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Date : 20220722


Dossier : T-1734-21

Référence : 2022 CF 1088

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière Brown

ENTRE :

JAMIE HEON LAJOIE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 octobre 2021 par une agente chargée de l’observation des prestations [l’agente] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] concernant l’admissibilité du demandeur à la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] prévue par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE].

[2] L’agente a jugé que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE pour deux motifs distincts. Premièrement, elle a conclu que le demandeur n’avait pas travaillé durant les périodes visées pour plusieurs raisons, mais qu’aucune de ces raisons n’était liée à la COVID-19. Deuxièmement, elle a conclu que le demandeur avait reçu des prestations d’assurance-emploi après le 27 septembre 2020, donc en partie durant les périodes au cours desquelles il recevait la PCRE.

[3] Comme je l’expliquerai ci-après, la première conclusion est inattaquable étant donné que le demandeur a lui-même admis qu’il n’exerçait pas d’emploi en raison d’une blessure au dos lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé au début de 2020.

[4] Étant donné que le demandeur devait satisfaire à tous les critères requis pour que sa demande de PCRE soit accueillie, mais qu’il n’a pas démontré qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[5] Le demandeur a présenté des demandes de PCRE pour un total de 16 périodes entre le 27 septembre 2020 et le 8 mai 2021. Les diverses demandes, qui vont du 27 septembre 2020 au 27 février 2021, ont été approuvées par l’ARC, et le demandeur a reçu la PCRE sans que son admissibilité soit examinée.

[6] Le 12 décembre 2021, le dossier du demandeur a été renvoyé à un agent pour qu’il effectue un examen de l’admissibilité du demandeur. L’agent chargé du premier examen a envoyé une lettre au demandeur et a essayé de communiquer avec lui à plusieurs occasions, mais en vain.

[7] Comme l’agent n’a pas pu communiquer avec le demandeur et qu’il n’a reçu aucun document de sa part aux fins de l’examen, une décision quant à l’admissibilité du demandeur a été rendue à la lumière des renseignements au dossier. Il a été établi que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE, car il n’avait pas démontré qu’il satisfaisait à l’ensemble des critères d’admissibilité de la PCRE. Le demandeur a été informé de la décision prise à l’issue du premier examen dans une lettre datée du 18 mars 2021.

[8] Le 23 avril 2021, le demandeur a sollicité un deuxième examen.

[9] L’agente qui a effectué le deuxième examen a tenu compte des renseignements contenus dans les systèmes informatiques de l’ARC, des documents transmis par le demandeur et des renseignements fournis par celui-ci lors d’une conversation datant du 20 octobre 2021. Le demandeur a mentionné ce qui suit à l’agente :

Il ne travaillait pas en septembre 2019 en raison d’une blessure au dos.

Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, il n’exerçait pas d’emploi et n’a donc pas perdu son emploi pour des raisons liées à la COVID-19.

Il a perdu son emploi en raison de sa blessure au dos et n’a pas exercé d’emploi pendant toute l’année 2020.

Il a travaillé pour l’entreprise Les Rôtisseries 3066 Inc. du 6 février au 11 février 2021, mais il a quitté son emploi parce que son employeur exigeait qu’il arrive quinze minutes plus tôt sans le rémunérer.

Il a effectué des travaux de déneigement pour l’entreprise Pro Gazon du 16 février au 14 mars 2021 et a cessé de travailler parce que la saison était terminée.

En mai 2021, il a travaillé comme camionneur pour une entreprise de recyclage, mais il a démissionné en juin 2021.

[10] Dans une décision datée du 25 octobre 2021, l’agente a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE pour les motifs suivants :

a) Il était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19, ces raisons étant une blessure au dos, un départ volontaire d’un emploi, une dépression et son rôle d’aidant naturel auprès de son épouse.

b) Il a reçu des prestations d’assurance-emploi au cours de la même période.

[11] Dans son avis de demande modifié déposé le 10 janvier 2022, le demandeur a évoqué les motifs suivants pour justifier un contrôle judiciaire : [traduction] « Examen administratif inadéquat concernant les prestations liées à la COVID-19 » et « refus malgré tous les renseignements fournis ». À l’appui de sa demande, le demandeur a déposé un affidavit comprenant, selon ses propres termes, des « documents manquants » que l’agente aurait omis de prendre en considération dans l’examen de son dossier.

III. Questions à trancher

[12] La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. La décision en matière d’admissibilité à la PCRE rendue par un agent est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 [« Aryan »] au para 16; Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 [Walker] aux para 13 et 15. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable à une décision administrative n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17.

[13] Je souligne également que le défendeur concède que l’agente a conclu à tort que le demandeur n’était pas admissible parce qu’il avait reçu des prestations d’assurance-emploi durant la même période que celle pour laquelle il avait présenté une demande de PCRE. Cette erreur est sans conséquence, car le demandeur devait satisfaire à tous les critères requis énoncés au paragraphe 3(1) de la LPCRE pour être admissible à la PCRE.

[14] Aux fins de la présente demande, les critères suivants sont pertinents :

Au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, soit la personne n’a pas exercé d’emploi (ou exécuté un travail pour son compte), soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi pour l’année précédente ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande.

Elle a fait des recherches pour trouver un emploi au cours de la période de deux semaines.

Elle n’a pas restreint indûment sa disponibilité pour occuper un emploi au cours de la période de deux semaines.

Elle n’a pas quitté son emploi ou cessé de travailler volontairement depuis le 27 septembre 2020, sauf s’il était raisonnable de le faire.

