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Date : 20220706


Dossier : IMM-6189-18

Référence : 2022 CF 1000

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 juillet 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

WILLIAM MOISES CAMPOS SANDOVAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 13 septembre 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur fondée sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait pas établi qu’il était personnellement exposé à un risque de préjudice.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable et je suis d’avis de rejeter la demande.

I. Contexte

[3] Le demandeur est citoyen du Salvador et était âgé de 21 ans à l’époque de la demande d’asile. Il allègue la crainte d’être persécuté par le gang salvadorien Mara Salvatrucha [la MS].

[4] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur a déclaré que, le 27 février 2016, il avait trouvé une note de menace [la lettre] sur son terrain familial voulant qu’il avait une semaine pour aller grossir les rangs de la Mara Salvatrucha ou pour quitter le pays sinon il serait assassiné. Le 1er mars 2016, il a fui son pays et s’est rendu aux États‑Unis où il a été interpellé pour entrée illégale, détenu puis expulsé vers le Salvador. Il a pris le maquis pendant deux mois avant de repartir aux États‑Unis où il a séjourné chez son frère durant neuf mois avant de se rendre au Canada. Il affirme qu’il n’a pas revendiqué l’asile aux États-Unis parce qu’il redoutait d’y être maltraité ou d’en être expulsé.

[5] Le demandeur est arrivé au Canada au début de l’année 2018. Sa demande d’asile a été renvoyée à la SPR parce qu’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs le visait du fait qu’un des membres de sa famille était un résident permanent du Canada.

[6] La SPR a rejeté sa demande d’asile le 13 septembre 2018. Le conseil du demandeur a convenu que l’article 96 de la LIPR ne s’appliquait pas. La décision de la SPR était fondée sur la crédibilité et sur la question de savoir si le demandeur était suffisamment exposé à un risquepersonnel pour satisfaire aux exigences de l’article 97 de la LIPR.

[7] La SPR s’est montrée préoccupée du fait que le demandeur n’avait pas été plus loquace quant à sa demande d’asile et qu'il n’avait pas fourni de réponses plus exhaustives à des questions simples. Elle a tiré des conclusions défavorables relatives à sa crédibilité pour quatre motifs :

  • il a omis de mentionner une tentative de recrutement des membres de la MS dans son formulaire FDA, quoiqu’il ait été interrogé pour savoir si ce document était complet ou devait être corrigé; et n’a fourni aucune explication juridique pour expliquer son silence;

  • il était incapable de décrire des éléments saillants de la lettre, laquelle était rédigée à l’encre rouge et comportait le dessin d’une arme à feu et d’un couteau, et selon laquelle il serait assassiné s’il signalait l’événement à la police;

  • il n’avait pas revendiqué l’asile aux États-Unis;

  • il n’avait pas réussi à obtenir de déclaration écrite de ses parents, pour étayer sa position voulant que les membres de la MS l’aient recherché après sa fuite du pays, contrairement à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles de la SPR], et il n’avait pas inclus ces faits dans son formulaire FDA.

[8] La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi pour étayer la conclusion selon laquelle les événements allégués se sont effectivement produits ni pour fonder une demande d’asile sur le risque personnalisé au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a en outre conclu que même en tenant les faits pour avérés, le risque auquel le demandeur était exposé n’était pas personnalisé du fait que la jeunesse du Salvador était généralement exposée au risque de subir de la violence de la part des gangs.

II. Questions en litige

[9] Les questions suivantes sont soulevées par la présente demande :

  • La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

  • La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas exposé personnellement à un risque au sens de l’article 97?

III. Norme de contrôle

[10] Le défendeur soutient que les conclusions de fait et les inférences tirées par la SPR devraient être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Il invoque la décision Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 386 [Xiao], l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 et les motifs concordants de la juge Deschamps au paragraphe 161 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick. 2008 CSC 9. Cependant, cet argument ne peut pas être retenu.

