. Il soutient que, en 2011, son employeur l’a congédié en raison de son orientation sexuelle. Il a ensuite décidé de déménager à Mexico, mais craignait toujours d’être la cible de violence sans pouvoir faire appel à la protection de la police. En 2017, M. Garcia Corrales a déménagé à Querétaro pour une possibilité d’emploi. Il affirme que tout semblait bien aller pendant deux ans, mais qu’il subissait encore de la discrimination et ne se sentait pas en sécurité en raison de son orientation sexuelle.

[4] Le 13 mars 2020, après avoir retenu les services d’un conseil, M. Garcia Corrales a déposé un formulaire FDA modifié pour approfondir ses observations antérieures concernant la discrimination qu’il avait vécue toute sa vie, l’intimidation de la part d’autres enfants et son rejet par sa famille. Il a également ajouté, dans son formulaire FDA modifié, qu’il était visé par le crime organisé en raison de sa relation avec Francisco Xavier Mortera, un journaliste gai qu’il avait rencontré en 2018 à Veracruz. Selon M. Garcia Corrales, M. Mortera lui a dit, en octobre 2018, qu’il recevait des menaces depuis des mois de la part d’une organisation criminelle en raison de son travail de journaliste. Malgré le fait que M. Mortera a affirmé que la police locale le protégeait, il a suggéré à M. Garcia Corrales de ne pas lui rendre visite à Veracruz pendant un certain temps; ils se rencontraient plutôt à Querétaro ou à Mexico. En décembre 2018, M. Garcia Corrales est retourné à Veracruz pour célébrer Noël, mais M. Mortera a reçu un appel téléphonique au cours duquel des individus ont menacé de faire du mal à M. Garcia Corrales si M. Mortera ne cessait pas de publier certains articles de presse. M. Mortera soupçonnait que les policiers qui étaient censés le protéger étaient ceux qui donnaient des informations à l’organisation criminelle en question; il a demandé à la police de remplacer les agents, mais cela a poussé les autorités à cesser complètement d’offrir une protection policière. M. Garcia Corrales est retourné à Querétaro, mais M. Mortera a continué à recevoir des appels téléphoniques dans les jours qui ont suivi, au cours desquels des individus ont menacé M. Garcia Corrales et mentionné qu’ils savaient où celui-ci vivait et travaillait.

[5] Comme il a été mentionné précédemment, M. Garcia Corrales, en quête de sécurité, a quitté le Mexique pour le Canada en janvier 2019, et est entré au Canada muni d’un visa de visiteur délivré environ 15 mois plus tôt, en octobre 2017. Il a demandé l’asile le 12 février 2019, affirmant qu’il ne l’avait pas fait immédiatement à son entrée au Canada parce qu’il espérait que M. Mortera vienne le rejoindre.

[6] La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Garcia Corrales pour des motifs liés à la crédibilité. La SPR a pris acte du fait que M. Garcia Corrales est homosexuel, mais elle a constaté qu’il n’avait pas (1) fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir qu’il avait besoin de protection du fait de son orientation sexuelle, (2) établi de lien avec un groupe social en tant que membre de la famille d’un journaliste, ou (3) établi qu’il avait été ciblé à cause de sa relation avec M. Mortera.

[7] Plus précisément, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité en raison d’incohérences entre le formulaire FDA de M. Garcia Corrales, son formulaire FDA modifié et son témoignage. Tout d’abord, l’élément essentiel de sa demande d’asile — c’est-à-dire le fait qu’il entretenait une relation avec M. Mortera, qui recevait des menaces visant M. Garcia Corrales — n’a pas été mentionné dans son formulaire FDA. La SPR a rejeté l’explication de M. Garcia Corrales selon laquelle celui-ci pensait initialement qu’une description générale des faits suffisait pour étayer sa demande. La SPR a également conclu qu’il serait peu logique pour M. Garcia Corrales de ne pas mentionner, même de façon générale, l’élément clé qui l’avait forcé à fuir le Mexique. De plus, la SPR a jugé que les déclarations dans une lettre d’un des amis de M. Garcia Corrales étaient incompatibles avec le formulaire FDA modifié de celui-ci — l’ami avait déclaré avoir été présent lorsque M. Garcia Corrales avait reçu un appel téléphonique menaçant, alors que celui-ci n’a jamais mentionné, dans son formulaire FDA modifié, avoir reçu des menaces directes. Lorsque la SPR l’a interrogé au sujet de cette incohérence, M. Garcia Corrales a affirmé qu’il recevait des appels téléphoniques et des messages textes menaçants depuis octobre 2018, et qu’il en avait informé M. Mortera. Aux réserves de la SPR s’ajoute le fait que M. Garcia Corrales n’a présenté aucun des messages textes menaçants qu’il aurait reçus; il semblerait que son téléphone ne les ait pas sauvegardés. La SPR a jugé que cette explication n’était pas crédible.

