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Date : 20220525


Dossier : T-1488-20

Référence : 2022 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

STEELHEAD LNG (ASLNG) LTD et STEELHEAD LNG LIMITED PARTNERSHIP

demanderesses

et

ARC RESOURCES LTD, ROCKIES LNG LIMITED PARTNERSHIP, ROCKIES LNG GP CORPORATION et BIRCHCLIFF ENERGY LTD

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté aux termes de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], à l’encontre de l’ordonnance qu’a rendue la protonotaire Mireille Tabib le 28 février 2022 [l’ordonnance] en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance [la JRGI], dans laquelle a été rejetée la requête présentée par les demanderesses [Steelhead] en vue d’obtenir : 1) une ordonnance autorisant la constitution de Western LNG comme défenderesse ainsi que la signification et le dépôt d’une déclaration modifiée; 2) une ordonnance enjoignant aux défenderesses de produire un affidavit de documents plus complet.

[2] Pour les motifs qui suivent et selon la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], la Cour estime que rien ne justifie qu’elle intervienne. La JRGI n’a pas commis d’erreur dans l’application du droit ni dans son appréciation des faits et de la preuve.

I. Le contexte

[3] Dans l’action en contrefaçon de brevet sous-jacente, Steelhead affirme que les défenderesses ont contrefait son brevet no 3027085 [le brevet 085], lequel porte sur l’invention d’« un appareil de liquéfaction, de méthodes et de systèmes » qui visent à transformer à terre du gaz naturel en gaz naturel liquéfié (GNL). Dans la déclaration déposée en décembre 2020 et modifiée le 19 mai 2021 (appelées collectivement « la déclaration »), Steelhead soutient ce qui suit :

[traduction]

31. Steelhead LNG Limited Partnership a appris par la suite que 7G avait détourné les renseignements confidentiels de Steelhead susmentionnés, y compris l’invention sous‑jacente au brevet 085, en violation de ses obligations contractuelles et de celles que lui impose la common law, afin de poursuivre la conception et le développement d’un projet concurrent d’exportation et de liquéfaction de GNL en Colombie-Britannique par l’intermédiaire du consortium de producteurs (le « projet de GNL concurrent »)….

38. Les défenderesses ont, sans autorisation ni consentement des demanderesses, fabriqué, construit, utilisé, vendu ou exposé en vente le projet de GNL concurrent et contrefaisant, soit une installation de liquéfaction et d’exportation de GNL du type décrit et revendiqué dans le brevet 085. En particulier, les activités en question s’entendent de la conception et du développement du projet de GNL concurrent et contrefaisant, ainsi que de la commercialisation de ce dernier au Canada et ailleurs auprès d’investisseurs éventuels, de consommateurs de GNL et de grands entrepreneurs de l’industrie, entre autres.

[4] Dans leur défense, les défenderesses font valoir (au para 6) qu’elles :

[traduction]

…n’ont jamais fabriqué, construit, utilisé, vendu, exposé en vente d’installation de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), et encore moins d’installation contrefaisante. [En italique dans l’original.]

[5] Les défenderesses affirment également ce qui suit :

[traduction]

24. En fait, les seuls actes contrefaisants que décrivent les demanderesses sont les prétendus « conception, développement et commercialisation » de l’invention revendiquée. Même si les défenderesses avaient commis de tels actes, ce qu’elles nient, ils ne constitueraient pas des actes contrefaisants, car ils ne font pas partie des droits, facultés et privilèges exclusifs que confère au titulaire du brevet la Loi sur les brevets, comme indiqué ci-dessus.

29. Comme indiqué ci-dessus, au paragraphe 38 de la déclaration, les demanderesses soutiennent que les défenderesses ont fabriqué, construit, utilisé, vendu ou exposé en vente le « projet de GNL concurrent » prétendument contrefaisant. L’allégation qui précède n’est pas de nature préventive. Au contraire, les activités contrefaisantes auraient déjà eu lieu, c’est-à-dire que le projet de GNL concurrent aurait déjà été fabriqué, construit, utilisé, vendu et exposé en vente. Comme précisé ci-dessous, les demanderesses savent que leurs allégations sont fausses.

