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Date : 20220620


Dossier : IMM‑3893‑21

Référence : 2022 CF 928

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 20 juin 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

KAUSAR NADIM SAMLI

EMILY‑JOY FARAH SAMLI

LEANORA SERAPHINA SAMLI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 3 juin 2021 par un agent en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR). L’agent a refusé une demande de visa de résident permanent présentée au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (la CEC).

[2] Les demandeurs font valoir que la décision de l’agent est déraisonnable au sens de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. En appliquant les normes énoncées dans l’arrêt Vavilov et d’autres décisions d’appel, les demandeurs ont démontré que la décision de l’agent contenait une ou plusieurs erreurs susceptibles de contrôle. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

I. Le contexte

A. La catégorie de l’expérience canadienne et le programme Entrée express

[4] Aux termes du paragraphe 12(2) de la LIPR, la sélection des étrangers à titre de membres d’une catégorie de l’immigration économique se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. L’une de ces catégories de l’immigration économique est la catégorie de l’expérience canadienne, définie au paragraphe 87.1(1) du RIPR.

[5] Le RIPR énonce les critères d’admissibilité à la catégorie de l’expérience canadienne. L’alinéa 87.1(2)a) prévoit notamment qu’un étranger fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne s’il « a accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein […] au cours des trois ans précédant la date de présentation de sa demande de résidence permanente ». Dans les présents motifs, j’appellerai ce critère le « critère de l’expérience de travail ».

[6] La présentation d’une demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne comporte trois étapes. Premièrement, le demandeur soumet une déclaration d’intérêt en remplissant un formulaire en ligne. Deuxièmement, le demandeur peut être invité à présenter une demande. Troisièmement, le demandeur peut présenter officiellement une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.

[7] La procédure pour la soumission d’une déclaration d’intérêt et la réception d’une invitation à présenter une demande est prévue à l’article 10 de la section 0.1 (intitulée « Invitation à présenter une demande ») de la partie 1 de la LIPR. L’alinéa 10.3(1)e) confère au ministre le pouvoir de donner des instructions. Le ministre a donné les Instructions ministérielles pour le système de gestion des demandes Entrée express – 26 juin 2018 au 30 août 2020, (2018) Gaz C I, 2665 (les Instructions ministérielles), par lesquelles le système Entrée express a été établi pour régir les déclarations d’intérêt et les invitations à présenter une demande.

[8] Pour recevoir une invitation du ministre, le demandeur doit soumettre une déclaration d’intérêt, qui est un outil de présélection permettant de déterminer si un étranger répond aux critères d’admissibilité minimaux de l’une des catégories de l’immigration économique. À cette étape, les renseignements sont autodéclarés et ne sont pas vérifiés par un agent. Une fois que la déclaration d’intérêt est acceptée, le candidat est inscrit dans le bassin du système Entrée express.

[9] Le système attribue ensuite au candidat une note au moyen du système de classement global, qui détermine le nombre de points à attribuer et permet de classer les candidats. Un candidat doit satisfaire aux exigences d’au moins une des catégories pour recevoir une invitation. Une fois sélectionné en fonction des critères d’admissibilité et de son classement, un candidat peut recevoir une invitation à présenter une demande.

[10] Après avoir reçu une invitation à présenter une demande, le candidat doit présenter une demande de visa de résident permanent, accompagnée de documents à l’appui, dans le délai prescrit par les Instructions ministérielles.

B. La situation des demandeurs

[11] Les demandeurs sont Kausar N. Samli, Ph. D., son épouse, Emily‑Joy F. Samli, Ph. D., et leur fille, Leanara. Ils sont tous citoyens des États‑Unis. M. Samli est un expert de la commercialisation et se spécialise dans la technologie, la biotechnologie et la biopharmaceutique. Mme Samli est pour sa part titulaire d’un doctorat en maladies infectieuses et se spécialise dans le développement et l’efficacité des vaccins. Le couple a aussi un fils, Lucian, qui est né au Canada en 2019.

[12] Dans les présents motifs, je désignerai à l’occasion M. Samli comme « le demandeur », parce que son emploi au Canada est à la base de la déclaration d’intérêt, de l’invitation à présenter une demande, de la demande présentée au titre de la catégorie de l’expérience canadienne et de la décision de l’agent faisant l’objet du présent contrôle. Bien que M. Samli ait présenté une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, seule cette dernière est pertinente pour la demande dont la Cour est saisie.

[13] Les trois demandeurs sont entrés au Canada le 9 juillet 2017. Le demandeur a obtenu un permis de travail à titre de chef de l’exploitation de 1QBit Information Technologies (1QBit), lequel était valide jusqu’au 9 juillet 2020. Son épouse a obtenu un permis de travail ouvert pour conjoint et Leanara a reçu une fiche de visiteur, lesquels étaient valides pendant la même période.

