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Date : 20220818


Dossier : IMM-4861-21

Référence : 2022 CF 1210

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 août 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

LINXIANG JI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Linxiang Ji a été accusé d’agression armée à la suite d’une altercation avec son colocataire. M. Ji n’a pas divulgué cette accusation lorsqu’il a fait une demande de prolongation de son permis d’études. La Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu qu’il s’agissait d’une présentation erronée sur un fait important [fausse déclaration] et que M. Ji était donc interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Ji demande un contrôle judiciaire de cette conclusion, en invoquant deux arguments principaux. Premièrement, il fait valoir que l’accusation ne peut pas avoir d’incidence sur son admissibilité au Canada puisqu’elle a plus tard été suspendue en vertu d’une entente conclue avec la Couronne. Il fait également valoir que la SI n’a pas expliqué de manière raisonnable le motif pour lequel elle avait malgré tout conclu que sa fausse déclaration était importante. Deuxièmement, il soutient que la préclusion empêchait l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] de soulever la question de la fausse déclaration auprès de la SI, car un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rétabli son statut de résident temporaire et a renouvelé son permis d’étude après que la question de la fausse déclaration a été soulevée, mais avant que l’ASFC ne demande la tenue d’une enquête.

[3] Malgré l’habileté avec laquelle l’avocat de M. Ji a défendu ces points, je conclus que ni lui ni le demandeur n’ont démontré que la décision de la SI était déraisonnable. La SI a suffisamment et raisonnablement expliqué sa conclusion, selon laquelle la fausse déclaration était importante parce qu’elle aurait pu avoir une incidence sur le traitement de la demande de permis d’études de M. Ji. Je ne peux pas accepter l’argument de M. Ji, selon lequel son omission de divulguer des renseignements sur l’accusation portée contre lui n’était pas importante puisqu’une entente de suspension de l’accusation existait au moment où la fausse déclaration a été faite. Je ne peux pas non plus accepter que le rétablissement du statut de M. Ji par IRCC, survenu entre-temps, équivaut à une décision concernant l’interdiction de territoire de M. Ji pour fausses déclarations, laquelle aurait effectivement empêché la SI de tenir une enquête.

[4] La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[5] Comme je l’ai déjà mentionné, la demande de contrôle judiciaire de M. Ji soulève les deux questions suivantes :

  1. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que la fausse déclaration était importante, ou en n’expliquant pas de manière adéquate ses conclusions sur cette question?

  2. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne l’empêchait pas de rendre une décision relativement à la fausse déclaration?

[6] Les parties conviennent, tout comme moi, que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25; Pepa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 348 aux para 16-45).

[7] Le contrôle selon de la norme de la décision raisonnable exige que la Cour détermine si la décision est raisonnable, tant dans son résultat que dans son raisonnement, compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 81, 83, 87, 99). Une décision raisonnable est justifiée, transparente, intelligible pour la personne visée, et atteste « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif, du dossier dont le décideur était saisi et des observations des parties (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94-96, 99, 127-128). Comme le souligne M. Ji, l’exigence de justification implique qu’il ne suffit pas que la décision soit justifiable, mais elle doit également être justifiée au moyen de motifs formulés par le décideur (Vavilov, au para 86).

III. Analyse

A. La SI a raisonnablement conclu que la fausse déclaration était importante.

(1) Contexte de l’audience sur les fausses déclarations

[8] M. Ji, citoyen chinois, est venu au Canada en 2012 muni d’un permis d’études de quatre ans. En 2016 et 2017, il a demandé et obtenu le renouvellement de son permis d’études, lequel était valide jusqu’en 2019.

[9] En décembre 2018, M. Ji s’est battu avec son colocataire. Il a par la suite été accusé d’agression armée le 6 août 2019. Après quelques comparutions initiales, en date du 7 octobre 2019, le tribunal a apparemment informé M. Ji que l’accusation serait abandonnée et que s’il effectuait des services communautaires dans un délai de deux mois, il n’aurait pas de casier judiciaire. En novembre, l’avocat de M. Ji a effectué un suivi auprès de l’avocat de la Couronne, car M. Ji n’avait toujours pas été contacté au sujet des services communautaires qu’il devait effectuer. Une entente a alors été conclue, selon laquelle l’accusation serait suspendue si M. Ji envoyait une lettre d’excuses à la victime. M. Ji a effectivement envoyé une lettre d’excuses, et la Couronne a suspendu l’accusation lors d’une comparution devant le tribunal le 9 décembre 2019.

