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Date : 20220707


Dossier : IMM‑3534‑20

Référence : 2022 CF 1004

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

HARMAN PAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, rendue le 13 mars 2020, par laquelle le demandeur s’est vu refuser le permis de travail qu’il avait demandé dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [PTET] pour venir au Canada en tant qu’ouvrier agricole polyvalent.

[2] La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II. Le contexte

[3] Le demandeur est âgé de trente et un ans (date de naissance : le 28 décembre 1990). Il n’est pas marié et n’a pas d’enfant. Il est citoyen de l’Inde et d’aucun autre pays. Il réside actuellement dans le district de Hoshiarpur, dans l’état du Pendjab, en Inde. Ses deux parents et son unique frère résident tous eux aussi dans le district de Hoshiarpur.

[4] Le demandeur a présenté le 12 février 2020 sa demande d’entrée au Canada dans le cadre du PTET, avec l’intention de travailler comme ouvrier agricole polyvalent. Sa demande a été refusée le 13 mars 2020 parce que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur retournerait en Inde au terme de son séjour autorisé.

[5] Le demandeur travaille actuellement comme ouvrier agricole dans un village du district de Hoshiarpur, le VPO Gondpur. Ses employeurs éventuels au Canada sont Sukhdev Rai et Amarjit Rai, faisant affaire sous le nom de Colebrook Heritage Farm à Surrey, en Colombie‑Britannique. En raison d’une pénurie de travailleurs agricoles au Canada, l’employeur a demandé une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT].

[6] Une EIMT favorable a été émise le 18 novembre 2019 à l’égard de quatre travailleurs agricoles. Le demandeur a ensuite reçu une offre d’emploi, puis il a présenté une demande de permis de travail. Les pièces suivantes étaient jointes à sa demande :

  • [1] L’EIMT favorable :

  • [2] L’offre d’emploi;

  • [3] Un affidavit du demandeur où celui‑ci déclare être ouvrier agricole depuis mai 2016;

  • [4] Des lettres de soutien indiquant que le demandeur est un fermier;

  • [5] Les lettres de fournisseurs d’équipement agricole confirmant que le demandeur s’approvisionne auprès d’eux à des fins d’agriculture;

  • [6] La lettre d’un commerçant déclarant que le demandeur lui vend des cultures;

  • [7] Une lettre du père du demandeur;

  • [8] Des états financiers attestant l’existence des actifs du demandeur et de son père;

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] L’agent a conclu qu’il était peu probable que le demandeur quitte le Canada à l’expiration de son permis de travail en raison de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence.

[8] Dans les notes du système mondial de gestion des cas [les notes du SMGC], l’agent a pris acte du fait que le demandeur avait demandé un permis de travail sous le code de classification nationale des professions [CNP] 8431, « ouvrier agricole». L’agent a également noté que le demandeur avait reçu une offre d’emploi pour travailler à Surrey, en Colombie‑Britannique, et que l’EIMT pour ce poste n’imposait aucune exigence particulière en matière d’études, d’expérience ou de langue.

[9] Les notes du SMGC contiennent les rares remarques suivantes relatives aux motifs de la décision :

[TRADUCTION]

Je ne suis pas convaincu du niveau d’établissement du DP dans son pays d’origine, ni de ses liens avec le pays en question. Je ne suis pas convaincu que le DP aura la volonté de quitter le Canada avant la fin de son séjour temporaire si celui‑ci est autorisé. Refusé en vertu de l’alinéa 200(1)b) du Règlement.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[10] Le demandeur a soulevé deux questions. Premièrement, celle de savoir si le refus de l’agent de lui délivrer son permis de travail est raisonnable. Deuxièmement, celle de savoir si l’agent a enfreint les principes d’équité procédurale en le privant de la possibilité de répondre aux préoccupations qu’il avait quant au but de la visite du demandeur au Canada et à ses liens familiaux au Canada et en Inde.

