Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220909


Dossier : IMM-8585-21

Référence : 2022 CF 1272

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

OLANREWAJU ADEGBOYEGA OLA

CATHERINE IMIEGHOME OLA

OLUWADARA JESSE DANIEL OLA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, Olanrewaju Adegboyega Ola, son épouse, Catherine Imieghome Ola, et leur fils, Oluwadara Jesse Daniel Ola, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 novembre 2021 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [la CISR]. La SAR a confirmé, en application du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Par conséquent, les demandeurs ne pouvaient se voir conférer l’asile au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II. Contexte factuel

[3] Les demandeurs sont citoyens du Nigéria. Ils ont vécu à Lagos, au Nigéria, jusqu’au mois d’août 2017.

[4] Après que le demandeur principal et sa femme ont perdu leur emploi en 2014 et en 2010 respectivement, le demandeur principal a acheté des terres pour y établir une ferme et son épouse a ouvert un restaurant et un service de traiteur.

[5] En février 2015, des pasteurs foulanis ont fait irruption dans la ferme familiale, l’ont pillée et ont menacé de tuer le demandeur principal s’il décidait un jour de revenir. Compte tenu du solide appui politique dont jouissaient les Foulanis, le demandeur principal était réticent à signaler l’événement à la police.

[6] Un autre incident s’est produit en novembre 2015 lorsqu’un groupe de pasteurs foulanis a surgi à la ferme et a commencé à tirer sur le demandeur principal. Après cet épisode, ce dernier a commencé à recevoir des appels menaçants de la part de ses agresseurs.

[7] Les demandeurs ont ultimement abandonné leurs terres et fermé leur restaurant ainsi que leur service de traiteur en raison des menaces proférées par les Foulanis et de la récession économique.

[8] En août 2017, ils sont arrivés aux États-Unis munis d’un visa de visiteur valide pour six mois. La mère de Mme Ola, qui est une citoyenne américaine, avait auparavant déposé une demande de parrainage afin que les demandeurs puissent obtenir la résidence permanente. Or, celle-ci a été rejetée.

[9] Le 15 février 2018, après l’expiration de leur visa de visiteur, les demandeurs sont entrés au Canada par les États-Unis et ont demandé l’asile.

III. La décision de la SPR

[10] Le 22 février 2021, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] sûre et raisonnable à Abuja, au Nigéria, étant donné leur situation personnelle.

[11] Bien qu’elle ait jugé que les témoignages des demandeurs étaient généralement crédibles, la SPR n’était pas persuadée qu’ils étaient exposés à une possibilité sérieuse de persécution à Abuja en raison des présumées menaces proférées par les islamistes extrémistes, Boko Haram et les pasteurs foulanis. De plus, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de foi pour lui permettre de conclure qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs de vivre à Abuja.

IV. La décision de la SAR faisant l’objet du présent contrôle

[12] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Ils contestent la conclusion de la SPR selon laquelle ils disposaient d’une PRI viable.

[13] La SAR s’est ralliée à l’évaluation de la SPR voulant que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a convenu avec la SPR que la question décisive était celle de savoir s’il existait une PRI viable.

[14] Après s’être penchée sur le point 12.5 du Cartable national de documentation sur le Nigéria [le CND], la SAR a conclu que la SPR avait mal interprété la preuve selon laquelle les chrétiens cohabitent paisiblement de Lagos à Abuja avec les gens professant d’autres croyances. La SAR a convenu avec les demandeurs que le point 12.5 du CND révèle que l’insurrection de Boko Haram constitue une menace pour les chrétiens d’Abuja, comme en font foi les nombreuses attaques perpétrées par ce groupe contre les églises, les mosquées et les espaces publics en 2014 et en 2015.

[15] La SAR a poursuivi son raisonnement en se fondant sur des documents plus récents, à savoir les points 7.4 et 7.12 du CND, lesquels ont été publiés deux mois après la mise en état de l’appel des demandeurs, pour conclure que la menace est limitée pour les chrétiens d’Abuja. Elle a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution de Boko Haram ou d’un autre groupe terroriste puisque « la violence perpétrée par ce groupe extrémiste a diminué au cours des dernières années et elle est considérée comme limitée dans la capitale ».

[16] La SAR a jugé que le critère à deux volets était rempli : i) il n’existe aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Abuja; ii) il n’était pas déraisonnable pour les demandeurs de s’y réfugier.

