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Date : 20220727


Dossier : T-836-17

Référence : 2022 CF 1129

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), 27 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

CANADIAN MARITIME ENGINEERING LTD., une personne morale

demanderesse

et

IONADA INCORPORATED, une personne morale

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Survol

[1] La demanderesse, Canadian Maritime Engineering Limited (CME), est une personne morale constituée en vertu des lois de l’Ontario qui exerce des activités d’ingénierie sur commande et de réparation de navires au Canada. Aux dates pertinentes pour les allégations soulevées en l’espèce, la défenderesse, Ionada Incorporated (Ionada), était une personne morale constituée en vertu des lois du Canada dont le siège social est situé à Concord, en Ontario. La défenderesse, maître d’œuvre du propriétaire du navire NOLHANAVA (le NOLHANAVA), a embauché la demanderesse à titre de sous-traitante pour réparer le NOLHANAVA alors qu’il était amarré en Nouvelle-Écosse (l’ouvrage) et aussi pour l’équiper d’un réservoir de cale et d’un épurateur.

[2] La demanderesse affirme avoir commencé l’ouvrage en juin 2016 et l’avoir terminé en février 2017. Conformément au contrat de sous-traitance, la demanderesse a dressé plusieurs factures pour l’achèvement des travaux. Compte tenu du défaut de la défenderesse de payer intégralement les factures, la demanderesse a intenté une action devant la Cour. Le 20 juin 2017, la demanderesse a signifié sa déclaration à la défenderesse. La défenderesse n’a produit aucune défense.

[3] Le 12 septembre 2017, ma collègue, madame la juge St-Louis, a prononcé par voie d’ordonnance un jugement par défaut contre la défenderesse. Son ordonnance est ainsi libellée :

[traduction]

  1. La défenderesse, Ionada Incorporated, paiera à la demanderesse la somme de 200 607,96 $.

  2. La défenderesse, Ionada Incorporated, paiera également à la demanderesse les intérêts avant jugement simples sur cette somme, calculés au taux de 5 pour cent à compter du 27 février 2017 jusqu’à la date de la présente ordonnance.

  3. La défenderesse, Ionada Incorporated, paiera également à la demanderesse les intérêts après jugement simples sur cette somme, calculés au taux de 5 pour cent à compter de la date de la présente ordonnance jusqu’à la date du paiement.

  4. Les dépens afférents à la présente action, à taxer, sont adjugés à la demanderesse.

[4] La demanderesse sollicite l’aide de la Cour pour poursuivre l’exécution forcée du jugement par défaut prononcé contre la défenderesse.

II. Le contexte

[5] La demanderesse affirme que peu de temps après le prononcé du jugement par défaut, elle a entrepris des discussions raisonnables avec Ionada et son âme dirigeante, M. Edoardo Panziera (M. Panziera), en vue de conclure une entente pour l’acquittement de la dette découlant du jugement par défaut (la dette constatée par jugement). Selon la demanderesse, ces discussions se sont poursuivies tout le reste de l’année 2017 jusqu’en mai 2018, mais aucune entente n’a été conclue.

[6] Le dossier de requête de la demanderesse comprend un échange de courriels que M. Daniel Russell (M. Russell), le directeur général de CME, et M. Panziera se sont envoyés le 14 septembre 2017. Dans son courriel, M. Russell affirme notamment ce qui suit :

[traduction]

[…] Je suis navré d’apprendre que votre entreprise traverse une période difficile. Je suis le propriétaire d’un groupe d’entreprises dont fait partie Canadian Maritime Engineering et je me demandais si nous pourrions explorer une possibilité d’affaires mutuellement avantageuse, compte tenu de cette période difficile […]

[7] Dans sa réponse envoyée par courriel, M. Panziera ne reconnaît pas [traduction] « cette période difficile » que traverse Ionada; il propose plutôt de tenir une réunion la semaine suivante et il joint à son message la trousse d’information de base destinée aux investisseurs éventuels.

[8] De septembre 2017 jusqu’au 13 décembre 2017, MM. Russell et Panziera ont échangé plusieurs courriels. Dans le courriel qu’il a envoyé à M. Russell le 10 décembre 2017, M. Panziera décrivait les difficultés financières de Ionada et ajoutait :

[traduction]

Je serai en Chine tout le mois de janvier et pour une partie du mois de février afin d’effectuer un suivi auprès de multiples investisseurs. Ceux-ci constitueront la source la plus probable de nouveaux investissements. Plusieurs listes de condition et protocoles d’entente sont envisagés, et j’ai bon espoir que nous pourrons obtenir de nouveaux fonds dans les six prochains mois. Ce financement nous permettrait de commencer les paiements dus à CME en juin.

[…]

Je suis disposé à planifier une conférence téléphonique la semaine prochaine, au cours de laquelle je répondrai à toutes vos questions. Je vous remercie de votre compréhension, et j’espère que nous pourrons régler dans un avenir rapproché notre dette envers CME.

[9] Dans un courriel qu’il a transmis plus tard à M. Panziera, M. Russell lui disait ceci :

[traduction]

Bonjour Edoardo,

Je suis navré d’apprendre que vous éprouvez des difficultés.