[10] Entre-temps, M. Ji a déposé une nouvelle demande pour le renouvellement de son permis d’études, en date du 15 novembre 2019. Le formulaire de demande comprenait la question suivante : « Avez-vous déjà commis, été arrêté, accusé ou reconnu coupable d’une infraction pénale quelconque dans un pays ou territoire? ». M. Ji a répondu à cette question en cochant la case « Non ».

[11] Le 6 février 2020, un agent de l’ASFC a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il a indiqué qu’il était d’avis que M. Ji était interdit de territoire pour fausses déclarations parce qu’il avait omis de divulguer l’accusation d’agression armée dont il a fait l’objet dans sa demande de permis d’études. Dans les jours qui ont suivi, un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déféré à la SI le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) en vue d’une enquête, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR. L’enquête s’est finalement déroulée le 1er juin 2021 par téléconférence.

[12] Entre la déférence du rapport à la SI, en février 2020, et l’enquête de juin 2021, IRCC a envoyé à M. Ji une lettre d’équité procédurale concernant sa demande de renouvellement de permis d’études. Datée du 18 septembre 2020, la lettre indiquait qu’après examen de son dossier, il semblait possible que sa demande puisse être refusée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences de la LIPR. En particulier, la lettre faisait référence à l’accusation d’agression armée dont M. Ji avait fait l’objet, et indiquait que des renseignements supplémentaires étaient requis pour déterminer s’il était admissible malgré des raisons d’ordre criminel. Il y était également noté que M. Ji avait omis de divulguer cette accusation et qu’il serait potentiellement soumis à une interdiction de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La lettre indiquait que M. Ji devait soumettre dans les sept jours tous les rapports de police et dossiers judiciaires concernant l’accusation et expliquer pourquoi il n’avait pas divulgué son existence dans sa demande de permis d’études.

[13] M. Ji a rédigé une lettre, datée du 25 septembre 2020, qui n’est finalement pas parvenue à IRCC parce que M. Ji l’a téléchargée dans le système en ligne d’IRCC, mais ne l’a pas soumise. Dans cette lettre, M. Ji s’excuse de ne pas avoir joint d’explication à propos de l’accusation à sa demande initiale. Il y explique les circonstances de l’accusation et y mentionne qu’avant de demander la prolongation de son permis d’études, une entente de suspension de l’accusation avait été conclue [traduction] « grâce à la médiation » ayant eu lieu entre son avocat et la Couronne. Je note en passant qu’il est difficile de savoir, d’après cette référence ou les autres éléments de preuve, si un processus de médiation a eu lieu sous une forme ou une autre, comme l’a suggéré l’avocat du demandeur dans son argumentation, ou si le règlement a simplement été le résultat de discussions entre les avocats. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas d’incidence sur les questions relatives à la demande.

[14] La lettre écrite par M. Ji en réponse à IRCC n’ayant pas été reçue, un agent d’immigration a écrit à M. Ji le 2 octobre 2020 pour l’informer que sa demande de renouvellement du permis d’études était refusée. L’agent a fait référence à l’accusation, a relevé l’absence de réponse à la lettre d’équité procédurale et a affirmé ne pas être convaincu que M. Ji soit admissible, pour des raisons d’ordre criminel. Comme l’a noté la SI, ce refus était fondé sur une interdiction de territoire pour criminalité, et non pas sur le motif de fausses déclarations.

[15] Après avoir reçu cette lettre de refus, M. Ji a déposé auprès d’IRCC une demande de rétablissement de son statut, ainsi qu’une nouvelle demande de permis d’études. À l’appui de cette demande, M. Ji a fourni une lettre datée du 17 octobre 2020. La lettre fait référence au refus du 2 octobre 2020; M. Ji y décrit son erreur commise lorsqu’il a téléchargé sans la soumettre sa réponse à la lettre d’équité procédurale, et y donne des détails concernant l’accusation d’agression armée et son règlement. Il y fait également la déclaration suivante au sujet de sa demande initiale :

[traduction]

Lorsque j’ai été accepté à l’Université de la Saskatchewan, j’étais très enthousiaste et heureux. J’ai rapidement rempli le formulaire de demande de prorogation de mon permis d’études et je me suis préparé à déménager pour mon entrée à la nouvelle université. Mon intention n’était pas de cacher quoi que ce soit à la connaissance de votre bureau. Je vous prie de bien vouloir excuser mon erreur innocente. Je suis prêt à fournir autant de détails que possible sur cette question. J’ai simplement négligé la question et commis cette erreur.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Le 4 novembre 2020, soit huit semaines avant que l’ASFC ne demande la tenue d’une enquête, IRCC a rétabli le statut de résident temporaire de M. Ji en vertu de l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], et lui a délivré un nouveau permis d’études.