V. Analyse

[17] La présente demande soulève deux questions : i) Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale du fait que le commissaire de la SAR s’est fondé sur de nouveaux éléments de preuve extrinsèques sans offrir aux demandeurs l’occasion de les examiner et de les commenter? ii) La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Abuja?

[18] Comme j’ai conclu plus loin qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la deuxième question.

[19] Selon les demandeurs, le fait que la SAR s’est appuyée sur les points 7.4 et 7.12 du CND pour rejeter leur prétention selon laquelle Abuja n’était pas une PRI viable sans leur offrir l’occasion de répondre, constitue un manquement à l’équité procédurale parce que ces renseignements étaient nouveaux.

[20] Le défendeur réplique que le CND ne peut être qualifié de nouvel élément de preuve parce que les renseignements qui se trouvaient dans la version révisée constituaient une mise à jour faite avec des renseignements déjà accessibles au public. La Cour a constamment affirmé que « les renseignements accessibles au public ne sont pas considérés comme une preuve “extrinsèque” tant que la preuve n’est pas nouvelle » (Aladenika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 528 au para 16; Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705 aux para 32‑33).

[21] La question de savoir si les renseignements plus récents sont suffisamment nouveaux, importants et susceptibles d’avoir des répercussions sur la décision est une question de degré. Comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF) [Mancia], cette démarche exige une évaluation au cas par cas. La Cour d’appel fédérale a expliqué que, parmi les considérations dont il convenait de tenir compte pour décider si des éléments de preuve documentaires qui sont du domaine public doivent être divulgués au demandeur, il y avait notamment la nature de la procédure et les règles en vertu desquelles agit le décideur, le contexte de la procédure et la nature des documents en cause.

[22] En l’espèce, il apparaît clairement que la SAR s’est livrée à une recherche indépendante et s’est fondée sur celle-ci pour réfuter les arguments des demandeurs portant qu’Abuja n’est pas une possibilité de refuge intérieur viable. Les demandeurs n’ont pas été avisés de la mise à jour des documents du CND relatifs au Nigéria. Ils n’ont également pas eu l’occasion de commenter ces publications actualisées ni d’attirer l’attention sur d’autres parties du CND avant que la SAR ne rende sa décision.

[23] Les demandeurs soutiennent que la SAR s’est livrée à une lecture sélective des documents portant sur les conditions dans le pays en s’attardant seulement sur les parties des éléments de preuve qui appuyaient ses conclusions. Ils allèguent que la SAR a fait abstraction d’aspects pertinents et importants de la preuve indiquant que [traduction] « l’insurrection de Boko Haram s’est propagée au nord et au centre du Nigéria ainsi que dans les pays voisins » que « [l]e groupe s’est livré à des attaques contre la police et le quartier général de l’ONU à Abuja », qu’un « grand nombre d’attaques se sont produites ailleurs », que « [d]es attaques notables ont eu lieu à Gombe, Kano, Kaduna, Jos, dans l’État de Bauchi et dans la capitale fédérale, Abuja » et que « [d]’autres sont probables ». Les demandeurs auraient dû avoir l’occasion de présenter des observations en réponse à ces renseignements.

[24] Le défaut de la SAR de leur donner l’occasion de présenter des observations à cet égard constituait un manquement à l’équité procédurale : voir Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1031 aux para 48-51; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1359 aux para 10 et 13. Pour cette seule raison, la Cour se doit d’intervenir.

[25] Il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la PRI, car cette question devra être réexaminée en fonction des observations formulées par les demandeurs concernant les documents plus récents sur la situation dans le pays.

[26] Par conséquent, l’appel doit être renvoyé à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.

VI. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée au même commissaire de la SAR ou à un nouveau commissaire pour nouvel examen.

[28] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-8585-21

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour nouvel examen une fois que les demandeurs auront eu l’occasion de déposer, en réponse, des observations sur les points 7.4 et 7.12 du Cartable national de documentation.

3. Aucune question n’est certifiée.

Vide

« Roger R. Lafreniѐre »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8585-21

 

INTITULÉ :

OLANREWAJU ADEGBOYEGA OLA, CATHERINE IMIEGHOME OLA, OLUWADARA JESSE DANIEL OLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Taiwo Olalere

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexandra Pullano

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Taiwo Olalere & Kehinde Olalere

Olalere Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.