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Date : 20220713


Dossiers : IMM-1982-21

IMM-2439-21

Référence : 2022 CF 1032

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2022

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

SELVIN EDGARDO PAZ MEJIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, Selvin Edgardo Paz Mejia, sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

[2] Par la première (dossier de la Cour no T-1982-21), datée du 21 décembre 2020, un agent principal a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du demandeur (la décision relative à la demande d’ERAR). Par la deuxième (dossier de la Cour no T-2439-21), datée du 30 mars 2021, le même agent principal a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que le demandeur avait présentée depuis le Canada (la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Le 26 avril 2022, le juge Gascon a ordonné que les deux dossiers soient entendus consécutivement le 5 juillet 2022.

[3] Les faits sont les mêmes dans les deux dossiers, qui ont été préparés par le même décideur les 29 septembre et 19 octobre 2020. Le demandeur avance en grande partie les mêmes arguments en faveur du caractère déraisonnable de chacune des décisions. Par conséquent, dans les motifs qui suivent, je traiterai des deux décisions.

II. Le contexte

[4] Le demandeur, Selvin Edgardo Paz Mejia, est né à San Pedro Sula, dans la République du Honduras (le Honduras) le 3 octobre 1983.

[5] En mai 2015, le demandeur a ouvert un café Internet à San Pedro Sula. Quatre mois plus tard, en septembre 2015, des membres de la Mara 18, un groupe criminel local notoire, se sont présentés à son café, l’ont menacé à la pointe d’armes à feu et lui ont dit qu’il devait faire des paiements hebdomadaires pour maintenir son entreprise ouverte et sa famille en sécurité. Le demandeur a obéi, mais il a déposé une plainte auprès de la police deux mois plus tard, le 18 novembre 2015. Lorsque la Mara 18 l’a su, des membres du groupe ont de nouveau menacé de le tuer et de tuer sa famille.

[6] La Mara 18 a répété ses menaces après que le demandeur eut déposé une deuxième plainte auprès de la police, le 22 janvier 2016. Après la troisième plainte, déposée le 21 avril 2016, des membres de la Mara 18 l’ont frappé et ont détruit quelques-uns de ses ordinateurs; le demandeur a dû se rendre à l’hôpital, car des points de suture étaient nécessaires. Après cette troisième altercation, le demandeur a déposé une quatrième plainte auprès de la police, puis, se sentant en danger au Honduras, il a décidé de quitter le pays. Il a vécu caché pendant quelques mois, le temps d’amasser suffisamment d’argent pour partir, ce qu’il a fait le 19 août 2016. En septembre 2016, sa tante a déposé une plainte auprès de la Commission nationale des droits de la personne du Honduras.

[7] Le demandeur est arrivé au Canada via les États-Unis le 15 octobre 2016, et, en décembre, il a présenté une demande d’asile. Dans l’exposé accompagnant sa demande d’asile, le demandeur a allégué qu’il craignait que la Mara 18 attente à sa vie. Avant l’audience de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), le demandeur a modifié son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) en ajoutant des renseignements que sa tante lui avait fournis, à savoir qu’elle avait été abordée par deux hommes qui l’avaient questionnée au sujet de son neveu et qui lui avaient dit qu’ils le tueraient. Le demandeur a également déposé une lettre d’une voisine selon laquelle la Mara 18 était toujours à sa recherche.

[8] Le 28 février 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur pour des motifs de crédibilité. Le demandeur a interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a infirmé la conclusion de la SPR en matière de crédibilité, mais qui a confirmé sa décision. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention parce que les actes de la Mara 18 ne relevaient pas de la persécution, mais de la criminalité, ce qui ne permettait pas d’établir un lien avec l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elle a également conclu que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR en raison de [traduction] « la preuve abondante établissant qu’une proportion importante de la population, en particulier les propriétaires d’entreprise, est généralement exposée au risque d’extorsion, et ce, partout au Honduras ». Le 14 mars 2018, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur visant la décision de la SAR (dossier IMM-5216-17) a été rejetée.

