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Date : 20220921


Dossier : T-1050-20

Référence : 2022 CF 1315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 21 septembre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

SUREWERX USA INC. et

JET EQUIPMENT & TOOLS LTD.

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

DENTEC SAFETY SPECIALISTS INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE D’ADJUDICATION DES DÉPENS ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans mon ordonnance datée du 12 août 2022, j’ai rejeté l’appel déposé par la défenderesse [l’appel] contre l’ordonnance par laquelle la juge Tabib, juge responsable de la gestion de l’instance [la JRGI], a accueilli la requête présentée par les demanderesses Surewerx USA Inc. et Jet Equipment & Tools Ltd. [Surewerx] afin de contester la désignation de l’identité du fabricant de Dentec Safety Specialists Inc. [Dentec] comme « renseignement réservé aux seuls avocats ». La désignation a été faite conformément à une ordonnance conservatoire rendue par la même JRGI avec le consentement des deux parties.

[2] L’appel portait sur l’interprétation de certains termes clés figurant dans l’ordonnance conservatoire type de la Cour fédérale [l’ordonnance conservatoire type], sur laquelle se fondait l’ordonnance conservatoire prononcée dans la présente affaire.

[3] Conformément à mon ordonnance du 12 août 2022, Dentec et Surewerx ont déposé leurs observations écrites sur les dépens le 9 septembre 2022. Après avoir pris connaissance des observations de Dentec, Surewerx a demandé et obtenu l’autorisation de la Cour afin de transmettre et de déposer une réponse. Dentec a ensuite déposé une lettre datée du 13 septembre 2022 en réplique à la réponse de Surewerx. J’ai analysé et pris en considération toutes les observations écrites des parties.

[4] Les motifs de mon ordonnance d’adjudication des dépens sont exposés ci‑après.

II. Résumé des principes directeurs sous-tendant les ordonnances d’adjudication des dépens

[5] La Cour possède le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir : paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

[6] Bien que la Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire relativement aux dépens, ce pouvoir n’est pas exercé de façon arbitraire : Pembina County Water Resource District c Manitoba, 2019 CF 82 [Pembina] au para 20. La Cour peut se fonder sur les facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles et, selon l’alinéa 400(3)h), elle peut tenir compte de toute autre question qu’elle juge pertinente : Pembina, au para 19.

[7] Dans la décision Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 186 [Allergan], le juge en chef Crampton a résumé ainsi les principaux objectifs sous-tendant l’adjudication des dépens : « i) fournir une indemnisation pour les frais engagés pour faire reconnaître un droit valide ou pour se défendre contre une action infondée; ii) pénaliser une partie qui a refusé une offre raisonnable de règlement; iii) sanctionner les comportements qui prolongent la durée du litige et en augmentent les coûts, ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires » : Allergan, au para 19.

[8] Comme l’a expliqué aussi le juge en chef dans Allergan, au paragraphe 25, « [l]e niveau “par défaut” des dépens devant notre Cour se situe au milieu de la colonne III du tarif B » et « [l]a colonne III vise à fournir une indemnisation partielle (par opposition à une indemnisation substantielle ou complète) » dans les cas d’une complexité moyenne ou habituelle.

[9] En outre, le juge Diner a expliqué ce qui suit dans la décision Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada, 2022 CF 392 au para 23 :

[…] Les dépens fournissent habituellement une compensation partielle, au lieu de rembourser toutes les dépenses et tous les débours engagés par une partie, ce qui représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a obtenu gain de cause et l’imposition d’une charge excessive à la partie déboutée (Sherman c Canada (Ministre du revenu national), 2004 CAF 29 au para 8 [Sherman], citant Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd. (1998), [1998] ACF no 382 (QL)). […]

III. Analyse

[10] Les parties adoptent des positions considérablement différentes au sujet des dépens. Même si son appel a été rejeté, Dentec soutient qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés en faveur de l’une ou l’autre des parties. Subsidiairement, elle affirme que les dépens devraient correspondre au niveau par défaut situé au milieu de la colonne III du tarif B, c’est-à-dire 1 500 $.

