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Date : 20220711


Dossier : T‑186‑22

Référence : 2022 CF 1015

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

RANDY RIVER INC.

demanderesse

et

OSLER, HOSKIN & HARCOURT, S.R.L.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande consiste en un appel interjeté au titre de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la LMC], à l’égard de la décision rendue le 2 décembre 2021 par le registraire des marques de commerce [le registraire] concernant une procédure amorcée au titre de l’article 45 de la LMC par laquelle il a indiqué que l’enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse portant le numéro LMC 577 004 [l’enregistrement], relativement à la marque de commerce « R2 » [la marque], serait radié conformément au paragraphe 45(4) de la LMC pour défaut de produire les éléments de preuve requis permettant d’établir l’emploi de la marque.

I. Le contexte

[2] La marque de la demanderesse a été enregistrée le 5 mars 2003 pour un emploi en liaison avec les produits suivants : (1) chaussettes; (2) blazers, pantalons et chemises; (3) sacs, nommément fourre‑tout et sacs à chaussettes; (4) vestes; portefeuilles; et bijoux, nommément colliers; (5) shorts; (6) montres; (7) vêtements, nommément sous‑vêtements, chapeaux, gants, écharpes, ceintures, pyjamas, chemises de nuit; chaînettes de porte‑clés; lunettes de soleil et étuis de lunettes de soleil; et articles de papeterie, nommément blocs‑notes, autocollants et stylos [les produits visés par l’enregistrement].

[3] Le 9 février 2021, le registraire, à la demande de la défenderesse, a donné à la demanderesse un avis au titre de l’article 45 de la LMC, lui enjoignant de fournir, dans les trois mois suivant la date de l’avis, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant si la marque avait été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis, en liaison avec chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement, et dans la négative, en indiquant la date à laquelle celle‑ci a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[4] La demanderesse n’a pas fourni la preuve exigée par l’avis. Par conséquent, le 2 décembre 2021, le registraire a conclu que l’enregistrement serait radié du registre.

[5] Le 2 février 2022, la demanderesse a déposé la présente demande par laquelle il interjette appel de la décision du registraire en ce qui concerne uniquement l’emploi de la marque en liaison avec des chemises et des shorts. À l’appui de la demande, la demanderesse a déposé l’affidavit de Paul Brener, souscrit le 1er mars 2022. M. Brener est le vice‑président des finances de la demanderesse. Il est également secrétaire‑trésorier de Fairweather Ltd. et vice‑président des finances de INC Group Inc, deux sociétés liées à la demanderesse. M. Brener déclare que : a) Fairweather Ltd. est une licenciée de la demanderesse; elle avait obtenu une licence l’autorisant à employer la marque au Canada en liaison avec les produits visés par l’enregistrement et b) INC Group Inc. est le grossiste et l’importateur de la demanderesse et de Fairweather Ltd.

[6] La défenderesse s’abstient de prendre position relativement à la demande.

II. Analyse

[7] Le paragraphe 56(5) de la LMC prévoit que, lors d’un appel à l’encontre d’une décision rendue par le registraire, la Cour peut examiner une preuve en plus de celle qui avait été fournie devant le registraire, et la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. Dans le cadre d’une procédure amorcée au titre de l’article 45, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée en appel et que cette preuve aurait influé de manière significative les conclusions de fait tirées par le registraire ou l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte et la Cour se doit de tirer ses propres conclusions et trancher la question de novo en tenant compte de toute la preuve qui lui est soumise [voir Caterpillar Inc. c Puma SE, 2021 CF 974 au para 32].

[8] Pour être considérée comme « pertinente », la preuve additionnelle doit être suffisamment importante et de valeur probante [voir Clorox Company of Canada, Ltd. c Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76 au para 21].

[9] En l’espèce, au moment de rendre sa décision, le registraire ne disposait d’aucun élément de preuve. La Cour dispose maintenant de l’affidavit de M. Brener, qui traite directement de la question de l’emploi de la marque dans la pratique normale du commerce durant la période pertinente. Je suis convaincue que cette preuve a une valeur probante et qu’elle aurait influé de manière significative les conclusions tirées par le registraire. Par conséquent, la Cour tranchera la présente affaire de novo.

[10] L’article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire et expéditive pour que soient radiés du registre des marques de commerce les enregistrements de marques tombés en désuétude [voir Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au para 9]. Dans le cadre d’une procédure amorcée au titre de l’article 45, le critère à satisfaire pour établir l’emploi d’une marque n’est pas très sévère, et il n’est pas nécessaire que le propriétaire inscrit fournisse une preuve surabondante d’usage ou d’utilisation de la marque [voir Vêtements corporatifs Multi‑Formes Inc. c Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237 au para 20]. Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits s’il est prouvé que le propriétaire inscrit ou sa licenciée a vendu les produits visés au Canada au cours de la période pertinente et que la marque était apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si la marque est, de toute autre manière, liée aux produits au moment de la vente [voir le paragraphe 4(1) de la LMC]. Ainsi, même la preuve d’une seule vente effectuée dans la pratique normale du commerce serait suffisante pour que soit maintenu l’enregistrement, à condition que cette vente soit considérée comme une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce [voir Vêtement corporatifs Multi‑Formes Inc., précité au para 22; Attraction Inc. c Ethika Inc, 2018 CF 1136 au para 13].