J’ai parlé à John aujourd’hui, et si vous êtes sur le point de remporter l’appel d’offres lancé par Énergie NB pour la réalisation d’un projet d’épuration de 150 000 000 $ et que vous cherchez à obtenir des subventions gouvernementales et recherchez des investisseurs, il se peut que CME puisse vous soutenir à cet égard; et si nous pouvons négocier un financement auprès d’EDC, ces fonds garantiront notre paiement; enfin, les retombées et la relation qui s’ensuivront pourront rapidement mettre un terme à la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement avec Ionada.

Je serai ravi de le rencontrer la semaine prochaine.

[10] D’après l’affidavit de M. Russell, M. Panziera a présenté M. Russell à M. John Gingerich pour que celui-ci étudie les options de financement, y compris la possibilité de convertir le montant de la dette constatée par jugement en une forme de capitaux propres, afin d’aider Ionada à réduire son endettement. Leurs discussions se sont poursuivies jusqu’en mai 2018. Dans un courriel daté du 7 mars 2018, M. Russell a écrit ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Edoardo et tous,

J’ai longuement réfléchi à la position de Canadian Maritime Engineering, et même si nous souhaitons développer pour l’avenir une relation avec Ionada Incorporated, nous devons tout de même nous entendre sur la façon dont elle s’acquittera envers la Canadian Maritime Engineering Ltd. de sa dette, constatée par le jugement de septembre 2017, s’élevant à 200 607 $, plus les intérêts simples, avant et après jugement, calculés au taux de 5 pour cent.

Une simple lettre dans laquelle vous confirmerez votre bonne foi et exposerez des modalités de paiement suffira pour le moment.

À défaut, conformément aux conseils de notre avocat, nous continuerons de poursuivre l’exécution forcée du jugement, et la CME ne cherchera plus à collaborer avec Ionada Incorporated, tant que la voie menant au paiement de la somme ordonnée par jugement ne sera pas clairement tracée.

[11] Dans un autre courriel daté du 24 mai 2018 – qui s’inscrit dans un échange de courriels concernant l’entente proposée pour la conversion de la dette –, M. Russell a posé la question suivante à M. Panziera :

[traduction]

Merci Edoardo. Pouvez-vous nous donner des renseignements sur la société et les actions privilégiées dans lesquelles la dette serait convertie? Il nous faudrait examiner les données d’évaluation et les données financières pour nous assurer du caractère raisonnable de la conversion.

[12] Monsieur Russell n’a pas été satisfait des renseignements et du modèle d’entreprise fournis par M. Panziera. Voici ce qu’il a dit dans un courriel subséquent daté du 25 mai 2018 :

[traduction]

Edoardo,

Nous sommes très motivés à collaborer avec votre entreprise, cependant, nous devons savoir comment nous nous ferons payer, à quel montant s’élève notre créance et comment nous serons payés pour les ouvrages à l’avenir. J’aimerais parler à quelqu’un afin de me faire une idée de la valeur des actions que vous proposez … […]

[13] Dans son affidavit, M. Russell dit qu’à compter de mai 2018, il n’a plus cru que les discussions avec M. Panziera aboutiraient, et il a décidé qu’il n’était pas dans l’intérêt de CME de conclure avec M. Panziera et Ionada un accord consistant à investir dans les capitaux propres de leur entreprise. La demanderesse prétend qu’elle voulait donner à Ionada un peu de « répit » avant de prendre des mesures nécessaires à l’exécution forcée du jugement, de manière à lui permettre de se remettre de sa situation financière difficile.

[14] La demanderesse dit qu’elle n’a pas eu d’autres nouvelles de la part de M. Panziera avant le 4 avril 2022, date où M. Russell a reçu de la part de Ionada un bulletin d’information dans lequel il était question de subventions et d’investissements reçus. En réponse, M. Russell a envoyé un courriel à M. Panziera pour le féliciter, ainsi que Ionada, de cette nouvelle réussite. Il a aussi cherché à reprendre la discussion concernant la dette constatée par jugement. Voici un extrait du courriel de M. Russell :

[traduction]

[…] Nous serions ravis de discuter avec vous du mode de règlement de la dette, peu importe si le règlement est effectué en espèces ou s’il prend la forme d’actions ou de projets; nous avons été patients et nous sommes disposés à faire preuve de souplesse et à collaborer avec vous.

[15] À partir de la même adresse électronique qu’il avait utilisée dans ses communications de 2017 et de 2018 (edoardo.panziera@ionada.com), M. Panziera a fourni la réponse suivante le 5 avril 2022 :

[traduction]

Bonjour Daniel,

Ionada Incorporated, une société canadienne qui fournit du matériel de désulfuration marine, a été dissoute […]. Ionada Carbon Solutions Limited est une société albertaine créée en 2020, sans lien avec Ionada Incorporated, qui fournit du matériel de captage du carbone. J’espère que ces renseignements feront la lumière sur les difficultés qui entourent les réclamations visant Ionada Incorporated.

Nous sommes constamment à la recherche de partenaires stratégiques et vous invitons à communiquer avec notre directrice des finances, madame Violy Salas, pour obtenir une trousse d’investisseur ou pour devenir fournisseur.

[16] Voici la réponse de M. Russell : [TRADUCTION] « Bonjour Edoardo, vous ne nous faites donc aucune offre? Je tiens simplement à le savoir clairement avant de passer aux prochaines étapes […] ». Monsieur Panziera a répliqué le jour même, informant M. Russell que Ionada [traduction] « n’existait plus » et qu’il ne répondrait à aucune communication la concernant.

[17] Par conséquent, la demanderesse oppose la présente requête à M. Panziera et à la nouvelle société albertaine à laquelle celui-ci faisait référence, Ionada Carbon Solutions Limited (Ionada no 2).