[11] À l’audience, j’ai informé l’avocat que je ne voyais aucun fondement à l’argument de l’équité procédurale dans les documents écrits, et que je n’étais pas convaincu par l’argumentation orale selon laquelle la question devrait être traitée. Il ne s’agit pas ici d’un cas dans lequel il aurait pu exister une conclusion implicite quant à la crédibilité. L’authenticité ou la crédibilité des documents soumis, y compris l’affidavit du demandeur, n’ont pas été remises en question.

[12] Il reste la question du caractère raisonnable de la décision. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 24, le caractère raisonnable est la norme présumée de contrôle des décisions administratives. Pour être considérée raisonnable, une décision doit être à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifiée eu égard aux faits et au droit applicable à la décision. Pour déterminer si une décision est conforme à cette norme, la Cour doit examiner si la décision est justifiée, transparente et intelligible : Vavilov au para 86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir].

[13] Bien que l’obligation d’un agent des visas de fournir les motifs d’une décision relative à un permis de travail soit minimale, ces motifs sont le moyen par lequel le décideur fait connaître le raisonnement sous‑jacent à sa décision. Une cour de révision doit débuter son analyse du caractère raisonnable d’une décision en étudiant les motifs fournis, avec une attention respectueuse et en cherchant à comprendre le processus suivi par le décideur pour arriver à sa conclusion : Dunsmuir, para 48; Vavilov, para 84.

V. Analyse

[14] Il ressort des documents soumis à l’appui de la demande de permis de travail que le demandeur et son père ont accumulé des actifs substantiels liés à leur entreprise agricole située dans le district de Hoshiarpur, au Pendjab, en Inde. Le fait de le mentionner ne signifie pas que cela aurait dû être une raison suffisante pour faire droit à la demande de permis de travail.

[15] Cependant, les notes du SMGC ne révèlent aucun raisonnement au soutien de la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que le demandeur retournerait dans son pays d’origine à l’expiration du permis de travail. Les notes sont muettes quant à l’importance de l’établissement économique du demandeur en Inde. Elles n’indiquent pas non plus que le demandeur était engagé non seulement dans les aspects du travail agricole qui impliquent un travail manuel, mais aussi dans l’achat de fournitures liées à la production agricole, comme le carburant, les pesticides et les semences, et dans la vente de cultures aux détaillants et aux grossistes.

[16] De plus, selon le dossier, toute la famille du demandeur résidait en Inde. Aucun document dans le dossier de la preuve n’indiquait que le demandeur avait de la famille au Canada. Les notes du SMGC ne donnent pas à penser que l’agent était en possession d’informations à l’effet inverse. L’agent n’a pas expliqué en quoi, malgré les nombreux éléments de preuve en sens contraire, le niveau d’établissement du demandeur en Inde n’était pas suffisant pour susciter chez lui la volonté d’y retourner.

[17] Bien que le défendeur ait tenté d’expliquer pourquoi l’agent aurait pu arriver à cette décision en se fondant sur le dossier, ces explications n’apparaissent pas dans les motifs fournis.

VI. Conclusion

[18] Au vu de la décision, y compris les notes du SMGC, la Cour n’est pas en mesure de comprendre le processus de raisonnement suivi par l’agent des visas pour arriver à la conclusion que le demandeur ne retournerait probablement pas en Inde à l’expiration du permis de travail. En conséquence, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que la décision est déraisonnable et de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision par un autre agent.

[19] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.



JUGEMENT dans le dossier IMM‑3534‑20

LA COUR STATUE QUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

  2. 2. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie‑Marie Bissonnette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3534‑20

INTITULÉ :

HARMAN PAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence À vancouver, COLOMBIE‑BRITANNIQUE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 aVril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 7 juILLET 2022

COMPARUTIONS :

Parveer Ghuman

POUR LE DEMANDEUR

Brett Nash

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CityLaw Group

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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