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Date : 20220831


Dossier : T-1919-21

Référence : 2022 CF 1245

Ottawa (Ontario), le 31 août 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

MICHELINE DAHLANDER

demanderesse

et

CBC / SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Micheline Dahlander, aurait été licenciée par la défenderesse, CBC/Société Radio-Canada [SRC], en raison de l’abolition de son poste à la suite d’une restructuration au sein de son service.

[2] Le 30 janvier 2019, Mme Dahlander a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2, partie III, au bureau du Programme du travail à Emploi et Développement social Canada pour laquelle un arbitre, Mᵉ Gilles Brunet, a été désigné [Arbitre]. Durant le processus d’arbitrage, la SRC a offert à Mme Dahlander une offre de règlement. Mme Dahlander se serait d’abord fermement opposée à cette offre, mais après une discussion avec son avocat, Mᵉ Benoit Marion, elle se serait engagée à réfléchir à l’offre de règlement, sans l’accepter formellement. Selon Mᵉ Marion, Mme Dahlander lui aurait plutôt donné l’instruction d’accepter l’offre de la SRC. Mᵉ Marion a donc informé l’avocate principale de la SRC en droit du travail et de l’emploi, Mᵉ Marie Pedneault, de la décision de sa cliente. Les avocats des parties ont informé l’Arbitre qu’une entente de règlement avait été conclue et qu’un projet de transaction et quittance serait préparé par Mᵉ Pedneault et serait envoyé à Mᵉ Marion pour étude, approbation et signature. Quelques jours plus tard, Mme Dahlander a informé Mᵉ Marion qu’elle refusait l’offre de la SRC et qu’elle souhaitait poursuivre le processus d’arbitrage.

[3] À la suite du refus exprimé par Mme Dahlander, la SRC a soulevé une objection préliminaire relativement à la compétence de l’Arbitre pour entendre la plainte pour congédiement injustifié parce qu’elle avait fait l’objet d’une transaction entre les parties. Mme Dahlander n’était pas représentée par un avocat lors de l’audition de l’objection préliminaire. Le 17 novembre 2021, l’Arbitre a accueilli l’objection préliminaire de la SRC et a rejeté la plainte de congédiement injuste de Mme Dahlander. L’Arbitre est d’avis que l’entente de règlement intervenue entre les parties lors du processus d’arbitrage est un contrat de transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 [CcQ]. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[4] Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II. Contexte

[5] Mme Dahlander a été embauchée par la SRC en 1997 à titre d’intervieweuse, de reporter radio et de lectrice du bulletin d’informations culturelles. Après avoir occupé divers postes de travail, elle a été promue en 2013 au poste de Chef des relations citoyennes et diversité au sein du secteur de l’information de la SRC.

[6] Dans une lettre datée du 7 novembre 2018, la Directrice générale du service de l’information de la SRC a informé Mme Dahlander que son poste était aboli en raison d’une restructuration au sein du secteur de l’information et que son emploi prenait fin la journée même. Le 21 décembre 2018, Mme Dahlander a fait parvenir à la SRC une mise en demeure dans laquelle elle soutient que l’abolition de son poste n’était qu’un prétexte pour se départir d’elle et demande notamment sa réintégration dans son milieu de travail. Dans une lettre datée du 11 janvier 2019, la SRC a informé Mme Dahlander qu’elle refusait sa demande de réintégration et qu’elle maintenait que la fin de son emploi était due à une restructuration au sein du secteur de l’information.

[7] Le 30 janvier 2019, Mme Dahlander a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail au bureau du Programme du travail à Emploi et Développement social Canada. Le 23 septembre 2020, Mᵉ Brunet a été désigné arbitre pour entendre la plainte.

[8] La SRC a présenté sa preuve la première journée d’audition qui a eu lieu le 19 mai 2021. La deuxième journée d’audition prévue le 3 juin 2021 a été annulée à la demande de Mᵉ Marion qui a affirmé ne pas être en mesure de commencer la présentation de la preuve avant la troisième journée d’audition prévue le 8 juillet 2021. Mme Dahlander affirme ne pas avoir demandé le report de l’audition. Avant le début de l’audition du 8 juillet 2021, Mᵉ Marion a demandé un ajournement afin de s’entretenir avec Mme Dahlander qui semblait agitée. Selon Mme Dahlander, elle était ébranlée de constater l’absence d’un témoin important qu’elle souhaitait faire entendre. Avant le début de l’audition, Mᵉ Marion a informé Mme Dahlander que la SRC souhaitait lui transmettre une offre de règlement. Mme Dahlander affirme qu’elle aurait avisé son avocat à plusieurs reprises qu’elle ne voulait pas accepter cette offre, mais que Mᵉ Marion aurait insisté pour qu’elle accepte une offre bonifiée et qu’elle se serait sentie piégée. En raison de l’insistance de Mᵉ Marion, elle se serait engagée à prendre le temps d’y réfléchir, sans toutefois accepter l’offre. Selon Mᵉ Marion, Mme Dahlander aurait accepté l’offre de règlement bonifiée après qu’il l’ait convaincu que l’offre de la SRC était raisonnable compte tenu des circonstances de son dossier. Il a donc avisé Mᵉ Pedneault de la décision de sa cliente. Par la suite, les avocats des parties ont informé l’Arbitre que les parties étaient arrivées à une entente de règlement et qu’un projet de transaction et quittance serait préparé par Mᵉ Pedneault et envoyé à Mᵉ Marion pour étude, approbation et signature.

