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Date : 20220712


Dossier : IMM-2241-21

Référence : 2022 CF 1019

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 12 juillet 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

FITZ-GERALD CARTER

JOELEYNE KEISHA STAPLETON

DARIO RAWLSON CARTER

OTTEIVA KEISHA CARTER

KEIFA FITZ-GERALD CARTER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, M. Fitz-Gerald Carter et son épouse, Mme Joeleyne Keisha Stapleton, ainsi que leur fille, Otteiva Keisha Carter, et leurs fils Dario Rawlson Carter et Keifa Fitz-Gerald Carter, citoyens de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, demandent à la Cour d’examiner une décision qu’un agent principal [l’agent] a rendue le 22 mars 2021 [la décision contestée]. Dans celle-ci, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire] que les demandeurs avaient présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande.

II. Le contexte

[3] Le 1er juillet 2011, les demandeurs ont été admis au Canada en tant que visiteurs. Le 22 juillet 2011, ils ont présenté leur demande d’asile, dans laquelle ils alléguaient être en danger dans leur pays d’origine à la suite du décès du frère de M. Fitz-Gerald Carter. Leur demande d’asile a été rejetée, et la Cour fédérale a confirmé la décision. Les demandeurs n’ont pas quitté le Canada, et ce, même s’ils faisaient l’objet d’une mesure de renvoi. Le 11 février 2016, des mandats ont donc été délivrés en vue du renvoi des deux (2) demandeurs adultes.

[4] Le 20 novembre 2019, les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et, le 6 octobre 2020, ils ont déposé des observations de suivi et des documents supplémentaires. Le 9 octobre 2020, les mandats ont été exécutés, et les deux demandeurs adultes ont été arrêtés, brièvement détenus, puis libérés le même jour.

[5] Le 22 mars 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’ils avaient présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi.

[6] Dans sa décision, il a analysé les facteurs que les demandeurs avaient soulevés, soit l’établissement et l’emploi, la famille au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et la crainte de retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. En conclusion, l’agent a affirmé que quelques éléments militaient pour qu’ils demeurent au Canada, à savoir le temps que les demandeurs avaient passé au pays. Toutefois, il a conclu que la preuve était insuffisante pour qu’il approuve la demande.

III. Observations et analyse

A. La norme de contrôle applicable

[7] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur 1) en évaluant chaque facteur sous l’angle des difficultés; 2) dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants; 3) dans son évaluation du degré d’établissement. Ils n’ont pas contesté la conclusion de l’agent à propos de leurs allégations selon lesquelles ils s’exposeraient à un risque en retournant à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

[8] Lorsque la Cour examine une décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi, elle applique la norme déférente de la décision raisonnable (Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1510 au para 13; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44 [Kanthasamy]).

[9] Comme l’énonce l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la cour de révision, avant de pouvoir infirmer une décision pour le motif qu’elle est déraisonnable, doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, mais elle doit aussi être sensible et respectueuse des décisions administratives (Vavilov, aux para 12-13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ le principe de la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct et de l’expertise spécialisée des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13, 75 et 93). La décision doit tenir compte des arguments soulevés par les parties (Vavilov, aux para 127-128).

[10] Comme toujours, il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision contestée est déraisonnable.

B. Les demandeurs n’ont pas démontré que la décision contestée est déraisonnable

(1) L’agent n’a pas évalué chaque facteur sous l’angle des difficultés de manière inacceptable

[11] Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême pour faire valoir que l’agent a commis une erreur en évaluant chaque facteur sous l’angle des difficultés et, en particulier, 1) qu’il a minimisé les indicateurs du degré d’établissement; 2) qu’il a confondu les difficultés et l’établissement; 3) qu’il n’a pas tiré de conclusion claire concernant le poids attribué à chaque facteur; 4) qu’il a minimisé les facteurs humanitaires; 5) qu’il a fautivement analysé l’intérêt supérieur des enfants sous l’angle des difficultés; 6) qu’il a remplacé des conclusions concernant les difficultés par l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants; 7) qu’il a fautivement apprécié les difficultés dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants.