[15] Je n’ai donc que deux questions à trancher :

  • a) Les « nouveaux » documents compris dans l’affidavit du demandeur devraient-ils être admis en preuve?

  • b) La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’était pas admissible à la PCRE étant donné qu’il était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19 est-elle raisonnable?

IV. Analyse

A. Les « nouveaux » documents compris dans l’affidavit du demandeur devraient-ils être admis en preuve?

[16] Le demandeur souhaite que soient admis en preuve les documents suivants, qui ne sont ni mentionnés dans la décision ni reproduits dans le dossier certifié du tribunal :

  • a) un billet de chiropraticien daté du 8 février 2020;

  • b) une saisie d’écran de son dossier à Service Canada décrivant une demande antérieure;

  • c) une lettre de l’ARC datée du 12 juin 2020 dans laquelle sont décrites les modalités d’un accord de paiement selon lequel le demandeur verserait 4 000 $ à l’ARC;

  • d) de l’information relative aux taux de chômage au début de la pandémie de COVID-19.

[17] Le demandeur fait valoir que les documents manquants étaient essentiels à l’évaluation de son admissibilité à la PCRE.

[18] Le défendeur s’oppose à ce que les documents soient admis en se fondant sur la règle générale qui prévoit que le dossier de la preuve qui est soumis à la cour de révision se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19.

[19] Dans son affidavit, le demandeur indique que les documents en question ont été présentés à l’ARC, mais admet qu’ils pourraient avoir été perdus en raison d’une [traduction] « possible migration de données ». Le dossier dont je dispose ne permet pas d’établir clairement si le demandeur a présenté correctement les documents à l’ARC avant que la décision ne soit rendue. Ce qui est clair, c’est que l’agente n’a pas reçu les documents.

[20] Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas démontré la pertinence ou l’importance des documents « manquants » ou l’incidence qu’ils auraient pu avoir sur la décision de l’agente. Premièrement, le billet du chiropraticien n’apporte aucun nouveau renseignement, car l’agente était au courant de la blessure au dos du demandeur, qui l’avait empêché de travailler à partir de septembre 2019. Deuxièmement, la saisie d’écran du dossier du demandeur à Service Canada décrivant une demande antérieure ne change rien parce que le demandeur n’a pas démontré qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19 et qu’il demeure inadmissible à la PCRE. Troisièmement, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la lettre de l’ARC n’indique pas qu’il a remboursé les prestations d’assurance-emploi. Elle décrit simplement les modalités d’un accord de paiement selon lequel le demandeur verserait 4 000 $ à l’ARC. Enfin, les renseignements relatifs aux taux de chômage au début de la pandémie de COVID-19 ne démontrent pas que le demandeur était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19. Le demandeur n’a jamais soutenu qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19.

[21] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les documents « manquants » ne sont pas pertinents et qu’ils sont donc inadmissibles.

B. La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’était pas admissible à la PCRE étant donné qu’il était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19 est-elle raisonnable?

[22] Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’agente (Vavilov, au para 100). Le demandeur ne relève aucune erreur dans le processus décisionnel de l’agente; il ne fait que s’opposer à la décision.

[23] Bien que le demandeur ait mentionné à l’agente qu’il cherchait un emploi en mars 2020, il n’a jamais indiqué qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19 ou qu’il a quitté son emploi pour des raisons liées à la COVID-19 durant les périodes pour lesquelles il a présenté une demande de PCRE.

[24] À la suite de mon examen des motifs détaillés de l’agente, je suis convaincu que sa conclusion selon laquelle le demandeur était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19 durant les périodes visées est transparente, intelligible et justifiée.

[25] Pour être admissible à la PCRE, le demandeur devait démontrer qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19 durant chacune des périodes pour lesquelles il a présenté une demande de PCRE. Le demandeur devait aussi prouver qu’il n’avait pas quitté son emploi ou cessé de travailler volontairement depuis le 27 septembre 2020, sauf s’il était raisonnable de le faire.

[26] La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau est amplement étayée par la preuve dont l’agente disposait. Compte tenu de l’admission du demandeur, l’agente a raisonnablement conclu que, au début de la pandémie, il ne travaillait pas en raison d’une blessure au dos. Le demandeur a également admis que, tout au long de 2020, et jusqu’à ce qu’il commence à travailler à Rôtisseries 3066 Inc. le 6 février 2021, il n’a pas été capable de travailler en raison de sa blessure au dos. Le demandeur a ensuite quitté son emploi à Rôtisseries 3066 Inc. pour des raisons non liées à la COVID-19. Son relevé d’emploi indique qu’il a quitté son emploi volontairement. L’emploi du demandeur à Pro Gazon a pris fin parce que la saison était terminée. Enfin, le demandeur a quitté son emploi de camionneur à la mi-juin 2021 pour des raisons médicales.

[27] Le demandeur n’a présenté aucun argument valide pour expliquer en quoi la décision de l’agente était déraisonnable, même s’il lui incombait de le faire.

V. Conclusion

[28] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29] Le défendeur réclame les dépens de la présente demande. Selon la règle générale, les dépens suivent l’issue de la cause. Toutefois, en l’espèce, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je n’adjuge pas les dépens contre le demandeur, car chaque partie a eu partiellement gain de cause. Bien que le demandeur n’ait pas réussi à faire annuler la décision, il y a relevé une erreur qui devait être corrigée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1734-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Vide

« Roger R. Lafreniѐre »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1734-21

 

INTITULÉ :

JAMIE HEON LAJOIE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Jamie Heon Lajoie

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Katherine Savoie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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