[9] Le lendemain, le 9 juillet 2021, à la demande de Mme Dahlander, Mᵉ Marion a écrit à Mᵉ Pedneault pour demander une copie complète de la police d’assurance s’appliquant à la situation de sa cliente. Le jour même, Mᵉ Pedneault a répondu que Mme Dahlander n’était couverte par aucune police d’assurance et, faisant suite aux discussions de la veille, a fait parvenir à Mᵉ Marion le projet de transaction et quittance.

[10] Le 11 juillet 2021, Mme Dahlander informe par courriel Mᵉ Marion qu’elle refuse l’offre de la SRC; elle écrit : « J’ai bien réfléchi. Je refuse l’offre de Radio-Canada. Je continue l’arbitrage le 21 juillet ». Le 12 juillet 2021, Mᵉ Marion informe Mᵉ Pedneault par courriel que Mme Dahlander ne désirait plus donner suite à l’entente de principe intervenue le 8 juillet 2021, mais qu’il « n’en [savait] pas davantage » et que sa cliente prévoyait amorcer la présentation de la preuve liée à la plainte pour congédiement injuste dès le 21 juillet. Mᵉ Pedneault a répondu à Mᵉ Marion qu’elle ne comprenait pas ce retournement de situation et que la SRC prévoyait soulever une objection préliminaire au motif que les parties ont conclu une transaction le 8 juillet 2021 en vertu de l’article 2631 du CcQ. Mᵉ Marion a immédiatement répondu à Mᵉ Pedneault qu’il en discuterait avec Mme Dahlander.

[11] Le 15 juillet 2021, une rencontre a eu lieu entre Mme Dahlander, Mᵉ Marion et l’avocat qui l’avait initialement référée à Mᵉ Marion. Durant cette rencontre, Mme Dahlander a exprimé son mécontentement envers le déroulement de l’arbitrage et les services de Mᵉ Marion. Mme Dahlander affirme qu’elle a entendu pour la première fois Mᵉ Marion prononcer le mot « transaction » durant cette rencontre. Mᵉ Marion a expliqué à Mme Dahlander les risques auxquels elle s’exposerait si elle refusait l’offre puisqu’il ne pourrait plus la représenter et qu’il devrait témoigner contre elle. Selon Mᵉ Marion, Mme Dahlander se serait engagée durant cette rencontre à réfléchir de nouveau à l’offre de règlement et il espérait une réponse rapide de sa part parce qu’un appel conférence avec Mᵉ Pedneault et l’Arbitre était prévu le lendemain.

[12] L’appel conférence prévu le 16 juillet 2021 a été reporté au 19 juillet 2021 pour permettre à Mme Dahlander et à Mme Stéphanie Peiller, la Directrice des Ressources humaines, Services français de la SRC, d’y assister. Cependant, l’appel conférence a de nouveau été reporté puisque Mᵉ Marion n’était plus en mesure de joindre Mme Dahlander depuis le 16 juillet. Plus tard dans la journée, Mᵉ Marion a avisé l’Arbitre et Mᵉ Pedneault qu’il était d’avis que son mandat avait pris fin étant donné le défaut de Mme Dahlander de collaborer avec lui ou la perte du lien de confiance entre elle et lui.

[13] Mᵉ Pedneault a ensuite communiqué avec l’Arbitre pour fixer une date d’audition pour trancher la question préliminaire visant uniquement à déterminer si une transaction est intervenue entre les parties le 8 juillet 2021. Le 21 juillet 2021, l’Arbitre a communiqué avec Mme Dahlander pour l’aviser que Mᵉ Marion l’avait informé que son mandat de représentation à son égard était terminé et pour l’aviser que la SRC avait l’intention d’invoquer l’existence d’une transaction comme objection préliminaire à sa plainte pour congédiement injuste. Le 22 juillet 2021, Mme Dahlander a répondu à l’Arbitre qu’elle ne « compren[ait] pas vraiment ce qui se pass[ait] », qu’elle avait « peur » et qu’elle se « sen[tait] piégée ». Le 17 août 2021, Mme Dahlander a informé l’Arbitre qu’elle se représenterait seule lors de l’audition concernant l’objection préliminaire.

III. Décision du tribunal d’arbitrage

[14] Le 19 octobre 2021, l’Arbitre a tenu une audition en vue de trancher la question préliminaire concernant l’existence d’une transaction entre les parties. La SRC était représentée par un autre avocat et Mme Dahlander s’est représentée seule. L’Arbitre a entendu les témoignages de Mme Dahlander, Mᵉ Marion, Mᵉ Pedneault et Mme Peiller qui était également présente la journée du 8 juillet 2021. Dans une décision en date du 17 novembre 2021, l’Arbitre a accueilli l’objection préliminaire soulevée par la SRC et a rejeté la plainte de congédiement injuste de Mme Dahlander. Après avoir analysé les témoignages, l’Arbitre a conclu qu’il y avait eu transaction entre les parties le 8 juillet 2021 selon les termes suivants :

En contrepartie du désistement de la plainte et d’une quittance complète et finale de la Plaignante, l’Employeur verse à celle-ci une indemnité de fin d’emploi équivalant à 52 semaines de salaire, accompagnée des services d’une firme de relocalisation pour une période de six (6) mois.

[15] L’Arbitre a conclu que l’accord auquel les parties sont parvenues le 8 juillet 2021 comportait les trois éléments requis pour qu’il y ait transaction au sens de l’article 2631 du CcQ, c’est-à-dire, un désir de la part des parties de mettre fin au litige, une réciprocité de concessions, et l’existence d’une entente sur les éléments essentiels qui mettent fin au litige (citant Beaulieu c Compagnie mutuelle d’assurance en église, 2021 QCTAT 2776 (WL) aux para 11-14).