[12] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] répond que l’agent n’a pas évalué la demande sous l’[traduction] « angle des difficultés » de manière inacceptable et que les demandeurs se méprennent au sujet des effets de l’arrêt Kanthasamy rendu par la Cour suprême.

[13] Je suis d’accord avec le ministre pour deux (2) raisons. La première est que les demandeurs ont mal interprété les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy en ce qui concerne l’appréciation des difficultés, et la deuxième est qu’en tout état de cause, l’agent n’avait d’autre choix en l’espèce que de traiter de la question des difficultés relativement à chaque facteur, car les demandeurs avaient eux-mêmes procédé de cette façon dans les observations qu’ils avaient déposées à l’appui de leur demande.

[14] Premièrement, comme l’a expliqué le juge Roy aux paragraphes 11 à 13 de sa décision dans l’affaire Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313), la Cour suprême est loin d’avoir exclu l’appréciation des difficultés des considérations d’ordre humanitaire :

[11] Cependant, la notion de difficultés demeure une considération importante dans l’examen des demandes fondées sur des motifs CH; elle n’en a pas été éliminée. Cela ressort clairement de ma lecture du paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy. La Cour est loin de rejeter les difficultés à titre de considération pertinente pour les demandes fondées sur des motifs CH. Elle estime plutôt que les trois adjectifs « inhabituelles, injustifiées, démesurées » n’établissent pas un seuil. Ils sont qualifiés d’instructifs, mais de non décisifs. Je reproduis le paragraphe 33 dans son intégralité :

[33] L’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » a donc vocation descriptive et ne crée pas, pour l’obtention d’une dispense, trois nouveaux seuils en sus de celui des considérations d’ordre humanitaire que prévoit déjà le par. 25(1). Par conséquent, ce que l’agent ne doit pas faire, dans un cas précis, c’est voir dans le par. 25(1) trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé et appliquer la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint sa faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. Les trois adjectifs doivent être considérés comme des éléments instructifs, mais non décisifs, qui permettent à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent.

[En italique dans l’original.]

[12] À mon avis, c’est le contrôle sous l’angle des trois adjectifs qui fait qu’un seuil plus élevé est créé qui est contestable. Comme le fait remarquer la Cour au paragraphe 23, « (l)’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) ». La demande CH ne doit pas non plus être considérée comme un autre moyen d’immigrer au Canada : « De plus, [le paragraphe 25(1)] n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle ».

[15] Le juge Diner l’a confirmé au paragraphe 20 de la décision Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638 :

Il est certain que le fait de tenir compte des difficultés n’invalide pas la décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les difficultés constituent d’ailleurs une composante importante de la décision. L’arrêt Kanthasamy n’a pas retranché cet aspect de l’analyse, et les agents ne peuvent donc pas être blâmés pour avoir procédé à une analyse légitime des difficultés, qui constitue un élément important des décisions relatives aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. En fait, la Cour suprême critique les évaluations à courte vue, c’est-à-dire celles qui sont effectuées sous l’angle étroit des difficultés « inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». L’évaluation doit tenir compte des éléments qui portent sur l’aspect humanitaire (voir les décisions Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, aux par. 29-33, et Lobjanidze c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1098, aux par. 11-12, toutes deux rendues par le juge Brown).

[16] De même, l’arrêt Kanthasamy ne va pas dans le sens de la proposition des demandeurs selon laquelle les difficultés ne devraient pas être prises en compte dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants (Kanthasamy, au para 38).

[17] Deuxièmement, en l’espèce, l’agent devait répondre aux arguments des demandeurs, qui se sont eux-mêmes grandement appuyés sur des allégations de difficultés pour fonder leur demande. Ce qu’ils ont présenté relativement aux considérations d’ordre humanitaire est mince, et, dans l’ensemble, leurs observations sont succinctes.

