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Date : 20220728


Dossier : IMM-1765-21

Référence : 2022 CF 1133

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

ANISH KALAPPURAKKAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Anish Kalappurakkal (M. Kalappurakkal), a présenté une demande d’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande d’asile. M. Kalappurakkal a interjeté appel du rejet de sa demande auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR). La SAR a rejeté son appel le 1er mars 2021. M. Kalappurakkal conteste le rejet de la SAR dans le présent contrôle judiciaire.

[2] M. Kalappurakkal soutient que la SAR n’a pas énoncé ou appliqué le critère juridique approprié pour évaluer sa demande en application de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [LIPR] en exigeant qu’il démontre qu’il [traduction] « sera probablement torturé avec l’approbation de l’État, tué ou traité de façon cruelle et inusitée », alors qu’elle aurait dû chercher à savoir s’il faisait face, selon la prépondérance des probabilités, à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels et inusités.

[3] Je suis d’accord avec M. Kalappurakkal que la SAR a appliqué le mauvais critère dans l’évaluation de sa demande en application de l’article 97. Je ne vois aucune raison de conclure, comme l’a soutenu le défendeur, qu’en examinant les motifs de la SAR dans leur contexte, la SAR a compris et appliqué le bon critère. La SAR a énoncé à maintes reprises le critère de l’article 97 de manière incorrecte dans ses motifs. De plus, il n’y a aucun élément dans la décision prouvant que la SAR avait appliqué le bon critère au sens de l’article 97 de la LIPR.

[4] Compte tenu de ma décision sur la question touchant l’application de l’article 97, je n’ai pas pris en compte le deuxième argument de M. Kalappurakkal concernant la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait aucun lien avec un motif de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR.

[5] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Exposé des faits

[6] M. Kalappurakkal est citoyen de l’Inde. Il a présenté une demande d’asile au Canada en mars 2019. Il n’a pas été représenté par un avocat lors de son audience devant la SPR. La demande a été rejetée en janvier 2020 principalement au motif qu’il n’y avait aucun lien avec une persécution en application de l’article 96 de la LIPR. La SPR n’a pas examiné sa demande en application de l’article 97 de la LIPR.

[7] M. Kalappurakkal a interjeté appel du rejet de la SPR devant la SAR. La SAR a convenu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la demande de protection en application de l’article 97 de la LIPR. La SAR a effectué cette analyse en application de l’article 97, mais a finalement rejeté l’appel.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Comme il est indiqué ci-dessus, la seule question que j’examine est celle de savoir si la SAR a énoncé et appliqué le mauvais critère juridique lors de l’examen de la demande de M. Kalappurakkal en application de l’article 97 de la LIPR. Les parties conviennent que je devrais revoir la décision de la SAR en fonction de la norme de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle présumée lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de déroger à cette présomption.

IV. Analyse

[9] La SAR a énoncé l’article 97 de manière incorrecte dans ses motifs. La SAR a déclaré qu’un demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il sera exposé à un risque de torture ou sera tué, ou qu’il subira un traitement cruel et inusité. Le libellé de l’alinéa 97(1)a) se rapporte, pour une personne, d’être exposée au « risque [...] d’être soumise à la torture » et celui de l’alinéa 97(1)b), à une « menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ». En omettant les qualificatifs « risque » relativement à la torture et à la « menace » à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, la SAR a fondamentalement modifié le critère prévu auquel le demandeur devait satisfaire pour être considéré comme une « personne à protéger ».

[10] La SAR commet cette même erreur à deux endroits différents distincts dans ses motifs :

[traduction]

[30] L’avocat indique que « le critère prévu à l’article 97 est lié à la prépondérance des probabilités d’un risque d’être soumis à la torture et de traitements ou peines cruels et inusités ». Même si le libellé de l’article 97 a vraisemblablement été interprété comme exigeant un risque semblable à celui prévu à l’article 96, la Cour d’appel fédérale a conclu au contraire qu’une infraction fondée sur l’article 97 doit établir que la personne sera probablement torturée avec l’approbation de l’État, tué ou traité de manière cruelle et inusitée.

[35] En résumé, j’estime que M. Kalappurakkal n’a pas établi le scénario selon lequel plusieurs personnes malintentionnées le feraient probablement torturer, tuer ou bien traiter cruellement en toute impunité.

[Souligné dans l’original.]

[11] Le demandeur a soutenu qu’en adoptant une approche contextuelle pour évaluer les motifs de la SAR, il est clair que la SAR a compris le bon critère à appliquer en application de l’article 97 de la LIPR. Je ne suis pas d’accord. Il n’existe aucun élément de preuve montrant que la SAR a indiqué le bon critère dans les motifs.

[12] Le défendeur a souligné la référence faite par la SAR aux qualificatifs de [traduction] « risque de torture » et de [traduction] « risque de mauvais traitements ou de peines » au paragraphe 30 de sa décision. Cet élément ne soutient pas la thèse du défendeur. La référence à ces qualificatifs sert uniquement à citer les observations de l’avocat. De plus, dans la phrase suivante, la SAR conteste cet argument en omettant ces qualificatifs dans la description de ce qui est exigé des demandeurs pour établir une demande en application de l’article 97.

[13] Rien dans les motifs de la SAR n’indique qu’elle a bien compris et appliqué le bon critère en application de l’article 97 (Kedelashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 465 [Kedelashvili] au para 9; Rajadurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 532 [Rajadurai] au para 34, 47-48). La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

V. Question certifiée

[14] M. Kalappurakkal a demandé que la question suivante soit certifiée :

Le seuil de risque en application des alinéas 97(1)a) et b) est-il que le demandeur d’asile doive établir qu’il sera probablement torturé avec l’approbation de l’État, tué ou traité de façon cruelle et inusitée?

[15] La Cour d’appel fédérale a confirmé que pour être certifiée, une question doit être une question sérieuse qui (a) est déterminante quant à l’issue de l’appel; (b) qui transcende les intérêts des parties au litige; et (c) qui ne doit pas porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46).

[16] La question soulevée dans la question proposée n’est pas déterminante en l’espèce et ne répond donc pas aux exigences de la certification. Comme il est indiqué ci-dessus, la SAR a clairement appliqué le mauvais critère en omettant des mots clés qui se trouvent dans la loi. Cette interprétation n’est pas conforme à la jurisprudence de notre Cour ou de la Cour d’appel (Rajadurai au para 34; Kedelashvili au para 9; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1 [Li]).

[17] M. Kalappurakkal a soutenu à l’étape du mémoire et dans les observations orales que le critère de l’article 97, tel qu’il énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Li, doit être réexaminé à la lumière de la jurisprudence internationale et que cela constituait un motif valable pour certifier une question d’importance générale. La façon dont la question a été formulée ne permet pas de trancher cette question. Quoi qu’il en soit, l’argument concernant le réexamen de l’arrêt Li n’a pas été présenté à la SAR et je n’ai pas examiné cette question dans mes motifs.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1765-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SAR datée du 1er mars 2021 est annulée et renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel des réfugiés pour une nouvelle détermination;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1765-21

 

INTITULÉ :

ANISH KALAPPURAKKAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

SADREHASHEMI J.

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

Pour le demandeur

Leila Jawando

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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