[11] La demanderesse a maintenant, dans le cadre de la présente demande, fourni une preuve de l’emploi de la marque, au moyen de l’affidavit de M. Brener. Ce dernier confirme que la pratique normale du commerce de la demanderesse consiste en la vente de vêtements et d’accessoires pour hommes, femmes et enfants aux consommateurs canadiens par l’intermédiaire de divers magasins de vente au détail de vêtements au Canada. Les vêtements et accessoires sont fabriqués à l’étranger et importés au Canada par INC Group Inc. qui distribue les vêtements aux magasins de vente au détail de vêtements au Canada appartenant à son autre société affiliée, Fairweather Ltd. Les vêtements et accessoires de la demanderesse arborent la marque, ainsi que la marque maison de la demanderesse, RANDY RIVER.

[12] En ce qui concerne l’emploi de la marque en litige, l’affidavit de M. Brener contient, à titre de pièces jointes, diverses photographies de quatre chemises et de six shorts différents portant la marque à la fois sur l’étiquette des chemises et sur les étiquettes volantes, ainsi qu’à des documents récapitulatifs des ventes générés à partir du système de marchandisage de Fairweather Ltd. indiquant les volumes et les montants exacts des ventes de ces chemises et de ces shorts. La preuve démontre qu’au cours de la période de deux ans allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2020 (qui est comprise dans la période de trois ans pertinente dans le cadre de la procédure amorcée au titre de l’article 45), plus de 5 600 chemises et 8 900 shorts arborant la marque ont été vendus au Canada (dans des magasins de vêtements appartenant à Fairweather Ltd.), ce qui représente des ventes de plus de 70 000 $ et 75 000 $ respectivement.

[13] L’affidavit de M. Brener ne fournit des éléments de preuve qu’en ce qui concerne les chemises et les shorts. La demanderesse reconnaît que les autres produits enregistrés doivent être radiés de l’enregistrement, de sorte que la description modifiée des produits doit être libellée ainsi : « chemises, shorts ».

[14] Je conclus que Fairweather Ltd. est une licenciée de la demanderesse et que cette dernière a démontré qu’elle contrôle, aux termes de sa licence qu’elle a octroyée à Fairweather Ltd, directement ou indirectement, les caractéristiques et la qualité des produits au sens du paragraphe 50(1) de la LMC, compte tenu de la preuve de M. Brener selon laquelle M. Isaac Benitah est le chef de la direction de la demanderesse, de Fairweather Ltd. et de INC Group Inc. et que ce dernier contrôle personnellement et directement les caractéristiques et la qualité des chemises et des shorts arborant la marque [voir Empresa Cubana Del Tabacp (Sociale Cubatabaco) c Shapiro Cohen, 2011 CF 102 au para 84; conf par 2011 CAF 340].

[15] Je conclus que la preuve soumise par la demanderesse démontre que cette dernière ou sa licenciée a employé la marque dans le cadre de la pratique normale du commerce durant la période pertinente. La marque ne constitue manifestement pas du « bois mort », puisqu’un volume important de shorts et de chemises arborant la marque a été vendu par le détaillant de la demanderesse au cours de la période pertinente. Par conséquent, je suis d’avis que l’appel devrait être accueilli.

[16] La demanderesse a réclamé les dépens. La Cour est d’avis que le présent appel n’aurait pas été nécessaire si la demanderesse avait répondu à l’avis délivré au titre de l’article 45. Compte tenu de son défaut d’y répondre, je ne vois aucune raison d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour adjuger les dépens à la demanderesse relativement à la présente demande.


JUGEMENT dans le dossier T‑186‑22

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est accueilli.

  2. La décision du registraire, datée du 2 décembre 2021, par laquelle il a ordonné que l’enregistrement de la marque de commerce no LMC 577 004 soit radié, est annulée.

  3. L’enregistrement de la marque de commerce no LMC 577 004 pour la marque de commerce « R2 » demeure consigné dans le registre, mais uniquement en ce qui concerne son emploi en liaison avec des chemises et des shorts.

  4. Les parties assument leurs propres frais.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑186‑22

INTITULÉ :

RANDY RIVER INC. c OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.R.L.

LIEU DE L’AUDIENCE :

VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juillet 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Reagan Seidler

POUR LA DEMANDERESSE

Aucun

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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