[6] Les défenderesses ont présenté une demande reconventionnelle fondée sur divers motifs, notamment que le brevet 085 n’est pas valide et n’a pas été contrefait.

[7] Il est prévu que la présente action en contrefaçon de brevet fera l’objet d’une instruction sommaire le 1er juin 2022.

II. L’ordonnance visée par l’appel

[8] La JRGI Tabib, qui est chargée de la gestion de l’action en contrefaçon de brevet sous‑jacente, a entendu la requête de Steelhead qui visait à obtenir : 1) une ordonnance autorisant la constitution de Western LNG comme défenderesse ainsi que la signification et le dépôt d’une déclaration modifiée à deux reprises; 2) une ordonnance enjoignant aux défenderesses de produire un affidavit de documents plus complet qui contiendrait ce qui suit :

[traduction]

a) des documents techniques qui montrent la conception et les spécifications du projet d’installation flottante de GNL entrepris par les défenderesses et Western LNG, y compris en ce qui concerne le projet Ksi Lisims (tels que, mais sans s’y limiter, les documents préparés par WorleyParsons Ltd et Wison Offshore & Marine Ltd), et toute correspondance relative au promoteur ou aux promoteurs du projet et au consultant ou aux consultants en ingénierie et en conception;

b) des présentations, des communications et d’autres documents qui décrivent les activités de commercialisation, de développement, de réglementation et les autres activités connexes des défenderesses liées au projet d’installation flottante de GNL qu’ont entrepris les défenderesses et Western LNG, y compris le projet Ksi Lisims;

c) des documents d’entreprise qui exposent la relation des défenderesses avec Western LNG et la Nation Nisga’a en ce qui concerne le projet Ksi Lisims, y compris toutes les entités établies par les défenderesses ou Western LNG, ou en leur nom, pour contribuer ou participer au projet Ksi Lisims dans lesquelles les défenderesses ont directement ou indirectement une participation ou un intérêt financier;

d) des communications internes destinées aux défenderesses, ou encore échangées entre les défenderesses, ou entre une ou plusieurs des défenderesses et WorleyParsons, concernant des services à fournir ou fournis par WorleyParsons;

e) des communications internes destinées aux défenderesses, ou échangées entre les défenderesses, ou entre une ou plusieurs des défenderesses et KBR, concernant les services à fournir ou fournis par KBR;

f) une description de chacun des documents énumérés.

[9] En ce qui concerne la demande de documents supplémentaires, la JRGI Tabib a souligné qu’il incombait à Steelhead d’établir que les documents [traduction] « existent probablement et sont pertinents ». La JRGI Tabib a reconnu que les documents demandés existaient probablement et a ensuite examiné leur pertinence au regard des questions soulevées dans la déclaration.

[10] Les documents demandés étaient liés au projet Ksi Lisims. La JRGI Tabib a estimé que la question consistait à savoir si le projet Ksi Lisims était le même que le [traduction] « projet de GNL concurrent et contrefaisant » mentionné dans la déclaration.

[11] Les défenderesses ont fait valoir que le projet Ksi Lisims était un projet différent, qui n’était pas mentionné dans les actes de procédure et n’était donc pas pertinent.

[12] La JRGI Tabib a constaté que la déclaration faisait référence à un seul projet de GNL qui n’avait pas été construit et qui n’était pas en cours de construction. Elle a aussi fait remarquer que la déclaration n’était pas de nature préventive, mais portait plutôt sur une contrefaçon passée ou en cours. Comme elle l’a expliqué, [traduction] « aucune intention générale de commettre des actes contrefaisants n’est invoquée et une telle intention ne saurait constituer une défense valable ».