[8] De plus, la SPR a conclu que l’affirmation selon laquelle M. Garcia Corrales n’avait pas signalé les menaces à la police parce qu’il était gai n’était pas crédible, étant donné que M. Mortera, qui serait aussi homosexuel, était sous la protection de la police. M. Garcia Corrales a également témoigné du fait que M. Mortera était toujours sous la protection de la police, en contradiction avec son formulaire FDA modifié, dans lequel il a déclaré que la police avait complètement cessé d’offrir une protection. Interrogé au sujet de cette contradiction, M. Garcia Corrales a tenté d’expliquer que la protection de la police avait cessé, mais qu’elle avait ensuite été rétablie. La SPR a conclu que M. Garcia Corrales changeait son témoignage au fil des questions dans le but de trouver une réponse pouvant remédier aux lacunes de sa preuve.

[9] De plus, la SPR a jugé que les éléments de preuve démontrant la relation entre M. Mortera et M. Garcia Corrales ne permettaient pas d’établir que cette relation correspondait à la définition d’une famille, de manière à permettre à M. Garcia Corrales d’être membre d’un groupe social cherchant la protection. M. Mortera a déclaré, dans sa lettre soumise à la SPR, que M. Garcia Corrales et lui se connaissaient depuis plus de dix ans et qu’ils avaient une [traduction] « belle amitié qui [était] devenue plus tard une relation amoureuse très importante », mais qu’ils [traduction] « [avaient] décidé d’avoir une amitié solide, se laissant […] l’occasion d’agir librement dans chacune de [leurs] vies respectives », car M. Garcia Corrales avait des possibilités d’emploi qui l’avaient amené à résider dans un autre État. De plus, la SPR a noté que M. Mortera n’avait fait aucune mention dans sa lettre de menaces de mort de la part de membres d’une organisation criminelle contre M. Garcia Corrales.

[10] Sur la base de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR a conclu que rien n’appuyait l’affirmation selon laquelle une organisation criminelle ferait du mal à M. Garcia Corrales à son retour au Mexique. En particulier, la SPR a noté que l’agent de persécution restait non identifié. La SPR n’a pas non plus accordé de valeur probante aux autres lettres à l’appui fournies par les amis de M. Garcia Corrales, car elles étaient insuffisantes pour remédier aux conclusions défavorables qu’elle avait tirées quant à la crédibilité. Enfin, la SPR a examiné les conditions au Mexique pour les hommes homosexuels, mais a jugé que M. Garcia Corrales n’avait pas établi, au moyen d’éléments de preuve crédibles, qu’il était personnellement exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque. Les actes de discrimination dont il a été victime ne constituaient pas collectivement de la persécution et, malgré le fait que la SPR a reconnu que les journalistes du Mexique étaient exposés à un risque, M. Garcia Corrales n’a pas fourni de preuve crédible pour établir qu’il était ciblé en raison de son amitié avec M. Mortera, ou que celui-ci était lui-même ciblé.

[11] Dans la décision datée du 28 juillet 2021, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison de juger que la demande d’asile de M. Garcia Corrales n’était pas crédible. Devant la SAR, M. Garcia Corrales a soutenu, entre autres arguments, que l’attitude de la SPR à son égard concernant ses efforts pour obtenir la protection de l’État n’avait pas respecté les Directives numéro 9 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulées Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [les Directives sur l’OSIGEG] — je dois souligner que le titre des Directives numéro 9 a depuis été élargi pour inclure les caractères sexuels, et que l’acronyme est maintenant OCSIEG. M. Garcia Corrales a témoigné du fait que M. Mortera était sous la protection de la police, et que celui-ci avait déclaré dans sa lettre que le demandeur et lui avaient déjà alerté la police lorsqu’ils avaient été agressés verbalement dans un restaurant en août 2018. Par conséquent, la SAR a jugé que les questions posées à l’audience par la SPR au sujet des raisons pour lesquelles M. Garcia Corrales n’avait pas signalé les menaces de mort à la police ne contrevenaient pas aux Directives sur l’OSIGEG.