[18] Un examen du dossier révèle que les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le 20 novembre 2019. Ils ont déclaré qu’ils présenteraient par la suite des observations détaillées décrivant les difficultés auxquelles ils seraient confrontés concernant l’établissement, le regroupement familial et l’intérêt supérieur d’un enfant et de ceux qui ont le droit de demeurer au Canada. La liste de documents joints comprenait des formulaires, des copies des pièces d’identité, des photos et, en particulier, une déclaration commune des deux (2) demandeurs adultes. Dans ces observations initiales, les demandeurs ont demandé qu’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi leur soit accordée compte tenu de leur situation et des très nombreuses difficultés auxquelles ils seraient exposés s’ils étaient renvoyés du Canada.

[19] Le 6 octobre 2020, les demandeurs ont déposé des observations de suivi et des documents supplémentaires, dont des lettres de la mère, de la sœur et du frère de M. Carter, qui sont tous au Canada, ainsi qu’une lettre de son employeur. Dans leurs observations, ils ont essentiellement soutenu que les documents communiqués démontraient qu’ils rencontreraient des difficultés excessives et disproportionnées s’ils devaient quitter le Canada pour présenter une demande de la façon habituelle, et que des circonstances atténuantes d’ordre humanitaire justifiaient un examen en l’espèce. Ils ont détaillé de nouveau ce qui était décrit dans la déclaration commune de M. Carter et Mme Stapleton déjà versée au dossier, ils ont invoqué l’article 3 de la Loi et ils ont traité de divers facteurs, à savoir les liens familiaux et le regroupement familial, l’établissement et l’intégration sociale, l’intérêt supérieur de l’enfant et l’appréciation des difficultés.

[20] À propos de chacun des trois (3) premiers motifs, les demandeurs ont invoqué leur situation particulière et ils ont soutenu que leurs demandes devraient être accueillies en raison de graves répercussions, grandes difficultés, graves difficultés, conséquences néfastes et autres variantes sur ce thème auxquelles ils seraient exposés dans l’éventualité d’un renvoi du Canada, et ils ont usé des mêmes qualificatifs à propos de l’évaluation distincte du facteur des difficultés.

[21] On ne peut reprocher à l’agent d’avoir tenu compte des observations des demandeurs, qui, là encore, se sont fortement appuyés sur les difficultés et ont présenté peu d’observations et d’éléments de preuve concernant les considérations d’ordre humanitaire.

[22] Comme le fait remarquer le ministre, les demandeurs n’ont ni soutenu qu’à cause de son insistance sur les difficultés, l’agent avait fait fi d’un élément de leur demande lié aux considérations d’ordre humanitaire, ni expliqué comment l’agent aurait pu faire suffisamment preuve de compassion, sinon en approuvant leur demande. Principalement, ils sont en désaccord avec le poids attribué aux facteurs; toutefois, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de soupeser de nouveau la preuve.

[23] L’agent a rendu une décision qui reflète raisonnablement et de façon cohérente l’insistance des demandeurs sur les difficultés qu’ils rencontreraient. Ce faisant, il n’a pas minimisé les considérations d’ordre humanitaire. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent avait commis une erreur.

(2) L’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants

[24] Les demandeurs soutiennent que l’intérêt supérieur des trois (3) enfants et du neveu de M. Carter, Ayden, a été analysé sous l’angle des difficultés. Ils ajoutent que l’agent a commis une erreur en ne déterminant pas l’intérêt supérieur des enfants et en ne tranchant pas la question de savoir s’il était dans leur intérêt supérieur de demeurer au Canada ou de retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Ils allèguent qu’il a également commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve qu’avaient fournis la mère, le frère et la sœur de M. Carter ainsi que du lien étroit qui les unit (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 [Williams]; Faisal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1078; Akyol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1252).

[25] Le ministre répond que l’agent a raisonnablement analysé l’intérêt supérieur des enfants directement touchés.