[13] Comme Steelhead n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que le projet Ksi Lisims était fondé sur les renseignements qui auraient été détournés, la JRGI s’est dite non convaincue que le projet Ksi Lisims était le même que le projet original prétendument contrefaisant ou encore que les documents relatifs au projet Ksi Lisims étaient pertinents. Elle a écrit que [TRADUCTION] « la preuve démontre manifestement que la conception de l’installation de GNL à Ksi Lisims, qu’elle soit ou non contrefaisante, provient de Western, sans influence des renseignements fournis par les défenderesses, et encore moins des renseignements confidentiels des demanderesses ».

[14] La demande visant à obtenir un affidavit de documents plus complet a été rejetée.

[15] En ce qui concerne la demande visant à constituer Western LNG comme défenderesse et à modifier la déclaration, la JRGI a fait remarquer que les modifications proposées concernaient le projet Ksi Lisims et reposaient sur l’hypothèse que le projet Ksi Lisims était le même que [traduction] « le projet de GNL concurrent et contrefaisant » décrit dans la déclaration. Toutefois, comme elle l’a souligné, les demanderesses [TRADUCTION] « n’ont pas demandé l’autorisation de modifier la déclaration afin d’y ajouter le projet Ksi Lisims en tant que projet prétendument contrefaisant ».

[16] La JRGI Tabib a conclu que rien n’étayait l’hypothèse selon laquelle le projet Ksi Lisims était le même que le projet prétendument contrefaisant et que, par conséquent, rien ne liait les activités de Western LNG au projet décrit dans la déclaration. Elle a refusé la demande visant à constituer Western LNG comme défenderesse.

III. Les dispositions pertinentes

[17] Les dispositions pertinentes au regard du présent appel sont les articles 3, 51, 104, 223, 227 et 228, ainsi que le paragraphe 75(1) des Règles.

IV. Les questions en litige

[18] Dans le présent appel, Steelhead soulève les questions suivantes :

  1. La JRGI a-t-elle commis une erreur dans l’application du critère relatif à l’autorisation de modifier la déclaration et à la constitution d’une nouvelle défenderesse?

  2. La JRGI a-t-elle mal apprécié la preuve et les circonstances de l’espèce relativement à la production des documents demandés?

[19] Dans le présent appel, Steelhead a informé la Cour qu’elle ne cherchait maintenant à obtenir que trois catégories de documents, à savoir ceux énumérés aux paragraphes 8a), b) et c) ci-dessus, plutôt que les cinq catégories de documents demandés dans la requête présentée devant la JRGI.

V. La norme de contrôle

[20] Les parties conviennent que l’arrêt Hospira énonce la norme de contrôle applicable en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a confirmé que les appels d’une décision rendue par un JRGI sont régis par les normes établies dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 (au para 69). La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions mixtes de droit et de fait qui contiennent une question de droit isolable, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Hospira, aux para 68-69).

[21] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence — par erreur « manifeste » on entend une erreur qui est évidente et importante, et par « dominante » on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 61-64).

[22] Steelhead soutient que la JRGI a commis une erreur de droit en ce qui concerne le critère applicable à la modification d’actes de procédure. Steelhead soutient également qu’il existe une erreur manifeste et dominante dans les conclusions factuelles tirées par la JRGI en ce qui concerne les documents demandés, ce qui permet à la Cour d’intervenir.

VI. Analyse

A. La JRGI a-t-elle appliqué le mauvais critère relativement à la modification de la déclaration et à la constitution d’une nouvelle défenderesse?

[23] Steelhead affirme qu’en examinant la demande d’autorisation de modifier la déclaration, la JRGI n’aurait dû tenir compte que du libellé des modifications proposées — et ces modifications proposées auraient dû être tenues pour véridiques. À l’appui de son affirmation, elle invoque la décision Laboratoires Quinton Internationale SL c Biss, 2010 CF 358 au para 9, selon laquelle « un tribunal saisi d’une demande de modification doit présumer que les faits y allégués sont exacts ».