[18] La demanderesse allègue que les modalités exposées par M. Panziera en vue de la dissolution de Ionada en mai 2021 étaient spécieuses. La société a été sciemment dissoute sur présentation d’un fait erroné – à savoir, le fait que Ionada n’avait aucune dette – afin d’échapper à ses dettes, y compris celle constatée par jugement. D’après la preuve, Ionada a été dissoute conformément aux dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C-44 (la LCSA), le 12 octobre 2019. Le 22 avril 2020, la société a été reconstituée conformément à l’article 209 de la LCSA. Le 19 mai 2021, Ionada a été dissoute en vertu du paragraphe 210(2) de la LCSA. Corazza Palummo LLP, un cabinet comptable situé à Concord, en Ontario, a déposé les clauses de dissolution, dont voici un extrait :

[traduction]

Autorisation de dissolution :

La société n’a ni biens ni dettes et les actionnaires ont approuvé la dissolution conformément au paragraphe 210(2).

[19] Ionada no 2 a été constituée en personne morale en vertu des lois de l’Alberta le 25 novembre 2020. L’adresse électronique qui figure au registre des entreprises est edoardo.panziera@ionada.com, et son bureau est situé à Calgary, en Alberta. Monsieur Panziera en est l’unique administrateur, et il détient la totalité des actions avec droit de vote.

[20] La demanderesse fait valoir que M. Panziera a continué d’exploiter son entreprise, Ionada, sous la dénomination Ionada no 2, et qu’il affirme faussement que Ionada no 2 n’a aucun lien avec Ionada, alors qu’elle continue d’exercer les activités de Ionada et qu’elle se présente ainsi. Selon la demanderesse, M. Panziera – l’unique âme dirigeante, actionnaire et administrateur de cette entreprise – s’appuie sur des formalités propres aux sociétés pour se soustraire à ses obligations légales. L’adresse Web « https://ionada.com » faisait partie du bloc-signature de M. Panziera qui apparaissait dans ses courriels de 2017 et 2018, et aussi dans ceux qu’il a envoyés à M. Russell en avril 2022. En date du 12 mai 2022, le site Web indiquait que « l’histoire » de Ionada avait commencé en 2010. Sous l’onglet [TRADUCTION] « Médias », on trouve des communiqués de presse qui remontent au 1er février 2016, dont quatre renvoient précisément à « Ionada Incorporated ». Sous l’onglet [traduction] « À propos de nous », il est indiqué que M. Panziera est le directeur général de Ionada no 2.

[21] La demanderesse prie aujourd’hui la Cour de déclarer que M. Panziera et Ionada no 2 sont, conjointement et solidairement, les débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement, et elle sollicite des mesures connexes à l’appui de l’exécution forcée du jugement par défaut.

[22] Ni M. Panziera ni Ionada no 2 n’ont déposé de réponse à la requête de la demanderesse. Par conséquent, la preuve présentée par la demanderesse est incontestée.

III. La question préliminaire

[23] La demanderesse a fait savoir qu’elle s’était désistée de l’action qu’elle avait intentée contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire NOLHANAVA. Il s’ensuit que [traduction] « les PROPRIÉTAIRES et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire NOLHANAVA » sont mis hors de cause en tant que parties défenderesses dans la présente instance. Par conséquent, l’intitulé de la cause est par la présente modifié, avec effet immédiat, de façon à ce que seule « IONADA INCORPORATED, une personne morale » soit constituée partie défenderesse en l’espèce (art 76, Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles)).

IV. Les questions en litige

[24] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. À quel montant la dette constatée par jugement s’élève-t-elle actuellement?

  2. La Cour a-t-elle compétence pour déclarer que M. Panziera et/ou Ionada no 2 sont les débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement?

  3. La Cour devrait-elle « faire abstraction de la personnalité morale » de manière à ce que M. Panziera et/ou Ionada no 2 puissent faire l’objet d’une saisie-exécution en qualité de débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement?

  4. La demanderesse devrait-elle avoir le droit de soumettre certaines personnes à un interrogatoire à l’appui de l’exécution forcée?

V. Analyse

A. Le montant actuel de la dette constatée par jugement

[25] La demanderesse fait valoir qu’à la date de l’audience en l’espèce, soit le 19 mai 2022, le montant global de la dette constatée par jugement, incluant les intérêts avant et après jugement, s’élevait à 253 067,28 $. Cette somme me paraît exacte. Les calculs sont les suivants :

  1. Le montant quotidien des intérêts, calculés au taux de 5 pour cent par an sur le principal de 200 607,96 $, s’élève à 27,48 $.

  2. La période visée pour le calcul des intérêts avant jugement compte 198 jours. Compte tenu du montant quotidien de 27,48 $, ces intérêts s’élèvent à 5 441,04 $;

  3. La période visée pour le calcul des intérêts après jugement compte 1 711 jours. Compte tenu du montant quotidien de 27,48 $, ces intérêts s’élèvent à 47 018,28 $.

