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Date : 20220921


Dossiers : T‑1094‑21

T‑1104‑21

Référence : 2022 CF 1310

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2022

En présence de madame la juge Strickland

Dossier : T‑1094‑21

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

appelante

et

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

intimé

Dossier : T‑1104‑21

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Survol

[1] La présente instance porte sur des appels interjetés en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001 c 6 [la LRM] et sur des demandes de contrôle judiciaire, lesquels découlent tous de deux décisions par laquelle l’administrateur [l’administrateur] de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires [la CIDPHN] a rejeté des demandes en recouvrement de créance faites par la Garde côtière du Canada [la GCC]. Ces demandes, présentées en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM, visaient à obtenir une indemnisation pour les frais qu’avait engagés la GCC en vue de prévenir des dommages prévus dus à la pollution par les hydrocarbures à la suite d’incidents impliquant deux navires : le Miss Terri et le Stelie II. L’administrateur a conclu que les demandes de recouvrement de créance avaient été faites en dehors du délai prescrit à l’alinéa 103(2)a) de la LRM et il les a rejetées.

[2] La demanderesse-appelante [le Canada] a interjeté deux appels, un pour chaque navire, conformément au paragraphe 106(2) de la LRM, et elle a également déposé deux demandes de contrôle judiciaire, un pour chaque navire, pour contester les décisions de l’administrateur. Par des ordonnances du protonotaire Aalto datées du 16 juillet 2021, les deux appels ont été réunis en un seul, sous le numéro de dossier de la Cour T‑1094‑21, tout comme les deux demandes de contrôle judiciaire, sous le numéro de dossier de la Cour T‑1104‑21. Il a aussi été ordonné que les numéros de dossiers de la Cour T‑1094‑21 et T‑1104‑21 soient instruits ensemble.

Le contexte factuel

Le Miss Terri

[3] Selon la demande en recouvrement de créance que la GCC a faite à l’administrateur le 23 février 2018, le directeur du port de Discovery, à Campbell River (Colombie‑Britannique), a signalé à la GCC que la pompe de cale du Miss Terri fonctionnait sans interruption à cause d’une infiltration d’eau. Le directeur du port, avec l’aide de la GCC, a mis en place des pompes de cale supplémentaires afin de maintenir le navire à flot. Les premiers efforts faits pour entrer en contact avec le propriétaire du navire ont été vains et le directeur du port a continué de surveiller le navire. Il a été signalé que les pompes de cale pompaient de l’eau deux fois par jour, durant 30 minutes. Lorsqu’on est parvenu à entrer en contact avec le propriétaire du navire, on l’a informé qu’il lui incombait d’atténuer le risque de rejet de pollution par les hydrocarbures et qu’il lui fallait soumettre un plan à cet effet. Le propriétaire n’a fourni aucun plan d’atténuation.

[4] Le 11 septembre 2018, une équipe d’intervention environnementale de la GCC [IE GCC] était présente dans la marina du port de Discovery, où elle répondait à un autre incident. Cette équipe a remarqué que les pompes de cale du Miss Terri fonctionnaient 30 minutes toutes les heures. Le propriétaire du navire a été avisé de la situation, mais il n’a pas répondu. Le 18 septembre 2018, le directeur du port a signalé que les pompes de cale pompaient de l’eau sans interruption et qu’il ne pouvait pas continuer de surveiller le navire et le fonctionnement des pompes. En raison de la menace imminente que le Miss Terri coule et pollue le milieu marin, l’équipe d’IE GCC a retenu les services de Saltair Marine [Saltair], qui a remorqué le Miss Terri jusqu’à une installation située à Ladysmith (Colombie‑Britannique), le 19 septembre 2018. L’équipe d’IE GCC a également retenu les services d’un expert maritime, Building Sea Marine, pour s’occuper du navire.

[5] D’autres efforts faits pour que le propriétaire du navire prenne des mesures destinées à atténuer la menace de pollution du milieu marin se sont révélés vains. Le 1er novembre 2018, Saltair a signalé à la GCC que le Miss Terri nécessitait un travail de pompage constant pour rester à flot. Le 6 novembre 2018, la GCC a donné instruction à Saltair de retirer le Miss Terri du milieu marin, et il a été découvert à ce moment-là que la coque du navire était sérieusement endommagée sous la ligne de flottaison. Saltair a procédé à la déconstruction du Miss Terri entre le 29 novembre 2018 et le 14 décembre 2018, aux frais de la GCC. Celle-ci a présenté une demande en recouvrement de créance à l’administrateur, par la voie d’une lettre datée du 27 août 2020, soit un montant de 88 576,24 $. Les documents à l’appui de cette demande comprenaient des factures de Saltair et un rapport d’expertise intitulé « ’Miss Terri’ Survey for Condition & Salvage Value » (Évaluation de l’état et de la valeur d’épave du Miss Terri) et établi par Building Sea Marine [le Rapport d’inspection du Miss Terri].

[6] Par une lettre datée du 23 février 2020, l’administrateur a écrit à la GCC pour l’informer que l’objet de sa demande en recouvrement de créance portait sur une question mixte de fait et de droit nouvelle. Il a déclaré que même si les documents qu’elle avait présentés [TRADUCTION] « ne font pas directement état du rejet d’hydrocarbures venant du navire […] un examen détaillé de la preuve donne à penser qu’un rejet a bel et bien eu lieu. En raison de cette conclusion probable, la demande en recouvrement de créance a vraisemblablement été faite à l’administrateur après le délai de prescription applicable et il convient donc de la rejeter ». L’administrateur a joint à sa lettre une ébauche de décision de 24 pages et a invité la GCC à lui faire part de ses observations ou de ses commentaires sur la conclusion prévue selon laquelle le Miss Terri avait rejeté des hydrocarbures, ainsi que sur la question de savoir comment appliquer le délai de prescription aux faits. Par une lettre datée du 30 mars 2021, la GCC a transmis des observations en réponse à l’ébauche de motifs de l’administrateur.

[7] L’administrateur a envoyé une [traduction] « lettre de rejet » le 17 mai 2021 au sujet de la demande en recouvrement de créance de la GCC concernant le Miss Terri. Il s’agit là de l’une des décisions faisant l’objet d’un appel et d’une demande de contrôle judiciaire dont je suis maintenant saisie.

Le Stelie II

[8] Selon la demande en recouvrement de créance que la GCC a faite à l’administrateur le 23 mars 2016, Transports Canada [TC] a été avisé par la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] que le Stelie II s’était libéré par grand vent de son point d’amarrage dans l’installation de Northern Boat Repair Ltd. [NBR], à Port Saunders (Terre‑Neuve‑et‑Labrador) et qu’il commençait à s’enfoncer dans la glace. Le navire, accoté contre un quai adjacent, causait des dommages et on disait craindre aussi qu’il y avait des polluants à bord. TC est entré en contact avec l’équipe d’IE GCC pour l’informer du risque de pollution.

[9] Des membres du personnel d’IE GCC se sont rendus auprès du navire le 25 mars 2016. Ils l’ont trouvé sans amarres et gîtant fortement sur tribord. Selon l’exposé circonstancié de la GCC, en entrant dans le bateau, les membres du personnel ont constaté une forte odeur de carburant diesel. La salle des machines était remplie aux trois quarts d’eau et des polluants, constitués d’huile lubrifiante, d’huile hydraulique, de carburant diesel et de débris, étaient éparpillés partout. Il y avait des plateaux ouverts contenant de l’huile, des seaux d’huile, des pots de peinture, des extincteurs d’incendie sur le pont, des fusées éclairantes dispersées çà et là, et d’autres polluants, a‑t‑il été signalé, étaient clairement visibles, même si le navire était dépourvu de toute source d’éclairage ou d’alimentation. L’équipe d’IE GCC a jugé que le navire constituait une menace immédiate de pollution potentielle et que la meilleure mesure à prendre sur‑le‑champ serait d’évacuer par pompage l’eau qui s’était infiltrée dans le navire. L’équipe d’IE GCC a commencé à retirer l’eau du navire le 25 mars 2016. Cette opération a pris fin le 26 mars 2016, date à laquelle le navire a été soulevé hors de l’eau et remisé aux frais de la GCC.

[10] Divers efforts destinés à faire en sorte que le propriétaire du navire intervienne pour atténuer la menace de pollution marine et assume les responsabilités financières et d’autre nature concernant le navire ont été infructueux.

[11] Le 29 mars 2016 et le 7 avril 2016, la GCC a correspondu avec l’administrateur, l’avertissant de la situation. Le 8 mars 2018, à la demande de la GCC, l’administrateur lui a écrit pour l’informer que, d’après les observations de la GCC selon lesquelles le Stelie II n’était pas la source d’un rejet de polluants et que les mesures qu’elle avait prises concernaient une menace de pollution, le délai de prescription applicable avant lequel la GCC pouvait présenter une demande en recouvrement de créance à la CIDPHN était de cinq ans à compter de la date de l’événement, soit le 24 mars 2016. La demande de la GCC serait donc admissible jusqu’au 25 mars 2021.

[12] Le 30 avril 2018, la GCC a envoyé à l’administrateur une demande [TRADUCTION] « provisoire », à garder en suspens jusqu’à la fin des opérations d’intervention. Par un courriel daté du 5 juillet 2018, l’administrateur a informé la GCC que la demande provisoire n’avait pas eu pour effet de suspendre ou de modifier par ailleurs le délai de prescription. Par un courriel de réponse, les avocats de la GCC ont confirmé qu’ils étaient du même avis.

[13] Le Stelie II est resté en remisage pendant un certain temps, en partie à cause d’un différend en matière de propriété. La GCC a retenu les services de TriNav Marine Design Inc. [TriNav] pour procéder à une inspection du navire. TriNav a effectué son évaluation du navire le 18 août 2016 et a établi un rapport intitulé « ’Stelie II’ Vessel Survey » (Inspection du Stellie II) daté du 23 septembre 2016 [le Rapport d’inspection du Stelie II]. Le 26 octobre 2016, l’équipe d’IE GCC a loué des camions‑pompe à Pardy’s Waste Management and Industrial Service Limited [Pardy] pour éliminer les polluants présents à bord du Stelie II. Le 14 février 2018, la GCC a considéré que le navire constituait un risque inacceptable et que sa déconstruction était la seule option possible pour éviter toute pollution future du milieu marin par des hydrocarbures. Le Stelie II a été déconstruit en août 2019 aux frais de la GCC. Le 7 octobre 2020, la GCC a présenté à l’administrateur une demande en recouvrement de créance pour les frais qu’elle avait engagés à l’égard du Stelie II, soit un montant de 114 897,43 $.

[14] Par un courriel daté du 26 février 2021, les avocats de l’administrateur ont écrit aux avocats de la GCC, disant que l’administrateur se posait des questions à propos de la demande en recouvrement de la GCC qu’il souhaitait porter à son attention, et que, de ce fait, il invitait la GCC à produire des documents supplémentaires. Le courriel indiquait : [TRADUCTION] « il semble à l’administrateur que, selon toute probabilité, le STELIE II a bel et bien causé un rejet d’hydrocarbures à un certain moment à la fin du mois de mars 2016 ». Les avocats de l’administrateur ont indiqué que même si la preuve ne faisait pas expressément état d’un tel rejet, il était possible de tirer raisonnablement cette inférence parce que la GCC, dans son exposé circonstancié, avait déclaré que le Stelie II gîtait fortement et qu’il y avait sur le pont des plateaux ouverts et des seaux d’huile. La gîte du navire avait peut‑être eu pour effet qu’une certaine quantité de ces hydrocarbures étaient entrés dans l’eau. De plus, les documents de la GCC n’offrait aucune explication sur ce qui avait été fait de la quantité vraisemblablement importante d’eau huileuse pompée hors du Stelie II les 25 et 26 mars 2016. Sans preuve que cette eau contaminée avait été isolée et éliminée au moyen de flux de traitement de déchets appropriés, il semblait vraisemblable que cette eau, en tout ou en partie, avait fini par se retrouver dans les eaux du port. Ce rejet aurait probablement causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ce qui déclencherait le délai de prescription de deux ans. Ce délai aurait pris fin à la fin de mars 2018. Il se pouvait donc que la demande en recouvrement de créance ne soit pas admissible. Les avocats de l’administrateur ont invité la GCC à produire tous les documents pertinents que celle-ci avait en sa possession, de même que tout commentaire connexe, avant le 31 mars 2021.

[15] Les avocats de la GCC ont fourni une réponse par courriel le 31 mars 2021.

[16] L’administrateur a envoyé une [TRADUCTION] « lettre de rejet » datée du 26 mai 2021 à propos de la demande en recouvrement de créance de la GCC concernant le Stelie II. Il s’agit là de l’une des décisions faisant l’objet d’un appel et d’une demande de contrôle judiciaire dont je suis maintenant saisie.

Les dispositions législatives applicables

Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001 c 6* (*version en vigueur du 2015‑06‑08 au 2018‑12‑12, soit la période qui s’applique à la présente affaire)

103 (1) En plus des droits qu’elle peut exercer contre la Caisse d’indemnisation en vertu de l’article 101, toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais mentionnés aux articles 51, 71 ou 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute à cause de dommages — réels ou prévus — dus à la pollution par les hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais.

103 (2) Sous réserve du pouvoir donné à la Cour d’amirauté à l’alinéa 111a), la demande en recouvrement de créance doit être faite :

a) s’il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans les deux ans suivant la date où ces dommages se sont produits et dans les cinq ans suivant l’événement qui les a causés;

b) sinon, dans les cinq ans suivant l’événement à l’égard duquel des dommages ont été prévus.

105 (1) Sur réception d’une demande en recouvrement de créance présentée en vertu de l’article 103, l’administrateur :

a) enquête sur la créance et l’évalue;

b) fait une offre d’indemnité pour la partie de la demande qu’il juge recevable.

[…]

105 (3) Dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation, l’administrateur ne prend en considération que la question de savoir :

a) d’une part, si la créance est visée par le paragraphe 103(1);

b) d’autre part, si la créance résulte, en tout ou en partie :

(i) soit d’une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,

(ii) soit de sa négligence

106 (2) Le demandeur peut, dans les soixante jours suivant la réception de l’offre d’indemnité ou de l’avis de rejet de sa demande, interjeter appel devant la Cour d’amirauté; dans le cas d’un appel du rejet de la demande, la Cour d’amirauté ne prend en considération que les faits mentionnés aux alinéas 105(3)a) et b).

Loi sur marine marchande du Canada, LC 2001, c 26 [LMMC]

180 (1) Le ministre des Pêches et des Océans peut, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un bâtiment ou une installation de manutention d’hydrocarbures a rejeté, rejette ou risque de rejeter un polluant :

a) prendre les mesures qu’il estime nécessaires pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution, voire enlever ou détruire le bâtiment et son contenu, et disposer du bâtiment et de son contenu;

b) surveiller l’application de toute mesure prise par toute personne en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution;

c) dans le cas où il l’estime nécessaire, ordonner à toute personne ou à tout bâtiment de prendre les mesures visées à l’alinéa a) ou de s’abstenir de les prendre.

[17] À moins d’indication contraire, tous les renvois faits à la LRM dans les présents motifs se rapportent à la version qui était en vigueur à l’époque des incidents du Miss Terri et du Stelie II, tels que décrits plus tôt.

Les décisions faisant l’objet du présent contrôle

Le Miss Terri

[18] Dans la lettre de rejet du 17 mai 2021, l’administrateur a dit juger que le délai de prescription que prévoit l’alinéa 103(2)a) de la LRM s’appliquait et qu’il avait expiré avant que la GCC présente sa demande en recouvrement de créance. Cette demande n’était donc pas admissible en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM.

[19] Après avoir passé en revue l’exposé circonstancié qu’avait fait la GCC au sujet de l’incident, l’administrateur a déclaré que, pour déterminer quel délai de prescription s’appliquait, il était important de déterminer tout d’abord s’il y avait eu un rejet d’hydrocarbures du navire. Il a signalé l’absence d’une [TRADUCTION] « observation explicite » dans l’eau d’hydrocarbures venant du navire. Cependant, cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait eu aucun rejet. Il y avait une preuve indirecte de rejet, ou vraisemblablement de plusieurs rejets, datant d’avant le 4 septembre 2018. L’administrateur a déclaré que, selon toute vraisemblance, de l’eau de pluie serait entrée régulièrement dans le navire, qu’elle aurait été contaminée par des hydrocarbures et qu’elle aurait ensuite été pompée par‑dessus bord.

[20] L’administrateur a déclaré que l’aménagement du navire et son état matériel constituaient une preuve importante. Dans le Rapport d’inspection du Miss Terri il a été conclu que la majeure partie du composé servant d’enduit avait disparu, qu’un grand nombre des planches (du pont) s’étaient amollies ou étaient entièrement pourries et que de l’eau de pluie aurait pu pénétrer la plupart des secteurs du pont qui étaient exposés aux éléments. L’administrateur a conclu que les observations et les conclusions de l’expert maritime au sujet du pont étaient vraisemblablement correctes et que, selon la prépondérance des probabilités, la pluie aurait traversé le pont et serait entrée dans les compartiments situés sous le pont de ce dernier d’un bout à l’autre du navire, y compris dans les compartiments situés à l’avant.