(2) La décision de la SI sur l’interdiction de territoire

[17] La SI a noté, à juste titre, que pour qu’un ressortissant étranger soit interdit de territoire pour fausses déclarations, il faut (1) que cette personne ait fait de fausses déclarations et (2) ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR (LIPR, art 40(1)a); Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 au para 27).

[18] La SI a estimé que le fait que M. Ji n’a pas divulgué l’accusation dans sa demande de prorogation du permis d’études datée du 15 novembre 2019 constituait une fausse déclaration. M. Ji ne conteste pas cette conclusion.

[19] La SI a également estimé que la fausse déclaration était importante. Elle a rejeté l’argument de M. Ji selon lequel la suspension ultérieure de l’accusation amoindrit l’importance de la fausse déclaration pour les raisons suivantes :

[traduction]

L’accusation criminelle a été suspendue par la Couronne le 9 décembre 2019. Le fait que l’accusation ait été suspendue n’avantage pas M. Ji, et ce, pour deux raisons. L’importance doit être déterminée au moment de la fausse déclaration, [Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187 au para 16]. Au moment où la demande a été soumise, M. Ji faisait manifestement l’objet d’une accusation criminelle. Deuxièmement, pour être importante, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Elle est importante si elle a une incidence sur le processus (Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 aux para 28, 37; Afzal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 426 au para 26). Une personne est interdite de territoire pour criminalité et ne peut se voir accorder une prorogation de son permis d’études si elle a été reconnue coupable au Canada d’une agression armée. La fausse déclaration de M. Ji aurait pu empêcher l’agent chargé de traiter sa demande d’examiner la décision rendue suite à l’accusation criminelle. La fausse déclaration était importante, car elle aurait eu une incidence sur le processus amorcé.

La fausse déclaration doit se rapporter à un objet pertinent. En l’espèce, il s’agissait de la demande de prolongation du permis d’études de M. Ji.

La fausse déclaration doit entraîner ou avoir risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La fausse déclaration de M. Ji aurait pu permettre à une personne interdite de territoire pour criminalité de bénéficier d’une prolongation de son permis d’études, ce qui aurait constitué une erreur dans l’application de la Loi.

[Non souligné dans l’original; citations clarifiées.]

(3) La décision de la SI était raisonnable

[20] M. Ji soutient que, lors d’une demande de renouvellement d’un permis d’études, un demandeur n’a qu’à convaincre un agent d’IRCC qu’il (i) quittera le Canada à la fin de son séjour, (ii) satisfait aux exigences applicables du RIPR, (iii) a satisfait aux exigences de l’examen médical, (iv) a été admis à un programme d’études qualifié, (v) s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son arrivée, et (vi) est admissible au Canada (RIPR, art 216, 217; LIPR, art 47.) En l’espèce, affirme-t-il, la seule contrainte était son éventuelle interdiction de territoire au Canada pour criminalité ou grande criminalité en vertu de l’article 36 de la LIPR. Pour être interdit de territoire en vertu de l’article 36 pour des infractions commises au Canada, l’étranger doit être reconnu coupable de l’infraction (LIPR, art 36(1)a), 36(2)a)). M. Ji fait donc valoir qu’en raison de l’entente de médiation selon laquelle l’accusation dont il faisait l’objet serait retirée, il n’y avait aucun risque qu’il soit interdit de territoire, et qu’aucune piste d’enquête pertinente n’avait été exclue.