[14] Le demandeur a démissionné de 1Qbit le 10 juillet 2018. Le couple a envisagé de retourner aux États‑Unis, mais a appris qu’il attendait son deuxième enfant. En raison des difficultés que pourrait entraîner un déménagement pendant la grossesse et pour des raisons liées à l’établissement de l’aînée, les demandeurs ont décidé de rester au Canada jusqu’à la naissance de Lucian.

[15] En septembre 2018, le demandeur a commencé à travailler à Learning Machine Technologies, une entreprise dont le siège social se trouve aux États‑Unis. Son poste lui permettait de travailler à distance à partir du Canada.

[16] En mai 2019, Lucian est né au Canada. Les préparatifs de la famille en vue de son retour aux États‑Unis ont été retardés en raison des négociations en vue de l’acquisition de l’employeur du demandeur.

[17] Pendant leur séjour au Canada, M. et Mme Samli ont tous deux contribué activement à la communauté et fait du bénévolat.

[18] En juin 2020, le demandeur a entamé le processus de demande de résidence permanente au Canada à titre d’immigrant de la catégorie économique. Les événements suivants sont importants pour la présente demande :

  • Le 8 juillet 2020 : le demandeur a soumis une déclaration d’intérêt fondée sur une année d’expérience de travail, du 10 juillet 2017 au 10 juillet 2018.

  • Le 23 juillet 2020 : par suite de sa déclaration d’intérêt, le demandeur a reçu une invitation à présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.

  • Le 3 septembre 2020 : le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.

  • Le 3 juin 2021 : la demande a été rejetée.

[19] De toute évidence, lorsque le demandeur a soumis sa déclaration d’intérêt le 8 juillet 2020, il avait accumulé au moins une année d’expérience de travail à temps plein au Canada au cours des trois ans précédant la date de présentation de sa demande de résidence permanente. Toutefois, il ne répondait plus à ce critère i) à la date où il a reçu l’invitation à présenter une demande (le 23 juillet 2020) ni ii) à la date où il a présenté sa demande de résidence permanente (le 2 septembre 2020). Il avait encore accumulé au moins une année d’expérience de travail à temps plein au Canada, ayant travaillé pour 1Qbit du 10 juillet 2017 au 10 juillet 2018, mais une partie de cette année se trouvait en dehors de la période de trois ans visée.

[20] Dans une lettre à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et datée du 2 septembre 2020, l’avocat du demandeur a expliqué que le demandeur ne répondait plus au critère d’admissibilité à la catégorie de l’expérience canadienne énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR. Le demandeur a donc demandé une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[21] Après certains retards attribuables à la pandémie, le demandeur a fourni des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, y compris des renseignements sur son établissement au Canada, sur ses contributions et sur celles de son épouse au Canada depuis leur arrivée, sur l’intérêt supérieur de l’enfant et sur les [traduction] « facteurs ayant influé sur le temps qu’il a fallu pour présenter la demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne ». Les documents déposés semblent avoir été remplis le ou vers le 20 mai 2021.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[22] Dans une lettre datée du 3 juin 2021, l’agent a rejeté la demande du demandeur.

[23] La lettre de décision énonçait les exigences du paragraphe 87.1(2) du RIPR et citait expressément l’alinéa 87.1(2)a). L’agent n’était pas convaincu que le demandeur répondait au critère en matière d’expérience de travail qualifié au Canada, parce qu’il avait déclaré une année d’expérience de travail au Canada de juillet 2017 à juillet 2018, mais qu’il avait présenté sa demande de résidence permanente le 3 septembre 2020. La période de référence du demandeur pour ce qui est de son expérience de travail au Canada s’étendait donc de septembre 2017 à septembre 2020. Ainsi, l’expérience de travail déclarée par le demandeur de juillet 2017 à septembre 2017 était en dehors de la période de référence et ne pouvait pas être prise en compte dans le cadre de sa demande de résidence permanente. Le demandeur avait acquis 10 mois d’expérience admissible au Canada, et non un an.

[24] Dans sa lettre, l’agent a fait référence au paragraphe 11(1) de la LIPR, puis a énoncé l’article 11.2, qui est ainsi libellé :

Formalités

Requirements

Visa ou autre document ne pouvant être délivré

Visa or other document not to be issued

11.2 (1) Ne peut être délivré à l’étranger à qui une invitation à présenter une demande de résidence permanente a été formulée en vertu de la section 0.1 un visa ou autre document à l’égard de la demande si, lorsque l’invitation a été formulée ou que la demande a été reçue par l’agent, il ne répondait pas aux critères prévus dans une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) ou il n’avait pas les attributs sur la base desquels il a été classé au titre d’une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)h) et sur la base desquels cette invitation a été formulée.

11.2 (1) An officer may not issue a visa or other document in respect of an application for permanent residence to a foreign national who was issued an invitation under Division 0.1 to make that application if — at the time the invitation was issued or at the time the officer received their application — the foreign national did not meet the criteria set out in an instruction given under paragraph 10.3(1)(e) or did not have the qualifications on the basis of which they were ranked under an instruction given under paragraph 10.3(1)(h) and were issued the invitation.