[9] Le 5 novembre 2018, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a convoqué le demandeur à une entrevue qui aurait lieu le 22 novembre 2018. Le 6 décembre 2018, le demandeur a déposé une demande d’ERAR. En plus de sa demande d’asile, il a présenté des documents supplémentaires, dont un rapport de police selon lequel des membres de la Mara 18 avaient agressé sa cousine en septembre 2018. Les 18 et 22 janvier 2019, il a présenté des observations supplémentaires accompagnées d’un rapport de police selon lequel des membres de la Mara 18 avaient agressé une autre de ses cousines en septembre 2018.

[10] Le 18 janvier 2019, la demande initiale d’ERAR du demandeur a été rejetée. Le 28 octobre 2019, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour (IMM-6479-19). Le même jour, il a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Trois jours plus tard, il a en outre demandé à IRCC que sa demande d’ERAR rejetée soit rouverte et réexaminée.

[11] Le 6 novembre 2019, le juge Diner a rendu une ordonnance sursoyant au renvoi dans le dossier IMM-6479-19 relatif au contrôle judiciaire de la demande initiale d’ERAR. Le 18 février 2020, à la suite d’un règlement entre les parties, la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la demande initiale d’ERAR a été abandonnée. Le 22 mai 2020, et à nouveau le 30 juillet 2020, l’avocat du demandeur a envoyé des observations supplémentaires à IRCC en vue du nouvel examen de la demande d’ERAR. Dans un courriel du 30 juillet 2020, il était demandé qu’un autre agent rende une nouvelle décision, car, seulement huit jours après le dépôt de l’avis de désistement du contrôle judiciaire devant la Cour, une décision avait été rendue même si les observations mises à jour n’avaient pas été reçues, ce qui contrevenait aux conditions de l’accord de règlement.

[12] Le 12 juillet 2020, le demandeur a été accusé des infractions visées aux dispositions suivantes du Code criminel : (1) 320.13(1) conduite dangereuse, (2) 320.14(1)a) capacité de conduire affaiblie, (3) 264.1(1)a) proférer des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un, et (4) 320.15(1) omission ou refus d’obtempérer. Le demandeur n’a pas fourni d’autres renseignements à propos de ces accusations.

[13] Le 29 septembre 2020, l’avocat du demandeur a déposé d’autres observations supplémentaires à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, dont un affidavit souscrit par le demandeur, une déclaration sous serment de deux de ses cousines issues de germains, un affidavit d’une experte, Elizabeth Kennedy, et le permis de travail ouvert du demandeur au Canada.

[14] L’avocat du demandeur a demandé que la demande d’ERAR et la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soient examinées par le même agent et à la lumière du même dossier de preuve. Cela a été fait.

[15] Le 21 décembre 2020, la demande d’ERAR a été rejetée. Le 16 mars 2021, à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’avocat du demandeur a déposé des observations supplémentaires accompagnées d’articles et de rapports sur l’état actuel de la protection qu’offrent les autorités honduriennes.

[16] Le 30 mars 2021, l’agent qui avait rejeté la demande d’ERAR a également rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, rédigée le 4 janvier 2021, comprend les motifs du rejet ainsi qu’un addenda contenant les motifs de la décision du 30 mars 2021 de maintenir le rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire après avoir examiné celle-ci de nouveau et après avoir examiné les observations supplémentaires que le demandeur avait présentées le 16 mars 2021 (ci-après, la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour le 13 avril 2021. Le demandeur a initialement présenté deux demandes distinctes concernant les deux décisions, mais le 24 juin 2021, la juge Furlanetto a ordonné que les dossiers IMM-2439-21 et IMM-2440-21 soient combinés dans un même dossier, IMM-2439-21). Le 26 avril 2022, le juge Gascon a ordonné que j’entende les deux dossiers consécutivement.

III. Les questions en litige

[17] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent relative à la demande d’ERAR est-elle raisonnable?