[16] L’Arbitre a rejeté l’argument de Mme Dahlander voulant qu’elle n’avait jamais accepté l’offre de règlement, qu’elle avait seulement pris l’offre pour étude et considération, et qu’elle avait décidé, après réflexion, de la refuser. L’Arbitre a conclu qu’il ne pouvait écarter les témoignages crédibles de Mᵉ Pedneault et Mᵉ Marion voulant qu’il y avait eu consentement entre les parties le 8 juillet 2021. L’Arbitre a noté qu’il serait « pour le moins étonnant et inconcevable que Mᵉ Marion aille au-delà du mandat que lui a confié sa cliente et informe le Tribunal qu’un règlement est intervenu alors qu’il n’a pas obtenu son autorisation à cet égard ». L’Arbitre a également pris note du fait que Mme Dahlander n’a jamais répudié ou désavoué son avocat pour avoir outrepassé son mandat, et du fait que l’offre a fait l’objet d’une contre-offre pécuniaire qui a mené à une bonification de l’offre initiale, ce qui démontre qu’elle désirait en arriver à un règlement. L’Arbitre a conclu qu’il était plus probable que Mme Dahlander ait changé d’idée par la suite et le fait qu’elle vive une période de stress intense n’est pas suffisant pour démontrer que son consentement n’était pas éclairé lorsqu’elle a accepté l’offre.

[17] De plus, l’Arbitre a rejeté l’argument de Mme Dahlander voulant qu’elle n’avait signé aucun document le 8 juillet 2021. Selon l’Arbitre, il n’est pas nécessaire d’obtenir un document écrit pour invoquer une transaction entre les parties (citant Gunner c Gouvernement de la Nation Crie, 2016 QCTA 756 (WL), citant Tulli c Symcor inc, 2005 CF 1440 au para 40 [Tulli]).

IV. Cadre législatif

[18] L’article 2631 du CcQ prévoit les éléments d’une transaction :

2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.

2631. Transaction is a contract by which the parties prevent a future contestation, put an end to a lawsuit or settle difficulties arising in the execution of a judgment, by way of mutual concessions or reservations.

Elle est indivisible quant à son objet.

A transaction is indivisible as to its subject.

[19] En vertu de la version actuelle du paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, une personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte auprès du chef de la conformité et de l’application [chef] :

Plainte

Complaint

240(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès du chef si :

240(1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), a person who has been dismissed and considers the dismissal to be unjust may make a complaint in writing to the Head if the employee

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) has completed 12 consecutive months of continuous employment by an employer; and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) is not a member of a group of employees subject to a collective agreement.

[20] Dans la version actuelle du Code canadien du travail, les paragraphes 241(3) et 242(3) attribuent au Conseil canadien des relations industrielles [Conseil] le pouvoir d’être saisi par le chef d’une plainte pour congédiement injuste :

Cas d’échec

Complaint not settled within reasonable time

241(3) Si la conciliation n’aboutit pas dans un délai qu’il estime raisonnable en l’occurrence, le chef, sur demande écrite du plaignant à l’effet de saisir le Conseil du cas, transmet au Conseil la plainte, l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

241(3) If a complaint is not settled under subsection (2) within the period that the Head considers to be reasonable in the circumstances, the Head must, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to the Board, deliver to the Board the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided under subsection (1) and any other statements or documents that the Head has that relate to the complaint.

[…]

. . .

Décision du Conseil

Decision of the Board

242(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), le Conseil, une fois saisi d’une plainte :

242(3) Subject to subsection (3.1), the Board, after a complaint has been referred to it, shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

[21] Le sous alinéa 241.2(1)a)(iii) confère au Conseil le pouvoir de rejeter une plainte s’il est convaincu que celle-ci a fait l’objet d’un règlement écrit entre les parties :

Rejet de la plainte

Rejection of complaint

241.2(1) Le Conseil peut rejeter, en tout ou en partie, une plainte renvoyée en vertu du paragraphe 241(3) :

241.2(1) The Board may reject a complaint referred to it under subsection 241(3), in whole or in part,

a) s’il est convaincu que, selon le cas :

(a) if the Board is satisfied that

(i) la plainte ne relève pas de sa compétence,

(i) the complaint is not within its jurisdiction,

(ii) la plainte est futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi,

(ii) the complaint is frivolous, vexatious or not made in good faith,

(iii) la plainte a fait l’objet d’un règlement écrit entre l’employeur et le plaignant,

(iii) the complaint has been settled in writing between the employer and the complainant,

(iv) le plaignant dispose d’autres moyens de régler l’objet de la plainte et devrait faire appel à ces moyens,

(iv) there are other means available to the complainant to resolve the subject matter of the complaint that the Board considers should be pursued, or

(v) l’objet de la plainte a été instruit comme il se doit dans le cadre d’un recours devant un tribunal judiciaire ou administratif ou un arbitre;

(v) the subject matter of the complaint has been adequately dealt with through recourse obtained before a court, tribunal, arbitrator or adjudicator; or

b) si l’examen de la plainte a été suspendu en vertu du paragraphe 241.1(1) et que le Conseil est d’avis que les mesures précisées dans l’avis visé au paragraphe 241.1(2) n’ont pas été prises dans le délai qui y est précisé.