[25] L’agent a indiqué dans sa lettre que l’article 11.2 exigeait que les renseignements fournis par le demandeur concernant à la fois son admissibilité à recevoir une invitation à présenter une demande (alinéa 10.3(1)e)) et les attributs sur la base desquels il a été classé (alinéa 10.3(1)h)) soient valides à la fois au moment de l’invitation et au moment de la réception de la demande de résidence permanente.

[26] L’agent a précisé que, comme le demandeur ne répondait plus aux critères d’admissibilité minimaux pour être invité à présenter une demande prévus dans une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e), il ne satisfaisait plus aux exigences de l’article 11.2 de la LIPR. Il a donc rejeté la demande.

[27] Les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) font écho au raisonnement exprimé dans la lettre, décrit ci‑dessus.

[28] Ni la lettre ni les notes dans le SMGC ne mentionnent ou n’analysent la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par écrit par le demandeur en vertu de l’article 25 de la LIPR.

III. Les questions en litige

[29] Les demandeurs font valoir que la décision de l’agent devrait être annulée au motif qu’elle est déraisonnable au sens de l’arrêt Vavilov, parce que l’agent ne s’est pas attaqué de façon significative à une question clé, soit la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR. L’agent n’a pas expliqué pourquoi l’article 25 n’avait pas été pris en considération. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que la décision ne fait pas état d’une analyse rationnelle et ne donne aucune raison valable d’écarter sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La décision n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti (citant Vavilov, aux para 83-86, 102-103, 128). Selon les demandeurs, la lettre de l’agent et les notes dans le SMGC ne permettent pas de comprendre le raisonnement de l’agent sur ce point central. Les demandeurs se sont appuyés sur la décision Sedki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1071, rendue récemment par notre Cour.

[30] Le défendeur est d’avis que la décision de l’agent est raisonnable. Il soutient que l’agent n’était pas tenu d’examiner la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR en raison de l’alinéa 25(1.2)a.1), qui dispose ce qui suit :

Exceptions

Exceptions

(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite au titre du paragraphe (1) dans les cas suivants :

[…]

(1.2) The Minister may not examine the request if

[…]

a.1) celle‑ci vise à faire lever tout ou partie des critères et obligations visés par la section 0.1

(a.1) the request is for an exemption from any of the criteria or obligations of Division 0.1

[31] Selon le défendeur, l’agent ne pouvait pas étudier la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur, par application de l’alinéa 25(1.2)a.1), parce que le demandeur cherchait à faire lever des critères et des obligations visés par la section 0.1 de la LIPR. Le défendeur fait valoir que la section 0.1 comprend les [traduction] « critères » prévus à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR qui ont été adoptés dans les Instructions ministérielles données en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) de la LIPR pour régir les déclarations d’intérêt et les invitations. Le défendeur fait également valoir que l’article 11.2, qui oblige l’agent à rejeter la demande si les critères ne sont pas respectés, est [traduction] « lié » aux dispositions de la section 0.1.

[32] Dans l’ensemble, le défendeur soutient que l’absence de motifs dans la lettre de l’agent et dans les notes du SMGC ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle compte tenu des principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, car elle peut se justifier au regard des faits et des dispositions législatives et réglementaires applicables.

[33] Les deux parties ont présenté des observations sur les mesures de réparation, en supposant que la décision de l’agent contenait une erreur susceptible de contrôle. Les deux parties soutiennent que l’issue de la demande sur le fond est inévitable en raison de l’interprétation qu’il convient de donner à l’alinéa 25(1.2)a.1). Le demandeur et le défendeur soutiennent tous deux que leur interprétation respective constitue la seule interprétation raisonnable des dispositions applicables de la LIPR et du RIPR et, naturellement, ils proposent des interprétations différentes menant à des résultats différents l’égard de la demande.

[34] Selon le demandeur, interprété correctement, l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR n’empêchait pas l’agent d’examiner sa demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, parce qu’il ne cherchait pas à faire lever des critères ou des obligations visés à la section 0.1. Il demandait seulement que soient levés, pour des considérations d’ordre humanitaire, les critères énoncés à l’article 11.2 de la LIPR et à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR, qui ne sont pas des critères visés à la section 0.1.

[35] En revanche, le défendeur fait valoir que l’interdiction prévue à l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR s’appliquait, parce que le problème fondamental que posait la demande se rapportait au non‑respect par le demandeur des critères énoncés dans les Instructions ministérielles données en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) de la LIPR, qui, lui, se trouve à la section 0.1 de la LIPR.