B. La compétence pour déclarer qui sont les débiteurs judiciaires

[26] La demanderesse fait valoir que la Cour a compétence pour déclarer que M. Panziera et Ionada no 2 sont les débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement. La demanderesse s’appuie sur la décision Roxford Enterprises S.A. c Cuba, 2003 CFPI 763, où la Cour se fonde, aux paragraphes 25 et 26, sur l’arrêt Canada c Transport H. Cordeau Inc., 2002 CAF 228 (Gadbois), de la Cour d’appel fédérale, pour dire que la Cour a une « large compétence » pour autoriser que des tiers soient assujettis à l’exécution forcée des jugements dans certaines circonstances :

[25] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé que notre Cour a large compétence pour trancher des questions se soulevant dans le cadre de l’exécution de ses jugements, notamment quant à savoir s’il y a lieu de lever le voile corporatif (Canada (Ministre du Revenu national) c. Gadbois, [2003] 1 C.T.C. 353 (C.A.F.) (Gadbois). Dans Gadbois [au paragraphe 29], la Cour a conclu que les questions concernant les oppositions à l’exécution pouvaient être débattues adéquatement à partir « de la preuve documentaire au dossier, des preuves par affidavit et des contre-interrogatoires des affiants ».

[26] Cubana n’a pas démontré que le recours à la procédure habituelle pour les requêtes devant la Cour fédérale lui avait causé le moindre préjudice. En outre, elle n’a jamais demandé l’autorisation de déroger au régime général applicable aux requêtes. Je conclus, par conséquent, que notre Cour a compétence pour trancher la principale question en litige dans le cadre de la présente requête, soit celle de savoir si Cubana peut être assimilée à Cuba ou si elle a plutôt une personnalité juridique distincte de sorte que ses biens ne peuvent être saisis.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[Non souligné dans l’original.]

[27] La Cour a le pouvoir de poursuivre l’exécution forcée des jugements qu’elle prononce. Dans l’arrêt London Life, Compagnie d’assurance-vie c Canada, 2014 CAF 106, la juge Gauthier, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a dit au paragraphe 62 : « Selon moi, la Cour n’a pas besoin d’une règle précise lui permettant de donner des directives ou trancher des questions incidentes à l’exécution de ses jugements […]. » Elle confirmait la conclusion tirée par la Cour dans la décision Gadbois, au paragraphe 14 :

[14] Il ne fait pas de doute que la Cour a le pouvoir d’assurer l’exécution de ses jugements et que, dans ce contexte, elle peut être appelée à décider d’une manière incidente à l’exécution du jugement des questions de droit provincial soulevées à l’encontre de cette exécution : Le Bois de Construction du Nord (1971) Ltée v. The Queen, [1986] 2 CTC 227 (C.A.F.). Comme l’écrivait le juge Marceau à la page 233, « le pouvoir de la Cour de prendre parti sur une question de droit provincial qui se soulève de façon incidente au cours de l’exercice de son pouvoir juridictionnel propre ne fait aucun doute ». La Cour suprême du Canada a expressément reconnu cette compétence dans l’arrêt ITO - Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 781 :

La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n’est pas cependant restreinte à l’application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties.

[28] Par conséquent, je conviens avec la demanderesse que la Cour a compétence pour faire abstraction de la personnalité morale afin de poursuivre l’exécution forcée du jugement par défaut et de contraindre les débiteurs judiciaires à payer la dette constatée par jugement.

C. La compétence de faire abstraction de la personnalité morale

[29] Comme il a été établi que la Cour a compétence pour faire abstraction de la personnalité morale afin de poursuivre l’exécution forcée de son jugement, la demanderesse fait valoir qu’elle devrait avoir le droit de tirer profit de cette négation de la personnalité morale pour que M. Panziera et Ionada no 2 s’acquittent de leur dette constatée par jugement envers elle.

[30] Dans la décision Weldpro Limited c Weldworld Corp., 2018 CF 312, mon collègue le juge Gleeson fait remarquer au paragraphe 35 que le critère applicable à la négation de la personnalité morale est rigoureux, et il précise la nature de l’inconduite justifiant un tel résultat :

Le critère applicable à la levée du voile corporatif est élevé. La nature d’une grave inconduite qui a justifié un tel résultat a visé notamment des administrateurs de sociétés qui ont menti à la Cour (642947 Ontario Ltd. c Fleischer et al (2001), 56 O.R. (3d) 417, 209 DLR (4th) 182 (ON CA), le détournement de fonds par des administrateurs de sociétés (Shoppers Drug Mart v 6470360 Canada Inc., faisant affaire sous la raison sociale Energyshop Consulting Inc./Powerhouse Energy Management Inc.), 2014 ONCA 85) ou le transfert d’une entreprise à une société dans le seul but de se soustraire à un jugement par défaut (Asics Corporation c 9153-2267 Québec Inc, 2017 CF 257). Le dossier de la demanderesse ne révèle aucun élément de preuve de cette nature. Même si l’action en commercialisation trompeuse avait été fondée, il n’y a aucun élément de preuve d’inconduite grave qui justifierait la levée du voile corporatif et l’attribution de la responsabilité personnelle à M. Kocken.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[31] La demanderesse fait valoir que les affaires dans lesquelles la Cour a fait abstraction de la personnalité morale visaient toutes à éviter une injustice attribuable à la malhonnêteté ou à la tromperie. Dans la décision Foresight Shipping Co. c Inde, 2004 CF 231 (Foresight Shipping), la Cour a énoncé, aux paragraphes 14 et 15, le critère applicable à la négation de la personnalité morale :

[14] Pour soulever le voile de la personnalité juridique, la Cour doit en arriver à la conclusion que la personne morale est [traduction] « complètement dominée et contrôlée » par le propriétaire et que, par cette domination, elle est utilisée pour camoufler la part que prend le propriétaire dans des activités frauduleuses ou inappropriées ou pour le protéger contre la responsabilité de telles actions (Transamerica Life c. Canada Life Insurance (1996) 28 O.R. (3d) 423).