[12] La SAR a conclu que la SPR n’avait pas non plus commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité en relevant des incohérences qui étaient au cœur de la demande d’asile de M. Garcia Corrales. Bien que le fait que celui-ci n’était pas initialement représenté par un conseil puisse expliquer une partie des incohérences entre son formulaire FDA et son formulaire FDA modifié, la SAR a noté que la SPR avait relevé d’autres incohérences entre son formulaire FDA modifié et son témoignage à un moment où il était représenté par un conseil, ce qui appuyait une conclusion de manque de crédibilité. Quoi qu’il en soit, le changement dans le récit de M. Garcia Corrales quant à la peur sous-jacente l’ayant mené à fuir le Mexique n’a pas été expliqué de manière satisfaisante. Par conséquent, la SAR a conclu que l’appréciation par la SPR de la crédibilité n’avait pas été, comme l’a affirmé M. Garcia Corrales, excessivement vigilante et pointue, et que les incohérences relevées avaient effectivement miné la crédibilité du demandeur. En outre, après avoir examiné la transcription de l’audience, la SAR a jugé que les questions posées par la SPR ne prêtaient pas à confusion et n’étaient pas inappropriées, et que M. Garcia Corrales avait fourni des réponses qui avaient semé la confusion.

[13] De plus, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en demandant à M. Garcia Corrales d’identifier l’agent de persécution, car il avait fourni peu de détails sur les individus qui avaient proféré les menaces contre lui et sur les raisons pour lesquelles ceux-ci l’avaient fait. M. Garcia Corrales avait clairement le fardeau d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile en présentant suffisamment d’éléments de preuve crédibles. La SAR a également jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse de l’appartenance de M. Garcia Corrales à un groupe social en tant que membre de la famille de M. Mortera, compte tenu des déclarations faites par celui-ci dans sa lettre.

[14] La SAR a aussi conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que la preuve corroborante manquait de valeur probante. La SAR a examiné de façon indépendante la preuve, à savoir les lettres rédigées par les amis du demandeur, et a conclu que celles-ci ne fournissaient pas suffisamment de détails pour établir les éléments essentiels de la demande d’asile de M. Garcia Corrales. Enfin, la SAR était d’accord avec la SPR pour dire que M. Garcia Corrales ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution en raison de son homosexualité s’il retournait au Mexique, car la preuve documentaire objective n’établissait pas que la discrimination que subissaient les homosexuels au Mexique équivalait à de la persécution.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[15] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable. Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à l’appréciation du bien-fondé de la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16, 17; Jayasinghe Arachchige c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 509 aux para 28-30). Le caractère raisonnable tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du raisonnement suivi par le décideur (Vavilov, au para 99). La Cour doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov, au para 125, citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55).

IV. Analyse

A. La SPR n’a pas tiré de conclusions déraisonnables quant à la crédibilité

[16] M. Garcia Corrales soutient que la SAR a commis une erreur en relevant des incohérences entre son formulaire FDA et son formulaire FDA modifié, puisqu’il n’était pas représenté par un conseil lorsqu’il avait rempli son formulaire FDA initial. Il soutient également que les allégations dans son formulaire FDA modifié ne venaient que s’ajouter à son formulaire FDA initial, et que le défaut de mentionner dans celui-ci sa relation avec M. Mortera et le fait qu’il avait fui le Mexique en raison de menaces de mort était simplement [traduction] « une incohérence mineure ». Je ne suis pas convaincu que de telles omissions sont, comme le fait valoir M. Garcia Corrales, dues à des trous de mémoire. De plus, il ne s’agit pas d’une situation où la SAR n’a pas expliqué, en se référant à la preuve, les raisons pour lesquelles les différentes versions de la preuve de M. Garcia Corrales étaient incompatibles, ni pourquoi ces incohérences lui faisaient perdre sa crédibilité (voir par ex Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 627 au para 26). Il ne s’agit pas non plus d’un cas où les versions de la preuve n’étaient pas à ce point différentes qu’il fallait remettre en question la crédibilité de M. Garcia Corrales (voir par ex Hyka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 220 au para 15); dans ce cas-ci, les versions de la preuve étaient « à ce point différentes ».