[21] M. Ji cite les décisions de la Cour dans les affaires Singh Dhatt et Murugan comme des exemples de cas où de fausses déclarations ont été jugées de moindre importance (Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556 aux para 31-43; Murugan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 547 aux para 12-14). Dans l’affaire Singh Dhatt, le juge Mactavish a estimé que la présentation d’un acte de naissance frauduleux pour une fille adoptée ne constituait pas une présentation erronée sur un fait important, puisque le fait important, à savoir que la fille avait été adoptée, n’avait jamais été dissimulé ou faussement présenté aux autorités canadiennes (Singh Dhatt, aux para 31-33). Cette décision confirme l’importance de tenir compte des circonstances particulières de l’affaire lorsqu’on évalue l’importance d’une fausse déclaration. Cependant, elle n’a que peu d’incidence sur les circonstances en l’espèce, étant donné les différences factuelles. En particulier, on note l’absence de toute autre divulgation de l’accusation de la part de M. Ji au moment de présenter sa première demande de renouvellement, ou à tout moment avant qu’IRCC ne soulève la question.

[22] L’affaire Murugan présente une plus grande similitude factuelle. Dans ce cas, les demandeurs de résidence permanente ont répondu par erreur « non » à la question qui demandait si un visa de visiteur leur avait été refusé. En fait, un visa de visiteur leur avait déjà été refusé parce qu’on craignait qu’ils ne quittent pas le Canada à la fin de leur séjour. La juge Simpson a accepté l’argument des demandeurs selon lequel cette fausse déclaration ne pouvait pas être importante au regard de leur demande de résidence permanente, étant donné qu’un refus antérieur fondé sur la crainte que les demandeurs restent au Canada n’aurait pu avoir d’incidence sur la décision prise à l’égard d’une demande de résidence permanente (Murugan, aux para 13-14).

[23] M. Ji soutient essentiellement que sa fausse déclaration n’aurait pas pu avoir d’incidence sur l’application de la LIPR. Il fait valoir qu’en raison de l’entente prise avec la Couronne et de la suspension ultérieure de l’accusation dont il faisait l’objet, il ne pouvait pas être interdit de territoire pour criminalité; par conséquent, son défaut de divulguer l’accusation ne pouvait pas avoir induit une erreur en permettant à une personne interdite de territoire pour criminalité d’obtenir un statut de résident temporaire, comme le suggérait la SI. En raison de ces circonstances particulières, M. Ji affirme donc que sa fausse déclaration ne peut pas être considérée comme importante.

[24] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, M. Ji fait valoir dans ses arguments que sa fausse déclaration n’était pas importante étant donné que la décision à l’égard de sa demande de renouvellement de permis d’études aurait été la même, puisqu’il n’a jamais été interdit de territoire pour criminalité. Toutefois, la Cour a confirmé qu’une fausse déclaration n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus (Goburdhun, au para 28, citant Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au para 25; Afzal, au para 26). Même si la procédure avait abouti au même résultat dans ces circonstances, la fausse déclaration peut néanmoins être importante. Cette approche confirme la pertinence de l’objectif sous-jacent de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, à savoir dissuader de faire une fausse déclaration et préserver l’intégrité du processus d’immigration en imposant à chaque demandeur la responsabilité de vérifier l’intégralité et l’exactitude de sa demande (Afzal, au para 24; Inocentes, au para 17, citant Sayedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 420, aux para 23-24; Goburdhun, au para 28).

[25] Comme la SI l’a souligné, la fausse déclaration de M. Ji aurait pu empêcher un agent, du moins, de se renseigner quant à la nature de l’accusation et quant à la décision, comme ce fut le cas avec la lettre d’équité procédurale. Même si cette enquête avait finalement permis de conclure que M. Ji n’était pas interdit de territoire pour criminalité, le fait de ne pas avoir divulgué la déclaration de culpabilité aurait pu avoir une incidence sur le processus d’application de la LIPR.

[26] M. Ji cite également la décision Song et l’arrêt Vavilov, pour le principe selon lequel les motifs doivent raisonnablement expliquer et justifier la conclusion essentielle sur l’importance du fait, et soutient qu’en l’espèce, les raisons données par la SI ne satisfont pas à ce critère (Song c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 72, aux para 29-31; Vavilov, aux para 86, 98, 102-105).

[27] J’estime pour ma part que la décision de la SI possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Dans son explication, la SI mentionne qu’elle devait évaluer l’importance de la fausse déclaration au moment où celle-ci s’est produite. Elle explique également que la fausse déclaration de M. Ji [traduction] « aurait pu empêcher un agent chargé de traiter sa demande d’examiner la décision rendue suite à son accusation criminelle ». Cela est incontestable, indépendamment du fait que cette enquête a dévoilé des informations relatives à l’existence d’une entente de suspension de l’accusation criminelle. Je suis convaincu que la SI a bien expliqué pourquoi elle a jugé que la fausse déclaration était importante.

