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Date : 20220718


Dossier : IMM-251-21

Référence : 2022 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

AWAIS UR REHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 décembre 2020, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui craint d’être persécuté en tant que musulman chiite. Il affirme que ses persécuteurs sont le groupe militant sunnite extrémiste Lashkar-e-Jhangvi (LJ), la police pakistanaise et les membres extrémistes de la famille de Fouzia, une fille sunnite avec laquelle il a entretenu une relation secrète.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie, car la SAR ne s’est pas livrée à sa propre analyse indépendante de la demande d’asile présentée par le demandeur.

II. Le contexte factuel

[4] Le demandeur, qui est issu d’une famille chiite influente, a rencontré Fouzia au début de 2017.

[5] Quelque temps plus tard, Fouzia a dit au demandeur que son père et ses frères étaient très actifs sur le plan politique et qu’elle avait des liens de parenté avec un membre de l’assemblée nationale et de la ligue musulmane pakistanaise Nawaz et l’ancien ministre d’État aux Affaires parlementaires.

[6] En juillet 2017, le demandeur et son frère ont été attaqués par le frère de Fouzia, Sajid, et trois de ses amis. Le demandeur a signalé cet incident à la police, mais a refusé de porter plainte, car l’oncle de Sajid (Muhsin) était trop puissant sur le plan politique pour prendre des mesures contre Sajid.

[7] Le 18 octobre 2017, le demandeur a été arrêté par la police pour harcèlement sexuel. Il a été battu et on lui a dit qu’il n’avait pas le droit d’avoir une relation avec une sunnite. Il a appris au poste de police que c’est Muhsin qui avait ordonné son arrestation. Le demandeur a été libéré le 21 octobre 2017.

[8] En décembre 2017, Fouzia s’est enfuie lors du mariage de son cousin et elle et le demandeur ont déménagé ensemble à Gujranwala. Des membres de la famille de Fouzia se sont rendus au domicile de la mère du demandeur où ils ont battu le frère de ce dernier, menacé la vie des membres de sa famille et déclaré qu’ils tueraient le demandeur parce qu’il les avait déshonorés.

[9] Des extrémistes sunnites de la région ont appris que le demandeur vivait avec une femme sunnite en dehors des liens du mariage. Le 4 janvier 2018, ils se sont rendus au domicile du demandeur et ont parlé avec son frère. Ils ont dit qu’ils étaient membres du LJ et qu’ils allaient tuer le demandeur parce qu’il s’était livré à une activité illégale.

[10] Le 10 janvier 2018, le demandeur a été attaqué par les trois frères de Fouzia alors qu’il rentrait chez lui. Il a donc pris la fuite et a porté plainte auprès de la police, qui ne l’a pas aidé.

[11] Peu après avoir obtenu un permis d’études le 28 août 2018, le demandeur a quitté le Pakistan. Il est arrivé au Canada le 14 septembre 2018, et a présenté une demande d’asile le 3 décembre 2018.

III. La décision

[12] La SAR a conclu que la question déterminante en appel était celle de savoir si le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Pakistan.

[13] La SAR a exposé le critère juridique à appliquer pour savoir s’il existe une PRI viable : 1) le demandeur n’était exposé à aucune possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, à un risque au sens de l’article 97 à l’endroit proposé comme PRI; 2) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge dans la PRI proposée.

[14] La SAR a conclu que la SPR avait eu raison d’affirmer que le demandeur avait une PRI à Hyderabad selon chaque volet du critère. Pour étayer cette conclusion, la SAR a repris, en abrégé, sept constatations faites par la SPR à l’appui de l’endroit proposé comme PRI. La SAR a jugé que la SPR avait eu raison de conclure qu’Hyderabad était une PRI viable.

[15] De plus, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait retrouvé à Hyderabad par la police, par Muhsin ou par LJ, ou encore au moyen du système d’enregistrement des locataires.

IV. La question en litige et la norme de contrôle

[16] La seule question en litige consiste à savoir si la décision était raisonnable.

[17] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire du bien-fondé d’une décision administrative, autre qu’un contrôle lié à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à la présomption n’est présente ici.

[18] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[19] Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

V. Analyse

[20] Selon moi, la question déterminante dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire porte sur la façon dont la SAR a examiné le risque, pour le demandeur, d’être retrouvé à Hyderabad au moyen du système d’enregistrement des locataires.

[21] L’analyse complète par la SAR du risque lié au système d’enregistrement des locataires se trouve dans deux paragraphes :

[30] La SPR a aussi tenu compte du témoignage de l’appelant au sujet du système d’enregistrement des locataires. À l’audience, la SPR a demandé à l’appelant s’il pouvait se réinstaller pour éviter ses agents de persécution, et il a répondu qu’il serait retrouvé au moyen du système d’enregistrement des locataires. La SPR a tenu compte du témoignage de l’appelant et des éléments de preuve documentaire, et elle a jugé que l’appelant n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait retrouvé au moyen du système d’enregistrement des locataires.

[31] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la SPR a convenablement tenu compte des éléments de preuve de l’appelant et de ses risques spécifiques. Les conclusions mentionnées plus haut sont correctes et fondées sur les éléments de preuve contenus dans le dossier.

[22] Comme on peut le constater, la SAR n’a pas procédé à une évaluation indépendante du risque pour le demandeur d’être réinstallé dans la PRI et n’a pas expliqué pourquoi la conclusion de la SPR était correcte.

[23] Comme il a été mentionné précédemment, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision : Vavilov, au para 83.

[24] Malheureusement, en ce qui concerne la question cruciale du risque auquel serait exposé le demandeur dans la PRI, la SAR n’a aucunement exposé son raisonnement. La SAR n’a pas expliqué comment ou pourquoi elle est arrivée à la conclusion qu’elle a tirée. Affirmer que les conclusions de la SPR sont correctes et « fondées sur les éléments de preuve contenus dans le dossier » ne constitue pas une analyse ou un raisonnement indépendant. Il s’agit d’une phrase dépourvue à la fois de transparence et de toute information analytique utile.

[25] Je suis d’avis que le manque d’analyse indépendante et l’absence de motifs de la part de la SAR sur cette question cruciale constituent une lacune grave à un point tel qu’on ne peut pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Comme cette lacune concerne directement la sécurité du demandeur dans la PRI, je conclus également qu’elle n’est pas simplement superficielle ou accessoire par rapport au fond de la décision. Vavilov, au para 100.

[26] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision est déraisonnable. L’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

[27] Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée par les parties et je conviens qu’il n’en existe aucune à la lumière des faits de l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-251-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie et la décision est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-251-21

 

INTITULÉ :

AWAIS UR REHMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

Pour le demandeur

 

Sally Thomas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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