[11] Surewerx, de son côté, sollicite une somme globale de 6 500 $ représentant environ 25 p. 100 des honoraires et taxes qu’elle a dû engager pour se défendre contre l’appel interjeté par Dentec. Subsidiairement, elle sollicite des dépens de 3 680 $, montant qui se situe à l’extrémité supérieure de la colonne IV du tarif.

[12] À l’appui de leurs positions, les parties ont avancé divers arguments, dont les principaux peuvent être résumés ainsi :

[13] Selon Dentec :

  • a)Surewerx a rejeté l’offre raisonnable présentée par Dentec en vue de régler la question soulevée par Surewerx avant le dépôt de la requête sous-jacente;

  • b)Surewerx a déjà été indemnisée par l’adjudication de dépens de 7 000 $ dans le cadre de la requête sous-jacente; l’adjudication de dépens supplémentaires à Surewerx ferait fi d’un des principaux objectifs, qui consiste à pénaliser une partie ayant refusé une offre raisonnable de règlement;

  • c)L’appel était relativement simple, et aucune raison ne justifie d’adjuger des dépens qui s’écartent du montant habituel situé au milieu de la colonne III;

  • d)Si des dépens sont adjugés par la Cour, ils ne devraient pas être exigibles sur-le-champ, étant donné que la requête n’aurait pas dû être présentée.

[14] Les contre-arguments de Surewerx étaient les suivants :

  • a)L’appel présentait une complexité supérieure à la moyenne, et la question qu’il soulevait était importante non seulement pour les parties, mais aussi pour l’ensemble de la profession juridique en général;

  • b)Même s’ils correspondent à l’extrémité supérieure de la colonne IV, les dépens de Surewerx calculés selon le tarif B représenteraient à peu près 12 p. 100 des frais juridiques que l’entreprise a réellement engagés;

  • c)Dentec ayant fait valoir toute une série d’arguments contredits par les règles de droit ainsi que par les motifs clairs, corrects et exhaustifs de la JRGI, cela justifie l’adjudication de dépens plus élevés;

  • d)Surewerx ne s’est pas livrée à un comportement inapproprié et a plutôt défendu avec diligence le régime établi par l’ordonnance conservatoire; le fardeau supplémentaire ne devrait pas être imposé uniquement à Surewerx, mais bien être supporté en partie par Dentec sous forme de dépens majorés.

[15] Mon analyse des positions des parties est exposée ci-dessous.

L’offre de règlement présentée par Dentec à Surewerx

[16] Dentec demande à la Cour de tenir compte du fait que Surewerx a rejeté son offre le 7 avril 2022, soit une journée avant que Surewerx dépose ses documents relatifs à la requête sous-jacente présentée à la JRGI, offre qui visait à régler la question soulevée par Surewerx. Dentec proposait d’accéder à la demande de redressement présentée par Surewerx trois mois après la date de l’offre. Surewerx a rejeté cette offre, au motif qu’elle retarderait inutilement l’instance et la médiation, ajoutant qu’il était préférable à son avis que la question soit simplement soumise à une décision de la Cour pour que le dossier puisse avancer.

[17] Après que Surewerx a déposé ses documents, l’audience relative à la requête sous-jacente a été reportée du 21 avril 2022 au 13 mai 2022, à la demande de Dentec, parce qu’un avocat était malade. La JRGI a accueilli la requête de Surewerx le 17 juin 2022. Surewerx a finalement obtenu le redressement qu’elle demandait le 22 août 2022 (à l’expiration du délai d’appel concernant l’ordonnance rendue le 12 août), date qui tombe, je le souligne, au-delà de la période de trois mois proposée par Dentec.

[18] Ceci étant dit, toutefois, je ne qualifierais pas de « déraisonnable » le refus initial de l’offre de Dentec par Surewerx. Selon cette offre, Surewerx devait attendre trois mois avant de recevoir l’information qu’elle souhaitait consulter sur une base confidentielle. Si l’audition de la requête s’était déroulée le jour prévu initialement, Surewerx aurait obtenu l’information bien avant le délai de trois mois proposé par Dentec. Bien que la requête ait été retardée pour des raisons qui échappaient à son contrôle, en interjetant appel de l’ordonnance de la JRGI, Dentec a pu obtenir ce qu’elle avait offert initialement, soit de fournir l’information relative à l’identité de son fabricant à titre confidentiel, mais à une date postérieure à celle qu’avait demandée Surewerx.