[28] M. Ji soutient que l’affirmation de la SI selon laquelle sa fausse déclaration « aurait pu permettre à une personne interdite de territoire pour criminalité de bénéficier d’une prolongation de son permis d’études » est erronée, étant donné que ni la non-divulgation ni l’accusation n’auraient pu mener à ce résultat en l’espèce. Toutefois, la déclaration de la SI doit être lue en fonction du contexte de son énoncé antérieur sur l’intégrité du processus et sur le moment de l’évaluation de l’importance de la fausse déclaration. L’ensemble des motifs donnés par la SI démontre clairement que celle-ci est préoccupée quant au fait que la non-divulgation de l’accusation, au moment de la demande, aurait pu empêcher l’agent d’effectuer un examen et une enquête sur un aspect important de la demande.

[29] À cet égard, je ne peux pas accepter l’argument de M. Ji selon lequel la SI n’a pas tenu compte du fait qu’au moment du dépôt de la demande de M. Ji, une entente avait été conclue pour la suspension de l’accusation à la condition que M. Ji accepte d’effectuer des services communautaires ou, plus tard, d’envoyer une lettre d’excuses. Les motifs de la SI doivent être lus au regard des observations qui avaient été portées à sa connaissance (Vavilov, aux para 94, 106, 127, 128). Dans les observations finales qu’il a présentées à la SI à propos de l’importance de la fausse déclaration, M. Ji fait référence à la décision à l’égard de l’accusation et à la divulgation ultérieure de cette même accusation, mais ne s’intéresse pas au moment de la médiation ou de l’entente conclue avec la Couronne, par rapport à la date du dépôt de sa demande de renouvellement. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à la SI de ne pas avoir abordé directement la question de la date de conclusion de l’entente, par rapport à celle de la suspension de l’accusation elle-même.

[30] Par conséquent, je conclus que M. Ji ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SI, selon laquelle il y avait fait une présentation erronée d’un fait important (fausse déclaration), était déraisonnable.

B. La SI a raisonnablement conclu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas.

(1) La décision de la SI sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[31] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, l’ASFC a établi un rapport en vertu de l’article 44 et l’a transmis à la SI en février 2020, mais n’a pas demandé la tenue d’une enquête avant le mois de décembre 2020. Dans l’intervalle, IRCC a refusé la demande de renouvellement de M. Ji après n’avoir reçu aucune réponse à la lettre d’équité procédurale envoyée à ce dernier. IRCC a par la suite rétabli le statut de M. Ji et lui a délivré un permis d’études en novembre 2020. M. Ji a fait valoir que l’agent d’IRCC a implicitement conclu qu’il n’était pas interdit de territoire pour fausses déclarations et que l’ASFC était donc précluse de soumettre cette question devant la SI pour qu’elle soit de nouveau tranchée.

[32] La SI a énoncé les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, confirmées dans Danyluk, à savoir que 1) la même question doit déjà avoir été tranchée; 2) la décision judiciaire antérieure invoquée comme créant la préclusion doit être définitive; et 3) les parties à la décision antérieure doivent être les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où le principe de la préclusion est soulevé (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au para 25; Liu c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2019 CF 849, au para 45).

[33] La SI, citant la décision de la Cour dans l’affaire Liu, a estimé que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas, puisqu’aucun agent d’IRCC n’avait déterminé que M. Ji avait fait une fausse déclaration dans sa demande de renouvellement de permis d’études (Liu, aux para 3, 45-54). Plus précisément, la SI a noté que l’agent qui a d’abord refusé la demande de renouvellement l’a fait au motif d’interdiction de territoire pour criminalité, et non au motif de fausses déclarations, et que l’agent qui a traité la demande subséquente pour le rétablissement du statut et le renouvellement du permis d’études n’a pas mentionné la fausse déclaration relative à la demande antérieure.