[24] Steelhead soutient que la déclaration selon laquelle [traduction] « rien n’étaye l’hypothèse que le projet Ksi Lisims est le même que le projet prétendument contrefaisant » montre que la JRGI Tabib n’a pas présumé que les faits plaidés étaient véridiques et qu’elle a appliqué le mauvais critère à l’appréciation de la question.

[25] Bien que Steelhead ait formulé sa requête comme une demande d’autorisation de modifier la déclaration, elle a mal décrit, à mon avis, la véritable nature de la demande présentée à la JRGI. Ce que Steelhead demandait essentiellement était de constituer Western LNG comme défenderesse. Les modifications à apporter à la déclaration n’étaient nécessaires que si Western LNG devenait partie défenderesse, ce qu’a clairement reconnu par la JRGI lorsqu’elle a déclaré :

[traduction]

Les demanderesses sollicitent l’autorisation de modifier leur déclaration, mais uniquement pour constituer Western LNG comme codéfenderesse.

[Non souligné dans l’original.]

[26] L’ajout ou la constitution d’une partie à une instance est prévu à l’alinéa 104(1)b) des Règles, qui est ainsi libellé :

Ordonnance de la Cour

104 (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

b) que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

[27] Dans l’arrêt Air Canada c Thibodeau, 2012 CAF 14, la Cour d’appel fédérale confirme que l’alinéa 104(1)b) des Règles suppose un exercice discrétionnaire guidé par un seul critère : la nécessité. La nécessité repose sur la volonté que la partie (que l’on souhaite ajouter) soit liée par l’issue de l’action et sur la question de savoir si la présence de cette partie est nécessaire pour permettre à la cour de trancher « adéquatement et complètement » la question en litige (aux para 10-11).

[28] Par conséquent, la question que la JRGI devait trancher était de savoir s’il était nécessaire pour Western LNG d’être constituée partie à la présente action en contrefaçon de brevet.

[29] Les modifications proposées à la déclaration qui ont été présentées à l’appui de la demande visant à constituer Western LNG comme défenderesse sont ainsi décrites dans le projet de déclaration modifié à deux reprises :

[traduction]

34. À la connaissance des demanderesses, vers 2020, Rockies LNG Limited Partnership s’est associée à Western LNG dans la réalisation du projet de GNL concurrent.

35. Le projet de GNL concurrent est maintenant commercialisé sous le nom de « Ksi Lisims LNG », il est prévu qu’il soit réalisé dans la région de la rivière Nass en Colombie‑Britannique (au nord de Prince Rupert). Il comprend une installation de GNL qui est revendiquée dans une ou plusieurs des revendications invoquées, comme décrit plus en détail ci-dessous.

36. Dans le cadre du processus d’autorisation réglementaire environnementale nécessaire à la construction de l’installation de GNL concurrente, Rockies LNG et Western LNG ont déposé une description initiale du projet datée du 2 juillet 2021 auprès du Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique dans laquelle elles sont toutes deux nommées en tant que promoteurs. Bien que la description initiale du projet présente l’installation du projet concurrent en termes généraux, elle serait raisonnablement comprise par la personne versée dans l’art comme visant l’installation revendiquée dans une ou plusieurs des revendications invoquées.

[30] Après avoir examiné les modifications proposées, la JRGI Tabib a conclu ce qui suit :

[traduction]

Le fondement de la demande est que Western LNG s’est jointe à titre d’associée au projet existant, prétendument contrefaisant, et qu’elle a donc participé à la contrefaçon.

La modification proposée repose sur l’hypothèse que le projet Ksi Lisims est le même que « le projet de GNL concurrent et contrefaisant ». Les demanderesses n’ont pas sollicité l’autorisation de modifier la déclaration afin d’ajouter le projet Ksi Lisims en tant que projet prétendument contrefaisant.