[11] En effet, la Cour a fermement rejeté cette thèse dans plusieurs décisions, dont Xiao, où elle a clairement énoncé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée : Xiao aux para 7-9; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915 aux para 13-14; Sivalingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1078 aux para 24-25; Liao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 857 aux para 21-22; Gurung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1472 aux para 6-9; Mburu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 316 aux para 22-24.

[12] Comme l’a indiqué de la manière suivante la Cour aux paragraphes 8 et 9 de la décision Xiao :

[8] Le ministre soutient qu’une norme différente devrait s’appliquer aux inférences factuelles de la SAR. S’appuyant sur la décision Aldarwish, rendue par le juge Annis avant l’arrêt Vavilov, le ministre soutient que les conclusions de fait de la SAR devraient être soumises à la norme d’appel de l’« erreur manifeste et dominante » : Aldarwish c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1265 aux para 21-30; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux para 3-6, 10-25, 36. À mon avis, les préoccupations et les principes soulevés dans l’affaire Aldarwich sont inclus dans l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, qui a confirmé que la norme applicable aux conclusions de fait d’un décideur administratif est celle de la décision raisonnable: Vavilov, aux para 125-126; Sivalingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1078 aux para 24-25.

[9] En particulier, le juge Annis a insisté sur l’importance de s’en remettre à l’évaluation par un décideur administratif du poids à accorder à la preuve : Aldarwish, aux para 22-30. Ce principe est repris dans le concept de contrôle selon la norme de la décision raisonnable expliqué dans l’arrêt Vavilov, selon lequel la Cour doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov, au para 125. Le juge Annis a également conclu que les allégations d’« erreur dans la procédure de recherche des faits », comme le fait d’omettre de considérer des éléments de preuve pertinents, devraient faire l’objet d’une retenue moins élevée : Aldarwish, aux para 21, 33, 42. La Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, de même, a clarifié qu’il s’agit d’un élément du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, reconnaissant qu’une décision peut être déraisonnable s’il y a eu méprise sur la preuve pertinente ou qu’il n’en a pas été tenu compte: Vavilov, aux para 125-126.

[13] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a clairement établi que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée, sauf dans certains cas, lesquels ne s’appliquent pas en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17 et 36. L’erreur manifeste et dominante ne s’applique pas dans ces circonstances. Comme il est énoncé aux paragraphes 125-126 de l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle applicable quant aux conclusions et aux inférences de faits tirées par la SPR est celle de la décision raisonnable.

[14] Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

IV. Question préliminaire – Intitulé

[15] À titre préliminaire, je fais observer que l’intitulé de la présente instance a été modifié de façon à indiquer le bon défendeur, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

V. Analyse

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

[16] Le demandeur conteste chaque conclusion relative à la crédibilité tirée par la SPR. Toutefois, je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle, comme je l’explique plus loin.

(1) L’omission de mentionner la tentative de recrutement dans le formulaire FDA

[17] Le demandeur plaide que la SPR n’a pas tenu compte de ses explications sur les motifs de son silence quant à la tentative de recrutement dans le formulaire FDA. Il affirme que la SPR n’a pas expliqué ce qu’elle entendait par son défaut de fournir une « explication juridique » quant à l’ommission dans sa déposition.

[18] Selon le défendeur, et j’abonde dans son sens, la SPR a adéquatement expliqué les motifs qui l’ont poussée à rejeter l’explication du demandeur quant à son omission d’inclure la tentative de recrutement dans le formulaire FDA. Elle a retenu que « le demandeur d’asile n’a fourni aucune explication juridique pour cette omission et, par conséquent, le tribunal tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité ». Elle a ensuite conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile, qui avait retenu les services d’un conseil compétent ayant confirmé que les renseignements fournis dans le formulaire FDA étaient complets, ait mentionné une rencontre d’une telle importance dans ce document. Il est manifeste que la SPR tenait la rencontre pour importante et la plaçait au cœur de la demande d’asile, tout comme elle estimait qu’il s’agissait du type de renseignement à inclure dans l’exposé circonstancié du demandeur. Or, la seule explication donnée par celui-ci tenait au fait qu’il n’avait pas les documents nécessaires pour étayer sa thèse, que c’était personnel et qu’il ne se rappelait pas de l’événement.