  2. La décision de l’agent relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est-elle raisonnable?

IV. La norme de contrôle

[18] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[19] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […], […] [l]’analyse a […] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ». En l’espèce, je ne vois aucune raison de déroger à cette présomption générale. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[20] Lorsque la Cour effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, elle applique le principe de la retenue judiciaire et fait preuve de respect à l’égard du rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov, au para 13). Ce faisant, elle ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à trancher elle-même la question en litige (Vavilov, au para 83). Elle se penche plutôt sur les motifs du décideur administratif et apprécie, d’après le raisonnement suivi et le résultat obtenu, le caractère raisonnable de la décision rendue au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov, aux para 81, 83, 87, 99). Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible pour les personnes concernées, et elle témoigne d’« une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif, le dossier dont disposait le décideur et les observations des parties sont pris en compte (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94-96, 99, 127-128).

V. Analyse

A. Analyse de la décision relative à la demande d’ERAR

(1) Le critère relatif à la protection de l’État

[21] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas appliqué le critère juridique approprié dans son analyse de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État. Le demandeur soutient que l’agent s’est concentré sur les [traduction] « efforts » du gouvernement et des autorités du Honduras visant à lutter contre la criminalité et la violence liées aux gangs (le type de menace auquel le demandeur serait exposé au Honduras) plutôt que d’analyser [traduction] « le caractère adéquat de la protection au niveau opérationnel » (pour reprendre les termes qu’a employés le demandeur).

[22] En outre, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en se concentrant dans son analyse sur les processus d’enquête et de plainte, et sur la protection de la police dont peuvent se prévaloir les citoyens qui ont reçu des menaces de la part des gangs au Honduras. Ce faisant, il a fait abstraction des observations du demandeur selon lesquelles, dans son cas, se prévaloir de ces processus et de la protection du gouvernement avait amené la Mara 18 à le tenir pour un informateur et, pour cette raison, à le menacer plus violemment et à agresser sa famille. Le demandeur s’appuie sur les paragraphes 33 et 35 de la décision Ademi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 366, mais établi une distinction entre sa situation et celle de M. Ademi. La différence est que, dans la présente affaire, l’erreur de l’agent est encore plus manifeste et plus grave. Le demandeur soutient qu’elle est plus manifeste et plus grave parce que les plaintes déposées auprès de la police sont la raison pour laquelle la Mara 18 a intensifié ses menaces, ce qui l’a amené à ajouter un profil de risque dans sa demande d’asile, celui d’informateur présumé.

[23] En outre, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en faisant abstraction de ses observations et de la preuve contredisant la conclusion selon laquelle il est possible de se prévaloir de la protection de l’État au Honduras, l’élément le plus crucial de la demande d’ERAR et de la décision de l’agent relative à celle-ci. Il soutient que cela est mis en évidence par le fait que la documentation objective qu’il a présentée comprend une version plus récente (2019) du rapport de Freedom House Freedom in the World sur le Honduras que celles que l’agent a citées (2017 et 2018). Il affirme que l’agent [traduction] « a sélectionné » les renseignements dans la documentation objective en s’appuyant uniquement sur les passages qui confortaient sa conclusion selon laquelle il était possible de se prévaloir de la protection de l’État au Honduras.

[24] Dans le cadre d’une demande d’ERAR, il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait plus probable qu’improbable qu’il soit personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (LIPR, art 96, 97, 112; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1; voir aussi Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749 aux para 49-52).