[15] La domination complète mentionnée ci-dessus est plus que la simple propriété. Le contrôle doit être tel que la société, en fait, ne fonctionne pas indépendamment. Foresight n’a pas réussi à prouver ce point.

[sic, pour l’ensemble de la citation]

[32] La demanderesse soutient que le premier volet du critère est rempli, car à toutes les dates pertinentes M. Panziera exerçait un contrôle absolu sur Ionada et Ionada no 2. Fort de ce contrôle absolu, M. Panziera a planifié la dissolution irrégulière et malhonnête de Ionana et il continue d’exercer ses activités sous la dénomination Ionada no 2, mais il s’appuie sur des formalités propres aux sociétés qui ne sauraient lui permettre de se soustraire à son obligation constatée par jugement. Selon la demanderesse, Ionada et Ionada no 2 exercent essentiellement les mêmes activités, et la preuve démontre que le contrôle exercé par M. Panziera sur Ionada et Ionada no 2 est absolu :

[traduction]

  1. Monsieur Panziera était l’actionnaire unique ou majoritaire, l’unique directeur général et « président » de Ionada. Il s’est occupé de constituer la société en personne morale pour la première fois en décembre 2013, il s’est occupé de la reconstitution en 2020 et il était l’unique administrateur au moment où il a planifié la dissolution en 2021. En outre, pendant l’entière durée des négociations en vue d’en arriver à une entente pour l’acquittement de la dette constatée par jugement – soit de septembre 2017 à mai 2018 –, M. Panziera a mené les discussions qui ont eu lieu avec CME au sujet de l’investissement.

  2. Monsieur Panziera est l’unique actionnaire, administrateur et directeur général de Ionada no2. L’adresse électronique qu’il utilise depuis très longtemps (edoardo.panziera@ionada.com) figure au registre des entreprises, tout comme son adresse sur l’avenue Pennsylvania, à Concord, en Ontario.

  3. Les mêmes adresses Web et adresses électroniques sont utilisées pour Ionada et Ionada no 2. Par conséquent, la même dénomination commerciale – « Ionada » – paraît être utilisée par les deux sociétés sans aucune distinction substantielle.

[33] En outre, la demanderesse fait remarquer que le deuxième volet du critère applicable à la négation de la personnalité morale consiste à démontrer qu’en plus du contrôle absolu, « […] il doit exister un trompe-l’œil ou un véhicule permettant de commettre des fautes, ou une conduite qui s’apparente à la fraude » (Nevsun Resources Ltd. c Delizia Limited, 2016 CF 393 (Nevsun) au para 44, conf par 2017 CAF 187). La demanderesse soutient que la dissolution de Ionada était irrégulière et que M. Panziera cherche maintenant à se soustraire à son obligation constatée par jugement au moyen du trompe-l’œil que constitue la distinction officielle qui existe entre Ionada et Ionada no 2. Dans ces circonstances, une inconduite aussi grave s’apparente à la fraude et autorise la Cour à faire abstraction de la personnalité morale.

[34] Le paragraphe 210(2) de la LCSA dispose :

Dissolution lorsqu’il n’y a pas de biens

(2) La société sans biens ni dettes peut être dissoute par résolution spéciale soit des actionnaires soit, en présence de plusieurs catégories d’actions, des détenteurs d’actions de chaque catégorie assorties ou non du droit de vote.

Dissolution if no property

(2) A corporation that has no property and no liabilities may be dissolved by special resolution of the shareholders or, where it has issued more than one class of shares, by special resolutions of the holders of each class whether or not they are otherwise entitled to vote.

[35] La demanderesse affirme que M. Panziera a dû, pour obtenir le certificat de dissolution, donner aux comptables (Corazza Palummo LLP) l’autorisation et l’ordre de déposer les clauses de dissolution nécessaires, lesquelles confirmaient que Ionada n’avait ni biens ni dettes. Or, il était faux d’affirmer que Ionada n’avait aucune dette, vu la dette constatée par jugement dont M. Panziera et Ionada connaissaient l’existence à l’époque, comme l’indiquent les échanges de courriels ayant eu lieu entre septembre 2017 et mai 2018. C’est pourquoi la demanderesse affirme que M. Panziera a sciemment ordonné la dissolution malhonnête de la société et qu’il tente aujourd’hui de tirer profit de cette inconduite.

[36] J’estime que selon la preuve non contredite qui fait partie du dossier de requête de la demanderesse, la défenderesse a commis une inconduite grave qui justifie la négation de la personnalité morale, de manière à permettre à la demanderesse d’exiger l’acquittement de la dette constatée par jugement. Conformément au critère énoncé dans la décision Foresight Shipping, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que M. Panziera contrôlait Ionada et Ionada no 2 aux dates pertinentes.