[17] En l’espèce, le fondement de la crainte d’être persécuté est passé du danger auquel sont généralement exposés les homosexuels au Mexique — étayé par des éléments de preuve démontrant la discrimination dans l’emploi et les attitudes sociales — au fait que M. Garcia Corrales avait personnellement été menacé, en raison de sa relation avec un journaliste, par des criminels inconnus et non identifiés qui étaient associés au crime organisé. Je peux difficilement décrire ce changement comme un simple ajout sur le même sujet, ou comme un ajout à un récit initial. Le fait que M. Mortera soit également gai n’est qu’une simple coïncidence, car la preuve démontre qu’il aurait été ciblé à cause de son travail de journaliste.

[18] La SAR était d’accord avec la SPR au sujet des différences importantes entre les récits de M. Garcia Corrales et le témoignage qu’il avait présenté par la suite. La SAR a aussi clairement expliqué, en se référant à la preuve, les raisons pour lesquelles les récits et le témoignage de M. Garcia Corrales étaient incompatibles, et pourquoi ces incohérences ont miné sa crédibilité. Selon la SAR, ces incohérences touchaient à l’essentiel de la demande d’asile de M. Garcia Corrales, et je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[19] M. Garcia Corrales fait en outre valoir que, bien qu’une partie de son témoignage prêtait à confusion, il a fourni des précisions sur la chronologie des menaces que M. Mortera et lui avaient reçues. Il soutient aussi que la SAR a déraisonnablement conclu que son témoignage prêtait à confusion, malgré le fait qu’il a mentionné plusieurs fois ne pas comprendre les questions posées. Je ne suis pas d’accord avec M. Garcia Corrales pour dire que la SAR a déraisonnablement retenu contre lui son témoignage qui portait à confusion. La SPR avait questionné M. Garcia Corrales sur les appels téléphoniques et les messages textes menaçants qu’il avait témoigné avoir reçus — malgré le fait qu’il ne les avait pas mentionnés dans son formulaire FDA initial ou modifié. Je n’ai pas été convaincu que la SPR ne lui a pas permis de clarifier ses déclarations contradictoires antérieures. Lorsqu’un demandeur d’asile ne mentionne pas certains faits importants dans son formulaire FDA, cela peut légitimement être considéré comme une omission qui porte atteinte à sa crédibilité (Grinevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 444 (QL) au para 4). De plus, en lisant les passages pertinents, je ne vois rien de mal dans la conclusion selon laquelle M. Garcia Corrales changeait son témoignage dans le but de justifier de telles incohérences.

[20] Devant moi, M. Garcia Corrales fait également valoir qu’il n’était pas raisonnable pour la SPR de contester le fait que son téléphone n’avait pas sauvegardé ses messages textes. Dans son témoignage, il a d’abord déclaré que son téléphone avait été mis hors service et que ses messages avaient été supprimés, mais, à mesure que des questions continuaient d’être posées à ce sujet, il a semblé laisser entendre que son téléphone n’avait jamais stocké ses messages textes. Après avoir examiné le témoignage, je ne peux pas reprocher à la SPR d’avoir conclu que l’explication de M. Garcia Corrales pour ne pas avoir produit les messages textes supposément menaçants n’était pas crédible. Il serait raisonnable de penser que la première chose à faire aurait été de conserver les éléments de preuve relatifs à la persécution une fois que M. Garcia Corrales est arrivé au Canada et a présenté sa demande d’asile — ce qui, à ce moment-là, n’était que deux mois après la réception des messages de menace allégués. Quoi qu’il en soit, la question n’a pas été abordée par la SAR. Quant au fait que M. Garcia Corrales a contesté les questions posées par la SPR sur la possibilité de se prévaloir de la protection de la police au Mexique, la SAR a conclu, après avoir examiné la transcription de l’audience, que les questions de la SPR ne portaient pas à confusion et n’étaient pas inappropriées. Je ne relève rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAR.