[25] Je conviens avec le demandeur que « le critère relatif à la protection de l’État requiert une évaluation du caractère adéquat de la protection au niveau opérationnel, et non si l’État fait des efforts pour protéger ses citoyens » (Paul c Canada (Immigration, réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 687, renvoyant à Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 38). Toutefois, je conviens avec le défendeur qu’il incombait au demandeur de démontrer que cette protection était inadéquate dans son cas ou qu’il ne pouvait s’en prévaloir, et je conviens également avec le défendeur que l’agent a raisonnablement conclu, en s’appuyant sur une analyse raisonnable de la preuve documentaire, que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[26] Contrairement à ce que soutient le demandeur, je ne conclus pas que l’agent a uniquement évalué les efforts de l’État, au détriment de la question du caractère adéquat de la protection au niveau opérationnel. Bien que je convienne avec le demandeur que, dans son analyse, l’agent a souvent employé des synonymes du mot [traduction] « efforts » et qu’il aurait pu employer des termes plus appropriés pour traiter du « caractère adéquat » de la protection de l’État « au niveau opérationnel », il est manifeste, à la lecture de la décision relative à la demande d’ERAR dans son ensemble, que l’agent a analysé les éléments de preuve personnels et objectifs concernant la protection de l’État en ayant à l’esprit la question du caractère adéquat de la protection de l’État au niveau opérationnel. Comme il est davantage expliqué ci-dessous, on peut suivre le raisonnement de l’agent chargé de l’ERAR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique. Je ne conclus pas non plus que l’agent a fait abstraction d’un des éléments de preuve du demandeur. Je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que l’analyse de la protection de l’État effectuée par l’agent souffre d’une lacune « suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[27] L’agent a examiné en profondeur les documents objectifs sur la situation dans le pays, puis a conclu que la criminalité et la violence liées aux gangs demeuraient un problème au Honduras. Il a écrit : [traduction] « Je suis également conscient que l’impunité et la corruption existent toujours, et je reconnais que le système judiciaire et l’application de la loi sont loin d’être parfaits au Honduras. » L’agent n’a pas uniquement sélectionné ce qui se rapporte aux [traduction] « efforts » de l’État; il a examiné en profondeur les risques auxquels le demandeur serait désormais exposé s’il devait retourner au Honduras. Il a conclu que l’État était déterminé à réformer la police et que [traduction] « la Commission spéciale chargée de l’épuration et de la transformation de la police nationale [était] parvenue à continuer de destituer des milliers de policiers corrompus ». Il en a inféré l’existence d’un engagement permanent envers la lutte contre la corruption et a conclu que [traduction] « selon les recherches documentaires mentionnées ci-dessus, le gouvernement du Honduras a[vait] fait des efforts continus pour mettre fin à la violence, ce qui a[vait] notamment mené à l’arrestation de chefs des Maras et au démantèlement d’organisations criminelles ».

[28] Dans mon analyse de l’argument selon lequel l’agent a commis une erreur en renvoyant aux versions de 2017 et de 2018 du rapport de Freedom House, et non pas à la version de 2019 présentée en preuve, j’ai examiné et comparé les trois versions. Les trois rapports sont remarquablement semblables, et le Honduras a obtenu la même note en 2018 et en 2019. Seule différence pertinente, le rapport de 2019 mentionne que des policiers, des fonctionnaires et des politiciens corrompus ont été destitués, et que la Mission d’appui à la lutte contre la corruption et l’impunité au Honduras et de l’Unité fiscale de lutte contre l’impunité et la corruption ont obtenu un certain succès. Il est à noter que la Mara 18 n’est même pas mentionnée dans ces rapports. À mon avis, l’agent n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle en ne mentionnant pas le rapport de 2019, car, abstraction faite du nombre plus grand d’arrestations de policiers et de fonctionnaires corrompus, aucun des renseignements qu’il contient n’aurait été plus probant en ce qui a trait au niveau opérationnel.

[29] Pour parvenir à cette conclusion concernant la protection de l’État, l’agent a conclu que le demandeur avait fourni une preuve établissant qu’il avait fait appel aux autorités en déposant des plaintes auprès de la police, mais qu’il n’avait pas fourni de preuve établissant que les autorités n’avaient pas pris de mesures par la suite. Il a examiné la preuve et n’a jugé suffisante ni l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas l’impression que les autorités honduriennes le protégeaient, ni la preuve objective concernant sa supposition selon laquelle les membres de la Mara 18 savaient qu’il les avait dénoncés à la police. Il a souligné que différentes autorités et entités avaient accepté ses dénonciations et celles de sa tante concernant les problèmes qu’il avait avec la Mara 18, et que celles de sa tante avaient même été transmises à un échelon supérieur. Il en a conclu que les autorités faisaient monter les affaires publiques (en l’occurrence, les plaintes au sujet de la Mara 18) à un échelon supérieur.