(2) La décision de la SI était raisonnable

[34] M. Ji soutient que la SI a commis une erreur parce qu’en l’espèce, contrairement aux circonstances de l’affaire Liu, l’agent d’IRCC qui a rétabli son statut et délivré un permis d’études en novembre 2020 (i) a dû avoir connaissance de la fausse déclaration initiale et (ii) a dû implicitement prendre une décision à cet égard. M. Ji fait valoir le premier point parce qu’IRCC avait déjà envoyé la lettre d’équité procédurale du 18 septembre 2020, dans laquelle la question de la fausse déclaration était soulevée, et parce que lui-même fait référence à cette lettre dans sa lettre d’explication appuyant la demande de rétablissement de son statut. M. Ji fait valoir le second point parce que le paragraphe 182(1) du RIPR exige d’un agent qu’il ne rétablisse pas le statut de résident temporaire d’un demandeur si ce dernier est interdit de territoire. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

Rétablissement

Restoration

182 (1) Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingt-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

182 (1) On application made by a visitor, worker or student within 90 days after losing temporary resident status as a result of failing to comply with a condition imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c), an officer shall restore that status if, following an examination, it is established that the visitor, worker or student meets the initial requirements for their stay, has not failed to comply with any other conditions imposed and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[35] À mon avis, il était raisonnable de la part de la SI de conclure que l’agent qui a rétabli le statut de M. Ji et délivré un permis d’études n’avait pas tranché la question de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations.

[36] Il est important de noter que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est conçue pour éviter qu’un différend ne soit soumis à nouveau aux tribunaux. En d’autres termes, elle est conçue pour empêcher les plaideurs de tenter de soulever à nouveau des questions qui ont déjà été tranchées par un décideur. En fait, « la préclusion est une doctrine d’intérêt public qui tend à favoriser les intérêts de la justice » (Danyluk, aux para 18-21).

[37] Comme l’a indiqué la Cour suprême, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut s’appliquer aux questions en litige même si elles n’ont été tranchées implicitement que dans une décision antérieure. Toutefois, comme le juge Binnie l’a expliqué dans l’arrêt Danyluk, il doit s’agir d’une question fondamentale et nécessaire à la décision antérieure. En parlant de la doctrine, le juge Binnie a insisté sur la définition de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée comme concernant les questions ou faits « distinctement mis en cause et directement réglés » antérieurement par un décideur, une définition stricte adoptée à la fois par la majorité et la dissidence dans l’affaire Angle (Angle c Ministre du Revenu national, [1975] 2 RCS 248, aux p 255, 267-268; Danyluk au para 24). En se fondant sur cette approche, le juge Binnie a statué que :

La question qui est censée donner naissance à la préclusion doit avoir été « fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé » dans l’affaire antérieure. En d’autres termes, comme il est expliqué plus loin, la préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit (« les questions ») à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure.

[Non souligné dans l’original; Danyluk, au para 24.]

[38] En l’espèce, rien n’indique que la fausse déclaration dans la demande de renouvellement ait été « distinctement mis[e] en cause et directement réglé[e] » par l’agent qui a accordé le rétablissement du statut. Bien que M. Ji, dans sa lettre d’explication déposée à l’appui de sa demande de rétablissement, fasse référence au passage dans la lettre d’équité procédurale antérieure, où la question de la fausse déclaration est soulevée, il ne signale que succinctement son « erreur » de ne pas avoir divulgué l’accusation, dans le passage reproduit au paragraphe [15] ci-dessus. Dans sa lettre, qui contient principalement une explication au sujet de l’accusation d’agression armée et non pas de la question de la fausse déclaration, M. Ji n’aborde pas l’importance de cette dernière. Bien que M. Ji soutienne que l’agent devait avoir eu connaissance du problème de la fausse déclaration, soit du fait de son implication directe au dossier, soit à cause des notes au dossier, il est difficile de savoir si la fausse déclaration a réellement été portée à la connaissance de l’agent chargé de la demande de rétablissement.

[39] En outre, même si celui-ci en a effectivement eu connaissance, je ne puis être d’accord avec M. Ji pour dire que le rétablissement de son statut prouve que l’agent d’IRCC avait « nécessairement statué (même si [il] ne l’a pas fait de façon explicite) » sur la question de la fausse déclaration. Dans la mesure où l’agent était présumé connaître l’existence de la fausse déclaration, on peut présumer qu’il savait également que cette question avait été renvoyée à la SI pour être tranchée lors d’une enquête. Dans de telles circonstances, il est difficile de conclure que l’agent a pris ou avait l’intention de prendre une décision sur la question de manière à empêcher l’enquête de la SI. Je ne peux pas non plus admettre que, dans de telles circonstances, l’agent d’IRCC était « nécessairement » tenu, en vertu de l’article 182 du RIPR, de se prononcer sur la question de l’interdiction de territoire de M. Ji pour fausses déclarations, même s’il en avait eu connaissance. Quoi qu’il en soit, même s’il était tenu d’aborder cette question, rien n’indique qu’il l’a fait.