Comme il a été mentionné, rien n’appuie l’hypothèse selon laquelle le projet Ksi Lisims est le même que le projet prétendument contrefaisant. En l’absence d’allégations qui lieraient les activités de Western LNG au projet tel qu’il est actuellement défini, rien ne justifie que cette dernière soit constituée comme défenderesse.

[31] Dans l’examen qu’elle a fait de la « nécessité » pour Western LNG d’être partie à l’action, la JRGI a tenu compte du contexte de la déclaration complète, y compris de la nature des allégations de contrefaçon avancées par Steelhead. Son raisonnement démontre qu’elle s’est demandé s’il était nécessaire de constituer Western LNG comme partie en fonction des allégations formulées dans la déclaration. La JRGI a conclu que l’ajout proposé de Western LNG était lié à un autre projet qui n’était pas désigné comme un projet contrefaisant dans la déclaration, ni comme étant le [traduction] « projet prétendument contrefaisant ». Elle a donc conclu que la demande visant à constituer Western LNG comme partie à l’instance était, en fait, une demande visant à introduire une nouvelle action liée à un autre projet.

[32] Comme autre motif de contestation de la conclusion de la JRGI selon laquelle Western LNG n’est pas une partie dont la présence est nécessaire, Steelhead fait valoir que la JRGI a tiré cette conclusion en se fondant sur les renseignements contenus dans l’affidavit de Charlotte Raggett. Selon elle, il s’agit d’une erreur, car la JRGI n’aurait pas dû tenir compte de la preuve lorsqu’elle a examiné la demande d’autorisation de modifier la déclaration. À titre de contexte, l’affidavit Raggett, que les défenderesses ont déposé en vue de leur prochaine requête en procès sommaire, faisait partie des éléments de preuve sur lesquels Steelhead s’est appuyée pour justifier sa requête en production d’un affidavit de documents plus détaillé.

[33] Steelhead invoque l’arrêt Visx Inc c Nidek Co, [1996] ACF no 1721 au para 16 [Visx] pour faire valoir que la protonotaire a commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve pour étayer sa décision de refuser que la déclaration soit modifiée et que Western LNG soit constituée comme défenderesse. Je constate que l’arrêt Visx traite de l’application de dispositions différentes de celles qui sont directement en cause ici.

[34] Quoi qu’il en soit, sur la question de l’appréciation de la preuve, le juge Southcott a récemment établi, dans la décision Specialized Desanders Inc c Enercorp Sand Solutions Inc, 2018 CF 689, une distinction par rapport à la décision Visx, en déclarant ce qui suit :

[J]e suis d’avis que cette jurisprudence établit le principe voulant qu’aucun élément de preuve ne soit admissible à l’occasion d’une requête en radiation d’un acte de procédure, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable ou aucune défense. Cette interdiction est expressément énoncée au paragraphe 221(2) des Règles. Je conviens que cette interdiction s’applique également, à l’occasion d’une requête visant la modification d’un acte de procédure, à l’examen par le tribunal de la question de savoir si la modification proposée est susceptible d’être radiée par une requête, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Toutefois, outre la considération de l’effet de l’alinéa 221(1)a) des Règles, des éléments de preuve peuvent être recevables à l’occasion d’une requête visant la modification d’un acte de procédure, en application de l’article 75 des Règles, notamment lors de l’examen des facteurs prescrits dans l’arrêt Canderel, ou lors de l’examen de la possible application de l’alinéa 221(1)c) des Règles, c’est-à-dire la question de savoir si l’acte de procédure proposé résisterait à une requête en radiation au motif qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire.

L’examen de ce point, selon la norme de la décision correcte, m’amène à conclure qu’aucune erreur de droit n’a été commise en ce qui concerne la présentation d’éléments de preuve à la protonotaire, à l’occasion de ces requêtes (aux para 38-39).