[21] De plus, il était également signalé dans le Rapport d’inspection du Miss Terri que le compartiment machine du navire et les compartiments de cale du gaillard d’avant étaient [TRADUCTION] « modérément pollués par des hydrocarbures », et des photographies extraites de ce rapport montraient des fonds huileux dans les principaux compartiments de la salle des machines, du gaillard d’avant et de la poupe du navire. Se fondant sur cela, ainsi que sur des photographies prises par Saltair, l’administrateur a déclaré qu’il était admis que tant le compartiment machine que le gaillard d’avant étaient contaminés par des hydrocarbures, de sorte que l’eau entrant en contact avec ces compartiments aurait été contaminée par des hydrocarbures. Il a fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve que l’état huileux du navire avait changé entre le 23 février 2018 (date à laquelle la GCC avait tout d’abord mis en place des pompes de cale supplémentaires) et la date à laquelle le navire avait été inspecté par Building Sea Marine (le 18 septembre 2018).

[22] Même s’il n’y avait aucune preuve directe de ce qui était arrivé au navire entre ces deux dates, l’administrateur avait déjà conclu que, selon toute vraisemblance, quand il avait plu sur le navire, cette eau avait pénétré le pont, avait été contaminée par des hydrocarbures et avait ensuite été rejetée par les pompes arrière. De plus, il était [TRADUCTION] « admis » qu’entre le 23 février et le 3 septembre 2018 il y avait eu plusieurs chutes de pluie abondantes. L’administrateur a reçu la demande en recouvrement de créance de la GCC le 4 septembre 2020, mais il a conclu que les rejets d’hydrocarbures avaient eu lieu avant le 4 septembre 2018.

[23] L’administrateur a déclaré qu’étant donné que la demande en recouvrement de créance n’avait pas été faite dans les deux ans suivant la date de ces rejets, c’était probablement le plus court des délais de prescription prévus au paragraphe 103(2) qui s’appliquait et qu’il était nécessaire d’examiner si la demande pouvait être admise en vertu du paragraphe 103(1). Il s’est ensuite lancé dans un long exercice d’interprétation législative de l’alinéa 103(2)a) et il a conclu que cette disposition imposait un délai de prescription de deux ans après la date de survenue des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures par suite d’un incident les ayant causés. Il a de plus estimé que toutes les demandes en recouvrement de créance découlaient des mêmes faits, et que les demandeurs étaient donc tous assujettis au même délai de prescription.

[24] L’administrateur a déclaré que la dernière conclusion à tirer consistait à savoir si les rejets qui avaient eu lieu avaient causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » au sens du paragraphe 91(1) de la LRM et, en se fondant sur les conclusions de fait qu’il avait tirées antérieurement, il a conclu que les rejets antérieurs au 4 septembre 2018 avaient vraisemblablement causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. En conséquence, le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)a) avait expiré avant le 4 septembre 2020 et la demande en recouvrement de créance de la GCC était inadmissible en vertu du paragraphe 103(1).

[25] L’administrateur a ensuite passé en revue la réponse qu’il avait reçue de la GCC à la lettre du 23 février 2021 par laquelle il lui avait communiqué son ébauche de décision. Il a dit comprendre que la GCC soulevait deux points principaux. Premièrement, que la GCC s’était occupée de l’incident conformément aux critères d’évaluation d’une menace prévus par la LMMC et qu’il n’y avait aucune preuve qu’un rejet avait eu lieu. L’administrateur a déclaré qu’il était compréhensible que la GCC recoure aux critères d’évaluation d’une menace prévus par la LMMC, mais qu’il n’était pas d’accord pour dire que ces critères avaient une incidence quelconque sur la date à laquelle le délai de prescription commençait à courir. Cela étant, la réponse de la GCC ne changeait pas les conclusions factuelles que l’administrateur avait tirées à cet égard. Deuxièmement, la GCC a fait valoir que, pour un demandeur, il était problématique de ne pas savoir quand le délai de prescription commençait à courir. L’administrateur a convenu que, selon son interprétation, un demandeur pourrait perdre le droit de présenter une demande en recouvrement de créance parce qu’il ignorait le moment où le délai de prescription commençait à courir et qu’une telle demande pourrait même être irrecevable avant qu’un demandeur subisse des dommages. Cependant, à son avis, une interprétation différente du paragraphe 103(2), qui permettrait de prendre en considération la connaissance et la croyance subjective d’un demandeur pour ce qui était de déterminer à quel moment commençait à courir le délai de prescription, n’était pas possible. Le délai de prescription applicable est axé sur les événements qui ont touché le navire en cause, plutôt que sur le rôle qu’un demandeur a joué dans ces événements. Il a conclu qu’à la lumière de la réponse de la GCC ses conclusions de fait et ses conclusions mixtes de fait et de droit ne changeaient pas.

Le Stelie II

[26] Dans la lettre de rejet du 26 mai 2021 concernant le Stelie II, l’administrateur a conclu que le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)a) de la LRM s’appliquait et qu’il avait expiré avant que la GCC présente sa demande en recouvrement de créance. Cette demande n’était donc pas admissible en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM.

[27] À l’appui de cette décision, l’administrateur a fait état des échanges qu’il y avait eu entre la GCC et lui avant que celle‑ci présente sa demande en recouvrement de créance le 8 octobre 2020, dont des photographies qu’elle avait fournies. Il a également mentionné le Rapport d’inspection du Stelie II, qui accompagnait la demande en recouvrement de créance de la GCC, jugeant que certains passages de ce document étaient pertinents à l’égard des conclusions qu’il avait à tirer. Notamment, des références faites à la présence d’eau huileuse dans divers compartiments du navire. L’administrateur a également fait remarquer que dans les notes qu’elle avait présentées avec sa demande, la GCC avait indiqué qu’un camion‑pompe avait été mis à sa disposition pour le 25 mars 2016.

[28] L’administrateur a ensuite décrit la lettre qu’il avait envoyée le 26 février 2021 à la GCC, dans laquelle il faisait part de ses doutes quant à sa demande en recouvrement de créance, ainsi que la réponse de la GCC datée du 31 mars 2021. L’administrateur a décrit l’enquête qu’il avait menée sur la question de savoir si un rejet avait eu lieu, enquête dans le cadre de laquelle des appels avaient été faits à la GRC, qui avait fait savoir qu’aucun de ses membres n’était présent sur les lieux, au propriétaire de l’installation de NBR qui, ne se souvenait pas si des hydrocarbures étaient visibles dans le port ou sur la glace entourant le Stelie II, de même qu’à Pardy, qui n’avait ni confirmé ni nié s’être trouvé sur les lieux et qui avait refusé de discuter de ses contrats avec la GCC sans avoir l’autorisation de le faire.

[29] Selon l’administrateur, la question de savoir si la demande en recouvrement de créance avait été présentée à l’intérieur du délai de prescription était un aspect qui obligeait à tirer d’importantes conclusions de fait et de droit. Il a signalé qu’il y avait une certaine ambiguïté dans l’alinéa 103(2)a) de la LRM, mais qu’il traiterait tout d’abord du fait de savoir si l’incident avait causé un « rejet » d’hydrocarbures, parce que des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », tels que définis dans la LRM, ne peuvent pas survenir sans qu’il y ait eu rejet d’une certaine quantité d’hydrocarbures.

[30] L’administrateur a conclu qu’il était probable que l’incident, ainsi que les mesures d’intervention prises par la suite, avaient causé un rejet d’hydrocarbures. Il a tout d’abord jugé qu’il était vraisemblable qu’un peu d’hydrocarbures venant des contenants ouverts qui se trouvaient sur le pont du navire avait fui dans l’eau. Le Stelie II avait commencé à gîter le 23 ou le 24 mars 2016, et il avait continué à le faire jusqu’à l’opération de pompage du 25 mars 2016. Les photographies au dossier montraient qu’il n’y avait rien dans la configuration du navire qui aurait empêché les hydrocarbures stockés dans des contenants ouverts sur le pont de fuir dans l’eau pendant que le navire gîtait fortement du côté tribord. De plus, les contenants eux‑mêmes auraient inévitablement glissé et se seraient entrechoqués à mesure que le navire s’inclinait. Deuxièmement, les intempéries qui, l’administrateur a‑t‑il dit avoir déterminé, avaient été suffisamment violentes pour rompre les amarres du navire, avaient fait dériver le navire à travers la glace et heurter ensuite l’autre côté de l’installation de transbordement. Il a signalé qu’aucune des photographies du côté tribord du navire et de la glace adjacente ne semblait montrer des signes de fuite d’hydrocarbures; cependant, l’absence de preuve visuelle n’était pas tout à fait déterminante. Il a déclaré que si un rejet avait eu lieu, les taches d’hydrocarbures en découlant, s’il y en avait, n’auraient peut‑être pas été faciles à distinguer dans des photographies prises à une certaine distance et que tout rejet se serait peut‑être dispersé quelque peu pendant la tempête.

[31] L’administrateur a fait remarquer qu’en plus du rejet probable venant des contenants présents sur le pont une abondante quantité d’eau était entrée dans la salle des machines du Stelie II (et dans d’autres compartiments sous le pont), et cette eau avait été pompée directement de la salle des machines et rejetée dans le port. Se reportant à l’exposé circonstancié de la GCC, au Rapport d’inspection du Stelie II ainsi qu’aux photographies montrant qu’on avait utilisé des matières sorbantes lors de la déconstruction du navire, l’administrateur a conclu que la quantité d’eau pompée par‑dessus bord aurait été considérable, que les niveaux d’eau auraient submergé en grande partie les machines du navire et que l’eau présente dans la salle des machines était sûrement contaminée. Il a déclaré que même si la GCC avait soutenu que le boyau d’aspiration avait été mis en place au fond du navire pendant l’opération de pompage, de manière à ne pas rejeter les hydrocarbures flottant à la surface de l’eau dans le navire, il ne bénéficiait pas du récit direct d’un témoin sur ce qui avait été fait. De plus, la GCC avait réclamé des frais de déconstruction, qui sont admissibles si le navire lui‑même présente une menace de pollution par les hydrocarbures, comme dans le cas où un navire en bois est à ce point saturé d’hydrocarbures que, s’il était submergé, sa charpente rejetterait des hydrocarbures. Cela étant le cas, l’immersion d’un boyau au fond de l’eau présente dans la salle des machines ne serait pas nécessairement suffisante pour éviter un rejet d’hydrocarbures. L’administrateur a conclu que même si l’on avait évité avec succès les hydrocarbures présents à la surface de l’eau se trouvant dans le Stelie II, il serait impossible de conclure, sans risque d’erreur, qu’aucun rejet n’avait eu lieu.

[32] L’administrateur a déclaré que, indépendamment de la position de la GCC quant à l’absence d’observation d’un rejet et à la position du boyau d’aspiration lors de l’opération de pompage, vu la grande quantité d’eau pompée et l’état contaminé du Stelie II il avait été décidé qu’un rejet avait eu lieu pendant l’opération de pompage. Il fallait aussi prendre en considération les hydrocarbures présents dans les contenants ouverts, et ce fait renforçait la conclusion qu’un rejet s’était produit pendant ou avant la réponse transmise par la GCC les 25 et 26 mars 2016.

[33] L’administrateur a ensuite fait référence à la manière dont il a interprété l’alinéa 103(2)a) dans l’affaire du Miss Terri. Premièrement, l’interprétation appropriée de cet alinéa donne lieu à un délai de prescription de deux ans après le premier cas de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » qui sont causés par un incident sous‑jacent, et toutes les demandes découlant des mêmes faits sont donc assujetties au même délai de prescription. Deuxièmement, le seuil à appliquer pour décider si des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » se sont produits est peu rigoureux.

[34] L’administrateur a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le ou les rejets qui s’étaient produits entre le 23 et le 26 mars 2016 avaient causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. En conséquence, le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)a) avait expiré à un certain moment entre le 23 et le 26 mars 2018. Comme la demande en recouvrement de créance n’avait pas été présentée dans les deux ans suivant ces dates, elle était inadmissible en vertu du paragraphe 103(1), et donc rejetée.

Les questions en litige

[35] À mon avis, il est possible de formuler de manière appropriée les questions qui sont en litige comme suit :

  1. Les contestations relatives aux décisions par lesquelles l’administrateur a rejeté les demandes en recouvrement de créance, en se fondant sur les délais de prescription prévus au paragraphe 103(2) de la LRM, sont‑elles considérées à juste titre comme des demandes de contrôle judiciaire ou comme des appels prescrits par la loi en vertu du paragraphe 106(2) de la LRM?
  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  3. L’administrateur a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)a) s’appliquait et que, pour la GCC, il était trop tard pour déposer une demande en recouvrement de créance en vertu du paragraphe 103(1), relativement à l’une ou l’autre des demandes concernant le Miss Terri ou le Stelie II, ou les deux?

La question no 1 : Ces questions sont‑elles entendues à bon droit à titre de demandes de contrôle judiciaire ou d’appels prévus par la loi en vertu du paragraphe 106(2) de la LRM?

[36] Vu l’incertitude entourant la procédure appropriée, et par souci de prudence, le Canada a présenté à la fois des demandes de contrôle judiciaire (une pour chaque navire) et des appels (un pour chaque navire). Les parties soutiennent qu’il est nécessaire que la Cour donne des directives pour déterminer si les contestations que formule le Canada à l’égard des décisions de l’administrateur – et les contestations ultérieures de décisions rejetant des demandes en recouvrement de créance en raison des délais de prescription – doivent être entendues sous la forme de demandes de contrôle judiciaire ou d’appels.

[37] Je conviens avec les parties qu’il faut régler cette question, car, dans l’immédiat, elle se répercute sur la ou les normes de contrôle qui s’appliquent à la question de fond, laquelle consiste à savoir si l’administrateur a commis une erreur en concluant que la GCC n’a pas présenté ses demandes en recouvrement de créance dans le délai de prescription applicable. Je conviens également avec le Canada que le fait de régler à présent cette question pourrait éviter que d’autres demandeurs manquent le délai de présentation de 30 jours en vue de la tenue d’un contrôle judiciaire parce qu’ils croient que le délai de 60 jours pour un appel prévu par la loi s’applique.

La position du Canada

[38] Le Canada fait valoir que de nombreuses lois prévoient à la fois un mécanisme d’appel et un mécanisme de contrôle judiciaire dans des contextes différents, ce qui dénote que les cours de révision ont deux rôles à jouer. De plus, il convient de noter que les mécanismes d’appel prévus par la loi sont souvent circonscrits, limitant les genres de questions à l’égard desquelles une partie peut interjeter appel, et que l’existence d’un droit d’appel ainsi circonscrit n’empêche pas de soumettre à un contrôle judiciaire les aspects de ces décisions auxquels le mécanisme d’appel ne s’applique pas. Pour ce qui est du contrôle des questions auxquelles le mécanisme d’appel prévu par la loi ne s’applique pas, c’est la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable qui s’applique (citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 52 [Vavilov]).

[39] Le Canada estime que, selon une simple lecture, le mécanisme d’appel que prévoit le paragraphe 106(2) de la LRM autorise la Cour à ne prendre en considération « que » les faits mentionnés au paragraphe 105(3), ce qui n’inclut pas une contestation de la conclusion que titre l’administrateur au sujet d’un délai de prescription. Il semble donc qu’une telle contestation, ajoute-t-il, serait entendue à bon droit sous la forme d’un contrôle judiciaire, fondé sur la norme de la décision raisonnable.

La position de l’administrateur

[40] L’administrateur fait valoir que le paragraphe 106(2) de la LRM est ambigu et qu’il requiert donc une interprétation législative.

[41] À son avis, selon une « interprétation strictement littérale » du paragraphe 106(2), un appel peut être interjeté à la suite soit d’une offre d’indemnisation, soit du rejet d’une demande d’indemnisation. Cependant, le droit d’appel que prévoit le paragraphe 106(2) n’est pas circonscrit – seuls le sont les faits que la Cour peut prendre en considération. C’est‑à‑dire que le droit d’appel semble être d’une portée plus large que celle de la révision qui a lieu lors d’un appel. Il ajoute que cela est potentiellement problématique, car, en général, le droit à un contrôle judiciaire ne prend naissance que lorsqu’une partie a épuisé toutes les autres voies de révision. Au paragraphe 106(2), le droit d’appel prévu par la loi englobe toutes les questions imaginables qui se posent au sujet du rejet d’une demande, mais, en fin de compte, vu la portée restreinte de la révision, la Cour n’a peut‑être pas compétence pour accorder la réparation recherchée. Le seul recours est donc la demande de contrôle judiciaire, laquelle doit être introduite dans un délai de 30 jours, par opposition au délai de 60 jours qui est prévu pour interjeter appel. L’administrateur estime que ces délais signifient que les demandeurs voulant prendre le maximum de précautions auraient à court‑circuiter l’échec possible d’un appel non encore interjeté en déposant une demande de contrôle judiciaire dans un délai de 30 jours – mais, comme il a été signalé plus tôt, agir de la sorte serait techniquement prématuré.