[40] À cet égard, les circonstances en l’espèce semblent plus proches de celles de l’affaire Liu que ne le prétend M. Ji. Dans cette affaire, Mme Liu a fait une présentation erronée sur un fait important dans une demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie de l’expérience canadienne [demande au titre de la CEC]. Cette demande a été rejetée pour d’autres motifs, mais Mme Liu a présenté une deuxième demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux [demande au titre de la catégorie des époux], qui a été accueillie (Liu, au para 1). Lors de l’évaluation de la demande au titre de la catégorie des époux, deux agents ont pris en compte les fausses déclarations faites dans celle-ci concernant les antécédents professionnels de Mme Liu, mais pas les fausses déclarations qui avaient été faites dans la demande au titre de la CEC (Liu, aux para 3, 48-50).

[41] Mme Liu a fait valoir que le fait que sa demande au titre de la catégorie des époux ait été acceptée signifiait que l’ASFC était précluse de soulever la question de la fausse déclaration faite dans la demande au titre de la CEC lors d’une enquête. Le juge en chef Crampton a conclu que la préclusion ne s’appliquait pas puisque rien ne prouvait que les agents qui avaient traité la demande au titre de la catégorie des époux avaient pris en compte la fausse déclaration faite dans la demande au titre de la CEC (Liu, au para 47). En d’autres termes, bien que Mme Liu ait fait une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels à la fois dans sa demande au titre de la CEC et dans sa demande au titre de la catégorie des époux, le juge en chef Crampton a conclu qu’aucune décision explicite ou implicite n’avait été prise antérieurement à l’égard des fausses déclarations qui faisaient l’objet de l’enquête, à savoir celles qui figuraient dans la demande au titre de la CEC (Liu, au para 50).

[42] Contrairement à ce qu’affirme M. Ji, rien n’indique dans l’affaire Liu qu’IRCC ou que les agents en cause n’avaient absolument pas eu connaissance de la fausse déclaration figurant dans la demande au titre de la CEC. Comme l’a déclaré le juge en chef Crampton, l’ASFC avait, au moment du dépôt de la demande au titre de la catégorie des époux, découvert les fausses déclarations faites dans la demande au titre de la CEC et les avait portées à l’attention d’IRCC (Liu, au para 2). Les motifs de l’agent qui a accepté la demande au titre de la catégorie des époux font référence à la demande antérieure au titre de la CEC, mais pas aux fausses déclarations qu’elle contenait (Liu, au para 49). Néanmoins, étant donné que l’agent n’a pas pris en compte les fausses déclarations antérieures ni rendu une décision à cet égard, le juge en chef Crampton a conclu qu’il n’était pas parvenu à une conclusion ou décision explicite ou implicite à l’égard des fausses déclarations (Liu, aux para 50-52). Il en va de même en l’espèce, en dépit de la connaissance présumée de la question de la fausse déclaration par l’agent.

[43] Comme je l’ai déjà indiqué, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est une doctrine visant à éviter qu’un différend qui a déjà été tranché ne soit soumis à nouveau aux tribunaux. Il ne s’agit pas d’une règle conçue pour permettre à une partie d’éviter de faire face à un différend parce qu’elle a reçu un permis qui aurait pu lui être refusé si la question avait été abordée et tranchée en sa défaveur. En l’espèce, l’interdiction de territoire de M. Ji pour fausses déclarations n’avait pas été « tranchée » antérieurement par un agent d’IRCC lors du refus initial ou lors de la demande de rétablissement, et il était raisonnable pour la SI de conclure qu’aucune décision n’avait été prise antérieurement à cet égard.

[44] Je conclus donc que M. Ji ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SI concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée était déraisonnable.

IV. Conclusion

[45] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[46] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4861-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4861-21

 

INTITULÉ :

LINXIANG JI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 avril 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et Associés

Toronto (Ont.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ont.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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