[35] De même, en l’espèce, la JRGI n’était pas uniquement saisie d’une demande de modification des actes de procédure. La modification n’était nécessaire qu’au regard de la demande visant à constituer Western LNG comme défenderesse. Par conséquent, la demande de Steelhead visait essentiellement à constituer Western LNG comme défenderesse. Dans les circonstances, rien n’interdisait à la JRGI de tenir compte de la preuve.

[36] En outre, la requête en production de documents supplémentaires de Steelhead et la demande visant à ce que Western LNG soit constituée comme défenderesse étaient des demandes interdépendantes. Steelhead a concédé dans ses observations orales que, si Western LNG n’était pas constituée comme défenderesse, la requête en production de documents ne serait pas non plus accueillie. Étant donné l’interdépendance de ces demandes, la protonotaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tenu compte de la preuve que Steelhead a présentée à l’appui de sa requête en production de documents supplémentaires dans l’examen de la demande visant à ce que Western LNG soit constituée partie à l’instance.

[37] À mon avis, la JRGI a conclu à juste titre que la demande visant à ce que Western LNG soit constituée comme défenderesse était une tentative de Steelhead d’étendre la portée de sa demande. Elle n’a donc pas autorisé les modifications à la déclaration. Comme la Cour d’appel l’a souligné dans l’arrêt Bauer Hockey Corp c Sport Maska inc (Reebok-CCM Hockey), 2014 CAF 158, la décision d’accueillir ou de rejeter une requête en modification des actes de procédure est de nature discrétionnaire, et « [la] cour confirme une telle décision en appel à moins qu’une erreur de droit n’ait été commise ou qu’il y ait eu une mauvaise appréciation des faits, une omission d’accorder le poids voulu à tous les facteurs pertinents ou une injustice évidente » (au para 12).

[38] À mon avis, la norme de contrôle applicable à la question soulevée en l’espèce consiste à savoir si une erreur manifeste et dominante a été établie. Je conclus qu’une telle erreur n’a pas été établie et qu’une grande retenue s’impose à l’égard de la décision de la JRGI. Toutefois, même si la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, j’estime qu’aucune erreur de droit ne découle de la prise en compte de la preuve par la JRGI dans l’application du critère de la nécessité.

[39] En résumé, je conclus que la protonotaire n’a commis aucune erreur en rejetant la demande visant à ce que Western LNG soit constituée comme défenderesse, et en refusant que l’acte de procédure connexe soit modifié.

B. La JRGI a-t-elle mal apprécié la preuve et les circonstances de l’espèce relativement à la production des documents demandés?

[40] Je rappelle que la demande présentée par Steelhead en vue d’obtenir un affidavit de documents plus complet est liée à sa requête visant à constituer Western LNG comme défenderesse. Comme j’ai conclu que Steelhead n’avait pas établi que la JRGI avait commis une erreur en rejetant sa demande de constitution d’une partie à l’instance et de modification de la déclaration, la décision par laquelle la JRGI a conclu que les documents demandés n’étaient pas pertinents commande la retenue.

[41] Dans son analyse de la question, la JRGI a dit à juste titre que la « pertinence » était le critère à appliquer. En appréciant la pertinence des documents demandés au regard des allégations et des faits exposés dans la déclaration, elle a souligné que la déclaration faisait référence à un seul projet de GNL, tandis que les documents demandés au sujet de Ksi Lisims concernaient un autre projet. De l’avis de la JRGI, cette distinction établissait que les documents ne pouvaient pas être pertinents au regard de la déclaration. À ce sujet, elle a dit ceci :

[traduction]

Le projet en question, décrit comme étant le « projet de GNL concurrent et contrefaisant », est donc un projet qui est fondé sur les renseignements confidentiels prétendument détournés des demanderesses, « y compris » l’invention, laquelle n’avait pas encore été publiée au moment du détournement. Le produit contrefaisant qui est décrit ne comprend pas, et ne peut pas comprendre, tout projet de GNL susceptible d’être contrefaisant qui est proposé par les défenderesses. Il ne saurait non plus viser les évolutions et les modifications du projet qui lui font perdre les caractéristiques susceptibles de l’identifier qui sont décrites dans la déclaration, même si le projet résultant est également contrefaisant. Interpréter autrement la déclaration dénaturerait les allégations de contrefaçon passée ou présente et les transformerait en allégations de contrefaçon ultérieure intentionnelle, alors que les critères d’une action préventive valable n’ont pas été plaidés.