[36] Suivant l’approche adoptée par la Cour dans l’affaire Sedki, les parties ont également convenu que si la Cour estimait que les deux interprétations étaient raisonnables, l’affaire devait être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

IV. Analyse juridique

[37] Il y a deux questions à trancher en l’espèce : i) la question de savoir si la décision de l’agent est raisonnable et, dans la négative, ii) la question de savoir si l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision. La deuxième question repose sur la question de savoir si l’issue de la demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne est inévitable une fois que la Cour aura réglé la question d’interprétation législative.

[38] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être accueillie et que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

A. La décision de l’agent est‑elle déraisonnable au sens de l’arrêt Vavilov?

(1) La norme de contrôle applicable

[39] La norme de contrôle applicable à la décision sur le fond de l’agent est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable comporte une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12-13. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85 et 99; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 30-32.

[40] La cour de révision examine d’abord les motifs donnés parce qu’ils « constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions » : Vavilov, au para 81. Le tribunal doit accorder « une attention particulière » à ces motifs : Vavilov, au para 97. Les motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle, en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 84, 88-97 et 103; Société canadienne des postes, au para 30; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 32. Les motifs doivent démontrer que la décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur le décideur et sur la question en litige : Vavilov, aux para 105-107; Société canadienne des postes, au para 30.

[41] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a insisté sur la création d’une « culture de la justification » au sein du processus décisionnel administratif : aux para 2 et 14. Il ne suffit pas que la décision soit justifiable; dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision : Vavilov, au para 86; Société canadienne des postes, au para 28.

[42] Le contrôle selon la norme de la norme de la décision raisonnable repose en partie sur la capacité de la cour de révision de dégager une justification raisonnable pour certains points centraux de la décision contestée : Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 aux para 7, 32, 64-66 et 70. L’arrêt Vavilov rendu par la Cour suprême « modifie […] le droit de manière importante, car il exige que la cour de révision soit en mesure de discerner une explication motivée pour la décision du décideur administratif » : Alexion Pharmaceuticals, au para 7. Ainsi, une décision est déraisonnable si les motifs, lorsqu’ils sont lus en corrélation avec le dossier, ne permettent pas à la cour de révision de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central : Vavilov, au para 103.

[43] Dans l’arrêt Alexion Pharmaceuticals, le juge Stratas a indiqué que la tâche qui revient à la cour de révision de discerner une justification raisonnable pour une décision administrative comprend deux composantes connexes (au para 12) :

· Le caractère adéquat. La cour de révision doit pouvoir discerner « une analyse [...] cohérente et rationnelle » que « la cour de révision doit être en mesure de suivre » et de comprendre. Le décideur administratif ne satisfait pas à cette exigence lorsque le raisonnement comprend des « lacunes fondamentales », lorsque les motifs « ne font pas état d’une analyse rationnelle » ou « [lorsqu’il] est impossible de comprendre […] le raisonnement du décideur sur un point central », de sorte qu’il n’y a aucun véritable raisonnement : arrêt Vavilov, par. 103 et 104.

· La logique, la cohérence et la rationalité. Le raisonnement doit être « rationnel et logique » et dénué de « faille décisive dans la logique globale » : arrêt Vavilov, par. 102. Le raisonnement donné par le décideur administratif ne satisfait pas à cette exigence lorsque les motifs « ne font pas état d’une analyse rationnelle », possèdent un « fondement erroné », révèlent une « analyse déraisonnable » ou une « analyse irrationnelle » ou comprennent des « erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde » : arrêt Vavilov, par. 96 et 103 à 104.

[44] La Cour d’appel fédérale a conclu à plusieurs reprises qu’une décision était déraisonnable, parce que le décideur n’avait pas exposé adéquatement ses motifs sur une question clé : voir Safe Food Matters Inc. c Canada (Procureur général), 2022 CAF 19 aux para 50-57; Alexion Pharmaceuticals; Canada (Procureur général) c Douglas, 2021 CAF 89 au para 12; Canada (Procureur général) c Kattenburg, 2021 CAF 86 aux para 15-18; Bragg Communications Inc. c Unifor, 2021 CAF 59 aux para 6 et 9-11; Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 aux para 13-14 et 19.

[45] La Cour d’appel fédérale a également conclu qu’une justification raisonnable d’une décision peut être formulée expressément ou implicitement dans les motifs du décideur. Dans certains cas, elle peut se trouver ailleurs que dans les motifs ou être déterminée au moyen d’un examen du dossier. Voir : Safe Food Matters, aux para 58 et 60; Mason, aux para 31 et 38; et Kattenburg, au para 16, citant Vavilov, au para 123.

[46] Dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit adopter une approche disciplinée et empreinte de retenue. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. Au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a relevé deux catégories de lacunes fondamentales : la première est le manque de logique interne du raisonnement, et la seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Pour intervenir, la cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure ». Elles doivent être suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100; Mason, au para 36; Alexion Pharmaceuticals, au para 13.

[47] Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision peut prendre en considération les observations que les parties ont présentées au décideur, car les motifs de ce dernier doivent tenir valablement compte des questions et des préoccupations centrales soulevées par les parties : Vavilov, au para 127. Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties « permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » : Vavilov, au para 128.