[21] Enfin, M. Garcia Corrales affirme que la SAR a commis une erreur en tenant compte de son défaut d’identifier les agents de persécution lorsqu’elle a apprécié sa crédibilité. Il fait valoir qu’un demandeur n’a pas besoin d’identifier les agents de persécution pour que soit accueillie une demande présentée au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Je suis d’accord. Toutefois, M. Garcia Corrales avait néanmoins le fardeau d’établir, en fournissant suffisamment d’éléments de preuve crédibles, qu’il était exposé à une possibilité sérieuse de persécution aux termes de l’article 96. La SAR a conclu qu’il n’avait fourni que peu de détails sur les individus qui avaient proféré des menaces contre lui, et les raisons pour lesquelles ils l’avaient fait; il n’était pas seulement question du défaut d’identifier les agents allégués de persécution, mais aussi du fait de ne pas avoir établi le fondement de sa crainte. Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de modifier la conclusion de la SAR (Vavilov, au para 125; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 783 au para 41), et je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

B. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas membre d’un groupe social

[22] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle M. Garcia Corrales n’appartenait pas à un groupe social en tant que membre de la famille d’un journaliste. M. Garcia Corrales soutient que cette analyse était lacunaire, car la SAR s’attendait de façon déraisonnable à ce qu’il fournisse des détails non pertinents sur ses projets de mariage et a mal interprété la lettre fournie par M. Mortera. Devant moi, il fait plutôt valoir que ce ne sont pas tous les homosexuels qui rendent leurs projets de mariage publics. C’est peut-être le cas, mais s’il y avait des projets de mariage, je peux difficilement accepter que ceux-ci ne soient pas pertinents, alors que le fondement même de la demande d’asile de M. Garcia Corrales était la relation familiale qu’il alléguait avoir avec M. Mortera. Le fait que la lettre de M. Mortera ne mentionne aucunement de tels projets est également troublant. Une [traduction] « amitié solide » n’établit pas que la relation entre M. Mortera et M. Garcia Corrales équivalait à une relation familiale, et M. Garcia Corrales n’a fourni aucune preuve de leurs fiançailles alléguées. En fin de compte, M. Garcia Corrales demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Je ne relève rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAR.

C. La SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de la preuve corroborante

[23] Bien qu’il admette que la SAR a examiné de façon exhaustive les lettres de ses amis, M. Garcia Corrales soutient en outre que la SAR a souscrit de façon déraisonnable aux conclusions de la SPR en ne tenant pas compte de ces lettres, et qu’elle « est tombé[e] dans le piège courant qui consiste à rejeter des éléments de preuve en raison de ce qu’ils ne disent pas » (citant Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 49). Je ne suis pas d’accord. La SAR a jugé que la SPR avait examiné la preuve corroborante et procédé à une appréciation indépendante des lettres. Elle a conclu que, bien que les lettres présentées en preuve par M. Garcia Corrales faisaient référence à certaines des questions qu’il avait soulevées, elles n’établissaient pas certains éléments essentiels de sa demande. La SAR n’a pas écarté les lettres, mais les a acceptées d’emblée. Celles-ci n’ont pas permis de surmonter les problèmes de crédibilité découlant des incohérences entre le formulaire FDA de M. Garcia Corrales, son formulaire FDA modifié et son témoignage. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion était déraisonnable.

D. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution en tant qu’homosexuel au Mexique

[24] M. Garcia Corrales fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve documentaire objectifs contenus dans le cartable national de documentation [le CND]. Il invoque également la décision Ramirez Cueto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 954, rendue par notre Cour, dans laquelle la juge Heneghan a conclu que la SAR n’avait pas tenu compte des éléments de preuve qui avaient été acceptés par la SAR dans une autre affaire portant sur l’orientation sexuelle. Toutefois, en l’espèce, aucun [traduction] « autre élément de preuve » de ce genre n’a été présenté à la SAR, alors celle-ci n’était pas obligée d’en tenir compte. Quoiqu’il en soit, je conclus que la SAR a raisonnablement jugé que les éléments de preuve sur les conditions dans le pays contenus dans le CND n’établissaient pas que M. Garcia Corrales serait persécuté au Mexique en raison de son orientation sexuelle. La SAR a conclu que les documents sur lesquels s’appuyait M. Garcia Corrales n’établissaient pas que la discrimination à laquelle étaient exposés les homosexuels au Mexique équivalait à de la persécution, et je n’ai pas été convaincu que cette conclusion est déraisonnable.

V. Conclusion

[25] Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5820-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christopher Cyr


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5820-21

 

INTITULÉ :

JUAN ALFONSO GARCIA CORRALES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

le 24 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Yelda Anwari

Pour le demandeur

Amy King

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anwari Law

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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