[30] L’insuffisance de la preuve du demandeur est évidente, puisqu’il n’a rien fourni à propos de ce qui est advenu de la plainte déposée quatre ans plus tôt. Un examen minutieux du dossier certifié du tribunal (le DCT) révèle que la police a accepté et examiné les rapports de police que le demandeur et sa tante avaient remplis. Par exemple, le DCT contient une attestation dans laquelle le commissaire de police adjoint de l’unité de prévention métropolitaine no 5 à San Pedro Sula a indiqué que le demandeur s’était présenté le 18 juin 2016 et qu’il avait rapporté ce qui lui était arrivé. Toutefois, il n’y est aucunement fait mention d’un suivi dont la plainte aurait pu faire l’objet, et le demandeur n’a présenté aucun autre élément de preuve à cet égard. Dans le DCT, il est également fait mention d’un transfert de dossier survenu le 30 novembre 2018 concernant un rapport de dénonciation rempli par la cousine du demandeur, Dunia Mejia, selon lequel [traduction] « des inconnus lui ont demandé de verser une somme d’argent et lui ont dit que, si elle ne payait pas le “loyer”, ils tueraient sa famille ». Il s’ensuit que la dénonciation a été examinée et que l’on a conclu qu’il était approprié de la transférer à la Force nationale de lutte contre l’extorsion pour que celle-ci résolve l’affaire.

[31] De nouveau, aucune preuve n’a été présentée concernant ce qui est advenu de ce rapport. Dernier exemple, un rapport de la Division nationale de police préventive de la Division générale de la police nationale dans lequel un agent chargé de l’attention portée aux citoyens a attesté que, le 15 septembre 2018, Dunia Mejia avait rapporté qu’elle avait reçu des menaces de la part d’hommes armés qui lui extorquaient de l’argent, qu’elle avait dû déménager à plusieurs reprises, que ces hommes avaient également causé des problèmes à son cousin (le demandeur), que ce dernier avait quitté le pays, et que des voisins disaient que des hommes qui, selon eux, appartenaient à la Mara 18 le recherchaient. Ce dernier point n’est bien sûr qu’un vague ouï-dire, mais le policier a inscrit tous ces renseignements dans son rapport. Encore là, aucune preuve n’a été présentée concernant ce qui est advenu après que ces faits eurent été rapportés à la police.

[32] Pour contester la conclusion de l’agent, le demandeur s’appuie sur la déclaration sous serment d’une autre de ses tantes, Maria Morales, qui relate ce qui suit : [traduction] « Nous nous sommes adressés à la police, mon neveu et moi, à différentes occasions, et nous avons demandé de noter nos renseignements d’identité, mais on nous a répondu que c’était inutile parce que les patrons des autorités de l’échelon supérieur n’en tiennent pas compte, et que ce serait une perte de temps parce que la police examine des dénonciations sans cesse, tous les jours. » Le demandeur a soutenu que cette preuve suffisait.

[33] Contrairement à ce que soutient le demandeur, et en accord avec les conclusions de l’agent, je conclus que cette preuve démontre, comme la précédente, que la police a rempli ces rapports et qu’elle a accepté ces plaintes. Il était donc raisonnable que l’agent conclue que la police avait accepté les rapports et qu’aucune preuve concernant une mesure prise ou un suivi n’avait été fournie. Il était donc également raisonnable que l’agent conclue que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les autorités n’avaient pris aucune mesure pour donner suite aux plaintes du demandeur, ni à étayer l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait l’impression que les autorités honduriennes ne le protégeaient pas, ou sa supposition selon laquelle les membres de la Mara 18 savaient qu’il les avait dénoncés à la police.