[37] De plus, dans la décision Asics Corporation c. 9153-2267 Québec Inc., 2017 CF 257 (Asics), notre Cour dit, aux paragraphes 67 et 69 :

[67] […] À mon avis, les éléments de preuve établissent en effet, selon la prépondérance des probabilités, que 9279 est l’alter ego de ses dirigeants, Joseph Nassar et Jean‑Pierre Nassar. Ils établissent aussi que l’entreprise jbloom a été transférée de 9153 à 9279 au cours des années 2014 et 2015 dans le but malhonnête et illégitime de contourner le jugement par défaut, et possiblement d’autres jugements, rendus par notre Cour contre 9153 (Corp d’hébergement du Québec et Nevsun, précitées). Je conclus que ce transfert a été effectué de mauvaise foi et de façon à dissimuler certains faits, afin d’empêcher ou d’entraver l’exercice par la demanderesse et possiblement par des tiers de leur droit de recouvrer les sommes qui leur ont été adjugées dans des jugements de notre Cour (Méthot, précité). Autrement dit, j’ai conclu que 9279, qui semblait inactive avant la signification du jugement par défaut, a servi de véhicule pour la commission d’actes répréhensibles, soit d’empêcher l’exécution de ce jugement. À mon avis, le défaut de lever le voile social dans ces circonstances aboutirait à un résultat « trop nettement en conflit avec la justice » (Kosmopolous, précité).

[…]

[69] Les éléments de preuve établissent aussi un amalgame de la marque de commerce « jbloom », du site Web et de l’adresse courriel de jbloom, utilisés tant par 9153 que par 9279 entre le 1er août 2014 et le 1er juillet 2015 à tout le moins (Setanta Sports Canada Limited c 1053007 Ontario Inc. (Endzone Bar & Grill), 2011 CF 99, au paragraphe 16 [Setanta]).

[Non souligné dans l’original.]

[38] Les circonstances dans l’affaire Asics présentent plusieurs similitudes avec la présente affaire. Même si M. Panziera dit qu’il n’existe [traduction] « aucun lien » entre Ionada et Ionada no 2, la preuve démontre que les deux sociétés exercent les mêmes activités : M. Panziera continue d’exploiter Ionada no 2 en utilisant la même dénomination, le même site Web et la même adresse courriel qu’il utilisait quand il exploitait Ionada. Comme dans l’affaire Asics, la preuve révèle que la même dénomination commerciale –  Ionada – paraît être utilisée par les deux sociétés. Le site Web contient également plusieurs communiqués de presse se rapportant à des projets antérieurs à la création de Ionada no 2. En fait, le projet même (en lien avec le NOLHANAVA) qui est à l’origine de la dette constatée par jugement est annoncé sur le site Web ionada.com – actuellement associé à Ionada no 2 – dans des communiqués de presse datés du 21 mars 2016 et du 17 octobre 2016.

[39] Selon la décision Nevsun, la Cour et de nombreuses autres juridictions canadiennes « […] exige[nt] la commission d’actes fautifs ou une conduite qui s’apparente à la faute avant de lever le voile corporatif » (au para 45) [sic, pour l’ensemble de la citation]. S’agissant du critère énoncé dans la décision Nevsun, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la conduite de la défenderesse peut être qualifiée de véhicule permettant de commettre des fautes, qui s’apparente à la fraude. À mon avis, la défenderesse s’est soustraite au jugement par défaut et M. Panziera a cherché, au moyen de ses communications avec M. Russell en avril 2022, à se distancier de Ionada pour éviter d’avoir à payer la dette constatée par jugement. Dans son courriel à M. Russell, M. Panziera tente également d’établir une distinction entre les activités de Ionada et celles de Ionada no 2, en soulignant que Ionada, désormais dissoute, était une société canadienne qui [traduction] « fournissait du matériel de désulfuration marine », tandis que Ionada no 2 est une société albertaine [traduction] « qui fournit du matériel de captage du carbone ».

[40] Cependant, comme l’a souligné l’avocat de la demanderesse au cours de l’audience, dans une communication que M. Panziera a transmise par courriel à M. Russell le 23 février 2018 – c’est-à-dire durant la période où M. Russell tentait de négocier le paiement de la dette constatée par jugement avec M. Panziera, et avant la création de Ionada no 2 – M. Panziera a écrit ceci :

[traduction]

Bonjour Daniel,

Je suis très heureux d’annoncer que Énergie NB a approuvé le projet pilote de capture du carbone de Belledune après avoir mené l’étude préliminaire de faisabilité.

GCS cherche activement à obtenir du financement pour ce projet pilote, et John Gingerich a pu obtenir 80 pour cent des fonds (huit millions de dollars américains). Il cherche un second investisseur qui pourra fournir les 20 pour cent des fonds (deux millions de dollars américains) nécessaires à la mise en œuvre du projet pilote. Le financement se fera aux mêmes conditions et simultanément, et les fonds seront alloués aux étapes clés. […]

[Non souligné dans l’original.]

[41] Ce courriel de M. Panziera a été envoyé au nom de Ionada à une date antérieure à la création de Ionada no 2, mais il traite d’un projet de capture du carbone. C’est pourquoi je conviens avec la demanderesse que M. Panziera tente, dans ses courriels d’avril 2022, d’établir une distinction entre Ionada et Ionada no 2, alors qu’aucune n’existe.

[42] Par ailleurs, le fait que Ionada a été dissoute sans que la question de la dette constatée par jugement ait été réglée est troublant. À la date de la dissolution, M. Panziera était le seul administrateur de Ionada, et il semble avoir été son seul actionnaire. Les clauses de dissolution disposent expressément que les actionnaires ont approuvé la dissolution conformément au paragraphe 210(2) de la LCSA, et il y est précisé que [traduction] « […] la société n’a ni biens et ni dettes […] ». Cependant, contrairement au texte des clauses de dissolution, la preuve démontre que M. Panziera savait que la dette constatée par jugement n’avait toujours pas été acquittée.