[48] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il incombe au demandeur d’établir que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

(2) Application des principes de contrôle sur le fond énoncés dans l’arrêt Vavilov

[49] En l’espèce, le demandeur a expressément demandé une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1), parce qu’il ne satisfaisait pas au critère de l’expérience de travail de la catégorie de l’expérience canadienne, énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR. Il s’agissait d’un élément central et important de sa demande de visa de résident permanent, présentée dans la lettre de son avocat en date du 2 septembre 2020.

[50] La lettre de décision de l’agent et les notes connexes dans le SMGC ne mentionnent pas la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur au titre du paragraphe 25(1). Elles ne révèlent aucune analyse discernable de la demande, de l’application éventuelle de l’alinéa 25(1.2)a.1) ou des faits mentionnés dans les documents déposés par le demandeur à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[51] Ces lacunes donnent lieu à deux préoccupations distinctes, mais connexes, qui sont au cœur de ce qui constitue une décision administrative transparente, justifiée et adaptée.

[52] Premièrement, l’agent a omis de s’attaquer à une question clé soulevée par le demandeur. Dans les circonstances, aucun élément de preuve ne permet de conclure que l’agent était attentif et sensible à la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur : Vavilov, au para 128. La décision n’a tout simplement pas tenu compte de la demande du demandeur.

[53] Deuxièmement, l’agent n’a fourni aucun raisonnement discernable en réponse à la demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La lettre et les notes dans le SMGC ne mentionnent pas non plus l’alinéa 25(1.2)a.1) et ne démontrent aucun effort de la part de l’agent pour interpréter ou appliquer cette disposition. En examinant également le dossier, je ne peux encore que conclure que l’agent n’a pas exposé adéquatement ses motifs sur une question clé : Safe Food Matters, au para 60.

[54] La lettre de décision, les notes dans le SMGC et le dossier ne permettent pas de comprendre pourquoi l’agent n’a pas examiné ou appliqué l’alinéa 25(1.2)a.1). L’agent n’a pas « démontré dans ses motifs » que l’alinéa 25(1.2)a.1) pouvait s’appliquer, ni analysé le libellé, le contexte et l’objet de cette disposition au regard des autres dispositions de la LIPR et du RIPR : Safe Food Matters, au para 55. La décision est déraisonnable en raison de l’absence de motifs ou de leur insuffisance : Alexion Pharmaceuticals, au para 12. Voir aussi Sedki, au para 37.

[55] Il est vrai qu’une cour de révision peut « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » : Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11 (cité avec approbation dans Vavilov, au para 97). En l’espèce, la page est vierge pour ce qui est de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il n’y a pas de points à relier.

[56] Je ne suis pas convaincu par l’observation du défendeur selon laquelle la décision de l’agent est raisonnable en raison de la simple existence ou du libellé de l’alinéa 25(1.2)a.1). Cet argument pourrait avoir un certain poids si l’agent avait mentionné la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, s’il avait fait référence à l’alinéa 25(1.2)a.1) ou à son libellé, ou s’il avait déclaré que la loi interdit l’examen d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dans les circonstances. Mais rien dans la lettre, dans les notes du SMGC ou dans le dossier certifié du tribunal ne permet de conclure que l’absence de motifs est liée à l’alinéa 25(1.2)a.1). On pourrait tout aussi bien croire que l’agent a complètement oublié d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La Cour n’est pas autorisée à compléter les motifs de l’agent pour combler les lacunes. Selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision ne doit pas émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser, pas plus qu’elle ne doit fournir, compléter ou « raccommoder » les motifs du décideur en fournissant leur propre raisonnement : Alexion Pharmaceuticals, au para 10; Kattenburg, au para 17; Vavilov, aux para 96-97.

[57] Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable, parce que l’agent n’a pas examiné la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur et qu’il n’a pas fourni de motifs éclairant la question.

B. La réparation : l’affaire doit‑elle être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen?

[58] Chaque partie a présenté des observations sur les raisons pour lesquelles l’issue est inévitable en raison de l’interprétation qu’il convient selon elle de donner à l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR. Chaque partie a proposé que la Cour tranche l’affaire sur le fond en sa faveur.

[59] Il ne s’agit pas d’un cas où la Cour doit rendre une ordonnance pour éviter « un va‑et‑vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » : Vavilov, au para 142. Les observations des parties n’ont pas non plus abordé les préoccupations concernant les délais, l’équité, les coûts et l’utilisation efficace des ressources publiques : Canada (Procureur général) c Burke, 2022 CAF 44 au para 116, citant Vavilov, au para 142.