[19] À mon avis, il était raisonnable de juger, au vu de cette explication et de l’importance de l’événement, qu’aucune explication juridique digne de ce nom n’avait été fournie, surtout en tenant compte du fait que le demandeur était représenté par un conseil et qu’il avait été interrogé relativement à son formulaire FDA dès le début de l’audience.

(2) la lettre

[20] Le demandeur soutient que la principale raison pour laquelle la SPR a attaqué sa crédibilité quant à la lettre tenait à son défaut de décrire l’apparence physique de celle-ci, alors qu’elle ne lui avait rien demandé à cet égard. Il plaide que la SPR n’a pas tenu compte de son manque d’instruction et des malentendus qui surviennent souvent quand un demandeur témoigne par le truchement d’un interprète.

[21] Le défendeur rétorque que le demandeur était vague et hésitant durant son témoignage et qu’il a commis des oublis flagrants lorsqu’il a décrit la lettre. Il soutient que l’analyse de la déposition faite par la SPR est donc raisonnable. Je suis d’accord.

[22] Comme le montre l’extrait suivant tiré du témoignage du demandeur devant la SPR, cette dernière lui a posé une série de questions concernant la lettre pour tenter d’en exposer les principaux traits. Or, comme j’en conviens avec le défendeur, les réponses apportées étaient sommaires et évasives :

[traduction]

COMMISSAIRE : Ok. Décrivez la lettre.

DEMANDEUR D’ASILE : Selon les auteurs de la lettre, si je ne me me joignais pas au groupe, ils allaient me tuer et ils m’ont dit qu’il vaudrait mieux pour moi de partir avant qu’ils n’en viennent à commettre ce crime.

COMMISSAIRE : Pouvez-vous décrire la lettre?

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

COMMISSAIRE : Pourquoi pas?

DEMANDEUR D’ASILE : Je ne m’en souviens pas.

[...]

COMMISSAIRE : Alors pourquoi ne vous rappelez-vous pas de l’apparence ou de la teneur de la lettre?

INTERPRÈTE : Merci. [Échange en espagnol.]

DEMANDEUR D’ASILE : Je ne me rappelle pas de la date.

COMMISSAIRE : Vous rappelez-vous un élément quelconque de l’apparence de la lettre?

DEMANDEUR D’ASILE : Je me rappelle qu’elle disait que si je ne me joignais pas à eux, je devrais quitter le pays. Sinon, j’irais grossir les rangs de la Mort.

COMMISSAIRE : La lettre était-elle courtoise?

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

COMMISSAIRE : Pourquoi diriez-vous que ce n’était pas le cas?

DEMANDEUR D’ASILE : Parce que les auteurs me traitaient de chien.

COMMISSAIRE : Pouvez-vous décrire quelque chose d’autre à propos de la lettre?

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

[23] À mon avis, la SPR pouvait raisonnablement commenter l’oubli d’éléments patents comme l’encre rouge et l’image de l’arme à feu et du couteau, surtout après avoir demandé au demandeur de décrire la lettre et de l’avoir interrogé quant à son apparence. Comme l’a ainsi déclaré la SPR :

Bien que le demandeur d’asile soit parvenu à se souvenir, la lettre traite le demandeur d’asile de chien. Il n’a pas donné plus de détails exhaustifs quand il a été questionné par le tribunal.

Aux yeux du tribunal, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne dans la situation actuelle ait été au courant du contenu de sa propre preuve.

Ce n’était pas le cas du demandeur d’asile, pourtant c’est facile à décrire pour toute personne qui a vu la lettre écrite à la main, encore une fois à l’encre rouge, avec ces logos menaçants d’armes très évidents sur la lettre.

Le demandeur d’asile a démontré un manque d’attention aux détails en ce qui concerne le contenu de cet important document, qui constitue en bonne partie le fondement de sa crainte actuelle d’un retour prétendu au Salvador.

De l’avis du tribunal, il n’a donné aucune explication raisonnable concernant cette défaillance de sa mémoire ou de ses souvenirs.

