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Date : 20220802


Dossier : IMM‑867‑21

Référence : 2022 CF 1158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ALEJANDRA NUNEZ GUILLEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Alejandra Nunez Guillen est une citoyenne du Mexique. Elle demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’elle a présentée depuis le Canada.

[2] L’agent n’a pas traité des antécédents personnels de Mme Nunez Guillen ni des raisons qui l’avaient motivée à venir au Canada, et il n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés et aux arguments principaux formulés à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie.

II. Le contexte

[3] Mme Nunez Guillen a 58 ans. Lorsqu’elle avait 31 ans, son mari est décédé du cancer de l’estomac et, de ce fait, elle est devenue mère monoparentale de sa fille alors âgée de cinq ans.

[4] Mme Nunez Guillen est arrivée au Canada munie d’un visa de visiteur en novembre 2008. Elle a prolongé son séjour sans autorisation après l’expiration de son visa et, depuis, elle vit et travaille au Canada sans statut.

[5] Mme Nunez Guillen a travaillé principalement comme ménagère. Elle a aussi fourni des services de gardiennage. Elle a envoyé régulièrement de l’argent à sa fille au Mexique, qui a réussi à terminer ses études et est aujourd’hui médecin. En août 2020, sa fille est devenue résidente permanente du Canada après avoir été parrainée par son époux.

[6] La sœur, le beau‑frère et la nièce de Mme Nunez Guillen, ainsi que les membres de leur famille, sont tous des résidents permanents du Canada. Mme Nunez Guillen a pris soin des enfants de sa sœur et de sa nièce. Elle a aussi tissé des liens avec la fille de son employeur.

[7] L’agent a accordé un poids considérable à l’établissement de Mme Nunez Guillen au Canada et un poids modéré aux difficultés associées au fait de retourner au Mexique. Cependant, l’agent a jugé que la décision de Mme Nunez Guillen de vivre et de travailler au Canada sans statut pendant plus de dix ans était un facteur défavorable important.

[8] L’agent a reconnu que Mme Nunez Guillen avait tissé des liens avec les enfants et que sa présence était un facteur positif dans leur vie. Néanmoins, la preuve n’a pas démontré que les enfants dépendaient d’elle. L’agent a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne serait pas compromis si Mme Nunez Guillen retournait au Mexique.

[9] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par Mme Nunez Guillen a été rejetée le 7 janvier 2021, et celle‑ci a été informée de la décision le 25 janvier 2021.

III. La question en litige

[10] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

IV. Analyse

[11] La décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[12] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux paras 85‑86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[13] Mme Nunez Guillen conteste la décision de l’agent pour plusieurs motifs, l’un de ceux‑ci étant déterminant. La demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, parce que l’agent ne s’est pas attaqué de façon significative aux questions clés et aux arguments principaux formulés par Mme Nunez Guillen à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Vavilov, au para 128).

[14] Les observations présentées à l’agent par Mme Nunez Guillen comprenaient les faits suivants :

[traduction]

Alejandra Nunez Guillen a éprouvé de grandes difficultés pendant qu’elle vivait au Mexique. Lorsqu’elle était âgée de 31 ans, son mari est mort du cancer de l’estomac. Veuve et mère d’une enfant de cinq ans, elle s’est donc trouvée dans une position précaire. Elle a dû « assumer plusieurs rôles; [elle] étai[t] la mère et le père et devai[t] travailler, tout en [s]’occupant de la maison ». Cette situation a créé des difficultés importantes sur le plan économique pour Alejandra : « [elle se] trouvai[t] dans une situation financière difficile[,] n’avai[t] pas d’emploi stable et avai[t] de la difficulté à [s]e trouver un bon emploi puisqu[‘elle] était considérée comme trop âgée ». Elle a continué à éprouver des difficultés pendant des années, tandis qu’elle s’efforçait de tenir la promesse qu’elle avait faite à son défunt mari; elle lui avait promis qu’elle « ferai[t] tout en [s]on pouvoir pour s’assurer qu’elle [leur fille] devienne une femme instruite et qu’elle ait de bonnes valeurs ». Ayant cette promesse à cœur et dans l’espoir d’améliorer la vie de sa fille, Alejandra est arrivée au Canada en tant que visiteuse, mais a prolongé son séjour sans autorisation. Elle est désolée d’avoir agi ainsi, mais elle pensait que c’était nécessaire pour atteindre son objectif. Alejandra voulait travailler fort, prospérer et envoyer de l’argent au Mexique pour que sa fille puisse réaliser son rêve de poursuivre des études en médecine et de devenir médecin.

Ce rêve l’a poussée à consacrer de longues heures à un travail physique, soit celui de ménagère, ce qui peut être attesté par de nombreux membres de la communauté. Sa vision est ainsi devenue réalité. Sa fille, Alejandra Uscanga Nunez, est devenue médecin, ce qui n’aurait pas été possible sans l’esprit d’abnégation de la demandeure d’asile. Alejandra n’a pas fait preuve d’abnégation et de dévouement à l’égard de sa fille uniquement. Il s’agit de traits de caractère qu’elle met activement à profit pour améliorer sa communauté et la société canadienne en général.

[15] Le résumé des antécédents de Mme Nunez Guillen rédigé par l’agent débute à son arrivée au Canada en 2008. Il n’y a aucune mention des raisons qui l’ont motivée à venir au Canada, ni de son rôle dans l’avancement de l’éducation de sa fille. L’agent n’a pas mentionné, dans son analyse, l’exploit de Mme Nunez Guillen, une mère monoparentale aux moyens modestes qui a réussi à élever une fille qui est devenue médecin. Il n’a pas reconnu non plus que le fait de séparer Mme Nunez Guillen de sa fille maintenant que celle‑ci est devenue résidente permanente du Canada serait un paradoxe cruel.

[16] Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], présuppose qu’un demandeur ne s’est pas conformé à une ou plusieurs des dispositions de la loi. Par conséquent, le décideur doit évaluer la nature de la non‑conformité ainsi que sa pertinence et son poids par rapport aux autres facteurs d’ordre humanitaire (Mitchell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 190 [Mitchell] au para 23). L’agent doit apprécier les antécédents et la preuve du demandeur avec empathie et en tenant compte du fondement en equity du paragraphe 25(1) (Mitchell, au para 24).

[17] Comme la juge Sandra Simpson l’a affirmé dans la décision Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 227 [Samuel], l’agent est autorisé à prendre en considération l’absence de statut légal du demandeur ayant présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Néanmoins, l’agent doit trouver l’équilibre entre la nécessité de respecter les dispositions législatives du Canada en matière d’immigration et le fait que l’article 25 de la LIPR s’appliquera fréquemment à des demandeurs sans statut légal. Il est contraire à cette nécessité de trouver un équilibre et, par conséquent, déraisonnable de rejeter de façon répétée, à cause de l’absence de statut légal, des facteurs d’ordre humanitaire favorables (Samuel, au para 17).

[18] L’agent n’a pas traité des antécédents personnels de Mme Nunez Guillen ni des raisons qui l’ont motivée à venir au Canada. L’agent n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par Mme Nunez Guillen dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ce qui permet de se demander si le décideur était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov, au para 128).

V. Conclusion

[19] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑867‑21

 

INTITULÉ :

ALEJANDRA NUNEZ GUILLEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AOûT 2022

 

COMPARUTIONS :

Annie O’Dell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Idorenyin Udoh‑Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annie O’Dell

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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