[43] D’après la preuve en l’espèce, M. Panziera exerçait un contrôle absolu sur Ionada et Ionada no 2 aux dates pertinentes, et il a commis une inconduite afin d’éviter d’avoir à payer la dette constatée par jugement. Par conséquent, j’estime que dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire Asics (au para 77), le critère applicable à la négation de la personnalité morale qui permet à la demanderesse d’exiger de Ionada no 2 qu’elle s’acquitte de la dette constatée par jugement est satisfait, puisque la débitrice désignée dans le jugement par défaut (Ionada) n’existe plus. Mon ordonnance vise également M. Panziera en sa qualité de débiteur de la dette constatée par jugement, car la preuve démontre qu’il était l’âme dirigeante qui contrôlait Ionada, et qui contrôle à présent Ionada no 2.

D. Les interrogatoires à l’appui d’une exécution forcée

[44] À titre de mesure connexe, la demanderesse cherche à faire confirmer des renseignements au sujet des biens afin de garantir l’efficacité des procédures d’exécution forcée et, par conséquent, elle souhaite tenir des interrogatoires à l’appui de cette exécution. Le paragraphe 426(1) des Règles dispose :

Interrogatoire

426 (1) Toute personne qui a obtenu une ordonnance exigeant le paiement d’une somme d’argent peut :

a) soumettre le débiteur judiciaire, dans le cas où celui-ci est une personne morale, l’un de ses dirigeants, à un interrogatoire oral au sujet des biens du débiteur judiciaire;

b) demander, par voie de requête, l’autorisation de procéder à l’interrogatoire oral de toute autre personne qui pourrait détenir des renseignements au sujet des biens du débiteur judiciaire.

Examinations

426 (1) A person who has obtained an order for the payment of money may

(a) conduct an oral examination of the judgment debtor or, if the judgment debtor is a corporation, of an officer of the corporation, as to the judgment debtor’s assets; and

(b) bring a motion for leave to conduct an oral examination of any other person who might have information regarding the judgement debtor’s assets.

[45] La Cour a interprété largement le terme « dirigeant », tel qu’il est employé à l’alinéa 426(1)a), de manière à inclure les personnes qui, en raison des positions au sommet hiérarchique de la gestion et des positions d’autorité qu’elles occupent, prennent les décisions pour la société (James Fisher & Sons Plc c Pegasus Lines Limited S.A., [1999] 4 CF F-55, 1999 CanLII 8652 (CF) au para 31).

[46] La demanderesse fait valoir qu’elle a, dans ce contexte, le droit d’interroger M. Panziera en sa qualité de dirigeant de Ionada. Toutefois, compte tenu des circonstances, la demanderesse croit que M. Panziera [traduction] « ne sera pas très disposé » à fournir des renseignements : elle demande donc l’autorisation, conformément à l’alinéa 426(1)b) des Règles, d’interroger d’autres personnes qui pourraient détenir des renseignements au sujet des biens. Les personnes dont le nom figure dans l’avis de requête de la demanderesse sont celles dont le nom est affiché sur le site Web Ionada.com, sous la rubrique [traduction] « Notre équipe ». La demanderesse explique que, sans plus de détails, il est difficile de savoir quelles fonctions ces personnes, qui pourraient détenir de tels renseignements, occupent réellement au sein de la société. La demanderesse cherche, à tout le moins, à interroger les personnes suivantes associées à Ionada et Ionada no 2 :

  1. Violy Salas (Mme Salas), qui, selon le courriel que M. Panziera a transmis à M. Russell le 5 avril 2022, serait la [traduction] « directrice des finances » de Ionada no 2. D’après le site Web ionada.com, elle est la [traduction] « directrice des finances »;

  2. Jeff Qian (M. Qian), qui a reçu signification de la déclaration visée en l’espèce le 20 juin 2017, a dit à l’époque qu’il était un ingénieur en mécanique pour Ionada. D’après le site Web ionada.com, il est à présent un [traduction] « ingénieur ».

[47] Le paragraphe 426(3) des Règles énonce le critère à satisfaire pour obtenir l’autorisation de procéder à un interrogatoire :

Critères d’autorisation

(3) Sur requête présentée en vertu de l’alinéa 1b), la Cour peut autoriser l’interrogatoire et fixer la date et l’heure de celui-ci ainsi que la façon de procéder si elle est convaincue, à la fois :

a) que la personne qui sera interrogée peut détenir des renseignements au sujet des biens du débiteur judiciaire;

b) que le requérant n’a pu obtenir ces renseignements sans formalité de la personne qui sera interrogée ou d’une autre source par des moyens raisonnables;

c) qu’il serait injuste de ne pas permettre au requérant de procéder à l’interrogatoire;

d) que l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne qui sera interrogée ou au débiteur judiciaire.

Criteria for leave

(3) On a motion brought under paragraph (1)(b), the Court may grant leave to conduct the oral examination and determine the time and manner of conducting the examination, if it is satisfied that

(a) the person to be examined may have information as to the judgment debtor‘s assets;

 

(b) the moving party has been unable to informally obtain the information from the person to be examined or from another source by any other reasonable means;

(c) it would be unfair not to allow the moving party to conduct the examination; and

(d) the examination will not cause undue delay, inconvenience or expense to the person to be examined or to the judgment debtor.