[42] L’administrateur est d’avis qu’une interprétation qui permettrait de soumettre immédiatement à un contrôle judiciaire les questions pour lesquelles aucune réparation ne semble être disponible par le truchement du paragraphe 106(2) (c.‑à‑d., celles qui obligent à prendre en considération des questions qui débordent le cadre des facteurs énoncés au paragraphe 105(3)) est elle aussi problématique, car la même série de faits pourrait se solder par un rejet pour deux raisons différentes – l’une pouvant être visée par le droit d’appel et l’autre par le contrôle judiciaire. Cela, par ricochet, pourrait donner lieu à deux instances différentes qui contrôleraient la décision administrative, et potentiellement les mêmes faits, en fonction de normes de contrôle différentes.

[43] L’administrateur soutient qu’une interprétation téléologique des articles 103 à 106 de la LRM peut éviter cette incertitude dans l’application du paragraphe 106(2). Il faudrait pour cela considérer que la référence faite au paragraphe 105(3) à « la créance […] visée par le paragraphe 103(1) » inclut également les délais de prescription prévus au paragraphe 103(2), et ce, parce que ce paragraphe est intrinsèquement lié au paragraphe 103(1), en ce sens qu’il précise à quel moment il est possible de présenter une « demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais ». Par ricochet, cela éviterait toute incertitude entourant le paragraphe 106(2).

[44] L’administrateur laisse également entendre qu’il existe, pour l’interprétation qu’il propose, une certaine justification historique. En effet, avant l’entrée en vigueur de la LRM, la CIDPHN était régie par la LMMC. Le paragraphe 710(1) de la version de la LMMC qui était en vigueur à cette époque était analogue aux paragraphes 103(1) et (2) de la LRM. Dans la LMMC, la disposition qui a précédé les articles 103 et 105 se présentait sous la forme d’une seule disposition. De ce fait, la restriction imposée au pouvoir qu’avait l’administrateur au moment d’enquêter sur une créance et de l’évaluer ne suscitait pas de difficultés dans le contexte d’un délai de prescription parce que la disposition vers laquelle elle pointait, le paragraphe 710(1), incluait les délais de prescription. Quant à elle, la disposition en matière d’appel, le paragraphe 711(2), permettait donc aussi de porter en appel les demandes rejetées pour cause de non‑respect d’un délai de prescription. L’administrateur soutient qu’une lecture du Hansard n’indique pas que le législateur entendait changer la manière dont l’ancien article 710 devait s’appliquer quand il a été déplacé de la LMMC vers la LRM, et cela dénote que ce changement, c’est‑à‑dire la suppression des dispositions relatives aux délais de prescription de la disposition relative aux demande en recouvrement de créance, peut avoir été fait par inadvertance.

[45] L’administrateur ajoute : [TRADUCTION] « une interprétation qui considère que le paragraphe 103(2) modifie le paragraphe 103(1), de sorte qu’il tombe sous le coup de la disposition attributive de compétence [le para 105(3)] et, en conséquence, de la disposition en matière d’appel [art 106], est donc très justifiée ».

Analyse

[46] Les principes d’interprétation législative qui s’appliquent en l’espèce sont bien établis par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Pour interpréter une loi, [TRADUCTION] « […] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au para 21, 1998 CanLII 837 (CSC), faisant référence à Elmer Driedger, dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes, 2e éd., (Toronto, Butterworths, 1983), à la p 87; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au para 26 [Bell ExpressVu]).

[47] Ce principe a plus tard été reformulé et explicité dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54 [Trustco] :

10 Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[48] De plus, toute ambiguïté doit être « réelle », c’est‑à‑dire que le texte de la disposition doit être raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation. Toutefois, il faut aussi tenir compte du contexte global de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de plusieurs interprétations. « C’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes » (Bell ExpressVu, au para 29, citant Canadian Oxy Chemicals Ltd c Canada (Procureur général), [1999] 1 RCS 743 au para 14, 171 DLR (4th) 733, passage souligné dans Bell ExpressVu). La Cour doit, dans chaque cas, se livrer à une analyse contextuelle et téléologique, puis se demander s’il existe une ambiguïté (Bell ExpressVu, au para 30). La Cour devrait donc « réserver [son] jugement sur la portée exacte » des mots en litige jusqu’à ce que ces derniers puissent être « appréciés d’après des cercles contextuels successifs » (Bristol‑Myers Squibb Co c Canada (Attorney General), 2005 CSC 26, aux para 43‑44).

[49] En l’espèce, le paragraphe 106(2) de la LRM prévoit que le demandeur peut interjeter appel du caractère approprié de l’offre d’indemnité ou de l’avis de rejet de sa demande, mais, dans le cas d’un appel du rejet de la demande, la Cour « ne prend en considération que les faits mentionnés aux alinéas 105(3)a) et b) ».

[50] L’article 105 porte sur les fonctions de l’administrateur lorsqu’une demande en recouvrement de créance lui est présentée en vertu du paragraphe 103(1). Aux termes du paragraphe 105(1), l’administrateur est tenu de faire deux choses : faire enquête sur la créance et l’évaluer, et faire une offre d’indemnité pour la partie de la demande qu’il juge recevable. Ce paragraphe limite explicitement les facteurs ou les questions que peut prendre en considération l’administrateur à ce moment‑là :

(3) Dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation, l’administrateur ne prend en considération que la question de savoir :

a) d’une part, si la créance est visée par le paragraphe 103(1);

b) d’autre part, si la créance résulte, en tout ou en partie :

(i) soit d’une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,

(ii) soit de sa négligence.

[51] Il me faut admettre que j’ai eu au départ quelques doutes quant à la question de savoir si toutes les incertitudes procédurales possibles que l’administrateur a soulevées contribuent à rendre le paragraphe 106(2) aussi ambigu qu’il l’affirme. Cependant, les doutes que suscite l’application de ce paragraphe sont illustrés par le fait même que le Canada, en l’espèce, a déposé à la fois des appels et des demandes de contrôle judiciaire par souci de prudence.

[52] Je conviens également avec le Canada qu’il ressort clairement d’une simple lecture du paragraphe 106(2) que, en appel, la Cour ne peut prendre en considération que les deux faits mentionnés au paragraphe 105(3) – et ceux‑ci n’incluent pas les délais de prescription, qui figurent au paragraphe 103(2). À première vue, et en considérant isolément ces dispositions, cela donnerait à penser qu’il faudrait que la présente instance soit entendue sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, cela n’est pas forcément suffisant pour trancher l’affaire, comme l’a illustré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 :

[42] Considérons d’abord le sens ordinaire de « l’événement ». À première vue, l’événement qui donne lieu à l’instance fondée sur l’alinéa 161(6)d) paraît être le fait, pour la personne en cause, de [traduction] « [convenir] avec un organisme de réglementation des valeurs mobilières » de faire l’objet d’une mesure réglementaire. J’entends seulement par sens ordinaire le « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition » (Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735). Le sens ordinaire semble donc étayer l’interprétation de la Commission.

[43] Toutefois, arrêter le sens ordinaire du terme « n’est pas déterminant et ne met pas fin à l’analyse » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 48). Même si le sens ordinaire est présumé être celui voulu par le législateur, une cour de justice doit tenir compte d’autres éléments pour interpréter un texte législatif, et ce, pour la raison suivante : des mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode moderne d’interprétation.

(Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, par. 10)

[44] Cette possibilité se réalise en l’espèce. Bien que le sens ordinaire semble assez manifeste, un examen approfondi du contexte de la disposition et de son objet suscite un certain doute quant à cette interprétation et permet d’envisager l’existence d’une autre interprétation raisonnable.

[53] En fin de compte, je suis convaincue que le paragraphe 106(2), considéré dans le contexte des dispositions connexes que comportent les paragraphes 105(3) et 103(1) et (2), soulève une ambiguïté latente. C’est‑à‑dire que les « faits » auxquels il est fait référence au paragraphe 106(2) sont explicitement ceux qui sont décrits aux alinéas 105(3)a) et b). L’alinéa 105(3)a) a trait à la question de savoir si la créance « est visée par le paragraphe 103(1) ». L’ambiguïté concerne le fait de savoir si le paragraphe 103(2), qui contient les délais de prescription applicables aux demandes présentées en vertu du paragraphe 103(1), fait partie intégrante de la référence faite à « la créance [...] visée par le paragraphe 103(1) », s’il y est inclus ou s’il la modifie, et s’il est nécessaire de l’évaluer en tant qu’aspect d’une demande en recouvrement de créance présentée en vertu de l’article 103.

[54] Pour ce qui est du contexte, comme l’administrateur le décrit dans ses observations écrites, le paragraphe 103(1) permet aux demandeurs ayant subi des pertes ou des dommages ou ayant engagé des frais mentionnés aux articles 51, 71 ou 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute à cause de dommages – réels ou prévus – dus à la pollution par les hydrocarbures, de présenter directement à l’administrateur une demande en recouvrement de créance. Le paragraphe 105(1) exige que l’administrateur, après réception d’une telle demande, fasse enquête sur la créance et l’évalue et qu’il fasse une offre d’indemnité pour la partie de cette demande qu’il juge recevable. Si l’offre est acceptée, l’administrateur est subrogé dans les droits du demandeur, dans la limite de la somme qui est versée à celui-ci (art 106(3)c)). L’administrateur est également tenu de prendre toutes les mesures raisonnables pour recouvrer auprès du propriétaire du navire polluant ou de toute autre personne responsable la somme qu’il a versée (art 106(3)d)). C’est ce que l’on appelle parfois le régime d’indemnisation de « premier recours », car le paragraphe 103(1) permet aux demandeurs de présenter leurs demandes en recouvrement de créance sans avoir à intenter au préalable une action contre le propriétaire de navire (comme l’exigeraient les articles 101 et 109 de la LRM, souvent qualifiés de régime de « dernier recours »).

[55] C’est donc dire que les articles 103 à 106 procurent aux demandeurs un moyen de faire régler rapidement et directement par l’administrateur les demandes en recouvrement de créance. C’est ce qu’illustre le paragraphe 105(3), qui limite les facteurs que l’administrateur peut prendre en considération au moment de faire enquête sur une demande visée au paragraphe 103(1) et de l’évaluer. Ce contexte et l’objet du régime de « premier recours » sont pertinents pour ce qui est de savoir si le paragraphe 103(2) fait partie intégrante ou non du paragraphe 103(1).

[56] À cet égard, il convient de signaler que l’enquête et l’évaluation qu’effectue l’administrateur sont la première mesure procédurale qui est prise à la réception d’une demande en recouvrement de créance. Cependant, rien n’est dit explicitement aux articles 103 à 106 quant à la façon de savoir comment et quand les délais de prescription visés au paragraphe 103(2) doivent être évalués dans le cas d’une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1). Le seul lien qu’il y a avec les délais de prescription est la référence au paragraphe 103(1) qui est faite à l’alinéa 105(3)a). Il n’existe non plus aucun pouvoir explicite par lequel l’administrateur peut rejeter ou par ailleurs invalider une demande en recouvrement de créance parce que celle-ci a été présentée après l’expiration d’un délai de prescription. Le régime ne contient pas non plus de disposition qui donne à penser qu’une demande en recouvrement de créance présentée après l’expiration d’un délai de prescription devrait être réglée par un processus autre que celui de son rejet après enquête et évaluation de la part de l’administrateur.

[57] En outre, il semble évident que, dans bien des cas, pour pouvoir déterminer lequel des délais de prescription s’applique (celui visé à l’alinéa 103a) ou celui visé à l’alinéa b)) et si une demande en recouvrement de créance se situe à l’intérieur de ce délai de prescription, l’administrateur peut être tenu de recevoir, de prendre en considération et de soupeser des éléments de preuve dans le but de déterminer s’il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et, dans l’affirmative, à quel moment.

[58] Tout cela donne à penser que la décision de l’administrateur à propos du fait de savoir si une demande en recouvrement de créance se situe en dehors d’un délai de prescription doit être prise lorsqu’il « enquête sur la créance et l’évalue », et non en dehors de ce processus.

[59] En considérant les choses sous un angle différent, si une simple lecture du paragraphe 106(2) n’inclut pas un droit d’appel contre l’application d’un délai de prescription parce qu’il ne s’agit pas d’une question mentionnée au paragraphe 105(3), cela doit donc vouloir dire aussi que l’administrateur n’est pas habilité, de par le paragraphe 105(3), à se prononcer sur l’application d’un délai de prescription à l’étape de l’enquête sur une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1) et de son évaluation. En théorie, cela pourrait sous‑entendre que l’administrateur aurait à considérer que le délai de prescription fait partie d’une sorte de processus d’examen préalable à l’enquête, à l’issue duquel il conclurait que la demande n’est pas admissible. sans la « rejeter ».

[60] Dans ce cas, une décision fondée sur le délai de prescription ne déclencherait pas la réparation – le droit d’appel – qu’offre le paragraphe 106(2), ce qui éviterait certaines des préoccupations que l’administrateur a formulées, telles qu’une multiplicité d’instances soumises à des normes de contrôle différentes, car il n’aurait pas à se prononcer sur le bien‑fondé de la demande, et cela permettrait au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision sans avoir à interjeter l’appel prévu au paragraphe 106(2). Cependant, comme je l’ai signalé plus tôt, on ne sait pas trop comment l’administrateur pourrait se prononcer sur le délai de prescription applicable sans avoir reçu et examiné des éléments de preuve portant sur la question de savoir s’il y a eu un rejet d’hydrocarbures et, dans l’affirmative, à quel moment, sans recourir aux pouvoirs d’enquête et d’évaluation que prévoient les paragraphes 105(1) et 105(2). Il n’y a rien non plus dans le régime de « premier recours » ou, sinon, à la partie 7 de la LRM qui autorise un tel processus.

[61] L’argument qu’invoque l’administrateur au sujet de l’évolution historique du régime me convainc quelque peu aussi. La disposition relative aux « demandes en recouvrement de créance » (aujourd’hui le paragraphe 103(1)) figurait auparavant dans la même disposition que celle des « délais de prescription » (le paragraphe 103(2)) – et les deux se trouvaient au paragraphe 710(1) de la LMMC. La version antérieure du paragraphe 105(3) se trouvait au paragraphe 710(4) de la LMMC, qui indiquait : « si la créance est couverte par le paragraphe (1) ». La disposition en matière d’appel, le paragraphe 711(2), autorisait la Cour à ne prendre en considération « que les éléments mentionnés aux alinéas 710(4)a) et b) » – cela incluait « la créance […] couverte par le paragraphe (1) », ce qui incluait le fait de savoir si la créance se situait à l’intérieur du délai de prescription. Vu le contexte dans lequel s’inscrit le régime de « premier recours », ainsi que l’absence de toute indication d’une intention de la part du législateur de dissocier le délai de prescription des éléments que l’administrateur peut prendre en considération selon le paragraphe 105(3), et de restreindre de ce fait le droit d’appel, les éléments qui précèdent étayent une interprétation des articles 103 à 106 qui maintient la cohérence avec la version antérieure du régime.

[62] Compte tenu de ce qui précède, et en gardant à l’esprit qu’une interprétation d’une disposition législative doit être faite selon une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la LRM dans son ensemble, je souscris en principe à l’argument de l’administrateur, à savoir que les dispositions en matière de délai de prescription du paragraphe 103(2) devraient être considérées comme « modifiant » le paragraphe 103(1) – c’est‑à‑dire modifiant le moment où les pertes mentionnées au paragraphe 103(1) donnent droit à une indemnisation, et le moment où elles débordent le cadre des demandes en recouvrement de créance présentées en vertu du paragraphe 103(1). Je dirais toutefois les choses autrement. Étant donné que les « faits » dont il est question au paragraphe 106(2) comprennent l’enquête et l’évaluation (qu’effectue l’administrateur) au sujet du facteur indiqué à l’alinéa 105(3)a) – si la créance est visée par le paragraphe 103(1), par nécessité pratique, cela doit également inclure une évaluation des délais de prescription visés au paragraphe 103(2) qui s’appliquent à la demande en recouvrement de créance fondée sur le paragraphe 103(1). Si ce n’était pas le cas, le paragraphe 103(2) serait, en fait, une disposition orpheline. (Voir ATCO Gas & Pipeline Ltd c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4 aux para 51, 73; Montréal (Ville) c 2952‑1355 Québec Inc, 2005 CSC 62 au para 34; (p 291‑293.)

[63] Je suis donc d’accord avec l’administrateur que la bonne manière d’interpréter le paragraphe 103(2) est la suivante : il considère que le délai de prescription fait partie de la demande en recouvrement de créance. Selon cette interprétation, les délais de prescription visés au paragraphe 103(2) entrent dans les limites des pouvoirs que le paragraphe 105(3) confère à l’administrateur et, de ce fait, dans les limites de l’examen que la Cour peut effectuer en vertu du paragraphe 106(2).

[64] Je conclus donc que les affaires dont il est question en l’espèce devraient être entendues sous la forme d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 106(2) de la LRM.