[24] Selon le demandeur, la SPR a omis de tenir compte de son manque d’instruction lorsqu’elle s’est penchée sur ses réponses. Toutefois, celle-ci a mentionné en termes exprès dans ses commentaires liminaires qu’elle a tenu compte, dans son évaluation de la déposition du demandeur, de la déclaration de celui-ci selon laquelle il était issu d’un milieu campagnard, qu’il avait seulement achevé 10 ou 11 années de scolarité et qu’il n’avait pas terminé ses études secondaires.

[25] De surcroît, contrairement aux affaires Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 688 et Farid Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1490 invoquées par le demandeur, le niveau d’instruction de ce dernier n’a joué aucun rôle relativement aux questions sur la lettre puisqu’elles étaient directes et composées de termes simples. Il ne s’agit pas d’un cas où un mot précis ou une pratique culturelle du demandeur a semé la confusion. La SPR a plutôt reproché au demandeur le caractère sommaire de ses propos malgré le nombre de questions posées de différentes façons.

[26] L’argument suivant du demandeur voulant que la SPR ait fait abstraction de simples malentendus découlant de l’interprétation ne me convainc également pas, puisqu’aucun malentendu apparent ne figure sur les transcriptions tirées de son témoignage quant à la lettre. Comme il est établi au paragraphe 25 de la décision Owochei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 140, un demandeur doit soulever toute question relative à l’interprétation à la première occasion. Aucune question de ce type ne l’a été durant la déposition en l’espèce.

[27] À mon avis, la SPR pouvait raisonnablement exprimer des réserves quant aux souvenirs du demandeur relatifs à la teneur et à l’apparence de la lettre, et au fait qu’elle était en sa possession jusqu’au moment de l’audience. Je conviens avec le défendeur qu’il était loisible à la SPR de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité dans ces circonstances.

(3) le défaut d’avoir revendiqué l’asile aux États-Unis

[28] Le demandeur soutient qu’il n’a pas revendiqué l’asile aux États-Unis parce qu’il craignait d’être emprisonné dans ce pays ou d’en être expulsé. Selon lui, la SPR n’a pas tenu compte de son explication et n’a pas suffisamment motivé sa décision de l’écarter : Valencia Pena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 326 au para 4.

[29] La SPR a mentionné qu’elle avait interrogé le demandeur quant à son choix de ne pas présenter de demande d’asile aux États-Unis, et que celui-ci a rétorqué qu’il redoutait d’être expulsé par le président. Elle a fait remarquer que le demandeur identifiait M. Donald Trump comme le président américain de l’époque, alors que le pays était encore gouverné par Obama et son exécutif.

[30] La SPR a pris acte du fait que les allégations d’un demandeur d’asile sont présumées être vraies, sauf s’il y a des raisons de mettre en doute leur véracité : Khokhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449 au para 20. Toutefois, elle a invoqué la décision Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, où il est énoncé au paragraphe 28 que : « [b]ien que les demandeurs d’asile ne soient pas tenus de présenter une demande d’asile dans le premier pays où ils arrivent après s’être enfuis, le défaut de demander l’asile est considéré comme un facteur pertinent dans l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur, à condition que la décision relative à la crédibilité ne s’appuie pas uniquement sur ce critère » (voir également Sidiqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 17 aux para 26-29).

[31] Le demandeur plaide que l’intervalle de neuf mois avant son départ des États-Unis était justifié par la nécessité d’amasser 800 $ pour se rendre par transport privé au Canada. Il rappelle qu’un retard à demander l’asile n’est pas un motif suffisant pour rejeter une demande si celui‑ci peut être justifié : Riche c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1097 au para 15.

[32] Cependant, comme l’a fait observer le défendeur, la SPR n’attaque pas la crédibilité du demandeur en raison de l’intervalle de neuf mois passés en sol américain. Elle met plutôt en exergue son défaut de revendiquer l’asile en fin de compte. Elle tient les propos suivants à cet égard : « le tribunal tire [aussi] une conclusion défavorable quant à la crédibilité globale du demandeur d’asile parce qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis malgré ses séjours prolongés dans ce pays ». Je conviens avec le défendeur qu’il n’existe pas d’erreur susceptible de contrôle dans le fait de tenir compte du défaut de revendiquer l’asile aux États-Unis dans l’évaluation de la crédibilité du demandeur.