[34] Dans l’ensemble de la décision relative à la demande d’ERAR, je vois une analyse minutieuse de la preuve documentaire concernant la protection de l’État, et une analyse détaillée de la preuve que le demandeur a présentée. Après ses analyses, il était raisonnable que l’agent conclue que la preuve ne suffisait pas à démontrer que le demandeur serait aujourd’hui exposé à un risque au Honduras.

(2) Le profil du demandeur en tant que rapatrié ou expulsé

[35] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de son profil de risque en tant qu’informateur (ou informateur présumé), un profil reconnu dans les Principes directeurs sur la protection internationale du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il affirme que ce profil a été clairement indiqué dans ses observations à l’appui de sa demande d’ERAR et qu’il s’agit de la raison pour laquelle la Mara 18 a intensifié ses menaces et a usé davantage de violence envers sa famille afin de le retrouver. Le demandeur, renvoyant au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov, soutient que le défaut d’examiner ce profil de risque est une erreur susceptible de contrôle, car l’agent n’a pas examiné une question centrale relative à sa demande d’ERAR, ou n’a pas réussi à « s’[y] attaquer de façon significative ».

[36] En outre, le demandeur soutient que l’agent, bien qu’ayant traité de ses observations selon lesquelles il serait exposé à un risque en tant qu’expulsé, a déraisonnablement rejeté sa preuve et ses observations à cet égard. Il fait valoir que l’agent, en affirmant que sa preuve objective ne suffisait pas à démontrer que les expulsés étaient davantage exposés à un risque que la population en général, a fait abstraction de l’affidavit de l’experte qu’il avait déposé avec ses observations supplémentaires de septembre 2020, qui portaient précisément sur ce sujet.

[37] L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

Par conséquent, je souligne que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait épuisé tous les recours possibles pour obtenir la protection des autorités honduriennes et que, selon la prépondérance des probabilités, il ne pourrait pas obtenir la protection de l’État s’il la réclamait.

L’avocat soutient que le demandeur serait exposé à un risque en tant que rapatrié au Honduras. Je souligne que l’avocat soutient également que le profil combiné du demandeur, en tant qu’expulsé et personne prise pour cible par les Maras, accentue le risque auquel il serait exposé. Je souligne que j’ai traité ci-dessus de la question de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État relativement à l’extorsion et aux Maras. Je reconnais que des rapports ont révélé que des expulsés étaient victimes de violence au Honduras. Toutefois, je souligne que de nombreuses personnes sont retournées au Honduras et que la preuve dont je dispose ne suffit pas à démontrer qu’elles sont, dans une proportion considérable, exposées au risque de subir des violences visées à l’article 97 parce qu’elles ont été expulsées d’autres pays. Je ne conclus pas que les renseignements dont je dispose démontrent objectivement que les expulsés sont plus susceptibles d’être victimes d’un crime ou de subir des violences que la population du Honduras en général. Bien que l’avocat ait fourni un affidavit souscrit par Mme Kennedy dans lequel des renseignements sur les personnes expulsées des États-Unis sont mis en évidence, je conclus que la preuve ne suffit pas à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur serait personnellement pris pour cible en tant que rapatrié.

[38] Encore là, l’argument du demandeur doit être rejeté. L’agent a de nouveau raisonnablement conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que le demandeur serait personnellement pris pour cible en tant que rapatrié. Il est parvenu à cette conclusion après avoir examiné la preuve, qui, hormis des renseignements selon lesquels des victimes étaient des rapatriés revenant des États-Unis, ne contenait rien concernant les expulsés d’autres pays. Cette preuve d’expert est mentionnée dans un paragraphe sur les risques auxquels le demandeur serait exposé en tant que rapatrié. Je ne conviens pas avec le demandeur que l’agent a écarté la preuve d’expert concernant les risques auxquels il serait exposé en tant qu’expulsé. Au contraire, l’agent a rejeté cette preuve objective parce qu’elle [traduction] « ne suffisait pas à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur serait personnellement visé en tant que rapatrié ». Selon la preuve objective, il ne serait pas davantage exposé à un risque que la population en général, et l’agent a raisonnablement conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer qu’il serait personnellement pris pour cible en tant que rapatrié revenant du Canada.