(b) if consideration of the complaint was suspended under subsection 241.1(1) and if, in the Board’s opinion, the measures specified in the notice under subsection 241.1(2) were not taken within the specified period.

Avis du rejet de la plainte

Notice of rejection of complaint

(2) S’il rejette la plainte, le Conseil en avise par écrit le plaignant, motifs à l’appui.

(2) If the Board rejects a complaint, it shall notify the complainant in writing, with reasons.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[22] L’article 241.2 a été adjoint au Code canadien du travail par l’article 490 de la Loi nº 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 27, art 490 et est entré en vigueur le 29 juillet 2019, au même moment de l’entrée en vigueur des modifications apportées aux paragraphes 241(3) et 242(3) du Code canadien du travail par les articles 353 et 354 de la Loi nº 1 d’exécution du budget de 2017, LC 2017, c 20. Ainsi, depuis le 29 juillet 2019, le Conseil est le tribunal quasi judiciaire chargé d’interpréter et d’appliquer la partie III du Code canadien du travail.

[23] Dans sa version antérieure au 29 juillet 2019, l’article 240 prévoyait qu’une personne pouvait déposer une plainte écrite pour congédiement injustifié auprès d’un inspecteur :

Plainte

Complaint to inspector for unjust dismissal

240(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

240(1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

[24] Ensuite, en vertu de la version antérieure du paragraphe 241(3), l’inspecteur devait s’efforcer de concilier les parties et saisir un arbitre si la conciliation n’aboutissait pas dans un délai qu’il estimait raisonnable.

[25] L’article 383 de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017 prévoit que le Code canadien du travail, dans sa version antérieure au 29 juillet 2019 – la date de l’entrée en vigueur de l’article 383 –, s’applique à l’égard des plaintes pour congédiement injustifié déposées avant cette date :

Plaintes — paragraphe 240(1)

Complaints — subsection 240(1)

383 Le Code canadien du travail, dans sa version antérieure à la date d’entrée en vigueur du présent article, s’applique à l’égard des plaintes déposées avant cette date au titre du paragraphe 240(1) de cette loi.

383 The Canada Labour Code, as it read immediately before the day on which this section comes into force, applies with respect to any complaint made before that day under subsection 240(1) of that Act.

V. Questions en litige

[26] Mme Dahlander soulève quatre questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

  • a) L’Arbitre a-t-il omis d’assurer le droit de Mme Dahlander au respect du secret professionnel?

  • b) L’Arbitre a-t-il contrevenu aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en omettant d’accomplir son devoir d’assistance auprès de Mme Dahlander durant l’audience du 19 octobre 2021?

  • c) La décision de l’Arbitre est-elle déraisonnable parce que la plainte de Mme Dahlander n’a pas fait l’objet d’un règlement écrit entre les parties, tel que le prévoit le sous-alinéa 241.2(1)a)(iii) du Code canadien du travail?

  • d) La décision de l’Arbitre est-elle déraisonnable parce que ce dernier n’a pas suffisamment justifié dans ses motifs la raison pour laquelle il a préféré le témoignage de Me Marion au témoignage de Mme Dahlander?

VI. Norme de contrôle

[27] Les parties sont d’accord que la norme de contrôle appropriée pour la question du secret professionnel est celle de la décision correcte puisque c’est une question qui fait partie des « questions de droit générales qui sont “d’une importance fondamentale, de grande portée” et susceptibles d’avoir des répercussions juridiques significatives sur le système de justice dans son ensemble ou sur d’autres institutions gouvernementales » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 59-60 [Vavilov], citant Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 au para 70; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c University of Calgary, 2016 CSC 53 au para 20). Ainsi, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est écartée (Vavilov au para 17). Selon la Cour suprême du Canada, les questions de droit générales d’importance fondamentale et de grande portée « exigent une réponse unique et définitive » (Vavilov au para 62).

[28] Les parties sont d’accord que la norme de contrôle appropriée pour le contrôle judiciaire du fond de la décision de l’Arbitre est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 16-17; Kouridakis c Banque canadienne impériale de commerce, 2021 CF 1035 au para 48). La Cour doit donc examiner les motifs de l’Arbitre et déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » et si elle « satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov aux para 85, 100).

[29] En ce qui concerne la question du devoir d’assistance de l’Arbitre, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable. Mme Dahlander soutient que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte parce que le devoir d’assistance d’un juge ou un arbitre à l’égard d’une personne non représentée découle des règles de justice naturelle et d’équité procédurale (citant Ménard c Gardner, 2012 QCCA 1546 (WL) au para 55 [Ménard]). Bien qu’elle soulève qu’une question d’équité procédurale n’est généralement pas soumise à une norme de contrôle particulière (citant Syndicat national des convoyeur(e)s de fonds (SNCF – SCFP), section locale 3812 c Hamelin, 2021 QCCS 932 (WL) aux para 14-18), la SRC soutient que la norme de contrôle appropriée pour la question du devoir d’assistance est celle de la décision raisonnable puisqu’elle n’entre dans aucune des catégories pouvant réfuter la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable est la norme applicable (Vavilov au para 17). À mon avis, la question du devoir d’assistance est une question d’équité procédurale. Lorsqu’elle fait face à une question d’équité procédurale, la Cour doit plutôt se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54, 56 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée]; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

VII. Analyse

A. L’Arbitre a-t-il omis d’assurer le droit de Mme Dahlander au respect du secret professionnel?

[30] Le secret professionnel est d’une importance fondamentale pour notre système judiciaire et vise à préserver une relation fondamentale de confiance entre l’avocat et son client (Smith c Jones, [1999] 1 RCS 455 au para 45; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc, 2004 CSC 18 au para 34; Canada (Procureur général) c Quadrini, 2011 CAF 115 au para 29).