[48] La demanderesse sollicite également l’autorisation d’interroger David Corazza (M. Corazza) et Robert Palummo (M. Palummo), les partenaires fondateurs du cabinet comptable Corazza Palummo LLP qui a signé et déposé les clauses de dissolution au nom de Ionada en mai 2021. Selon la demanderesse, MM. Corazza et Palummo sont susceptibles de détenir des renseignements sur les biens de Ionada.

[49] La demanderesse fait valoir que les interrogatoires ne devraient pas être longs et elle accepte de les mener d’une manière qui n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables.

[50] Le 10 mai 2022, l’avocat de la demanderesse a envoyé un courriel à M. Panziera, à Mme Salas, à M. Qian, à M. Corazza et à M. Palummo, dans lequel il leur fournissait l’avis de requête en prévision de la présente audience. Le dossier complet de la requête a été envoyé dans un courriel séparé avec un lien d’accès sécurisé. Le 12 mai 2022, l’avocat de la demanderesse a envoyé un courriel à M. Corazza et à M. Palummo, dans lequel il leur demandait s’ils consentaient à fournir des renseignements sur les biens, ou les anciens biens, de Ionada et sur la dissolution de la société. Monsieur Panziera a reçu une copie de ce courriel. L’auteur du courriel avait précisé [traduction] : « Si je n’ai pas reçu votre réponse à la fermeture des bureaux le lundi 16 mai 2022, au plus tard, je tiendrai pour acquis que vous n’entendez pas donner votre consentement. » Le 19 mai 2022, l’avocat de la demanderesse n’avait toujours reçu aucune réponse, mais il a reçu une confirmation de lecture de la part de M. Panziera.

[51] L’avocat de la demanderesse a aussi envoyé le 12 mai 2022, un courriel à Mme Salas et à M. Qian pour leur demander s’ils consentaient à fournir des renseignements sur les biens, ou les anciens biens, de Ionada et de Ionada no 2. Monsieur Panziera a aussi reçu une copie de ce courriel. L’auteur du courriel avait précisé [traduction] : « Si je n’ai pas reçu votre réponse à la fermeture des bureaux le lundi 16 mai 2022, au plus tard, je tiendrai pour acquis que vous n’entendez pas donner votre consentement. » Le 19 mai 2022, l’avocat de la demanderesse n’avait toujours reçu aucune réponse, mais il a reçu de la part de M. Panziera une confirmation de lecture du courriel envoyé à Mme Salas.

[52] Comme l’a fait remarquer l’avocat de la demanderesse, l’exécution forcée d’une obligation constatée par jugement n’est pas utile en l’absence de renseignements suffisants au sujet des biens.

[53] J’autorise la demanderesse à interroger M. Panziera, Mme Salas et M. Qian, en leur qualité de personnes affiliées à Ionada et Ionada no 2. Je l’autorise également à interroger MM. Corazza et Palummo sur tout renseignement concernant les biens, ou les anciens biens, de Ionada et la dissolution de la société Ionada.

VI. Les dépens

[54] La demanderesse sollicite, au titre des dépens afférents à la présente requête, des honoraires s’élevant à 38 314,55 $ et des débours s’élevant à 1 609,28 $, soit un total de 39 923,83 $. J’estime qu’il est approprié en l’espèce d’adjuger les dépens à la demanderesse pour la somme proposée. Conformément aux facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, les dépens sont fixés à 39 923,83 $, somme que la défenderesse devra verser à la demanderesse.

VII. Conclusion

[55] Pour les motifs exposés ci-dessus, j’estime que la preuve non contestée appuie la conclusion selon laquelle Ionada no 2 et M. Panziera sont conjointement et solidairement responsables de la dette constatée par jugement, dont la somme s’élevait, le 19 mai 2022, à 253 067,28 $. Par conséquent, faisant droit à la demande exprimée par la demanderesse, je déclare que M. Panziera et Ionada no 2 sont les débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement. J’autorise également la demanderesse à procéder, à l’appui d’une exécution forcée, à l’interrogatoire de M. Panziera, de Mme Salas, de M. Qian, de MM. Corazza et Palummo.


ORDONNANCE dans le dossier T-836-17

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que « IONADA INCORPORATED, une personne morale » soit constituée partie défenderesse.

  2. Le montant global de la dette constatée par jugement s’élève, en date du 19 mai 2022, à 253 067,28 $.

  3. Monsieur Panziera et Ionada no 2 sont déclarés être, conjointement et solidairement, les débiteurs responsables du paiement de la dette constatée par jugement.

  4. La demande présentée par la demanderesse en vue d’être autorisée à procéder, à l’appui d’une exécution forcée, à l’interrogatoire de M. Panziera, de Mme Salas et de M. Qian, en leur qualité de personnes affiliées à Ionada et Ionada no 2, est accueillie.

  5. La demande présentée par la demanderesse en vue d’être autorisée à procéder, à l’appui d’une exécution forcée, à l’interrogatoire de MM. Corazza et Palummo, en leur qualité de personnes pouvant détenir des renseignements sur les biens de Ionada ou sur la dissolution de Ionada, est accueillie.


 

  1. La défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse, les dépens afférents à la présente requête, lesquels sont fixés à 39 923,83 $.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T-836-17

 

INTITULÉ :

CANADIAN MARITIME ENGINEERING LTD., une personne morale, c IONADA INCORPORATED, une personne morale

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mai 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Scott R. Campbell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

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