La question no 2 : La norme de contrôle applicable

La position du Canada

[65] Le Canada soutient que, si elles sont considérées comme une demande de contrôle judiciaire, toutes les questions soumises à la Cour ont trait au fond de la décision de l’administrateur, et elles devraient être contrôlées selon la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (citant l’arrêt Vavilov, aux para 16, 23‑32). Toutefois, si les affaires sont entendues par voie d’appel, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont évaluées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit (y compris les questions d’interprétation législative et la portée des pouvoirs d’un décideur) sont évaluées selon la norme de la décision correcte (citant l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 19, 26‑37 [Housen]). Le Canada soutient que l’application de l’article 103 à une série de faits est une question mixte de fait et de droit. Cependant, les conclusions de l’administrateur ont été « entachées ou viciées » par une formulation erronée du critère juridique – une compréhension erronée de la norme à appliquer pour décider « s’il y a eu » des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou pas. Cela étant, le fait que l’administrateur se fonde sur cette norme est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (citant Housen, aux para 33‑35).

La position de l’administrateur

[66] L’administrateur souscrit à la manière dont le Canada énonce la question de fond dans ses observations : l’administrateur a-t-il conclu à juste titre que la GCC avait excédé le délai prescrit pour présenter une demande en recouvrement de créance, aux termes du paragraphe 103(2) de la LRM, pour l’un ou l’autre des deux navires, ou les deux? Cependant, fait-il valoir, l’argument écrit du Canada soulève d’autres questions, que l’administrateur mentionne, et il ajoute qu’il s’agit de questions de droit ou de questions mixtes de fait et de droit auxquelles c’est la norme de la décision correcte qui s’applique dans le cas d’un appel ou la norme de la décision raisonnable dans le cas d’un contrôle judiciaire. L’administrateur ajoute également que la contestation du Canada se transforme en une contestation de la conclusion qu’il y a eu un rejet d’hydrocarbures, ce qui est une conclusion de fait, et elle devrait être contrôlée en tant que telle.

Analyse

[67] Comme j’ai conclu que les présentes affaires devraient être entendues sous la forme d’appels prévus par la loi, ce sont les normes de contrôle en matière d’appel qui s’appliquent.

[68] Si le législateur a prévu un mécanisme d’appel contre une décision administrative d’une cour de justice, cela dénote son intention que ce sont les normes en matière d’appel qui s’appliquent lorsqu’une cour de justice contrôle la décision (arrêt Vavilov, au para 17). « Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière » (Vavilov, au para 37). Dans le cas d’un appel, les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, et les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit, en l’absence d’un principe juridique isolable, sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante (Housen, aux para 10, 19, 26‑37; Vavilov, au para 37).

Question no 3 : L’administrateur a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que les délais de prescription prévus à l’alinéa 103(2)a) s’appliquaient et que la GCC avait dépassé le délai prescrit pour présenter une demande en recouvrement de créance en vertu du paragraphe 103(1)?

La position du Canada

[69] Le Canada structure ses arguments dans le contexte des principes d’interprétation législative. Il dit contester précisément la manière dont l’administrateur a interprété et appliqué les mots « se sont produits », à l’alinéa 103(2)a) de la LRM. Il ajoute que le sens ordinaire des mots « se sont produits » n’implique pas que l’on se lance en conjectures ou que l’on soupèse des probabilités quant à ce qui peut s’être produit : un événement a eu lieu, ou pas (ou il est impossible de le dire). À sa simple lecture, l’alinéa 103(2)a) fait référence à des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures qui se sont produits de façon réelle ou démontrable et non à ce qui aurait pu se produire ou ce qui s’est probablement produit du point de vue de l’administrateur. La norme, ou le fondement de preuve, qui est nécessaire pour déterminer si un événement – des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures – s’est produit doit être ancrée dans la preuve réelle qui a été soumise à l’administrateur, et non dans des présomptions, des probabilités ou dans quelque chose d’assimilable à la connaissance d’office. Le Canada soutient qu’une exigence de « preuve réelle » étaye les objectifs de la LMR ainsi que l’objet des délais de prescription, tant de manière générale que par rapport aux dispositions de la LRM qui sont liées à la Caisse d’indemnisation.

[70] Le Canada est d’avis que l’objet des délais de prescription étaye en outre, de manière plus générale, une interprétation des mots « se sont produits » qui milite en faveur d’exiger une « preuve réelle ». Les prescriptions exigent que la date à compter de laquelle court un délai de prescription est fondamentalement connaissable, que la créance ait été découverte par un éventuel demandeur ou non (faisant référence à Cholmondeley (Marquis) c Clinton (Lord) (1820), 2 Jac & W 1, 37 ER 527 (Ch); et M(K) c M(H), [1992] 3 RCS 6 au para 24, ACS no 85). Cependant, la manière dont l’administrateur interprète l’alinéa 103(2)a) signifie que la date à laquelle le délai de prescription commence à courir sera souvent impossible à connaître pour les demandeurs et l’administrateur, ce qui vicie les objets de la prescription.

[71] En outre, le Canada soutient que l’interprétation que fait l’administrateur mènerait également à des conséquences absurdes, rendant théorique, en pratique, le délai de prescription de cinq ans dans un large éventail de situations, et faisant ainsi échec au choix du législateur d’offrir un délai de prescription plus long pour les demandes fondées sur des mesures prises par anticipation. Il ajoute que selon son interprétation des mots « se sont produits » – une interprétation qui exige une preuve réelle des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures – s’il n’y a aucune preuve de ces dommages, il s’ensuit que l’alinéa 103(2)a) ne s’applique pas et que l’on peut se fonder sur l’alinéa 103(2)b). Par contraste, l’administrateur considère que les mots « se sont produits » exigent seulement que l’on fasse des conjectures sur ce qui s’est produit et il infère ensuite que là où il y a un risque observé, il y a vraisemblablement déjà des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ce qui lui permet de contourner le délai de prescription de cinq ans.

[72] Le Canada soutient que le libellé de la LRM et celui de la LMMC concordent. La LRM fait mention de « l’événement » à l’égard duquel « des dommages [dus à la pollution par les hydrocarbures] ont été prévus ». Le mot « prévus » reflète l’article 180 de la LMMC, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un navire « risque » de rejeter un polluant. Le délai de prescription court à partir du moment où un fait est survenu ou a été observé qui a amené le ministre à avoir des motifs raisonnables de croire qu’il y a un « risque » de rejet. Ce qui importe c’est ce que croit le ministre, et non l’administrateur. Dans les situations qui mettent en cause la GCC, le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)b) commence à courir à partir du moment où la GCC détermine qu’elle devrait agir, conformément à l’article 180 de la LMMC.

[73] Le Canada soutient que la question de savoir si des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits est une distinction importante dans la LRM et qu’il s’agit d’une conclusion qu’il faut tirer sur le fondement d’une « preuve réelle », plutôt que sur celui de la décision subjective de l’administrateur.

La position de l’administrateur

[74] L’administrateur rejette ce qu’il qualifie d’efforts exhaustifs de la part du Canada pour déformer le sens des mots « se sont produits », de telle sorte qu’ils deviennent quelque chose d’autre qu’un synonyme du mot « survenus ». Il traite toutefois de certains des points que soulève le Canada. Il fait valoir qu’il a appliqué la bonne norme de preuve pour déterminer quel délai de prescription s’applique. C’est‑à‑dire qu’il a déterminé si des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits selon la prépondérance des probabilités, ce qui est la seule norme qui s’applique en matière civile (citant FH c McDougall, 2008 CSC 53 [McDougall]). Il dit s‘être fié à une preuve indirecte ou circonstancielle pour inférer qu’il s’était produit un rejet d’hydrocarbures dans les deux cas. Il était approprié d’inférer qu’un rejet s’était produit sur le fondement de cette preuve, et les observations du Canada selon lequel il n’existait pas de « preuve réelle » sont inexactes.

[75] L’administrateur soutient également que les cours de justice appliquent régulièrement des délais de prescription sans indiquer avec précision à quel moment ils ont commencé à courir (faisant référence à Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 aux para 127, 129 [Wewaykum]; Deng c Canada, 2019 CAF 312 au para 31 [Deng]). La pratique consistant à fixer la date la plus tardive possible à laquelle se produit un événement crucial est établie de longue date et logiquement sensée.

[76] L’administrateur est d’avis que le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)a) s’applique même quand le demandeur ignore à quel moment les dommages se sont produits. Il rejette l’argument du Canada selon lequel le délai de prescription qui s’applique aux mesures prises par anticipation ne commence pas à courir avant que le ministre décide qu’il y a un risque qu’un navire puisse rejeter des hydrocarbures. Il signale que l’argument du Canada selon lequel un délai de prescription ne devrait pas s’appliquer avant que le ministre croie que le navire en question risquait de causer des dommages dus à la pollution a été rejeté par notre Cour dans la décision Canada c JD Irving, [1999] 2 CF 346 [Irving Whale]. Même si cette décision avait trait à des dispositions de la LMMC qui, depuis lors, ont été déplacées vers la LRM sous forme modifiée, le raisonnement exposé dans la décision Irving Whale demeure valable en droit et il est logiquement censé.

Analyse

[77] Avant d’entreprendre cette analyse, je signale que le Canada convient avec l’administrateur que, pour l’application de la LRM, dans la mesure où les « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » peuvent comporter un seuil de rejet d’hydrocarbures, ce seuil est fort peu exigeant. Le Canada ne laisse pas entendre que dans les affaires dont il est question en l’espèce il y a eu quelques rejets et que ces rejets étaient trop peu importants pour être considérés comme des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ». Le Canada est plutôt d’avis que, dans les deux affaires dont il est question en l’espèce, il n’y a eu aucun rejet.

[78] Je reproduis ici le texte du paragraphe 103(2) de la LRM, par souci de commodité :

103 (2) Sous réserve du pouvoir donné à la Cour d’amirauté à l’alinéa 111a), la demande en recouvrement de créance doit être faite :

a) s’il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans les deux ans suivant la date où ces dommages se sont produits et dans les cinq ans suivant l’événement qui les a causés;

b) sinon, dans les cinq ans suivant l’événement à l’égard duquel des dommages ont été prévus.

[79] À mon avis, pour les motifs qui suivent, il est évident que la distinction entre l’application de l’un ou l’autre des deux délais de prescription que prévoit le paragraphe 103(2) est de nature purement factuelle. C’est‑à‑dire, tout simplement, des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont-ils produits ou pas? En l’espèce, les parties conviennent que si des hydrocarbures sont entrés dans l’eau, on peut donc présumer que cela a causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. De ce fait, la question de savoir si de la pollution par les hydrocarbures est entrée dans le milieu marin est une conclusion factuelle qu’il revient à l’administrateur de tirer. C’est la réponse à cette question qui dictera lequel des deux délais de prescription visés au paragraphe 103(2) s’applique.

[80] Pour cette raison, il n’est pas nécessaire de se lancer dans une interprétation législative des mots « se sont produits » qui figurent à l’alinéa 103(2)b), comme le soutient la GCC. Cependant, je vais examiner certains des points qui découlent de l’analyse d’interprétation législative qu’a faite le Canada ou qu’il a soulevés. Le point le plus important est la norme de preuve que l’administrateur est en droit d’utiliser pour décider s’il s’est produit un rejet de pollution par les hydrocarbures.

i. La norme de preuve applicable

[81] Il est évident que l’argument d’interprétation qu’invoque le Canada, considéré globalement, est en fait un argument au sujet de la norme de preuve que l’administrateur doit appliquer. Cela se reflète dans la position du Canada selon laquelle, d’après son interprétation des mots « se sont produits » – une interprétation qui requiert une « preuve réelle » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, s’il n’existe aucune « preuve réelle » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, il s’ensuit que l’alinéa 103(2)a) ne s’applique pas et que l’on peut se fonder sur l’alinéa 103(2)b). Le Canada affirme que l’administrateur doit uniquement se fonder sur des éléments de preuve directs (déclarations ou observations de témoins) pour tirer des conclusions de fait quant à la question de savoir s’il y a eu un rejet d’hydrocarbures. Le Canada rejette les conclusions de fait qui reposent sur d’autres éléments de preuve, les considérant comme conjecturales, et il affirme que l’administrateur ne peut pas se servir de ces autres éléments de preuve pour tirer une conclusion fondée sur le paragraphe 103(2).

[82] Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’administrateur est autorisé et tenu par le paragraphe 105(1) de la LRM de faire enquête sur les créances visées par le paragraphe 103(1) et de les évaluer, ainsi que de déterminer quelle partie d’entre elles est établie. La partie 7 de la LRM, et plus précisément le régime de « premier recours » que prévoient les articles 103 à 106, à l’instar d’autres régimes administratifs, sert à « conf[érer] au décideur administratif les pouvoirs nécessaires pour constater les faits, appliquer les règles de droit et rendre une décision » (Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 au para 5; Canada (Procureur général) c Kattenburg, 2021 CAF 86 au para 17; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 17; Hoang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1133 au para 12; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 au para 17).

[83] Je conviens avec l’administrateur que lorsqu’il a pour tâche de tirer des conclusions de fait, ainsi qu’il est tenu de le faire pour décider si la demande en recouvrement de créance s’applique aux pertes, aux dommages ou aux frais visés au paragraphe 103(1), et cela inclut le choix du délai de prescription qui s’applique conformément au paragraphe 103(2), il se doit de le faire selon la prépondérance des probabilités. Dans l’arrêt McDougall, la Cour suprême du Canada a conclu que la prépondérance des probabilités est la seule norme de preuve qui s’applique dans les instances civiles (au para 40). La Cour a ensuite fait référence à la tâche qui incombe au juge lorsque celui‑ci tire des conclusions de fait :

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[…]

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[Non souligné dans l’original.]

[84] Il est également bien établi que la norme de preuve de la prépondérance des probabilités s’applique également aux décisions administratives qui sont de nature civile, à moins qu’une disposition législative n’indique le contraire (Donald J M Brown & John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, Thomson Reuters Canada, 2022), à § 12:7; Sara Blake, Administrative Law in Canada, 7e éd. (Canada, LexisNexis), à § 2.16; AFPC c Société canadienne des postes, 2011 CSC 57 au para 1, souscrivant sans réserve aux motifs dissidents du juge Evans dans AFPC c Société canadienne des postes, 2010 CAF 56 au para 205; Stetler c Ontario (Agriculture, Food & Rural Affairs Appeal Tribunal, [2005] OJ No 2817, 141 ACWS (3d) 157 (CA Ont.) au para 79; Pacasum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 822 au para 22).

[85] Même dans une instance non contradictoire, comme la détermination d’une demande en recouvrement de créance présentée en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM, il faut quand même évaluer la preuve. C’est ce que démontre le paragraphe 105(1), qui exige que l’administrateur enquête sur la créance et l’évalue en prenant en considération les facteurs énoncés au paragraphe 105(3), ainsi qu’au paragraphe 105(2), qui confère à l’administrateur les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie 1 de la Loi sur les enquêtes, LRC, 1985, c I‑11 lorsqu’il fait enquête sur une créance et qu’il l’évalue. Si l’administrateur a évalué la preuve et s’il conclut qu’un événement s’est produit « selon toute vraisemblance », il devrait tirer une conclusion de fait à cet égard.

[86] En plus d’évaluer la preuve pour déterminer ce qu’elle établit directement, l’administrateur, à titre de décideur administratif, est également en droit de tirer des inférences de fait à partir de la preuve qui lui est soumise. Ces inférences doivent être raisonnables et logiques – tirées de faits admis par le décideur et formulées en appliquant un processus de raisonnement inductif. Les faits qui servent de fondement à l’inférence doivent être établis par une preuve, et non des conjectures (Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc., 2017 CF 526 au para 22; K.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78 au para 61). Dans la décision Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 [Magonza], dans le contexte d’une analyse du concept du caractère suffisant de la preuve, le juge Grammond a traité du fait de s’en remettre à une preuve indirecte ou circonstancielle :

[32] Le dernier concept que je désire analyser est celui de « suffisance » de la preuve. Le recours à ce concept, en particulier s’il signifie qu’il faut plusieurs éléments de preuve pour prouver un fait, peut être surprenant. Après tout, la loi n’exige pas que les faits soient prouvés par plus d’un témoin. Si un contrat est produit en preuve ou si un témoin déclare sous serment qu’il a vu l’accusé décharger une arme à feu sur la victime, ces faits sont prouvés. Mais il s’agit de cas de preuve directe. Par contre, lorsque la preuve est indirecte ou circonstancielle, le juge des faits doit s’en remettre à des inférences, soupeser chaque élément de preuve et décider si le poids cumulatif de l’ensemble de la preuve est suffisant pour justifier une conclusion selon laquelle le fait en litige existe bel et bien.

[Non souligné dans l’original.]

[87] Et, comme l’a écrit la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt R c McIvor, 2021 MBCA 55 :

[traduction]

[19] Il incombe au juge du procès d’établir des conclusions de fait et, à partir de ces faits, de tirer des inférences de fait. Comme le rôle des cours d’appel ne consiste pas à instruire à nouveau des affaires, ces conclusions ou ces inférences de fait ont droit à la déférence en appel et « ne doivent pas être modifiées [en appel] à moins qu’il ne soit établi que le juge du procès a commis une ‘erreur manifeste et dominante’ » (voir Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, au para 10; voir aussi le para 25; HL c Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, au para 74; et R c Clark, 2005 CSC 2, au para 9).

[Non souligné dans l’original.]