[31] Cependant, les communications entre un avocat et son client ne sont pas toutes privilégiées. La Cour suprême du Canada dans l’affaire Maranda c Richer, 2003 CSC 67, a rappelé les trois conditions préalables pour établir l’existence de ce privilège :

42. Ce ne sont pas toutes les communications avec un avocat qui bénéficient de la protection du privilège. En d’autres mots, ce n’est pas la qualité de l’interlocuteur qui donne naissance au privilège. C’est le contexte de la communication qui justifie d’en reconnaître le caractère privilégié. Ainsi, l’avocat d’affaires qui travaille dans une agence de publicité et qui se consacre exclusivement au développement de produits de son client ne pourra pas invoquer de privilège pour son travail de promotion. De même, le simple fait qu’un client considère qu’une information est confidentielle ne suffira pas pour la protéger au moyen du privilège. Je mentionne ces exemples pour rappeler que les trois conditions préalables à l’existence du privilège établies par le juge Dickson, plus tard Juge en chef, dans Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 821, sont toujours valables (à la p. 837) :

. . . (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.

[32] Mme Dahlander soutient que l’Arbitre a manqué à son devoir d’assurer le respect du secret professionnel en vertu de l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, et de l’article 2858 du CcQ qui prévoit que « [l]e tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux ».

[33] Mme Dahlander argumente que l’Arbitre était tenu d’expliquer la teneur du droit au secret professionnel avant son témoignage et celui de Mᵉ Marion. Elle ajoute que l’Arbitre était tenu de circonscrire le débat à ce qui était nécessaire pour répondre à la question de savoir si les parties avaient convenu d’un règlement. Ainsi, l’Arbitre n’aurait pas dû permettre à Mᵉ Marion de produire le courriel de Mme Dahlander du 11 juillet 2021 et ni le reproduire dans sa décision (au paragraphe 28) sans que les éléments protégés par le secret professionnel ne soient caviardés. Elle soulève que l’Arbitre aurait dû minimalement caviarder dans ses motifs les éléments non pertinents pour les fins du moyen préliminaire soulevé par la SRC, notamment les passages suivants du courriel :

Mme Girard a été embauchée pour aider les victimes de harcèlement, particulièrement lorsqu’elles font l’objet de menaces, de violences et de représailles comme moi. Il est inacceptable qu’elle ne se pointe pas. Surtout qu’elle a refusé de m’aider, car mon harceleur la parrainait dans la rédaction du code de conduite des employés de RC. Elle fait référence à ce lien dans son rapport remis au CA. J’insiste pour qu’elle y soit le 21 juillet, quitte à envoyer un huissier.

Le fait que Mme Pailler, la RH fautive dans ce dossier, assiste à toutes les audiences, tout en étant témoin, en plus d’être le lien avec la Great-West, me semble très problématique.

[34] Elle soulève également que l’Arbitre aurait dû exclure la portion soulignée suivante du témoignage de Mᵉ Marion, telle que rapportée dans les motifs de la décision :

[67] [Me Marion] discute longuement avec [Mme Dahlander], lui donne son opinion sur les chances de succès de son dossier et souligne les faiblesses de celui-ci.

[68] Préalablement à l’audition et en préparation du dossier, Me Marion avait examiné le dossier et étudié les précédents en matière de licenciement. Il lui fait part de son évaluation du dossier. Si l’Employeur réussit à faire la démonstration qu’il s’agit bel et bien d’un licenciement et non d’un congédiement, sa cliente sera perdante. De plus, il mentionne à sa cliente que le fait de ne pas avoir travaillé au cours des deux (2) dernières années depuis son départ de la Société Radio-Canada peut lui nuire, car elle n’a pas mitigé ses dommages.

[Je souligne.]

[35] La SRC soutient que Mme Dahlander a elle-même renoncé de façon implicite au secret professionnel dans le cadre du moyen préliminaire parce qu’elle a témoigné que Mᵉ Marion avait outrepassé le mandat qu’elle lui avait confié et qu’il ne se serait pas conformé à ses instructions données le 12 juillet 2021.

[36] Le titulaire du privilège des communications entre client et avocat renonce à ce privilège lorsqu’il est au courant de son existence et exprime volontairement l’intention d’y renoncer (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahjoub, 2011 CF 887 au para 9 [Mahjoub]). Cependant, il est possible pour une personne de renoncer implicitement au secret professionnel (Nation indiennes d’Ermineskin c Canada, 2011 CF 1091 au para 46). Les principes jurisprudentiels s’appliquant à la renonciation implicite ont été résumés par la Cour fédérale dans l’affaire Mahjoub au paragraphe 10 :

La jurisprudence étaye les thèses suivantes à propos de la renonciation implicite au privilège :

a) la renonciation au privilège relatif à une fraction d’une communication sera jugée équivalente à la renonciation à l’égard de l’ensemble de cette communication : S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd (1983), 1983 CanLII 407 (BC SC), 35 CPC 146, 45 BCLR 218 (SC) (S & K);

b) quand une partie se fonde sur un avis juridique en tant qu’élément de sa demande ou de sa défense, le privilège qui se rattacherait par ailleurs à cet avis est perdu (S & K);

c) dans les cas où il a été conclu que l’équité exige une renonciation implicite, il y a toujours une certaine manifestation de la volonté de renoncer au privilège, du moins jusqu’à un certain point. Les règles de droit applicables font alors en sorte que l’équité et la cohérence exigent une renonciation intégrale (S & K);

d) il sera réputé y avoir eu renonciation au privilège dans les cas où les principes de l’équité et de la cohérence l’exigent ou dans les cas où une communication entre un avocat et un client est légitimement mise en cause dans une action : Bank Leu Ag c. Gaming Lottery Corp., [1999] OJ no 3949 (Lexis); (1999), 43 C.P.C. (4th) 73 (C.S. Ont.), au paragraphe 5;

e) le fardeau d’établir la renonciation au privilège incombe à la partie qui l’invoque (S & K, au paragraphe 10).

