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Date : 20220704


Dossier : IMM‑6449‑21

Référence : 2022 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KAFAYAT MOSUNMOLA AJIHUN OLALERE‑MARTINS

KISSMAT OMOJOJUOLA ABIKE
MARTINS

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable qu’un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rendue le 6 août 2021. La demanderesse principale (DP) et sa fille, toutes deux citoyennes du Nigéria, soutiennent que l’agent n’a pas dûment tenu compte de la preuve concernant les risques auxquels elles seraient exposées dans ce pays.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent chargé de l’ERAR est raisonnable et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

I. Le contexte

[3] La DP dit qu’elle et sa fille se sont enfuies au Canada en 2016 après que sa belle‑mère eut voulu que sa fille subisse une mutilation génitale féminine. La DP affirme également que la famille de son époux l’a accusée d’être une sorcière et que sa belle‑mère l’a agressée physiquement.

[4] La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile des demanderesses. La Section d’appel des réfugiés (SAR) a rejeté leur appel et a conclu qu’elles disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) valable à Ibadan. Les demanderesses avaient fait valoir qu’elles s’étaient déjà réinstallées à Ibadan pour s’y cacher, mais la SAR a conclu qu’elles n’avaient pas prouvé leur réinstallation selon la prépondérance des probabilités.

[5] Les demanderesses ont présenté une demande d’ERAR et ont déposé de nouveaux éléments de preuve, y compris une lettre du frère de la DP et des éléments de preuve à jour en lien avec la situation au Nigéria.

II. La décision, rendue à la suite de l’ERAR, visée par le contrôle judiciaire

[6] L’agent chargé de l’ERAR a admis la lettre du frère de la DP et les documents sur la situation au Nigéria à titre de nouveaux éléments de preuve. S’agissant de la lettre du frère, l’agent a conclu qu’elle avait une valeur probante minimale et a affirmé que [traduction] « [le frère de la DP] relat[ait] les événements de façon générale [et] ne fourni[ssait] aucune date qui [lui aurait] permis de déterminer quand les événements en question [avaient] eu lieu » et que [traduction] « les demanderesses n’avaient pas fourni les coordonnées de son auteur ».

[7] L’agent a également tenu compte de la déclaration de l’avocat selon laquelle la demande d’asile des demanderesses avait été rejetée en raison de l’existence d’une PRI et non en raison d’une conclusion sur la crédibilité. Toutefois, l’agent a souligné que la SAR avait conclu que l’affirmation de la DP selon laquelle elle s’était cachée dans l’État de Kwara ou d’Oyo était peu crédible. Il a conclu que les demanderesses n’avaient pas donné suite aux conclusions de la SPR ou de la SAR quant à la crédibilité.

[8] Les demanderesses ont également produit l’exposé circonstancié de la DP qui avait été fourni à la SPR. L’agent a conclu qu’elle y [traduction] « [avait] soul[evé] les mêmes faits [que ceux qui ont été soulevés pour justifier les risques auxquels les demanderesses seraient exposées au Nigéria] et n’avait fourni aucune nouvelle preuve probante de sa situation personnelle à l’appui des affirmations qui ont été faites ».

[9] L’agent a rejeté la demande d’ERAR après avoir conclu qu’il n’existait pas, pour les demanderesses, davantage qu’une simple possibilité de persécution pour un motif énoncé dans la Convention, et qu’elles n’avaient pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles seraient exposées à de la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elles étaient renvoyées au Nigéria.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[10] La Cour est uniquement appelée à décider si la décision rendue par l’agent chargé de l’ERAR est raisonnable.

[11] Lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]).

IV. Analyse

A. La décision de l’agent chargé de l’ERAR est‑elle raisonnable?

[12] Les demanderesses font valoir que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur parce qu’il s’en est remis aux conclusions de la SAR quant à la crédibilité et qu’il n’a pas fait une évaluation indépendante de la preuve. Elles soutiennent également que l’agent a eu tort de refuser d’admettre de nouveaux éléments de preuve et qu’il n’a pas bien évalué la PRI proposée.

[13] Il convient, pour commencer, de cerner l’objectif d’un ERAR.

[14] L’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) est ainsi libellé :

Examen de la demande

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet […]

[15] Comme il est mentionné dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 :

La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR [sic] (au para 12).

[16] De plus, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 [Singh], la Cour d’appel a fait une distinction entre le rôle de la SAR et celui de l’agent chargé de l’ERAR :

Le fait que la SAR soit un tribunal administratif quasi judiciaire, par opposition à l’agent d’ERAR qui est un employé du ministre dont les actions relèvent du pouvoir discrétionnaire de son employeur, doit évidemment être pris en considération. De même en va‑t‑il du fait que la SAR exerce une juridiction d’appel et est habilitée à casser la décision de la SPR et à y substituer celle qui aurait dû être rendue, alors que l’agent d’ERAR doit faire preuve de retenue et ne siège pas en appel de la SPR mais n’a pour mission que d’évaluer tout nouveau risque avant un renvoi. Ces distinctions ne sont pas déterminantes quant à l’admissibilité de nouvelles preuves, cependant, et je note que la juge n’a pas précisé en quoi le rôle et le statut distincts de la SAR et de l’agent d’ERAR devaient influer sur les critères d’admissibilité de la preuve et permettaient d’écarter la présomption à laquelle je réfère ci‑dessus.