[88] Dans l’arrêt Housen, la Cour suprême du Canada a traité de la déférence qu’il convient d’accorder aux conclusions et aux inférences de nature factuelle que tirent les juges de première instance :

22 Deuxièmement, nous croyons en toute déférence qu’en faisant une distinction analytique entre les conclusions factuelles et les inférences factuelles, le passage précité pourrait amener les cours d’appel à soupeser la preuve à nouveau et sans raison. Bien que nous partagions l’opinion selon laquelle il est loisible à une cour d’appel de conclure qu’une inférence de fait tirée par le juge de première instance est manifestement erronée, nous tenons toutefois à faire la mise en garde suivante : lorsque des éléments de preuve étayent cette inférence, il sera difficile à une cour d’appel de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et déterminante. Comme nous l’avons dit précédemment, les tribunaux de première instance sont dans une position avantageuse pour apprécier et soupeser de vastes quantités d’éléments de preuve. Pour tirer une inférence factuelle, le juge de première instance doit passer les faits pertinents au crible, en apprécier la valeur probante et tirer une conclusion factuelle. En conséquence, lorsque cette conclusion est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance.

23 Nous rappelons qu’il n’appartient pas aux cours d’appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. Si aucune erreur manifeste et déterminante n’est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l’inférence du juge de première instance, ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui‑même est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d’appel n’est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n’est pas d’accord, lorsque ce désaccord résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion. Comme nous le verrons plus loin, nous estimons en toute déférence que constitue un exemple de ce genre d’intervention inadmissible à l’égard d’une inférence de fait la conclusion de notre collègue selon laquelle la juge de première instance a commis une erreur en prêtant à la municipalité la connaissance du danger dans la présente affaire.

[Souligné dans l’original, passages en italiques ajoutés.]

[89] Les tribunaux ont confirmé que cette approche vaut aussi pour les appels d’une décision d’un décideur administratif (Vavilov, au para 37; Moffat c Edmonton (City) Police Service, 2021 ABCA 183 au para 42; Yee c Chartered Professional Accountants of Alberta, 2020 ABCA 98 au para 29).

[90] Cette jurisprudence contraste avec les arguments du Canada, selon lesquels l’administrateur ne peut se fonder sur aucun élément de preuve et ne peut tirer aucune conclusion d’une preuve quelconque à moins qu’il s’agisse d’une « preuve réelle » – c’est‑à‑dire une observation directe d’un témoin qui étaye le fait en question. Au contraire, la jurisprudence confirme qu’une preuve indirecte ou circonstancielle peut légitimement étayer la formulation d’une inférence factuelle, que les cours de révision devraient traiter en général de la même façon qu’une conclusion factuelle directe (Housen, au para 22).

[91] Cela est particulièrement vrai, et particulièrement nécessaire, quand la preuve comporte des lacunes. Le Canada fait valoir que de telles lacunes rendent le fait ou l’événement en litige [TRADUCTION] « intrinsèquement inconnaissable », mais il incombe au décideur d’évaluer la preuve et d’arriver à une conclusion sur ce qui s’est réellement produit, « selon toute vraisemblance » (McDougall, aux para 46, 49; Magonza, au para 32). Certes, un décideur ne peut pas conjecturer sur ce qui s’est passé, mais il est en droit de faire des extrapolations ou des inférences à partir de faits connus pour déterminer qu’un événement connexe s’est produit. Ainsi, dans les affaires qui me sont soumises, même si l’on n’a peut‑être pas directement observé un rejet d’hydrocarbures, l’administrateur était en droit de prendre en compte d’autres éléments de preuve qu’il avait en main pour évaluer si, selon toute vraisemblance, des hydrocarbures avaient néanmoins été rejetés sans qu’on les ait observés.

[92] C’est donc dire que l’administrateur a considéré avec raison que la prépondérance des probabilités était la norme de preuve à appliquer pour tirer ses conclusions factuelles. Il était également en droit de tirer des inférences de fait à partir des éléments de preuve qu’il avait en main, et il n’a pas commis d’erreur en abordant ces éléments de cette façon.

[93] Le Canada soutient qu’il n’y avait aucune [TRADUCTION] « preuve réelle » qui permettait à l’administrateur de tirer une conclusion factuelle quant à la question de savoir s’il s’était produit un rejet d’hydrocarbures, c’est‑à‑dire une observation directe d’un rejet, mais, comme nous le verrons plus loin, l’administrateur disposait d’autres éléments de preuve, comme des rapports d’inspection et le récit, fait par la GCC, des événements. L’administrateur était en droit de tirer des conclusions de fait et de formuler des inférences de fait à partir de ces éléments de preuve. De telles inférences peuvent être déterminantes.

ii. L’article 180 de la LMMC

[94] Le Canada fait valoir que dans les situations qui comportent la prise de mesures visant à prévenir des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures [TRADUCTION] « il y a forcément une date de début bien claire : celle à laquelle la partie prenant les mesures anticipées avait des motifs raisonnables de croire qu’il lui fallait agir » et que le délai de prescription commence à courir lorsqu’il s’est produit – ou que l’on a observé – un fait qui a amené le ministre à croire raisonnablement qu’il pouvait y avoir un rejet. Le Canada ajoute que c’est ce que croit le ministre qui est important, pas ce que croit l’administrateur, et que cette interprétation de l’alinéa 103(2)b) est illustrée par l’article 180 de la LMMC.

[95] Je ne souscris pas à l’argument du Canada.

[96] Premièrement, le paragraphe 103(2) ne dit rien à propos de ce que croyait le demandeur au moment où il a subi des pertes ou des dommages ou engagé des frais pour lesquels il souhaite obtenir une indemnisation en vertu du paragraphe 103(1).

[97] Deuxièmement, le paragraphe 103(2) doit être considéré dans son contexte. Ce contexte est le suivant : les demandes présentées par une « personne » qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé les frais mentionnés à cause de dommages – réels ou prévus – dus à la pollution par des hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais, comme il est indiqué au paragraphe 103(1). L’administrateur qui reçoit une demande fondée sur l’article 103 est tenu de faire enquête sur la créance et de l’évaluer, ainsi que de faire une offre d’indemnité au demandeur pour la partie de sa demande qu’il juge recevable, après avoir pris en considération les facteurs énoncés (para 105(1) et (3)). Comme je l’ai conclu plus tôt, la détermination d’un délai de prescription en vertu du paragraphe 103(2) doit être considérée par l’administrateur comme faisant partie d’une demande fondée sur le paragraphe 103(1). Autrement dit, le rôle de l’administrateur consiste en partie à évaluer quel délai de prescription s’applique (en déterminant s’il s’est produit des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) et si une demande se situe à l’intérieur ou à l’extérieur de ce délai de prescription.

[98] Troisièmement, comme l’indique le paragraphe 180(1) de la LMMC :

180 (1) Le ministre des Pêches et des Océans peut, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un bâtiment ou une installation de manutention d’hydrocarbures a rejeté, rejette ou risque de rejeter un polluant :

a) prendre les mesures qu’il estime nécessaires pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution, voire enlever ou détruire le bâtiment et son contenu, et disposer du bâtiment et de son contenu;

[…]

c) dans le cas où il l’estime nécessaire, ordonner à toute personne ou à tout bâtiment de prendre les mesures visées à l’alinéa a) ou de s’abstenir de les prendre.

[99] Le Canada soutient que l’alinéa 103(2)b) de la LRM renvoie à l’« événement » à l’égard duquel « des dommages [dus à la pollution par des hydrocarbures] ont été prévus ». De plus, le mot « prévus » reflète l’article 180 de la LMMC, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un navire « risque » de rejeter un polluant.

[100] Toutefois, le paragraphe 180(1) sert uniquement à conférer au ministre le pouvoir de prendre des mesures par anticipation ou d’ordonner à d’autres de le faire. Rien de plus. Il est exact de dire que si la GCC prend de telles mesures en se fondant sur ce que croit le ministre aux termes de l’article 180, elle peut demander d’être indemnisée par l’administrateur, en vertu du paragraphe 103(1), pour les pertes ou les dommages qu’elle a subis ou les frais qu’elle a engagés. Cependant, il n’existe aucun lien direct entre l’article 180 de la LMMC et le délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)b). Si le législateur avait voulu le faire, il aurait pu prévoir un délai de prescription précisément applicable aux demandes concernant les mesures prises par anticipation qui sont visées à l’article 180 de la LMMC. Subsidiairement, il aurait pu préciser que, advenant que le ministre décide, en vertu de l’article 180 de la LMMC, qu’il est nécessaire de prendre des mesures par anticipation, il s’ensuit que le délai de prescription plus long que prévoit l’alinéa 103(2)b) s’appliquera automatiquement – que l’on conclue en fin de compte qu’un rejet s’est produit ou non. Dans le même ordre d’idées, l’alinéa 103(2)b) ne contient pas une présomption selon laquelle les demandeurs qui prennent des mesures par anticipation seront présumés avoir prévenu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures – et peuvent de ce fait se fonder sur le délai de prescription plus long que prévoit l’alinéa 103(2)b) (contrairement, par exemple, au paragraphe 105(4), qui présume que l’événement faisant l’objet d’une demande en recouvrement de créance fondée sur le paragraphe 103(1) a été causé par un navire – sauf si l’administrateur est convaincu par la preuve que l’événement n’a pas été causé par un navire, auquel cas il peut rejeter la demande). Le législateur n’a toutefois pas décidé d’établir une telle disposition.

[101] Je ne suis pas non plus convaincue par l’argument du Canada selon lequel, quand on lit l’article 103 de la LRM et l’article 180 de la LMMC dans le contexte global du régime d’indemnisation qui s’applique aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, il est évident que le législateur entendait procurer au ministre plus de temps pour présenter une demande en recouvrement de créance lorsque des mesures étaient prises pour prévenir des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, remplissant ainsi les engagements pris par le Canada dans le cadre des conventions internationales applicables. En fait, l’alinéa 103(2)b) alloue davantage de temps – mais cette disposition ne s’applique que dans les cas où il n’y a pas eu de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

[102] Je conviens également avec l’administrateur que la décision Irving Whale est d’une certaine aide en l’espèce. En 1970, la barge Irving Whale a coulé, causant un grave incident de pollution par les hydrocarbures. La barge a continué de laisser fuir de petites quantités d’hydrocarbures de façon intermittente pendant les 26 années suivantes. En 1992, un rapport a recommandé la prise de mesures préventives immédiates, car il y avait un sérieux risque de rejet massif d’hydrocarbures. En 1996, la barge a été remise à flot, et l’action a été introduite l’année suivante. L’une des questions en litige dans cette action consistait à savoir si la demande en recouvrement de créance contre la CIDPHN était prescrite par l’alinéa 710(1)a) de la version de la LMMC qui était en vigueur à l’époque (le libellé du paragraphe 710(1) de la LMMC étant identique à celui du paragraphe 677(1) de la LMMC). Le paragraphe 677(1) de cette version de la LMMC est semblable au paragraphe 77(1) de la LRM, et le paragraphe 710(1) de cette version de la LMMC est semblable au régime qu’énonce l’article 103 de la LRM (art 103, 105 et 106). La Cour a conclu que son analyse concernant le paragraphe 667(1) s’appliquait de la même façon à son analyse concernant le paragraphe 710(1), relativement à la CIDPHN.

[103] Dans l’affaire Irving Whale, la position des défendeurs était que le paragraphe 677(10) prévoyait deux délais de prescription différents. Le premier, énoncé à l’alinéa 677(10)a), s’appliquait si des dommages dus à la pollution s’étaient produits : le délai de prescription était de trois ans à compter de la date des dommages et de six ans à compter de l’événement les ayant causés. Ils affirmaient qu’étant donné que des dommages dus à la pollution s’étaient incontestablement produits, toutes les demandes en recouvrement de créance étaient frappées de prescription en novembre 1973 au plus tard. En tout état de cause, même si l’on en venait à conclure que l’alinéa 677(10)a) était inapplicable, pour quelque raison que ce soit, l’alinéa 677(10)b) mettait en œuvre un délai de prescription de six ans qui courait à compter de la date de « l’événement ». Le mot « événement » à l’alinéa 677(10)b) avait le même sens qu’à l’alinéa 677(10)a), et la date déterminante était celle de l’événement qui avait causé ou aurait pu causer les dommages dus à la pollution, soit le naufrage.

[104] Dans la réponse qu’il a formulée dans Irving Whale, le Canada a présenté de nombreux arguments qui ressemblent à ceux qu’il me soumet maintenant. La Cour les a rejetés. Elle a conclu qu’il ne faisait aucun doute que le sens qu’avançaient les défendeurs – le paragraphe 677(10) prévoyait deux délais de prescription différents et, comme il y avait eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, l’alinéa 667(1)a) s’appliquait – était exact. Le paragraphe 667(1) portait sur les demandes en recouvrement de créance applicables aux dommages dus à la pollution et aux mesures préventives prises. Étant donné que les dommages dus à la pollution s’étaient produits au moment du naufrage de la barge Irving Whale, c’était l’alinéa 667(10)a) qui s’appliquait. Cependant, même si l’on présumait que c’était l’alinéa 667(10)b) qui s’appliquait, les deux emplois du mot « événement », à proximité immédiate l’un de l’autre dans le même paragraphe, devait avoir le même sens. Ce sens ne pouvait être qu’un événement qui cause ou est susceptible de causer des dommages dus à la pollution. La prise en considération du contexte plus général de l’historique des dispositions, dont l’adoption par le Canada de la Convention sur la responsabilité civile et de la Convention sur le Fonds de 1971, ainsi que l’établissement de la CIDPHN, n’a pas changé cette interprétation.

[105] Dans le contexte des circonstances de cette affaire, la Cour a également conclu que le déclenchement du délai de prescription dépendait du moment où l’événement était survenu, et non de ce que croyait le ministre :

[21] […] Si un délai de prescription différent devait s’appliquer à chaque mesure préventive que le ministre décide de prendre, à son entière discrétion, il n’existerait de fait absolument aucun délai de prescription. Le droit ne saurait admettre pareille solution. La bonne application du principe de la possibilité de découverte des dommages commande en l’espèce que le délai commence à courir au moment où le gouvernement a pris connaissance du fait que l’épave gisait au fond de la mer et que des hydrocarbures s’en étaient écoulés, s’en écoulaient encore et continueraient probablement de s’en écouler. Ce moment se situe en 1970.

[106] Je reconnais qu’il est tout à fait possible que quand le ministre – en se fondant sur les renseignements dont il dispose à ce moment‑là – décide en vertu du paragraphe 180(1) de la LMMC qu’il y a peut‑être un rejet et qu’il est nécessaire d’intervenir, il peut être déterminé par la suite qu’un rejet, en fait, s’est déjà produit. Par exemple, un navire qui se trouvait en péril a peut‑être déjà coulé ou rejeté des hydrocarbures. Cependant, dans un tel cas, la question de savoir quand ou si le ministre a cru subjectivement qu’un rejet pouvait avoir lieu n’est pas pertinente pour ce qui est de savoir quel délai de prescription s’applique. Cela est déterminé par la question factuelle de savoir si un rejet s’est produit ou pas.

[107] En résumé, je ne suis pas d’accord avec le Canada pour dire que, étant donné que l’article 180 de la LMMC permet au ministre d’ordonner que des mesures par anticipation soient prises s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a un risque de rejet d’un polluant, cette croyance sert à déclencher le délai de prescription visé à l’alinéa 103b). La distinction entre les deux délais de prescription ne repose pas sur les circonstances ou l’identité du demandeur; elle demeure factuelle – elle dépend de la question de savoir s’il s’est produit des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou non.

[108] À mon avis, l’administrateur a interprété correctement le paragraphe 103(2), c’est‑à‑dire que le délai de prescription que prévoit l’alinéa 103(2)a) s’applique lorsqu’il s’est produit des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures à l’égard desquels une demande en recouvrement de créance est présentée en vertu du paragraphe 103(1). Le délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)b) s’applique s’il n’y a pas eu de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et la demande en recouvrement de créance présentée en vertu du paragraphe 103(1) découle des mesures préventives qui sont prises en réponse à des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures que l’on anticipe. La détermination du délai de prescription exact qui s’applique est de nature purement factuelle et elle repose sur la question de savoir si des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits ou non. C’est l’administrateur qui procède à cette détermination.

iii. L’objet de la LRM et des délais de prescription, les présomptions en matière d’interprétation et des conséquences absurdes

[109] Le Canada a présenté de longues observations sur ces points, mais il est possible d’en traiter brièvement.

[110] Le Canada fait valoir que dans la mesure où il est parfois incertain de savoir si des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits sans qu’on les ait observés ou détectés avant la prise d’une mesure d’intervention, l’objet du régime d’indemnisation (le principe du pollueur‑payeur et les conventions internationales connexes) milite fortement, dans ces circonstances, en faveur de l’application de l’alinéa 103(2)b).

[111] Je ne suis pas convaincue que la manière dont l’administrateur interprète le paragraphe 103(2) – la détermination du délai de prescription qui s’applique est une conclusion de fait que l’on tire, selon la prépondérance des probabilités, en fonction du fait que des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits ou non – est contraire au principe du pollueur‑payeur ou aux conventions internationales applicables, dont des dispositions précises ont force de loi au Canada par le truchement de la LRM. Pas plus qu’il n’y a d’ambiguïté quant à la manière dont il faut interpréter les alinéas 103(2)a) et b), ce qui donne ainsi lieu à une présomption en faveur du fait que le Canada permette que sa demande suive son cours, comme le Canada le soutient.