[37] Je suis d’avis que le courriel du 11 juillet 2021 envoyé par Mme Dahlander à Mᵉ Marion ainsi que le témoignage de Mᵉ Marion comportent des informations protégées par le secret professionnel. Il s’agit de communications entre un avocat et son client qui comportent une consultation ou un avis juridique et que les parties considèrent de nature confidentielle.

[38] Cependant, je suis d’avis que Mme Dahlander a renoncé implicitement au privilège qui s’appliquait aux communications entre elle et Mᵉ Marion portant sur l’offre de règlement de la SRC lorsqu’elle a témoigné que Mᵉ Marion avait outrepassé le mandat qu’elle lui avait confié et qu’il ne se serait pas conformé à ses instructions données le 12 juillet 2021. L’Arbitre a rapporté les propos tenus par Mme Dahlander durant son témoignage :

[25] Bien qu’elle confirme avoir donné mandat à Me Marion de la représenter lors de l’audience du 8 juillet 2021, elle nie avoir conclu une entente de règlement. Elle explique que Me Marion lui a dit qu’elle avait l’obligation de considérer l’offre de règlement proposée, mais affirme l’avoir refusée.

[…]

[29] Elle explique avoir rejeté l’offre de règlement parce qu’elle est identique à celle qui lui avait été offerte en médiation deux (2) ans plus tôt.

[30] De plus, elle mentionne s’être sentie désemparée lorsque Me Marion l’a informée qu’il ne voulait pas continuer l’audition. Il lui dit que trop de gens étaient impliqués dans le dossier et elle n’obtiendrait pas justice.

[31] Me Marion lui a également dit qu’il craignait que l’arbitre soit impressionné par les témoins de l’Employeur et a insisté auprès de sa cliente pour ne pas poursuivre l’audience.

[32] Elle n’a aucun souvenir d’avoir demandé à Me Marion de bonifier l’offre de règlement de l’Employeur.

[39] Pour que l’Arbitre puisse rendre une décision en toute connaissance de cause sur l’existence d’une transaction, il se devait d’entendre le témoignage de Mᵉ Marion portant sur les discussions que lui et sa cliente ont eues la journée du 8 juillet 2021 à propos de la question de la transaction. Les informations qui ont été divulguées par Mᵉ Marion lors de son témoignage étaient nécessaires afin de déterminer s’il y a eu transaction ou non entre les parties le 8 juillet 2021. Mᵉ Marion a témoigné qu’il a expliqué à sa cliente les raisons pour lesquelles il croyait que l’offre de la SRC était une offre raisonnable en tenant compte des chances de succès de son dossier. Ces communications entre Mme Dahlander et Mᵉ Marion étaient légitimement mises en cause en l’espèce.

[40] En ce qui concerne le courriel non caviardé du 11 juillet 2021, ce dernier faisait partie de la preuve de Mme Dahlander et a été déposé lors du contre-interrogatoire de Mᵉ Marion mené par Mme Dahlander qui a demandé à Mᵉ Marion de dresser l’historique de leurs communications par courriel. Bien que je doute qu’il puisse y avoir une renonciation pour les parties qui n’étaient pas pertinentes au moyen préliminaire, je ne crois pas qu’un manquement à la protection du secret professionnel de l’avocat concernant cette partie ait été déterminant dans le résultat de la décision de l’Arbitre.

B. L’Arbitre a-t-il contrevenu aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en omettant d’accomplir son devoir d’assistance auprès de Mme Dahlander durant l’audience du 19 octobre 2021?

[41] Mme Dahlander soutient que l’Arbitre n’a pas accompli son devoir d’assistance qu’il avait envers elle compte tenu du fait qu’elle se représentait seule. Elle affirme que l’Arbitre ne lui a pas expliqué comment l’audience du 19 octobre 2021 allait se dérouler et a simplement précisé qu’elle porterait sur la question de la transaction et qu’elle durerait environ deux heures. De plus, l’Arbitre ne l’aurait pas guidée durant l’audience.

[42] Mme Peiller présente une version des faits différente. Selon elle, avant que l’audience commence, l’Arbitre aurait pris le temps d’expliquer le déroulement de la journée à Mme Dahlander, notamment le déroulement des interrogatoires et contre-interrogatoires ainsi que les plaidoiries. L’Arbitre aurait également pris le temps d’expliquer le déroulement de chacune des étapes et la façon de procéder ainsi que de répondre à toutes ses questions tout au long de la journée d’audience.