[26] Là encore, je suis d’accord avec le ministre. L’agent a reconnu qu’un poids substantiel devait être attribué aux facteurs qui avaient une incidence sur les enfants, bien que l’intérêt de ceux-ci ne soit pas nécessairement déterminant dans l’évaluation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ce que confirme la jurisprudence de la Cour (Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1054 au para 14; Louissaint c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1077 au para 17). En outre, un examen attentif du dossier confirme que l’agent a souligné à juste titre que les demandeurs 1) n’avaient produit aucune preuve à l’appui de leur proposition que le système de l’éducation de Saint-Vincent-et-les-Grenadines est différent et que s’y adapter causerait des difficultés aux enfants; 2) avaient produit une preuve insuffisante à l’appui de leur allégation selon laquelle le renvoi des enfants nuirait à leur intérêt supérieur.

[27] Les erreurs que la Cour a cernées dans les décisions Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295, Williams et Kanthasamy étaient que l’agent avait seulement examiné la question de savoir si les besoins de base du ou des enfants seraient satisfaits ou exigé que les difficultés soient d’un certain degré avant de conclure qu’un renvoi n’était pas contraire à leur intérêt supérieur. Cela n’est pas en cause en l’espèce.

[28] En ce qui concerne les lettres des membres de la famille qui ont été jointes à la demande, le raisonnement de l’agent est clair et intelligible. Il les a mentionnées et il les a examinées. La Cour ne devrait pas remettre en question l’examen des lettres fait par l’agent.

[29] En outre, l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants d’un point de vue global est claire, et l’on peut suivre le raisonnement. On peut facilement comprendre pourquoi l’agent a souligné que la preuve à l’appui des allégations des demandeurs était globalement insuffisante; compte tenu du dossier, il était raisonnable de parvenir à cette conclusion. Comme le juge Grammond l’a fait remarquer au paragraphe 24 de la décision Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4, « [i]l ne faut pas oublier qu’il incombe à la personne qui présente une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de fournir les renseignements pertinents, y compris ceux relatifs à l’intérêt supérieur des enfants ».

[30] Au paragraphe 31 de la décision Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, le juge Diner donne des indications à cet égard :

Sans preuve justifiant l’octroi d’une dispense spéciale, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau imposé par le paragraphe 25(1) de la Loi pour bénéficier d’un recours exceptionnel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. C’est à eux de s’acquitter de ce fardeau, et non l’inverse : la Loi exige que les demandeurs, sous réserve de certains programmes, présentent leur demande de résidence permanente depuis l’étranger – plutôt que de venir au Canada en tant que visiteur et de décider qu’ils souhaitent y rester de façon permanente. Il ne revient donc pas au gouvernement de démontrer la raison pour laquelle la famille doit présenter une demande d’immigration depuis l’étranger, lorsque peu d’éléments de preuve sont fournis. La conclusion de la juge Simpson dans la décision Mack, au paragraphe 20, est instructive : « L’analyse sur le meilleur intérêt des enfants est brève, mais je suis d’avis qu’elle est raisonnable dans les circonstances, considérant que le demandeur n’est pas un parent, qu’il ne demeure pas avec les fils, qu’il n’en prend pas soin à temps plein et qu’il n’est pas une source de soutien financier. ».

(3) L’agent n’a pas commis d’erreur dans l’évaluation du degré d’établissement

[31] Les demandeurs soutiennent que l’agent a confondu difficultés et établissement : l’établissement est un facteur qui doit être examiné isolément et auquel un poids doit être attribué en faveur ou à l’encontre de l’approbation de la demande, et non pas un facteur à soupeser par rapport aux difficultés. Ils s’appuient sur le paragraphe 24 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633, pour affirmer qu’il est déraisonnable de renverser les facteurs favorables liés à l’établissement. Selon eux, l’agent a commis une erreur en reconnaissant les compétences acquises avant de conclure qu’ils pouvaient les utiliser à Saint-Vincent-et-les-Grenadines pour y obtenir un emploi.