[112] Les arguments par lesquels le Canada affirme que la démarche suivie par l’administrateur mènerait à des conséquences absurdes reposent sur la manière dont le Canada interprète les mots « se sont produits », lesquels exigeraient une « preuve réelle » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Dans ce contexte, d’après le Canada, s’il n’existe « aucune preuve » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, il s’ensuit que l’alinéa 103(2)a) ne s’applique pas et que l’alinéa 103(2)b) s’applique. J’examinerai ci-après cet aspect de l’argument qu’invoque le Canada, dans le contexte précis de chaque demande. Il suffit ici de dire que je ne souscris pas à l’affirmation du Canada selon laquelle l’administrateur considère que les mots « se sont produits » n’exigent que des conjectures sur ce qui s’est produit, sans observation ou détection, et qu’il soit inféré que s’il y a un risque observé, des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont vraisemblablement déjà produits. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’administrateur s’est servi du risque ayant causé les mesures prises par anticipation comme « preuve » que des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures s’étaient déjà produits – lui permettant ainsi de contourner le délai de prescription de cinq ans et de contrecarrer l’objet de l’alinéa 103(2)b), comme le soutient le Canada. Ce n’est pas la démarche que l’administrateur a suivie.

[113] Le Canada soutient également que le fait de transformer un risque de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en une probabilité de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures – en orientant l’analyse vers un délai de prescription de deux ans au moyen de conjectures sur ce qui a pu se produire – introduit des [TRADUCTION] « délais inconnaissables ». Le Canada admet que les situations qui comportent de « réels » dommages dus à la pollution par les hydrocarbures peuvent mettre en cause des dommages ou un événement qui sont difficiles à dater. Ces circonstances déclenchent le délai de prescription de deux ans ainsi qu’une analyse minutieuse de la part de l’administrateur en vue de déterminer la date exacte à laquelle débute le délai de prescription. Cependant, s’il n’existe « aucune preuve » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, mais que l’administrateur impose néanmoins de manière arbitraire une date à laquelle il est présumé que ces dommages ont probablement commencé, cela signifie que l’administrateur peut éviter d’avoir à indemniser les victimes en les obligeant à prouver qu’un rejet ne s’est pas produit.

[114] Là encore, cependant, la thèse du Canada repose sur son opinion selon laquelle l’administrateur ne pouvait prendre en considération qu’une preuve directe de l’observation des rejets d’hydrocarbures et qu’il ne pouvait pas tirer d’inférences factuelles à partir d’autres éléments de preuve dont il disposait. Cependant, comme je l’ai conclu plus tôt, le fait de savoir s’il y a eu un rejet d’hydrocarbures ou non est une question de fait à laquelle doit répondre l’administrateur pendant qu’il fait enquête sur la demande en recouvrement de créance et qu’il l’évalue. Le demandeur qui souhaite invoquer le délai de prescription de cinq ans doit fournir suffisamment d’éléments de preuve avec sa demande en recouvrement de créance pour convaincre l’administrateur que, selon toute vraisemblance, aucun rejet ne s’est produit. Sinon, il doit couvrir ses arrières en présentant une demande dans le délai plus court de deux ans que prévoit l’alinéa 103(2)a) pour être sûr qu’elle sera admissible.

[115] Enfin, pour ce qui est de la date de l’événement, l’administrateur peut être confronté à des observations ou à des preuves sporadiques, qui comportent d’importants écarts temporels. Dans ces circonstances, il est peut‑être impossible de déterminer avec exactitude à quel moment les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits. L’administrateur ne commet pas d’erreur en droit lorsqu’il détermine, à partir des éléments de preuve, qu’un moment particulier est un terminus ante quem : un moment avant lequel des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont vraisemblablement produits. Lorsque l’administrateur est convaincu selon la prépondérance des probabilités que les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont bel et bien produits, et ce, plus de deux ans avant la date de présentation de la demande en recouvrement de créance, cela suffit pour rejeter la demande en application de l’alinéa 103(2)b).

iv. L’évaluation des éléments de preuve et des décisions sur le fond

[116] Cela nous amène à la principale question qui est en litige en l’espèce, soit celle de savoir si l’administrateur a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que des rejets d’hydrocarbures s’étaient produits et, de ce fait, que l’alinéa 103(2)a) de la LRM s’appliquait et que les demandes présentées par la GCC en vertu du paragraphe 103(1) ne pouvaient pas donner droit à une indemnisation parce qu’elles avaient été présentées en dehors de ce délai de prescription.

La position du Canada

[117] Pour ce qui est du Miss Terri, le Canada reconnaît que, pour contester une décision de l’administrateur, on mettrait habituellement l’accent sur ses motifs définitifs. Cependant, soutient‑il, l’administrateur a rejeté les arguments invoqués par la GCC en réponse à son ébauche de motifs et il a tout simplement [TRADUCTION] « supprimé un certain nombre de paragraphes, de conclusions et de passages problématiques que la GCC avait remis en question ». Selon le Canada, les éléments retirés de l’ébauche de motifs éclairaient la décision de l’administrateur et ils doivent être pris en compte.

[118] Le Canada soutient que la conclusion la plus importante que l’administrateur a tirée est son admission que [TRADUCTION] « nulle part dans la preuve ou l’exposé circonstancié relève‑t‑on une observation explicite d’hydrocarbures présents dans l’eau venant du navire ». Selon le Canada, cela aurait dû mettre fin à l’analyse, car il n’existe aucune [TRADUCTION] « preuve réelle » de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, et, de ce fait, c’est le délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)b) qu’il aurait fallu appliquer. Le Canada fait valoir que, même selon la norme de la « probabilité », la preuve n’y satisfait pas. De plus, dans l’ébauche de motifs, pour surmonter l’absence de preuve réelle, l’administrateur a conçu un [TRADUCTION] « mécanisme de lavage » pour expliquer l’absence d’hydrocarbures observés dans l’eau. De plus, le fait de souscrire au raisonnement de l’administrateur quant à la date de déclenchement du délai de prescription voudrait dire que celui-ci aurait pu décider que [TRADUCTION] « le délai de prescription a commencé à courir à (ou « avant ») presque n’importe quelle date, voire de nombreuses années plus tôt ». Comme il n’y avait aucune preuve réelle de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, l’administrateur ne pouvait pas se fonder raisonnablement sur les dates imprécises, ou flottantes, d’éventuels événements pour rejeter les demandes en recouvrement de créance.

[119] Quant au Stelie II, le Canada soutient que l’administrateur a admis qu’il n’y avait aucune preuve directe de rejet d’hydrocarbures. À la lumière de la preuve digne de foi de la GCC qu’elle avait agi en prévision de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et qu’aucun rejet ne s’était produit, ce fait aurait dû, là encore, mettre fin à l’analyse et il aurait fallu appliquer le délai de prescription prévu à l’alinéa 103(2)b) pour faire droit à la demande en recouvrement de créance de la GCC. Au lieu de cela, l’administrateur s’est demandé s’il ne s’était peut‑être pas produit un rejet malgré la preuve de la GCC, qu’il a par ailleurs admise. Le Canada ajoute que si l’on retenait la démarche de l’administrateur [TRADUCTION] « le délai de prescription qui s’applique aux demandes en recouvrement de créance commence à courir à un moment inconnaissable, au gré des caprices de l’administrateur ».

[120] Le Canada rejette les conclusions que l’administrateur a tirées au sujet des contenants d’huile ouverts qui se trouvaient sur le pont parce qu’il ne décrit pas comment ces hydrocarbures finissent par se retrouver dans le port, plutôt que dans des compartiments fermés du navire, et parce qu’il n’y a aucune preuve qu’un déversement d’huile de ces contenants s’est réellement produit. Le Canada ajoute que même si l’administrateur semble avoir admis la preuve de la GCC, à savoir que le boyau d’aspiration avait été descendu à une profondeur suffisante dans le Stelie II pour ne pas rejeter les hydrocarbures qui flottaient à la surface de l’eau infiltrée, l’administrateur a fait montre d’une tendance évidente à se jeter sur n’importe quelle théorie qui mettrait en doute la version des faits de la GCC et à rejeter sa demande en recouvrement de créance. Plus précisément, étant donné qu’il a été découvert au moment de la déconstruction que la charpente du navire était généralement contaminée par des hydrocarbures, cette charpente aurait rejeté des hydrocarbures dans l’eau présente à bord du navire et cette eau aurait été rejetée par pompage dans le port.

[121] Le Canada fait valoir que même si la preuve a pu avoir [TRADUCTION] « semé un doute » quant à la question de savoir si un rejet s’était produit, cette preuve était bien loin d’établir qu’un rejet s’était effectivement produit. Dans de telles situations, l’objet de la LRM et ses délais de prescription exigeaient que l’alinéa 103(2)b) s’applique. Le Canada ajoute que la conclusion secondaire concernant le déversement probable de contenants d’huile ouverts n’a été présentée que pour [TRADUCTION] « renforcer » la position principale de l’administrateur à propos des opérations de pompage; cela dénote que celui-ci se souciait principalement de jeter un doute sur le récit des faits de la GCC et d’expliciter n’importe quelle théorie disponible pour rejeter la demande de la GCC. Il s’agit là de la position d’une partie adverse, ce qui ne cadre pas avec la nature et les objets de la CIDPHN. Le Canada soutient que l’administrateur insiste pour dire qu’à moins que l’on réfute chacune de ses théories au sujet d’éventuels rejets d’hydrocarbures, il faut présumer que ces derniers se sont produits, ce qui fait échec à l’objet de la CIDPHN et est indéfendable en droit. Selon le Canada, cette démarche est le signe d’une erreur susceptible de contrôle.

La position de l’administrateur

[122] L’administrateur fait valoir que la norme de la prépondérance des probabilités était celle qui convenait et qu’elle a été appliquée pour déterminer que des rejets d’hydrocarbures avaient [TRADUCTION] « probablement » ou [TRADUCTION] « vraisemblablement » été causés par les deux navires. Il a évalué correctement des éléments de preuve indirects ou circonstanciels et il s’est fondé sur ceux‑ci pour tirer des inférences factuelles; la conclusion générale selon laquelle il y a eu des rejets d’hydrocarbures était appropriée au vu de la preuve. Les conclusions que l’administrateur a tirées découlaient d’une appréciation des éléments de preuve fournis et des arguments avancés, y compris l’absence d’observations consignées de rejets d’hydrocarbures. Il fait valoir que le Canada n’est tout simplement pas d’accord avec la manière dont il a apprécié les questions en litige et les conclusions ultimes – mais que cela ne suffit pas pour invalider les décisions sous‑jacentes.

[123] En ce qui concerne le Miss Terri, les pompes de cale du navire fonctionnaient de manière excessive depuis des mois. Il y avait aussi d’abondantes preuves de contamination par les hydrocarbures dans des compartiments du navire qui se trouvaient sous le pont, ce qui aurait permis à de grandes quantités d’eau de pluie de s’infiltrer, et il a été constaté que les systèmes de cale dans ces compartiments étaient huileux. L’administrateur en a déduit que l’eau qui s’était infiltrée dans ces compartiments contaminés par temps de pluie avait été pompée par‑dessus bord par les pompes de cale, qui fonctionnaient souvent de façon à maintenir le navire à flot. L’administrateur soutient que, à défaut d’allégations de partialité ou d’inéquité procédurale, il n’y a pas lieu d’examiner ce qui sous‑tend les décisions portées en appel. Cependant, tout changement effectué entre l’ébauche de motifs et les motifs définitifs a été fait en réponse aux observations de la GCC selon lesquelles les conclusions factuelles devraient être fondées sur la preuve. Dans ce contexte, la suppression des passages contestés de l’ébauche de motifs reflète le fait qu’il n’y pas eu d’observations du Miss Terri au moment critique pour les besoins du délai de prescription (entre le 23 février 2018 et le 4 septembre 2018).

[124] Pour ce qui est du Stelie II, l’administrateur soutient qu’il a soupçonné que l’eau infiltrée avait été pompée directement depuis la salle des machines jusque dans le port. Il y avait peu d’éléments de preuve sur ce point, mais, lors d’échanges entre avocats, la GCC a admis que le soupçon était bien fondé. Il y avait donc une inférence évidente qu’un rejet d’hydrocarbures s’était produit, rejet que le Canada avait voulu réfuter en affirmant que l’on avait eu recours avec succès à diverses techniques pour prévenir tout rejet d’hydrocarbures. L’argument de la GCC, formulé sans preuve, n’a pas été retenu, et l’administrateur a conclu que le fait de rejeter dans le port, par pompage, de l’eau infiltrée avait causé aussi un rejet d’hydrocarbures.

Analyse

[125] Dans les affaires dont il est question en l’espèce, la prémisse sous‑jacente et fondamentale du Canada est que l’administrateur a interprété l’article 103 de la LRM de manière inexacte, car, pour conclure à une pollution par les hydrocarbures, il faut qu’il y ait une [TRADUCTION] « preuve réelle » qu’un événement est survenu. Comme je l’ai conclu plus tôt, la position du Canada selon laquelle l’administrateur ne peut prendre en considération qu’une preuve directe – une observation faite par un témoin – pour tirer une conclusion factuelle selon laquelle un rejet de pollution par les hydrocarbures s’est produit est mal fondée. De plus, l’administrateur a indiqué correctement la norme de preuve qui s’applique aux conclusions de fait ou aux inférences de fait comme étant celle de la prépondérance des probabilités.

[126] Il ne s’agit donc pas non plus d’une situation dans laquelle, comme le soutient le Canada, on peut dire que la qualification erronée d’un critère juridique a « entaché ou vicié » les conclusions de fait sous‑jacentes auxquelles s’applique un critère juridique et, de ce fait, il est possible de rejeter l’interprétation de la preuve dans son ensemble, à moins qu’il existe une erreur manifeste et dominante et que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (référence faite à Housen, aux para 33‑35; mais voir aussi Teal Cedar Products Ltd c Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, au para 43‑44).

Le Miss Terri

[127] À mon avis, l’administrateur n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que le Miss Terri avait probablement rejeté des hydrocarbures avant le 4 septembre 2018 et que, de ce fait, le délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)a) s’appliquait.

[128] L’administrateur a fait référence au Rapport d’inspection du Miss Terri, présenté par la GCC, pour arriver à la conclusion que, selon toute vraisemblance, un rejet, ou, fort probablement, de multiples rejets, s’étaient produits avant le 4 septembre 2018, parce que de l’eau de pluie s’était infiltrée dans le navire, elle avait été contaminée par des hydrocarbures et elle avait ensuite été pompée par‑dessus bord.

[129] La section du Rapport d’inspection du Miss Terri qui porte sur la coque et le rouf du navire indique notamment ce qui suit :

[traduction]

Le pont est constitué de planches de pin calfeutrées et recouvertes d’enduit. La majeure partie du composé servant d’enduit semble avoir disparu sur les planches et il y a de nombreux endroits où les planches du pont se ramollissent ou pourrissent activement.

[130] La section du Rapport d’inspection qui porte sur l’état interne et la machinerie du navire comporte la conclusion que l’espace réservé aux machines et les fonds du pont avant [TRADUCTION] « sont modérément pollués par des hydrocarbures ».

[131] Le Rapport comporte un sommaire :

[traduction]

Aspects importants de l’état :

1. Les planches situées du côté bâbord à la hauteur de la ligne de flottaison, ou juste au‑dessus, comportent d’importants endroits mous le long des joints de bordage et, dans certaines sections, il manque d’enduit et le calfeutrage est très lâche, de sorte que l’on peut facilement enfoncer un couteau ou un tournevis mince jusqu’à la profondeur des planches.

2. Le fonctionnement régulier des pompes de cale dans la soute arrière indique soit un état général de dégradation avancée des jointures et du calfeutrage situés sous l’eau, soit une zone où les planches sont endommagées.

3. La coque a possiblement été heurtée à l’extérieur du côté bâbord, en arrière du milieu, et cela a perturbé les planches et les membrures et rompu le revêtement intérieur des cales à poisson.

4. L’état des ponts extérieurs, tout autour du navire, permet à l’eau de pluie de s’infiltrer facilement, et en grandes quantités dans la coque.

5. Divers aspects de la tuyauterie des systèmes hydrauliques et de l’état du navire sont considérés comme se combinant, de telle sorte qu’une fuite dans n’importe lequel des compartiments habituellement étanches peut finir par inonder par reflux la totalité des compartiments; essentiellement, la coque est un grand espace de flottaison dans lequel il ne reste plus de séparations étanches à l’eau.

[…]

[132] L’administrateur a jugé que l’état du pont était important et il a fait référence à la conclusion tirée par l’inspecteur, reproduite ci‑dessus, à savoir que [TRADUCTION] « l’état des ponts extérieurs, tout autour du navire, permet à l’eau de pluie de s’infiltrer facilement, et en grandes quantités, dans la coque ». Il a également inclus des photographies du pont tirées du Rapport d’inspection et il a conclu qu’au vu de ces dernières les observations et les conclusions de l’inspecteur au sujet du pont du navire étaient [TRADUCTION] « vraisemblablement exactes ». À partir de cela, il a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, quand de la pluie était tombée sur le navire elle avait pénétré le pont et était entrée dans les compartiments situés sous ce dernier, d’un bout à l’autre du navire.