[43] La Cour d’appel du Québec a affirmé que bien que « celui qui choisit d’agir sans avocat doit en assumer les inconvénients », « le principe de la responsabilité du justiciable qui n’est pas représenté par avocat est tempéré par le devoir d’assistance qui incombe alors au tribunal devant lequel il comparaît » (Ménard aux para 58-59). Le tribunal doit « assister le justiciable en lui fournissant certaines explications sur le processus et les manières de faire »; cependant, son intervention doit le guider de manière générale et lorsque le besoin s’en fait sentir (Ménard au para 59; voir aussi Law c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1006 aux para 16-17). Il convient aussi de rappeler que la Cour doit évaluer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée aux para 54, 56). En l’espèce, Mme Dahlander ne m’a pas convaincu que l’Arbitre aurait manqué aux principes d’équité procédurale. Selon la preuve au dossier, quelques jours après que l’Arbitre ait été avisé que Me Marion ne représentait plus Mme Dahlander, il a établi un contact avec Mme Dahlander pour la convoquer à un appel conférence et l’informer que la SRC avait l’intention d’invoquer l’existence d’une transaction. Après que Mme Dahlander ait répondu qu’elle avait peur, se sentait piégée et souhaitait tenter de se trouver un nouvel avocat, l’Arbitre a reporté son dossier jusqu’au 17 août 2021 et, lorsqu’elle a indiqué ne pas être prête à poursuivre son dossier, l’a reporté jusqu’à l’automne. De plus, Mme Dahlander a été en mesure de présenter sa preuve et de contre-interroger les témoins et n’explique pas de quelle manière l’Arbitre ne l’aurait pas suffisamment guidée. Ainsi, je suis d’avis que Mme Dahlander a eu droit à des procédures qui étaient équitables.

C. La décision de l’Arbitre est-elle déraisonnable parce que la plainte de Mme Dahlander n’a pas fait l’objet d’un règlement écrit entre les parties, tel que le prévoit le sous‑alinéa 241.2(1)a)(iii) du Code canadien du travail?

[44] Mme Dahlander soutient que la décision de l’Arbitre est déraisonnable parce que l’Arbitre n’a pas tenu compte du régime législatif applicable, soit l’article 241.2 du Code canadien du travail qui prévoit que le tribunal peut rejeter, en tout ou en partie, une plainte, notamment si la plainte a fait l’objet d’un règlement écrit entre l’employeur et le plaignant. À cet égard, Mme Dahlander soulève que sa plainte pour congédiement injuste n’a pas fait l’objet d’un règlement écrit entre les parties.

[45] La SRC soutient que Mme Dahlander tente d’accorder une portée beaucoup plus restrictive à l’article 241.2 du Code canadien du travail. Selon la SRC, l’Arbitre n’avait pas l’obligation de rejeter une plainte pour les raisons énumérées au paragraphe 241.2(1); le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte s’inscrirait plutôt dans les pouvoirs généraux établis à l’article 16 du Code canadien du travail et l’Arbitre pouvait donc rejeter la plainte sur la base de l’existence d’une transaction en vertu de l’article 2631 du CcQ. De plus, la SRC a soulevé que l’article 241.2 ne pouvait pas s’appliquer à la plainte de Mme Dahlander puisque cette plainte a été déposée avant l’entrée en vigueur de cet article.

[46] Je suis d’accord qu’il n’y a pas lieu de se soumettre à l’interprétation de l’article 241.2 puisque cet article n’était pas en vigueur lorsque Mme Dahlander a déposé sa plainte pour congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail.

[47] En vertu du paragraphe 534(9) de la Loi nº 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 27, ainsi que du Décret fixant au 29 juillet 2019 la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de cette loi, CP 2019-1110, (2019) Gaz C II, 153, l’article 241.2 du Code canadien du travail est entré en vigueur le 29 juillet 2019, en même temps que les articles de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, LC 2017, c 20, transférant au Conseil les attributions des arbitres aux termes de la partie III du Code canadien du travail. Avant l’entrée en vigueur de ces articles, l’article 240 prévoyait qu’une personne pouvait déposer une plainte écrite pour congédiement injustifié auprès d’un inspecteur et lorsque la conciliation entre les parties n’aboutissait pas dans un délai que l’inspecteur estimait raisonnable, ce dernier, sur demande écrite du plaignant, faisait rapport au ministre qui pouvait ensuite désigner un arbitre pour entendre et trancher l’affaire (paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, abrogé par la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, para 354(1)).

[48] Depuis le 29 juillet 2019, en cas d’échec de la conciliation entre les parties, le chef, sur demande écrite du plaignant, transmet la plainte au Conseil (paragraphe 241(3) du Code canadien du travail). Le libellé de l’article 241.2 donne au Conseil – et non à l’Arbitre – le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte, notamment lorsque celle-ci a fait l’objet d’un règlement écrit entre l’employeur et le ou la plaignante.

[49] L’article 383 de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017 prévoit que le Code canadien du travail, dans sa version antérieure au 29 juillet 2019, s’applique à l’égard des plaintes pour congédiement injustifié déposées avant cette date (voir aussi Corporation Gardaworld Services Transport de valeurs Canada c Smith, 2020 CF 1108 au para 90). Puisque Mme Dahlander a déposé sa plainte pour congédiement injustifié le 30 janvier 2019 et que sa plainte a été référée à un Arbitre en vertu de la version antérieure du Code canadien du travail, l’Arbitre n’était pas tenu de considérer l’application de l’article 241.2.

[50] Ainsi, je suis d’avis que la décision de l’Arbitre est raisonnable. Après avoir considéré les témoignages et les faits particuliers de cette affaire, l’Arbitre a effectué une analyse de l’article 2631 du CcQ et a conclu qu’il y avait eu transaction entre les parties le 8 juillet 2021 et a rejeté la plainte de Mme Dahlander. Dans le cadre de l’article 2631 du CcQ, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un document écrit et signé pour que la transaction soit valide (Tulli au para 40). La décision de l’Arbitre est justifiée au regard des contraintes juridiques applicables en l’espèce et fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov au para 85).