[Souligné dans l’original.]

[42] La JRGI a ajouté que, bien que Steelhead ait plaidé que l’ensemble du projet Ksi Lisims était contrefaisant, [traduction] « l’objet du brevet n’est pas le projet dans son ensemble, mais une installation de GNL constituée d’éléments précis ». La protonotaire a poursuivi son raisonnement en faisant remarquer ce qui suit :

[traduction]

Un concept qui est susceptible de contrefaire le brevet, mais qui n’est pas fondé sur les renseignements prétendument détournés n’est plus le « projet de GNL concurrent et contrefaisant »; il s’agit d’un projet contrefaisant, qui n’est pas visé par la déclaration telle qu’elle est présentée.

[Souligné dans l’original.]

[43] Après avoir évalué la déclaration au regard des documents demandés, la JRGI a conclu qu’elle n’était pas convaincue que le projet Ksi Lisims ou les documents relatifs à ce projet concernaient les questions soulevées par Steelhead.

[44] J’ai examiné si la manière dont la JRGI avait apprécié la question témoignait d’une mauvaise compréhension des faits allégués par Steelhead. Toutefois, la JRGI, au moyen de son analyse, a montré qu’elle avait soigneusement examiné les éléments des revendications techniques présentés par Steelhead dans son action en contrefaçon de brevet, notamment en ce qui concerne la demande de communication de documents supplémentaires. Elle a évalué la pertinence potentielle des documents par rapport aux allégations formulées dans la déclaration.

[45] À mon avis, la norme de contrôle applicable en l’occurrence est la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante. En l’espèce, la JRGI a appliqué les facteurs pertinents, examiné soigneusement les allégations présentées par Steelhead et apprécié les autres documents au regard de la déclaration, pour finalement conclure que la pertinence n’était pas établie. Je ne vois aucune erreur dans la manière dont la JRGI a apprécié la question.

VII. Conclusion

[46] En résumé, les conclusions de la JRGI commandent une retenue considérable. Comme il est souligné dans l’arrêt Hospira, au paragraphe 103 :

[L]e juge [...] fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère […] [S]auf erreur donnant ouverture à annulation, la déférence est appropriée ou applicable aux décisions du protonotaire chargé de la gestion de l’instance [...]

[47] Steelhead n’a pas établi la moindre erreur susceptible de contrôle commise par la JRGI. La JRGI a appliqué correctement les principes juridiques pertinents et n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante dans sa décision.

[48] La requête est donc rejetée.

VIII. Les dépens

[49] À l’audience, les parties se sont entendues sur les dépens à adjuger à la partie qui aurait gain de cause. Les défenderesses ont donc droit à des dépens de 4 000 $, tout compris.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1488-20

LA COUR ORDONNE que :

  1. Le présent appel est rejeté.

  2. La somme de 4 000 $, tout compris, est adjugée aux demanderesses au titre des dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-1488-20

INTITULÉ :

STEELHEAD LNG (ASLNG) LTD et STEELHEAD LNG LIMITED PARTNERSHIP c ARC RESOURCES LTD, ROCKIES LNG LIMITED PARTNERSHIP, ROCKIES LNG GP CORP et BIRCHCLIFF ENERGY LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mai 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Evan Nuttall

Ryan Evans

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Daniel Cappe

Jaclyn Tilak

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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