Pour ce qui est du quatrième critère implicite identifié par cette Cour dans l’affaire Raza, soit le caractère substantiel de la preuve, il y a peut‑être lieu de procéder à certaines adaptations. Dans le contexte d’un ERAR, l’exigence que la nouvelle preuve soit d’une telle importance qu’elle aurait permis de conclure différemment de la SPR peut s’expliquer dans la mesure où l’agent d’ERAR doit faire preuve de déférence eu égard à la décision négative rendue par la SPR et ne peut y déroger que sur la base d’une situation différente ou d’un risque nouveau. La SAR, en revanche, a un mandat beaucoup plus étendu et peut intervenir pour corriger toute erreur de fait, de droit ou mixte. Par conséquent, il se peut que la preuve nouvelle ne soit pas déterminante en soi, mais puisse influer sur l’appréciation globale que fera la SAR de la décision rendue par la SPR (aux para 42 et 47).

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[17] En l’espèce, et conformément à l’arrêt Singh, il était opportun que l’agent chargé de l’ERAR s’en remette aux conclusions de la SAR sur la crédibilité.

[18] Les demanderesses soutiennent que l’agent chargé de l’ERAR a rejeté à tort la déclaration de la DP et la lettre du frère après avoir conclu qu’il ne s’agissait pas de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. Toutefois, en ce qui concerne la déclaration de la DP, l’agent a affirmé qu’il l’avait prise en compte, même s’il ne l’a pas admise comme nouvel élément de preuve. De même, s’agissant de la lettre du frère, l’agent l’a admise explicitement en preuve après l’avoir évaluée et a ajouté ce qui suit : [traduction] « Je retiens tous les autres éléments de preuve présentés en tant que nouveaux éléments de preuve. »

[19] Par conséquent, l’affirmation des demanderesses selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentés n’est pas fondée.

[20] Quant à la PRI, les demanderesses soutiennent que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas cherché à savoir si Ibadan constituait pour elles une PRI valable sur le fondement des nouveaux éléments de preuve.

[21] Le critère à deux volets pour établir l’existence d’une PRI est le suivant : i) l’individu ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région de la PRI (selon la prépondérance des probabilités); et ii) la situation dans la PRI proposée, compte tenu de toutes les circonstances, est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’individu d’y chercher refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011, [1994] 1 CF 589 (CAF)).

[22] Les demanderesses soutiennent qu’elles s’étaient déjà réinstallées dans la PRI proposée et que leur agent de persécution le sait. À ce sujet, l’agent chargé de l’ERAR a souligné que la SAR n’avait pas retenu le témoignage de la DP selon lequel elle avait déjà résidé dans la PRI. Il a ajouté ce qui suit [traduction] : « J’estime que l’avocat n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve propres à la situation personnelle [de la DP] dont la valeur probante permettrait d’infirmer la conclusion selon laquelle les demanderesses disposent d’une PRI valable à Ibadan. »

[23] Dans l’ensemble, il était raisonnable que l’agent chargé de l’ERAR s’en remette à cette conclusion. Essentiellement, les demanderesses prient la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’agent, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

[24] Enfin, les demanderesses soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte des risques soulevés dans la preuve sur la situation au Nigéria en ce qui a trait à l’accusation de sorcellerie portée contre la DP. L’agent a admis les documents sur la situation dans ce pays en tant que nouveaux éléments de preuve et a dit que ces éléments avaient été pris en considération.

[25] Le simple fait que l’agent n’a pas mentionné expressément les articles concernant la sorcellerie ne signifie pas qu’il n’en a pas tenu compte (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425, [1999] 1 CF F‑66 au para 16). De plus, il ne s’agit pas d’une situation où le défaut de l’agent de mentionner des éléments de preuve se rapporte à un élément essentiel, ou d’une situation où la preuve contredit les conclusions de l’agent (Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160, au para 48). Aucune erreur n’a été commise à cet égard.

[26] Dans l’ensemble, les demanderesses n’ont pas démontré que la conclusion de l’agent, selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de leur demande d’asile, était erronée. Par conséquent, la décision de l’agent chargé de l’ERAR est raisonnable.

V. Conclusion

[27] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6449‑21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

IMM‑6449‑21

INTITULÉ :

KAFAYAT MOSUNMOLA AJIHUN OLALERE‑MARTINS, KISSMAT OMOJOJUOLA ABIKE MARTINS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

POUR LES DEMANDERESSES

 

Zofia Rogowska

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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