D. La décision de l’Arbitre est-elle déraisonnable parce que ce dernier n’a pas suffisamment justifié dans ses motifs la raison pour laquelle il a préféré le témoignage de Mᵉ Marion au témoignage de Mme Dahlander?

[51] Mme Dahlander soutient que l’Arbitre, se trouvant devant des témoignages contradictoires, a omis d’expliquer pourquoi il a préféré le témoignage de Mᵉ Marion à son témoignage. L’Arbitre a conclu que le témoignage de Mᵉ Marion était crédible mais a omis de tirer une conclusion sur la crédibilité de son témoignage. Selon Mme Dahlander, l’Arbitre aurait rejeté son témoignage en se basant sur des généralisations non fondées voulant qu’il serait étonnant et inconcevable que Mᵉ Marion aille au-delà du mandat qu’elle lui a confié (citant R c Sheppard, 2002 CSC 26 au para 45).

[52] Je ne suis pas convaincu par l’argument de Mme Dahlander. À mon avis, l’Arbitre a étayé de manière détaillée les motifs pour lesquels il n’a pas retenu la version de Mme Dahlander en soupesant sa version des faits à celle de Mᵉ Marion :

[134] La Plaignante prétend que l’offre de l’Employeur lui était soumise uniquement pour étude et considération. Elle a, après trois (3) jours de réflexion, décidé de refuser l’offre et en a informé Me Marion par courriel.

[135] Cet argument ne peut être retenu.

[136] En effet, pour retenir cette prétention, le Tribunal doit écarter les témoignages crédibles de Me Pedneault et de Me Marion, à l’effet qu’il y a eu un échange de consentement suite aux discussions entre les parties par l’entremise de leurs avocats.

[137] Si l’offre de règlement de l’Employeur n’était que pour considération après une période de réflexion, l’avocat de la Plaignante n’aurait certes pas informé le Tribunal qu’une entente de principe était intervenue entre les parties.

[138] La Plaignante soutient que Me Marion lui aurait dit qu’elle avait l’obligation de considérer l’offre, alors que Me Marion témoigne avoir dit à sa cliente qu’il avait l’obligation déontologique de transmettre toute offre de règlement de la partie adverse.

[139] La Plaignante prétend qu’en tout temps elle a refusé l’offre de règlement proposée et l’avoir dit à Me Marion.

[140] Le Tribunal ne peut retenir cette version. Il serait pour le moins étonnant et inconcevable que Me Marion aille au-delà du mandat que lui a confié sa cliente et informe le Tribunal qu’un règlement est intervenu alors qu’il n’a pas obtenu son autorisation à cet égard.

[141] De plus, le Tribunal retient qu’en aucun moment la Plaignante n’a répudié ou désavoué son avocat pour avoir outrepassé son mandat. Elle fait toujours confiance à Me Marion même après une rencontre avec Me Dorais et Me Marion pour, dit-elle, « mettre les pendules à l’heure ».

[142] Lors de cette rencontre, Me Marion explique clairement à la Plaignante les conséquences de ne pas faire suite à l’entente de principe intervenue le 8 juillet 202l. Elle n’a pas le choix d’approuver ce qui a déjà été accepté. L’Employeur va plaider qu’il y a eu transaction et il sera appelé à témoigner contre elle, ce qui lui occasionnera de gros problèmes.

[143] Au sortir de cette rencontre, la Plaignante persiste tout de même dans son refus sans toutefois mettre fin au mandat de Me Marion qui n’a d’autre choix, par la suite, de cesser de représenter sa cliente.

[l44] Le Tribunal retient également que l’offre de règlement proposée a fait l’objet d’une contre-offre monétaire qui a mené à une bonification de l’offre initiale de l’Employeur. De toute évidence, cela indique une volonté de la Plaignante de vouloir tenter de régler le dossier par une contre-offre.

[145] Après de longues discussions avec sa cliente, Me Marion affirme qu’il a eu l’autorisation de sa cliente d’accepter l’offre.

[146] Me Marion, un avocat de dix-neuf (19) ans d’expérience, n’aurait certes pas agi à 1’encontre des instructions de sa cliente.

[147] Il est plus que probable que Madame Dahlander, après réflexion, ait changé d’idée, n’étant plus satisfaite de l’entente conclue trois (3) jours précédemment. Cela n’a pas pour effet d’invalider la transaction, à moins de démontrer l’existence d’un vice de consentement. Or, aucune preuve n’a été soumise en ce sens.

[148] D’ailleurs, la réaction de Me Marion ne laisse aucun doute sur le changement d’idée de sa cliente.

[53] Je suis d’avis que Mme Dahlander demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par l’Arbitre (Vavilov au para 125). L’Arbitre a soupesé les deux versions contradictoires et justifié de manière raisonnable dans ses motifs la raison pour laquelle il n’acceptait pas la version de Mme Dahlander.

VIII. Conclusion

[54] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier T-1919-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1919-21

 

INTITULÉ :

MICHELINE DAHLANDER c CBC / SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Maude Benoit-Charbonneau

Me Lucie Hélin

 

Pour lA demandeRESSE

Me Marie Pedneault

Me Philippe Dion

Pour lA défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morissette & Avocat.e.s. Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour lA demandeRESSE

Société Radio-Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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