[60] Dans certaines circonstances, il peut être indiqué de ne pas renvoyer une affaire à un décideur administratif parce qu’il est évident qu’un résultat donné est inévitable ou que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : Vavilov, au para 142; Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada–Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux p 228-230; Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 au para 100, et les affaires qui y sont citées. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire circonscrit en matière de réparation, la Cour doit garder à l’esprit que le décideur administratif, et non la cour de révision, est le décideur du fond : Entertainment Software, aux para 99-100. La Cour d’appel fédérale a également déclaré que le pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer l’affaire pour nouvelle décision ne devrait être exercé que dans les « cas les plus clairs », si la preuve ne peut mener qu’à un seul résultat : Canada (Procureur général) c Impex Solutions Inc., 2020 CAF 171 aux para 90-92.

[61] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’issue de la présente demande n’est pas inévitable et que, par conséquent, l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[62] Comme dans la présente affaire, chacune des parties dans l’affaire Sedki soutenait que son interprétation de certaines dispositions de la LIPR était la seule interprétation raisonnable. Pour résoudre la question de savoir s’il fallait renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, le juge McHaffie a examiné le caractère raisonnable des observations de chaque partie quant au libellé, au contexte et à l’objet des dispositions, conformément à l’approche qu’il convient d’adopter pour l’interprétation législative : voir Vavilov, aux para 115-124; Sedki, aux para 19-21, 32-39. Cette approche est conforme au principe selon lequel l’agent est le juge des faits et le décideur initial sur le fond, et à la directive selon laquelle le rôle de la cour de révision n’est pas de déterminer l’interprétation correcte des dispositions d’une loi : Vavilov, au para 116; Société canadienne des postes, aux para 40 et 41; Mason, au para 20.

[63] Il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire où la seule interprétation juridique raisonnable d’une ou de plusieurs dispositions d’une loi ou d’un règlement mène à un résultat inévitable. Je ne crois pas que la question juridique de savoir si l’agent avait ou non la capacité d’examiner les considérations d’ordre humanitaire en l’espèce soit le seul facteur permettant de tirer une conclusion dans un sens ou dans l’autre. Le règlement des questions en litige en l’espèce nécessite plutôt l’interprétation de plusieurs dispositions de la LIPR, du RIPR et des Instructions ministérielles, ainsi que l’application de la loi et du règlement aux faits et à la situation propres au demandeur. Il ne convient pas que la Cour accorde une réparation sur le fond à cette étape-ci, parce que cela nécessiterait une certaine recherche des faits et l’application, en première instance, de la loi et du règlement à ces faits.

[64] L’agent a appliqué l’article 11.2 de la LIPR et a rejeté la demande. Il a conclu que le demandeur ne répondait plus aux critères minimaux pour être admissible à une invitation à présenter une demande, qui sont prévus dans « une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) » de la LIPR, et qu’il ne satisfaisait donc plus aux exigences de l’article 11.2.

[65] Comme il a été mentionné ci‑dessus, le défendeur soutient que l’interdiction prévue à l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR s’applique parce que le demandeur cherche à faire lever des critères ou des obligations visés par la section 0.1 de la LIPR. Le demandeur n’est pas d’accord. Il soutient qu’il demande seulement à être dispensé, pour des considérations humanitaires, de l’application de dispositions qui ne sont pas visés par la section 0.1, à savoir l’article 11.2 de la LIPR et l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR.

[66] Le défendeur fait valoir, en fait, que le critère de l’expérience de travail énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR s’applique à l’ensemble du processus lié à la catégorie de l’expérience canadienne, de la déclaration d’intérêt initiale à l’invitation et à la présentation de la demande, jusqu’à l’octroi ou au refus d’un visa de résident permanent. Les dispositions reliant l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR à la section 0.1 de la LIPR et aux critères de l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR sont les suivantes :

  • L’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR empêche un agent d’étudier une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire lorsque celle-ci vise à faire lever des critères ou des obligations visés par la section 0.1 de la LIPR;

  • Le paragraphe 10.1(1) de la section 0.1 de la LIPR établit qu’un étranger ne peut présenter une demande de résidence permanente comme membre d’une catégorie visée par une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) que si le ministre lui a formulé une invitation à le faire;

  • L’alinéa 10.3(1)e) de la LIPR dispose que le ministre peut donner des instructions régissant l’application de la section 0.1, notamment des instructions portant sur les catégories auxquelles le paragraphe 10.1(1) s’applique;

  • Le ministre a donné les Instructions ministérielles, dont l’alinéa 2b) dispose que la catégorie de l’expérience canadienne visée au paragraphe 87.1(1) du RIPR est visée par le paragraphe 10.1(1) de la LIPR;

  • Le paragraphe 87.1(1) du RIPR établit la catégorie de l’expérience canadienne, dont un des critères d’admissibilité est le critère de l’expérience de travail prévu à l’alinéa 87.1(2)a).