[133] L’administrateur a aussi fait remarquer que le Rapport d’inspection du Miss Terri indiquait que l’espace réservé aux machines et les fonds du pont avant étaient [TRADUCTION] « modérément pollués par des hydrocarbures » et que les photographies tirées du rapport montraient des fonds huileux dans les compartiments du moteur principal, du pont avant et de l’arrière du navire. Les photographies prises par Saltair pendant la déconstruction du navire montraient l’état dans lequel il se trouvait, dont la présence de contaminants huileux, de débris huileux et de bois saturé d’huile (toutes les photographies auxquelles il est fait référence sont incluses dans la décision de l’administrateur). S’appuyant sur ces informations, l’administrateur a admis que tant le compartiment machines que le compartiment avant étaient contaminés par des hydrocarbures, et que l’eau entrant en contact avec ces compartiments aurait elle aussi été contaminée. De plus, il a signalé qu’il n’y avait aucune preuve que l’état huileux du navire avait nettement changé entre le 23 février 2018 et la date de son inspection, soit le 18 septembre 2018.

[134] L’administrateur a signalé que quand l’équipe d’IE GCC est arrivée au port de Discovery le 23 février 2018, les pompes du navire fonctionnaient sans arrêt. La GCC a mis en place d’autres pompes à bord du navire. L’administrateur a reconnu qu’il n’avait aucune preuve directe quant à ce qui était arrivé au navire entre ce moment‑là et le mois de septembre 2018. Cependant, il avait déjà conclu que, selon toute vraisemblance, quand de la pluie tombait sur le navire elle s’infiltrait dans le pont, était contaminée par des hydrocarbures et était ensuite rejetée par les pompes situées sur la poupe du navire. L’administrateur a également admis qu’entre le 23 février et le 3 septembre 2018, des pluies abondantes seraient tombées à de multiples occasions à l’endroit où se trouvait le navire. De ce fait, selon toute vraisemblance, des rejets de pollution par les hydrocarbures se seraient produits de nombreuses fois avant septembre 2018.

[135] Il convient également de signaler que l’exposé circonstancié de la GCC, présenté à l’appui de sa demande en recouvrement de créance, signale que les pompes de cale du Miss Terri fonctionnaient sans arrêt le 23 février 2018 pour maintenir le navire à flot. Après que l’équipe d’IE GCC a mis en place d’autres pompes de cale, l’infiltration d’eau s’est poursuivie et il a été signalé que les pompes rejetaient de l’eau deux fois par jour, durant 30 minutes. La situation s’est dégradée à la longue et, le 11 septembre 2018, les pompes fonctionnaient toutes les heures, durant 30 minutes. Le 18 septembre 2018, les pompes fonctionnaient une fois de plus sans interruption pour rejeter l’eau infiltrée. L’administrateur a également fait remarquer qu’il y avait eu des chutes de pluie multiples et importantes entre le 23 février et le 3 septembre 2018. Le dossier n’indique pas clairement d’où provenait cette information, mais le Canada ne la conteste pas.

[136] L’administrateur a signalé qu’il n’y avait aucune preuve que l’état du navire, son aménagement ou son état huileux avait nettement changé après le 23 février 2018, quand les pompes de cale ont été mises en place, et le 18 septembre 2018, quand le navire a été inspecté par l’expert maritime. Autrement dit, l’administrateur était au courant que l’état dans lequel se trouvait le navire le 18 septembre 2018 n’était pas une preuve directe de l’état dans lequel il se trouvait avant le 4 septembre 2018 (deux ans avant que la GCC présente sa demande en recouvrement de créance).

[137] Quoi qu’il en soit, les informations qui précèdent sont toutes des éléments de preuve qui étayaient l’inférence de l’administrateur selon laquelle l’eau infiltrée par le pont dans les compartiments situés sous ce dernier aurait été contaminée par des hydrocarbures et ensuite pompée par‑dessus bord par les pompes de cale au moins une fois, et vraisemblablement à de multiples reprises, avant le 4 septembre 2018.

[138] Je signale que la réponse du Canada à l’ébauche de décision de l’administrateur ne conteste pas les conclusions du Rapport d’inspection du Miss Terri ou le fait que l’administrateur se soit fondé sur ces conclusions. Ses avocats ont plutôt exprimé l’avis que, lorsque l’état du navire a été évalué le 23 février 2018, cela n’a pas eu d’incidence sur les opérations de surveillance ou d’intervention parce que l’équipe d’IE GCC n’a pas considéré que le navire avait atteint le niveau de menace qu’illustrent les mots « pourrait rejeter », qui sont énoncés à l’article 180 de la LMMC. De plus, le Canada a fait remarquer que les mesures prises par la GCC à cette époque n’étaient pas une intervention, mais que, même si l’administrateur a pensé le contraire, vu qu’aucune pollution n’avait été observée à ce moment‑là, le délai de prescription de cinq ans (art 103(2)b)) devrait s’appliquer et commencer à courir le 23 février 2018. De plus, quand la situation a changé en septembre 2018, la GCC est intervenue et a pris des mesures pour atténuer le risque. Aucune pollution n’a été observée à ce moment‑là. Par conséquent, le délai de prescription de cinq ans devrait s’appliquer à partir du 18 septembre 2018. En bref, la position de la GCC était la suivante : étant donné qu’aucun dommage dû à la pollution par les hydrocarbures n’avait été observé, c’était le délai de prescription de cinq ans qui s’appliquait.

[139] Dans sa décision, l’administrateur a pris acte de la position de la GCC selon laquelle elle avait réagi à l’incident conformément aux critères d’évaluation de menace prévus par la LMMC, ainsi que de la position de la GCC selon laquelle il n’y avait aucune preuve qu’un rejet s’était produit. Il a déclaré que l’évaluation de menace faite par la GCC en vertu de la LMMC était compréhensible, mais il n’a pas convenu que ces critères avaient une incidence quelconque sur le moment où commençait à courir le délai de prescription. Il a de plus signalé que l’intervention de la GCC ne changeait pas les conclusions factuelles qu’il avait tirées à cet égard.

[140] Comme nous l’avons vu plus tôt, dans ses observations en l’espèce, le Canada se fonde principalement sur l’absence de [TRADUCTION] « preuve réelle » d’un rejet de pollution par les hydrocarbures, et il conteste l’application, par l’administrateur, de la norme de la prépondérance des probabilités, ainsi que le fait que ce dernier s’est fondé sur d’autres sources de preuve indirectes pour tirer des inférences de fait. Le Canada ne conteste pas le contenu du Rapport d’inspection du Miss Terri ou les autres éléments de preuve sur lesquels l’administrateur s’est fondé pour tirer ses inférences factuelles. En fait, le Canada [TRADUCTION] « convient que la preuve établit que le navire lui‑même était en mauvais état […] était contaminé par des hydrocarbures et risquait de couler », d’après les observations de l’équipe d’IE GCC et celles de l’expert maritime. Le Canada soutient que [TRADUCTION] « malgré la preuve évidente que la coque elle‑même était contaminée par des hydrocarbures, personne – et cela inclut le personnel de la GCC, divers directeurs de port, et les experts maritimes – n’a constaté la présence d’hydrocarbures dans l’eau ». De plus, même si le Canada met en doute la thèse du [TRADUCTION] « mécanisme de lavage » que l’administrateur a avancée dans l’ébauche de décision – [TRADUCTION] « pour surmonter le manque de preuve réelle » – cette thèse a été retirée de la décision définitive.

[141] Le Canada soutient également qu’entre le mois de février 2018 et la date à laquelle il a été retiré de l’eau, le navire a été observé de près par la GCC, par un directeur de port (du 23 février au 18 septembre 2018) ou par Saltair (du 18 septembre 2018 au 6 novembre 2018, date à laquelle le navire a été retiré de l’eau). Cependant, l’exposé circonstancié que la GCC a présenté à l’administrateur situe l’équipe d’IE GCC sur les lieux à deux dates seulement : le 23 février 2018 et, en lien avec une autre affaire, le 11 septembre 2018. Dans sa réponse à l’ébauche de motifs de l’administrateur, la GCC indique qu’elle n’a procédé à aucune opération de surveillance / intervention après le 23 février 2018, car, à ce moment‑là, le navire n’avait pas atteint le niveau de menace qu’illustrent les mots « peut rejeter ». La GCC n’a pas fourni d’autres informations ou éléments de preuve de la part du directeur du port qui décriraient sa surveillance du navire ou qui confirmeraient, par exemple, que le navire avait été observé tous les jours et qu’il n’y avait eu aucun rejet de pollution par les hydrocarbures venant du navire.

[142] La difficulté ici est que la GCC, en répondant à l’ébauche de motifs de l’administrateur, n’a pas fourni plus de renseignements pour confirmer que le navire avait été surveillé de près tous les jours et qu’aucun rejet ne s’était produit. La GCC n’a pas contesté non plus que de l’eau de pluie s’était infiltrée par le pont du navire dans les compartiments huileux situés en dessous de celui‑ci et que des pompes de cale, situées dans la poupe du navire, pompaient l’eau infiltrée par‑dessus bord. Malgré son expertise, la GCC n’a pas non plus expliqué en termes techniques pourquoi, dans cette circonstance, des hydrocarbures n’auraient pas été pompés par‑dessus bord. La position de la GCC est simplement la suivante : si personne n’a observé des hydrocarbures dans le milieu marin, il s’ensuit que l’administrateur ne peut pas prouver que cela s’est produit parce que celui-ci n’est pas en droit de tirer des inférences factuelles à partir des éléments de preuve dont il dispose. Comme nous l’avons vu plus tôt, je ne suis pas d’accord avec cette position.

[143] Enfin, bien que l’administrateur n’ait pas précisé la date à laquelle, selon toute vraisemblance, un rejet s’est produit, il ne faisait pas que conjecturer ou se fonder sur une date [TRADUCTION] « flottante » pour rejeter la demande en recouvrement de créance, comme l’affirme le Canada. Il n’avait pas besoin de tirer une conclusion précise sur le fait de savoir si le ou les rejets s’étaient produits le 3 septembre 2018 ou à une date antérieure, car cela était sans conséquence pour le succès de la demande en recouvrement de créance de la GCC et n’aurait pas eu d’incidence sur le résultat (Wewaykum, aux para 127, 129; Deng, au para 31). L’argument du Canada, à savoir que l’administrateur pouvait choisir n’importe quelle date antérieure arbitraire et dire qu’un rejet d’hydrocarbures s’était produit à ce moment‑là, est dénué de tout fondement. L’administrateur était tenu de fonder les conclusions de fait qu’il inférait quant au moment où le ou les rejets s’étaient produits sur les éléments de preuve dont il disposait, et il l’a effectivement fait.

[144] En conclusion, compte tenu de ce qui précède, il me « sera difficile » de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et déterminante (Housen, aux para 22‑23) dans la décision de l’administrateur. Celui‑ci a évalué et soupesé les éléments de preuve disponibles au sujet de l’état du navire et des conditions environnementales aux dates pertinentes pour déterminer s’il s’était produit un rejet ou non. Cela n’est pas se fonder sur des [TRADUCTION] « conjectures » ou sur une [TRADUCTION] « absence de preuve » – il s’agissait plutôt d’une inférence factuelle éclairée, qui reposait sur les éléments de preuve dont disposait l’administrateur, éléments que ne conteste pas le Canada. Il n’y avait aucune erreur susceptible de contrôle dans cette démarche et le Canada n’a pas établi que l’administrateur avait commis une erreur manifeste et dominante en inférant qu’un rejet de pollution par les hydrocarbures s’était produit avant le 4 septembre 2018.

Le Stelie II

[145] À mon avis, l’administrateur n’a pas commis non plus d’erreur manifeste et dominante en concluant, au sujet du Stelie II, qu’il y avait vraisemblablement eu un rejet d’hydrocarbures entre le 23 mars 2016 et le 26 mars 2016. Il a fait état de deux sources possibles de rejet : la première étant la possibilité de rejets dus aux contenants et aux plateaux d’huile ouverts sur le pont du navire, quand ce dernier avait gîté, avait dérivé à travers le bassin et avait heurté le quai situé du côté opposé, la seconde étant le rejet d’eau huileuse pendant l’opération d’assèchement exécutée les 25 et 26 mars 2016.

[146] Les renseignements concernant l’état du navire provenaient de l’exposé circonstancié que la GCC avait déposé à l’appui de sa demande en recouvrement de créance. Cet exposé indiquait que le Stelie II avait rompu ses amarres par grand vent, qu’il gîtait considérablement et qu’il était appuyé contre un quai adjacent. L’équipe d’IE GCC a eu accès au navire le 25 mars 2016 et a constaté une forte odeur de carburant diesel. La GCC a aussi signalé que la salle des machines était remplie aux trois quarts d’eau et que des [TRADUCTION] « polluants constitués d’huile lubrifiante, d’huile hydraulique, de carburant diesel et de débris étaient éparpillés partout. Il y avait des plateaux ouverts contenant de l’huile, des seaux d’huile […] et d’autres polluants […] clairement visibles […] ».

[147] L’administrateur a fait part de ses préoccupations à la GCC par un courriel que ses avocats ont envoyé aux avocats de la GCC, en faisant référence à l’exposé circonstancié de cette dernière. L’administrateur a signalé que, d’après l’exposé circonstancié, le navire gîtait sérieusement et qu’il y avait sur le pont des plateaux ouverts et des seaux d’huile. Il a déclaré que l’angle de gîte pouvait avoir causé le rejet dans l’eau d’une certaine quantité de ces hydrocarbures. De plus, en particulier, la documentation que la GCC a produite n’expliquait nullement ce qui avait été fait avec la quantité vraisemblablement considérable d’eau pompée hors du navire les 25 et 26 mars 2016. Sans preuve aucune montrant que cette eau contaminée avait été isolée et éliminée par des flux de traitement de déchets appropriés, il semblait vraisemblable qu’une partie de cette eau, sinon la totalité, s’était retrouvée dans les eaux du port. Un tel rejet d’eau huileuse aurait probablement causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, comme l’envisage la partie 7 de la LRM, déclenchant ainsi le délai de prescription de deux ans, qui aurait expiré à la fin de mars 2018. Les avocats de l’administrateur ont invité la GCC à fournir tous les documents pertinents ainsi que tous les commentaires qu’elle pourrait avoir en réponse à cette préoccupation.

[148] En réponse, les avocats de la GCC ont fait savoir que le boyau situé du côté aspiration de la pompe avait été mis en place dans le fond du navire de façon à en retirer l’eau de mer, mais non les hydrocarbures flottant à la surface et que, à aucun moment au cours du processus d’assèchement avait‑on observé des hydrocarbures ou de l’eau huileuse. De plus, ils ont fait savoir que la GCC n’avait pas observé de rejets depuis les plateaux ou les seaux ouverts et que, à sa connaissance, de tels rejets n’avaient pas eu lieu. Si cela avait été le cas, on l’aurait vu sur la glace blanche qui couvrait le port. Les avocats de la GCC ont indiqué que si l’administrateur avait en main une preuve de pollution dans le port au cours de son intervention, ils apprécieraient que cette preuve leur soit communiquée. De plus, les avocats de la GCC ont indiqué que leur cliente était d’avis que toute conclusion factuelle de l’administrateur devait être fondée sur les éléments de preuve présentés. La GCC n’a pas produit d’autres documents avec la réponse.

[149] L’administrateur a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’une partie des hydrocarbures observés dans des contenants ouverts sur le pont avaient fui. Cette conclusion reposait sur les informations selon lesquelles le navire avait essuyé un orage qui avait été suffisamment violent pour rompre ses câbles d’amarrage et pour le faire dériver latéralement à travers la glace, à environ 60 degrés, et heurter l’autre côté du bassin; le navire gîtait sérieusement, et les photographies au dossier ne montraient rien dans la configuration du navire qui aurait eu pour effet de maintenir les hydrocarbures présents dans les contenants ouverts sur le pont du navire. Autrement dit, si des hydrocarbures avaient été déversés des contenants à cause de l’orage et de la gîte, il n’y avait aucune preuve qu’il existait une contrainte physique empêchant les hydrocarbures d’être rejetés dans le port. L’administrateur a pris acte de la réponse de la GCC selon laquelle aucune des cinq photographies montrant le côté tribord du navire et la glace adjacente qui recouvrait le port ne semblait présenter des signes d’une fuite d’hydrocarbures, mais il a conclu que les photographies n’auraient pas montré la présence d’une tache quelconque, car elles avaient été prises à une certaine distance et tout rejet nouveau s’était peut‑être dispersé d’une certaine façon pendant l’orage. Quant à la réponse des avocats de la GCC selon laquelle un rejet aurait été visible sur la glace du port, l’administrateur a conclu que cela était difficile à concilier avec le fait que le Stelie II et la glace du port s’étaient déplacés. La glace recouvrant le port n’aurait pas été tout à fait contiguë pendant la période du 23 au 25 mars 2016, car le navire s’était déplacé à travers elle, sous l’impulsion du vent ou des vagues.