B. Analyse de la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

(1) La documentation objective

[39] Le demandeur avance le même argument que celui qu’il a avancé à l’appui de sa demande d’ERAR, à savoir que l’agent n’a pas pris en compte, a déraisonnablement rejeté ou écarté, ou a mal interprété des éléments de preuve personnels et objectifs qu’il avait présentés concernant l’existence de recours sous la forme de la protection de l’État au Honduras. La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et la décision relative à la demande d’ERAR comprennent des analyses presque identiques de ces sujets semblables. Pour les motifs exposés ci-dessus, dans mon analyse de la décision relative à la demande d’ERAR, je conclus que l’agent n’a ni sélectionné, ni écarté, ni mal interprété la preuve concernant l’existence de recours accessibles au demandeur sous la forme de la protection de l’État au Honduras.

(2) Les observations supplémentaires de septembre 2020

[40] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte des observations supplémentaires de septembre 2020, puisqu’elles ne figurent pas dans la liste et qu’elles ne sont pas mentionnées, contrairement à toutes les autres observations. Il fait valoir que cela démontre que la décision est déraisonnable, car ces observations de septembre 2020, comprenant une nouvelle preuve et de nouveaux arguments relatifs à son profil de risque en tant qu’expulsé, étaient essentielles.

[41] Je ne conviens pas avec le demandeur que l’analyse de l’agent relative aux considérations d’ordre humanitaire ne tient pas compte de la preuve d’expert concernant le risque auquel il serait exposé en tant qu’expulsé. Comme il est indiqué plus haut, l’analyse de cette preuve d’expert est explicitement mentionnée dans un paragraphe de la décision relative à la demande d’ERAR qui porte sur les risques auxquels le demandeur serait exposé en tant que rapatrié. Comme le défendeur le soutient, en comparant l’espèce à l’affaire Canada (Procureur général) c Clegg, 2008 CAF 189, il peut être inféré du dossier et des motifs de la décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que la preuve d’expert a été examinée, et le défaut de la mentionner ne constitue donc pas une erreur. La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’en fait pas mention, mais le rapport de l’experte, préparé en vue d’une autre affaire (comme il est expliqué ci-dessus) était d’une valeur probante limitée en ce qui concerne la conclusion de l’agent concernant la possibilité de se prévaloir de recours auprès de l’État. Étant donné la valeur probante limitée du rapport de l’experte et le volume des observations du demandeur, l’agent n’a pas commis d’erreur en n’analysant pas ou en ne mentionnant pas explicitement le rapport dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, car il l’a fait dans la décision relative à l’ERAR qu’il a aussi rendue.

(3) Les interactions passées du demandeur avec la police hondurienne

[42] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en se concentrant dans son analyse sur les processus d’enquête et de plainte, et la protection de la police dont peuvent se prévaloir les citoyens qui ont reçu des menaces de la part des gangs au Honduras. Il fait valoir que, ce faisant, l’agent n’a pas bien saisi ses observations selon lesquelles, dans son cas, se prévaloir de ces processus et de la protection du gouvernement à plusieurs reprises n’a pas empêché la Mara 18 de lui extorquer de l’argent avec plus de violence, mais a même amené la Mara 18 à le tenir pour un informateur, à le menacer encore plus violemment et à attaquer sa famille.

[43] Comme je l’ai expliqué ci-dessus, dans mon analyse de la décision relative à la demande d’ERAR, je conclus que cet argument est dénué de fondement.

VI. Conclusion

[44] Je conclus que la décision relative à la demande d’ERAR et la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire appartiennent aux issues raisonnables. Je rejette donc les deux demandes de contrôle judiciaire.

[45] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-1982-21 et IMM-2439-21

LA COUR STATUE que :

  1. Les deux demandes de contrôle judiciaire sont rejetées;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-1982-21 et IMM-2439-21

 

INTITULÉ :

SELVIN EDGARDO PAZ MEJIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benjamin Liston

Legal Aid Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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