[67] Selon le défendeur, les Instructions ministérielles données en vertu de l’alinéa 10.1(3)e) de la section 0.1 ont donc adopté le critère de l’alinéa 87.1(2)a) pour ce qui est du processus d’invitation. Ainsi, le critère énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) fait partie des « critères et obligations visés par la section 0.1 » qui, aux termes de l’alinéa 25(1.2)a.1), ne peuvent pas faire l’objet d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’article 11.2 exigeait que l’agent applique le même critère de l’expérience de travail à l’étape de l’invitation à présenter une demande et à l’étape de la présentation de la demande (voir Ugboh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 876 au para 12). Le défendeur fait valoir que l’agent a conclu que le demandeur ne pouvait pas recevoir d’invitation et a donc appliqué l’article 11.2 de la LIPR.

[68] Le demandeur fait valoir (et le défendeur semble être d’accord) que lorsqu’il a déposé sa déclaration d’intérêt le 8 juillet 2020, il satisfaisait au critère de l’expérience de travail énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR qui a plus tard posé problème : il avait accumulé au Canada une année d’expérience de travail au cours des trois années précédentes (c.‑à‑d. depuis le 8 juillet 2017). En ce qui concerne l’invitation à présenter une demande, le demandeur affirme que, en fait, le formulaire en ligne pour soumettre une déclaration d’intérêt à l’égard de la catégorie de l’expérience canadienne dans le système Entrée express, tel qu’il a été conçu par le ministre et tel qu’il est prévu à l’article 5 des Instructions ministérielles, permet seulement d’entrer un mois (et non un jour précis). Par conséquent, le demandeur ne pouvait inscrire que le mois de juillet au moment où il a présenté sa demande, et non un jour précis en juillet. Ainsi, l’invitation a été dûment formulée au cours du mois de juillet, conformément au processus créé par le ministre pour recevoir les déclarations d’intérêt. (Le défendeur a fait valoir que la question était celle de savoir si le demandeur satisfaisait aux exigences relatives à une invitation à la date à laquelle elle a été envoyée, ce qui n’est pas le cas.)

[69] Dans ses observations, le demandeur a aussi souligné que, dans les Instructions ministérielles, la décision d’inviter un étranger à présenter une demande repose sur l’admissibilité du demandeur définie en fonction de la déclaration d’intérêt et à la date de celle‑ci. Le demandeur a comparé cette approche à l’article 11.2 de la LIPR, dont l’application repose sur l’admissibilité à la date à laquelle l’invitation a été formulée. La position du demandeur est appuyée par le paragraphe 5(1) des Instructions ministérielles. Pour être admissible à recevoir une invitation, le demandeur « doit, si sa déclaration d’intérêt était considérée comme une demande de visa de résident permanent » à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne, être en mesure de satisfaire aux exigences pour être membre de cette catégorie et être en mesure de satisfaire aux critères de sélection et aux autres exigences applicables pour recevoir un visa de résident permanent à titre de membre de cette catégorie [non souligné dans l’original]. Si on s’attarde à la partie soulignée du paragraphe 5(1) ci-dessus, il se peut que le demandeur ait été admissible à une invitation même en date du 23 juillet 2020, date à laquelle l’invitation à présenter une demande a été formulée, parce que son admissibilité devait être examinée comme si sa déclaration d’intérêt – soumise le 8 juillet 2020 – était une demande de visa de résident permanent. À cette date, comme il a été expliqué ci‑dessus, il était admissible à recevoir une invitation, et, en appliquant les mots soulignés, le fait qu’il s’est écoulé environ deux semaines avant que l’invitation soit formulée n’a pas d’incidence sur l’issue de sa déclaration d’intérêt.

[70] Si l’on accepte le scénario factuel et juridique avancé par le demandeur, il répondait aux exigences de la section 0.1 de la LIPR. Ce scénario permet également de répondre à l’argument du défendeur au sujet de l’application du critère énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR au moyen des instructions ministérielles données en vertu de l’alinéa 10.1(3)e). L’alinéa 25(1.2)a.1) ne s’appliquerait pas parce que, si l’on accepte le même fondement factuel et juridique, le demandeur avait reçu une invitation valide et avait seulement demandé d’être dispensé de l’application de l’alinéa 87.1(2)a) et de l’article 11.2 (deux dispositions qui ne font pas partie de la section 0.1) lorsqu’il a présenté sa demande de visa de résident permanent accompagnée d’une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en septembre 2020.

[71] Le demandeur a également présenté dans le cadre de la présente demande des éléments de preuve concernant les pratiques du défendeur en ce qui concerne l’application des Instructions ministérielles aux personnes qui ne satisfont pas parfaitement aux exigences de la catégorie de l’expérience canadienne, bien que pour des raisons différentes de celles du demandeur. Le demandeur soutient que ces pratiques informelles étayent sa position.