[150] Je signale que le Canada, dans ses observations devant moi, n’affirme pas qu’il est impossible que des hydrocarbures se soient échappés des contenants ouverts sur le pont pendant l’orage, ou à cause de la gîte. Il soutient plutôt que même si l’administrateur a fait remarquer que la configuration du navire n’excluait pas la possibilité d’un déversement, il ne [TRADUCTION] « décrit aucun mécanisme par lequel des hydrocarbures présents à bord du navire se retrouveraient dans le port, plutôt que dans des compartiments confinés du navire ». Pourtant, l’administrateur a averti la GCC de cette préoccupation et la GCC, dans sa réponse et à l’appui de sa demande en recouvrement de créance, n’a pas expliqué comment une fuite d’hydrocarbures sur le pont aurait trouvé son chemin dans un compartiment confiné plutôt qu’en passant, par exemple, par un dalot ou une autre ouverture située sur le pont et destinée à dégager l’eau présente sur le pont. La GCC n’a pas offert non plus d’autre raison pour laquelle il n’y aurait pas eu de déversement des hydrocarbures présents dans des contenants ouverts à cause de l’orage et de la gîte. À cet égard, je signale que l’une des photographies incluses dans la décision de l’administrateur montre un plateau ouvert et creux, qui contient apparemment de l’huile et qui est situé sur le pont incliné.

[151] Le Canada affirme plutôt que même si un déversement non exclu par la preuve peut susciter des doutes chez l’administrateur, cela ne change pas le fait qu’il n’y a aucune preuve que ce soit qu’un déversement, venant des contenants se trouvant sur le pont, [TRADUCTION] « s’est réellement produit ».

[152] Il incombait à la GCC d’étayer sa demande en recouvrement de créance. En l’espèce, l’administrateur a pris en considération la totalité des éléments de preuve concernant les contenants d’huile qui se trouvaient sur le pont et il a inféré, selon la prépondérance des probabilités, qu’une partie de cette huile avait fui. Il est fort possible que cela ait eu lieu avant que l’équipe d’IE GCC arrive sur les lieux et que les membres du personnel d’IE GCC n’aient pas vu le rejet – mais il est logique d’inférer, à partir de la preuve qu’il y avait sur le pont du navire des contenants d’huile ouverts, qu’il s’était déplacé pendant une tempête et qu’il avait gîté de manière considérable, qu’une partie de cette huile s’est retrouvée dans le milieu marin. Dans sa réponse à la préoccupation soulevée par l’administrateur, la GCC n’a nullement expliqué comment de l’huile déversée se retrouverait dans un compartiment confiné du navire, plutôt que dans le port.

[153] À mon avis, le Canada n’a pas établi que l’administrateur a commis une erreur manifeste et dominante en inférant, à partir des éléments de preuve dont il disposait, que, selon la prépondérance des probabilités, de l’huile aurait vraisemblablement été déversée de contenants ouverts se trouvant sur le pont du navire, à cause de l’orage ou de la forte gîte du navire, et qu’elle se serait retrouvée dans le milieu marin.

[154] Cela dit, l’inférence supplémentaire de l’administrateur, à savoir que le fait d’avoir pompé de l’eau se trouvant dans la salle des machines du Stelie II directement dans le port était susceptible d’avoir rejeté de l’huile, n’est pas claire.

[155] Pour arriver à cette conclusion, l’administrateur a fait référence aux éléments suivants : l’exposé circonstancié de la GCC, indiquant que [TRADUCTION] « la salle des machines était aux trois quarts pleine d’eau, et des polluants, constitués d’huile lubrifiante, d’huile hydraulique, de carburant diesel et de débris, étaient éparpillés partout »; le Rapport d’inspection du Stelie II indiquait qu’au moment de l’inspection, la cambuse, la salle des machines et la cale à poisson étaient toutes partiellement remplies de carburant et de liquides huileux, ce qui donnait à penser à l’administrateur que l’eau infiltrée se déplaçait librement entre les compartiments du navire, entraînant avec elle de la contamination par les hydrocarbures; la documentation que la GCC avait fournie, indiquant que de l’eau avait été pompée depuis la salle des machines du navire, où une bonne partie de ces machines étaient submergées et auraient rejeté des hydrocarbures; l’exposé circonstancié de la GCC et le Rapport d’inspection du Miss Stelie, faisant état de niveaux d’eau qui aurait submergé en grande partie les machines du navire et causé le suintement d’une certaine quantité d’huiles lubrifiantes; qu’il était évident qu’au moins une certaine quantité de carburant diesel s’était échappée des réservoirs du navire; et les photographies montrant que des matériaux sorbants avaient été utilisés pendant la déconstruction et que certaines des planches internes et des fonds du navire semblaient avoir été mazoutés. Compte tenu de ce qui précède, l’administrateur a conclu que l’eau présente dans la salle des machines devait être contaminée.

[156] L’administrateur a également pris acte de la réponse de la GCC, qui indique que, [TRADUCTION] « à aucun moment durant le processus d’assèchement a‑t‑on aperçu de l’huile ou de l’eau huileuse » et que, durant l’intervention, un [TRADUCTION] « certain nombre de résidents de l’endroit se trouvaient sur le quai, d’où ils observaient les opérations, et à aucun moment quelqu’un a‑t‑il vu de l’huile sur la glace dans le port ». L’administrateur a déclaré que cela n’indiquait pas clairement si un témoin quelconque avait observé l’opération dans son ensemble et confirmé qu’aucun hydrocarbure n’avait été rejeté – mais avait omis de consigner ses observations à ce moment‑là – ou si la GCC ne faisait qu’affirmer que les membres de son personnel auraient été témoins d’un rejet pendant qu’ils accomplissaient d’autres tâches.

[157] L’administrateur n’a pas admis que la non‑observation d’un rejet amènerait à conclure qu’aucun rejet d’hydrocarbures ne s’était produit.

[158] Quant à l’opération d’assèchement, l’administrateur a pris acte de l’explication donnée par les avocats de la GCC au sujet de la mise en place du boyau d’aspiration au fond du navire, de façon à ne pas rejeter d’huile flottant à la surface de l’eau présente dans le navire, mais il a déclaré qu’il n’avait pas [TRADUCTION] « l’avantage du récit d’un témoin direct au sujet de ce qui avait été fait ».

[159] L’administrateur a également signalé qu’une bonne part des frais déclarés par la GCC concernaient la déconstruction du Stelie II. Il a ajouté qu’il est possible d’accorder une indemnisation pour de tels frais lorsqu’un navire en bois est à ce point saturé d’hydrocarbures que, s’il était submergé, sa charpente rejetterait des hydrocarbures. Il a déclaré que la GCC semblait être d’avis que le Stelie II se trouvait dans un tel état, même après que toute l’eau en avait été retirée par pompage. Cela étant le cas, le fait de submerger un tuyau au fond de l’eau à l’intérieur de la salle des machines du navire ne serait pas nécessairement suffisant pour éviter un rejet d’hydrocarbures et que des photographies montraient la présence d’une quantité considérable d’hydrocarbures dans le navire.

[160] Je note ici que l’exposé circonstancié de la GCC indique que les efforts pour vendre le navire ont été vains et que cela était vraisemblablement dû au fait que le navire était en mauvais état à cause de sa charpente imbibée d’hydrocarbures et qu’il y avait peu de chance qu’il soit apte à prendre la mer. De plus, la GCC ne pouvait plus continuer d’engager des frais d’entreposage et, en raison des polluants pétroliers inaccessibles qui restaient à bord et la charpente imbibée d’hydrocarbures, la GCC a considéré que le navire constituait un risque inacceptable pour l’environnement et que sa déconstruction était la seule option possible.

[161] Par ailleurs, dans ses observations écrites, le Canada ne conteste pas que la charpente était imbibée d’hydrocarbures. Il affirme plutôt qu’il n’existe aucune preuve de rejet continu ou qu’un rejet quelconque a eu lieu pendant les opérations de pompage. Cette position peut avoir, ou non, du bon. Je signale que le rôle de la charpente imbibée d’hydrocarbures n’a pas été évoqué par les avocats de l’administrateur dans la lettre évoquant les préoccupations de l’administrateur qu’ils ont envoyée aux avocats de la GCC. La réponse de la GCC à l’administrateur ne traite pas non plus de la charpente, même si elle en connaissait l’état. La GCC a plutôt affirmé qu’aucun rejet n’avait été observé et – comme elle le soutient dans ses observations devant moi – qu’elle est intervenue de manière professionnelle en recourant à des méthodes appropriées.

[162] Dans la présente affaire, l’administrateur a pris en considération la déclaration des avocats de GCC quant à la mise en place du tuyau d’aspiration, mais, essentiellement, il y a accordé peu de poids en l’absence de tout récit direct sur ce qui avait été fait. Compte tenu de la preuve étayant l’état contaminé de l’eau présente dans la salle des machines, l’administrateur a inféré qu’un rejet d’hydrocarbures était survenu lors de l’opération d’assèchement, même si la GCC a exprimé l’avis qu’un tel rejet n’avait pas été constaté et que le positionnement du tuyau d’aspiration n’aurait pas rejeté les hydrocarbures flottant à la surface.

[163] Là encore, le problème est le fait que l’administrateur a fait part à la GCC de ses préoccupations – à part la charpente imbibée d’hydrocarbures – et a invité la GCC à fournir des documents supplémentaires à l’appui de sa demande en recouvrement de créance. La GCC a répondu par le courriel de ses avocats. Cette réponse n’a fourni aucun autre document étayant la demande en recouvrement de créance de la GCC, dont, par exemple, des déclarations de la part des intervenants qui traiteraient des préoccupations de l’administrateur, qui décriraient les mesures qu’ils avaient prises et tout le travail de surveillance effectué lors de l’opération d’assèchement, leurs observations directes et des explications quant au fait que, selon leur avis professionnel, les préoccupations de l’administrateur n’étaient pas fondées. La GCC aurait également nommé les observateurs mentionnés dans le courriel de ses avocats et obtenu ou relaté leurs déclarations quant au temps pendant lequel ils avaient observé l’opération d’assèchement et ce qu’ils avaient vu. Si la GCC avait fourni de plus amples documents, le résultat aurait peut‑être été différent.

[164] Je ne souscris pas non plus à l’observation que la GCC a faite devant moi, à savoir que le courriel de réponse de ses avocats équivaut aux observations ou aux documents ou aux éléments de preuve supplémentaires de la GCC, ou qu’il a tout autant de valeur – étant donné que ce que l’administrateur offrait était précisément la possibilité de fournir d’autres documents justificatifs. Je suis consciente que dans le cours normal des demandes de cette nature, la GCC se fonde sur l’exposé circonstancié qui est contenu dans sa demande en recouvrement de créance, comme elle l’a fait dans les présentes affaires. La différence, ici, est que l’administrateur est entré de nouveau en contact avec la GCC pour lui faire état de ses préoccupations et lui a donné la possibilité de fournir en réponse des documents justificatifs, mais aucun n’a été transmis.

[165] Cela dit, je suis troublée par le fait que, dans leur lettre aux avocats de la GCC, les avocats de l’administrateur n’ont pas soulevé la question de l’état de la charpente imbibée d’hydrocarbures. Cependant, le Canada n’a pas laissé entendre qu’on l’avait privé d’équité procédurale et que la GCC était au courant de la charpente imbibée d’hydrocarbures quand ses avocats ont répondu à l’administrateur.

[166] Les motifs de l’administrateur donnent également à penser qu’il s’agissait là d’une conclusion supplémentaire – à savoir que [TRADUCTION] « même si » les hydrocarbures flottant à la surface de l’eau présente dans le Stelie II avaient été évités avec succès, il ne serait pas [TRADUCTION] « sûr » de conclure qu’aucun rejet n’avait eu lieu. Cela ne semble pas être une conclusion fondée sur la prépondérance des probabilités. Les motifs de l’administrateur ne me convainquent pas non plus qu’il a – ou n’a pas admis – que si le boyau d’aspiration avait été positionné de la manière décrite par la GCC, des hydrocarbures auraient dans ce cas été rejetés lors de l’opération d’assèchement. L’administrateur indique seulement qu’il n’a pas eu l’avantage du récit d’un témoin direct au sujet de ce qui avait été fait. En l’absence d’un tel récit, l’administrateur semble avoir accordé peu de poids à cette explication.

[167] En fin de compte, l’administrateur a conclu que, indépendamment de la position de la GCC au sujet de l’emplacement du boyau d’aspiration, vu la grande quantité d’eau pompée et l’état contaminé du Stelie II, un rejet s’est produit lors de l’opération de pompage. Cela s’ajoutait à la conclusion – ou cela la [TRADUCTION] « renforçait » – qu’un rejet avait eu lieu pendant ou avant l’intervention de la GCC depuis les contenants d’huile ouverts qui se trouvaient sur le pont.

[168] Même si les motifs de l’administrateur manquaient de clarté au sujet du rôle de la charpente imbibée d’hydrocarbures, compte tenu de la preuve que l’administrateur a évaluée et soupesée dans son ensemble, je ne suis pas convaincue que celui-ci a commis une erreur manifeste et dominante en concluant qu’un rejet d’hydrocarbures s’est produit au cours du processus d’assèchement. Il ressort des motifs de l’administrateur qu’il a évalué les éléments de preuve disponibles, qu’il a inféré à partir de ces derniers qu’il y avait eu un rejet et qu’il a conclu que les observations fournies en réponse étaient insuffisantes pour donner lieu à une conclusion différente. Aussi, en tout état de cause, sa conclusion selon laquelle un rejet a eu lieu depuis les contenants d’huile ouverts sur le pont aurait été suffisante pour justifier l’application du délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)a).

Conclusion

[169] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’administrateur n’a pas commis d’erreur en concluant que des rejets de pollution par les hydrocarbures se sont produits et, par conséquent, que le délai de prescription visé à l’alinéa 103(2)a) de la LRM s’appliquait et qu’il avait expiré avant que la GCC présente des demandes en recouvrement de créance pour le Miss Terri et le Stelie II. En fin de compte, les demandes en recouvrement de créance que la GCC a présentées en vertu du paragraphe 103(1) ont été rejetées, car elles ont été faites en dehors du délai de prescription applicable.

[170] En terminant, je me sens obligée de signaler que, d’après les observations écrites et orales qui m’ont été soumises, il semble y avoir une vive animosité entre la GCC et l’administrateur, et cela est regrettable. Je conviens également avec le Canada que l’administrateur ne peut pas tout simplement avancer des théories sur ce qui aurait pu se passer. La théorie du [TRADUCTION] « mécanisme de lavage » incluse dans l’ébauche de motifs, et ensuite abandonnée, se rangerait dans cette catégorie. J’incline aussi à penser que si l’administrateur compte sur des avis techniques internes pour fonder une préoccupation qu’il décide de soumettre au demandeur, ces avis devraient être communiqués à la partie qui présente la demande en recouvrement de créance fondée sur l’article 103 de façon à ce que, si le demandeur l’estime approprié, il puisse fournir une réponse technique en réplique. Il semble peu vraisemblable que l’administrateur se fonde sur sa propre expertise technique pour relever les préoccupations que soulèvent les demandes en recouvrement de créance. De plus, bien qu’il incombe au demandeur d’établir sa demande en recouvrement de créance, si l’administrateur s’écarte de sa démarche habituelle en se fondant sur des exposés circonstanciés contenus dans les demandes présentées, comme le laisse entendre le Canada, il faudrait dans ce cas qu’il le fasse savoir très clairement à tous les demandeurs, tout comme le degré exact de renseignements justificatifs qu’il s’attend maintenant à recevoir (p. ex., des déclarations de participants ou d’observateurs en l’absence d’une observation ou de relevés de surveillance au cas où la survenance d’un rejet soit en litige). Je formule ces observations dans l’espoir que l’on puisse obtenir à l’avenir une meilleure relation de travail entre la GCC et l’administrateur.

Les dépens

[171] Les deux parties ont sollicité les dépens, mais ni l’une ni l’autre n’a présenté d’observations quant à leur montant.

[172] Conformément au paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut prendre en considération les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, lesquels comprennent : le résultat de l’instance, l’importance et la complexité des questions en litige, le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens, la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance, de même que toute autre question que la Cour juge pertinente. La Cour peut fixer la totalité ou une partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (art 400(4) des Règles).

[173] Je suis d’avis que, dans la présente affaire, il convient d’accorder à l’administrateur, la partie qui a eu gain de cause, des dépens fondés sur la colonne III du tarif B.

 


JUGEMENT dans les dossiers T‑1094‑21 et T‑1104‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. Les appels sont rejetés;

  2. Les dépens sont adjugés en faveur de l’administrateur en prenant pour base la colonne III du tarif B.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1094‑21

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

 

ET DOSSIER :

T‑1104‑21

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence VIA Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 13 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

le 21 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Michele Charles

Paul Saunders

 

POUR L’APPELANTe/La demanderesse

 

Cameron Grant

Ryan Gauvin

 

POUR L’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANTe/La demanderesse

 

Bureau de l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’intimé

 

 

 

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