(4) l’article 11 des Règles de la SPR et les éléments de preuve corroborants

[33] Le demandeur plaide en outre que la SPR a fait fi de son explication quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas produit d’éléments de preuve corroborants de la part de ses parents. Il affirme qu’elle a commis une erreur dans son application de l’article 11 de ses Règles.

[34] La Cour a statué qu’il est erroné de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité en s’appuyant seulement sur l’absence d’éléments de preuve à l’appui. Toutefois, lorsqu’il existe un motif valable de douter de la crédibilité du demandeur d’asile, l’absence de preuve documentaire peut être valablement prise en considération pour les besoins de l’appréciation de la crédibilité du demandeur : Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 aux para 19-21; Pazmandi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1094 aux para 25-26.

[35] La Cour a proposé au paragraphe 36 de la décision Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, et a appliqué au paragraphe 13 de la décision Nadarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 171, le critère à deux volets qui suit, en vue de déterminer les situations où un décideur peut exiger la production d’éléments de preuve corroborants :

[36] En résumé, le décideur ne peut exiger des éléments de preuve corroborants que dans les cas suivants :

1. Il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité du demandeur d’asile, l’invraisemblance du témoignage du demandeur d’asile ou le fait qu’une grande partie de la demande d’asile repose sur le ouï-dire;

2. On pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve soient accessibles et, après avoir été invité à le faire, le demandeur d’asile a omis de donner une explication raisonnable pour ne pas avoir pu les obtenir.

[36] À mon avis, les motifs de la SPR démontrent qu’elle a soupesé chacun de ces points. Elle a soulevé plusieurs réserves dans sa décision quant à la crédibilité du demandeur, lesquelles ont justifié sa demande d’éléments de preuve à l’appui. La SPR a pris acte de l’explication du demandeur selon laquelle il se contentait de recevoir des conseils de ses parents, mais l’a jugé insuffisante du fait qu’il [traduction] « aurait facilement » pu obtenir une déclaration écrite de ceux-ci vu qu’il avait été en mesure d’obtenir d’autres documents de leur part. Je ne décèle aucune erreur dans la présente analyse.

[37] Pour l’ensemble de ces motifs, à mon avis, le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur susceptible de contrôle au regard des conclusions cumulatives tirées par la SPR quant à sa crédibilité.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas exposé à un risque personnel au sens de l’article 97?

[38] Le demandeur avance que la conclusion de la SPR selon laquelle il était seulement exposé à un risque généralisé est déraisonnable. Selon lui, lorsqu’une personne est personnellement menacée, le risque encouru ne peut plus être qualifié de généralisé, même s’il existe un tel risque dans le pays.

[39] Le défendeur rétorque qu’il n’existe aucun fondement crédible permettant de retenir que le demandeur était personnellement ciblé. Par conséquent, l’argument du demandeur est mal fondé.

[40] En l’espèce, la SPR a examiné la preuve quant à la situation du pays et a conclu que les membres de la MS représentent un risque généralisé pour l’ensemble de la population du Salvador. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir que ceux-ci le recherchaient ou étaient revenus dans ce but depuis son départ du pays. Contrairement aux arguments du demandeur, la SPR n’a pas jugé que la preuve permettait d’établir qu’il avait été personnellement ciblé d’une manière qui exacerberait le risque de préjudice encouru comparé à celui visant la population du Salvador en général. Je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans la présente analyse.

[41] La demande est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et il ne s’en pose aucune dans la présente affaire.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6189-18

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé de l’affaire est modifié pour que soit inscrit correctement le nom du défendeur, à savoir le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6189-18

 

INTITULÉ :

WILLIAM MOISES CAMPOS SANDOVAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

David Orman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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