[72] Les parties ont donc adopté des positions distinctes et opposées, qui peuvent être comparées et contrastées ainsi :

  • Le demandeur affirme qu’il a seulement demandé que soient levés le critère de l’expérience de travail énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR et les critères énoncés à l’article 11.2 de la LIPR, tandis que le défendeur fait valoir qu’il a aussi besoin que soient levés les mêmes critères adoptés dans les Instructions ministérielles données en vertu de l’alinéa 10.3(1)e), qui fait partie de la section 0.1. Le défendeur soutient également que le demandeur a reconnu, dans la lettre datée du 2 septembre 2020 qu’il a envoyée à l’agent, qu’il demandait que soient levés les critères relatifs à l’invitation.

  • Le demandeur fait valoir que l’alinéa 25(1.2)a.1) ne s’applique qu’aux critères et aux obligations visés par la section 0.1 (qui, comme son titre « Invitation à présenter une demande » le laisse entendre, ne concerne que les déclarations d’intérêt et les invitations subséquentes) et non aux exigences de la section 1, qui comprend l’article 11.2, ou du RIPR, dont l’alinéa 87.1(2)a). Le demandeur soutient que le législateur a délibérément inclus l’article 11.2 dans la section 1, plutôt que la section 0.1. En revanche, le défendeur soutient que les Instructions ministérielles intègrent le critère énoncé à l’alinéa 87.1(2)a) du RIPR au processus d’invitation prévu à la section 0.1. Il affirme que l’article 11.2 est [traduction] « lié » à la section 0.1 en raison de son contenu : il interdit expressément à l’agent de délivrer un visa de résident permanent si le demandeur ne satisfaisait pas aux critères pour recevoir une invitation ou présenter une demande.

  • Le demandeur fait valoir que l’objet de l’alinéa 25(1.2)a.1) est seulement d’interdire les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en ce qui a trait aux décisions relatives à l’invitation et non aux demandes, tandis que le défendeur soutient que cela n’a pas d’importance dans les faits parce que le demandeur n’était pas admissible à recevoir une invitation lorsque celle‑ci a été formulée.

  • Le demandeur fait valoir que, dans les faits, il satisfaisait aux exigences établies par le programme de la catégorie de l’expérience canadienne au moment où il a rempli le formulaire en ligne le 8 juillet 2020, tandis que le défendeur soutient qu’il n’était pas admissible à recevoir une invitation en date du 23 juillet 2020 et qu’il ne satisfaisait pas aux exigences pour présenter une demande afin de devenir membre de la catégorie de l’expérience canadienne quand il a présenté une demande en ce sens au début de septembre 2020.

  • Le demandeur soutient que l’invitation à présenter une demande a été formulée à bon droit le 23 juillet 2020, mais le défendeur n’est pas d’accord.

[73] Comme on peut le constater, certaines de ces questions reposent sur des faits. Dans les circonstances, j’estime qu’il ne convient pas de régler ces questions conflictuelles à l’étape de la réparation d’une demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas non plus en mesure de conclure que le résultat proposé par l’une ou l’autre partie dans ses observations est inévitable ou que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien. L’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision, ce qui est la mesure de réparation par défaut et habituelle envisagée dans l’arrêt Vavilov.

V. Conclusion et question certifiée proposée

[74] Pour les motifs qui précèdent, la décision de l’agent datée du 3 juin 2021 sera annulée.

[75] Le demandeur a proposé que la Cour certifie une question à des fins d’appel au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. La question proposée est celle de savoir si l’alinéa 25(1.2)a.1) de la LIPR empêche le défendeur d’examiner les considérations d’ordre humanitaire dans le cadre d’une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie de l’expérience canadienne dans une situation comme celle du demandeur.

[76] Le défendeur était d’avis que si la Cour rendait une décision précise sur la question de l’interprétation législative, la question proposée par le demandeur devait être certifiée. Toutefois, si la question déterminante dont la Cour était saisie était l’absence de motifs de la part de l’agent, le défendeur était d’avis qu’il n’était pas approprié de certifier une question pour régler la question de l’interprétation législative.

[77] À mon avis, la question proposée ne doit pas être certifiée à des fins d’appel. Pour être certifiée, la question doit (entre autres choses) avoir été soulevée et examinée dans la décision de la Cour et être déterminante quant à l’appel : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kassab, 2020 CAF 10 au para 72; Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 RCF 674 au para 46; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 RCF 229 au para 36. Ni l’agent ni la Cour n’a interprété l’alinéa 25(1.2)a.1) ou appliqué cette disposition aux faits. À la lumière des raisons pour lesquelles il a été conclu que la décision de l’agent est déraisonnable et des raisons pour lesquelles l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision, il ne s’agit pas en l’espèce du bon contexte pour certifier la question proposée en vue d’un appel devant la Cour d’appel fédérale.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3893‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie. La décision du 3 juin 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3893‑21

 

INTITULÉ :

KAUSAR NADIM SAMLI, EMILY‑JOY FARAH SAMLI, LEANORA SERAPHINA SAMLI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Laura Best

POUR LES DEMANDEURS

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura Best

Avocate

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Helen Park et Boris Kozulin

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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