[32] Les demandeurs allèguent que l’agent a exigé un [traduction] « établissement exceptionnel », puisqu’il a écrit qu’il ne [traduction] « juge[ait] pas leur degré d’établissement exceptionnel ». Ils soutiennent que des demandeurs n’ont pas à démontrer que leur cas ou que leur degré d’établissement est exceptionnel (Nagamany c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 187 au para 34).

[33] Les demandeurs soutiennent que l’agent ne devrait pas mettre l’accent sur un degré d’établissement attendu. Ils affirment que l’agent dans la présente affaire, à l’instar de l’agent dans l’affaire Ndlovu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 878, a conclu que le degré d’établissement des demandeurs n’était pas différent de celui d’autres demandeurs dans une situation analogue, sans préciser ce que cela signifiait. Ils concluent que l’agent n’a pas tenu compte de la plupart des éléments de preuve.

[34] Le ministre répond qu’il était loisible à l’agent de conclure que le degré d’établissement des demandeurs au Canada ne justifiait pas une dispense exceptionnelle. Il souligne que l’agent n’a pas imposé un critère du caractère exceptionnel au facteur de l’établissement, car le terme a manifestement été employé à des fins descriptives, et non pas à titre de critère. Il insiste sur le fait qu’il n’appartient pas à l’agent de fixer un hypothétique degré d’établissement de référence.

[35] Le ministre ajoute que les demandeurs n’ont pas relevé les éléments de preuve qui n’auraient pas été mentionnés. Il fait également remarquer que l’agent a jugé plutôt favorablement le temps que les demandeurs avaient passé au Canada, mais qu’il a conclu que cela ne suffisait pas à justifier une exception à la loi. Enfin, le ministre s’appuie sur la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1350 [Singh] pour soutenir que l’agent n’a pas commis une erreur en affirmant, en réponse aux observations des demandeurs, que l’actualisation de leurs compétences leur permettrait de trouver un emploi à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il admet que le paragraphe sous la rubrique [traduction] « Établissement » pourrait causer de la confusion, mais il soutient que, si la Cour jugeait qu’il s’agit d’une erreur, ce ne serait pas une erreur déterminante.

[36] Comme l’a mentionné le ministre, la Cour, au paragraphe 11 de la décision Singh, a précisé que « contrairement à Lauture et à Sebbe, la raison pour laquelle l’agente a examiné la capacité de M. Singh de s’établir en Inde n’était pas d’utiliser le degré d’établissement de M. Singh au Canada contre lui. L’analyse était en réponse directe à l’observation de M. Singh selon laquelle il serait anéanti et incapable de se trouver un emploi en Inde et que, par conséquent, ses enfants en souffriraient. » Il en va de même en l’espèce, où les demandeurs ont eux-mêmes soulevé la question dans leurs observations.

[37] Comme je l’ai expliqué plus haut, on ne peut reprocher à l’agent d’avoir répondu aux observations des demandeurs, qui s’appuyaient fortement sur les difficultés et renfermaient peu d’allégations et de preuve quant à la question des considérations d’ordre humanitaire. Là encore, la Cour doit avoir à l’esprit que le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs. À cet égard, la décision contestée est raisonnable.

IV. Conclusion

[38] Après avoir examiné la preuve dont disposait l’agent, le droit applicable et la jurisprudence, je ne vois aucune raison d’annuler la décision contestée. Elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent est assujetti.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2241-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2241-21

INTITULÉ :

FITZ-GERALD CARTER, JOELEYNE KEISHA STAPLETON, DARIO RAWLSON CARTER, OTTEIVA KEISHA CARTER, KEIFA FITZ-GERALD CARTER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUILLET 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUILLET 2022

COMPARUTIONS :

Me Richard Wazana

POUR LES DEMANDEURS

Me Zofia Rogowska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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