[19] Je conclus donc que le refus de l’offre de Dentec par Surewerx était « valable sur le plan juridique » : Coca-Cola Ltd c Pardhan, [2000] ACF no 91[Coca Cola] au para 32. À mon avis, le refus de Surewerx n’a pas non plus indûment prolongé le procès : Coca Cola, au para 32. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour moi de tenir compte de ce refus dans mon évaluation des dépens raisonnables à adjuger.

La complexité de l’affaire et sa valeur sur le plan juridique

[20] Dentec soutient que l’appel était relativement simple, que les questions en litige étaient concrètes et étroites et qu’elles n’exigeaient pas le contre-interrogatoire des déclarants.

[21] Surewerx réplique que l’objet de l’appel était important pour la profession juridique en général, parce que Dentec remettait en question l’interprétation de termes clés de l’ordonnance conservatoire type. Tout en faisant valoir que la jurisprudence actuelle a [traduction] « toujours clairement » appuyé ses arguments, Surewerx reconnaît que les observations formulées antérieurement par la Cour fédérale dans des cas où était contestée la désignation de « renseignements réservés aux seuls avocats » manquaient de clarté. Par conséquent, il sera utile pour les plaideurs en général que la Cour clarifie le critère approprié devant être invoqué afin de contester une désignation attribuée dans une ordonnance conservatoire.

[22] Surewerx affirme également que l’appel présentait une complexité supérieure à la moyenne, étant donné que chaque partie a déposé un mémoire détaillé des faits et de la jurisprudence ayant trait à l’appel et à la décision sous-jacente de même qu’en raison de l’ampleur relativement importante des arguments juridiques sur lesquels se fondaient les motifs de contestation. Surewerx souligne par ailleurs la nature complexe des faits en cause, notamment le large contexte factuel de l’appel et l’étendue de la preuve afférente.

[23] Premièrement, je ne suis pas d’accord avec Surewerx pour dire que le contexte factuel dont il était question en appel était complexe. Je prends acte du fait que Dentec a déposé un dossier de requête comportant quatre volumes, mais les faits pertinents sur le plan juridique n’étaient pas nombreux. À l’instar de Dentec, je suis aussi d’avis que les questions en appel étaient très étroites.

[24] Cependant, les deux parties ont souligné que la question en appel revêtait une importance générale pour la profession, puisqu’elle donnait à la Cour l’occasion de clarifier le critère approprié pouvant être invoqué pour contester une désignation de « renseignements réservés aux seuls avocats » dans une ordonnance conservatoire. Ce facteur peut expliquer les arguments relativement substantiels avancés par les deux parties au sujet de la requête sous-jacente et dans le cadre de l’appel. Il appuie la position de Surewerx, suivant laquelle l’entreprise ne devrait pas assumer à elle seule le fardeau de protéger l’ordonnance conservatoire type créée par la Cour fédérale, en consultation avec les membres de la profession juridique.

[25] Toutefois, le fait que Surewerx admette qu’il est nécessaire que la Cour fédérale formule clairement le critère approprié sous-tendant la désignation de « renseignements réservés aux seuls avocats », à mon sens, met en péril son argument suivant lequel Dentec a, de façon déraisonnable, présenté un large éventail d’arguments [traduction] « contredits par la jurisprudence récente ». Qui plus est, même si les parties se sont effectivement entendues sur le critère applicable, l’ordonnance conservatoire type prévoit la possibilité de différends quant à la désignation de certains renseignements, ce qui peut nécessiter l’intervention de la JRGI et de la Cour, au besoin. Par conséquent, je rejette l’observation de Surewerx suivant laquelle Dentec a présenté des arguments [traduction] « contredits par les règles de droit ».

Conclusion

[26] Comme il est précisé plus haut dans la décision Allergan, « [l]e niveau “par défaut” des dépens devant notre Cour se situe au milieu de la colonne III du tarif B ». Après avoir examiné les observations des parties, je conclus que le seul facteur justifiant de m’écarter de cette valeur par défaut tient au fait que la question soulevée en l’espèce, comme en conviennent les parties, nécessite des éclaircissements de la part de la Cour, ce qui accroît la complexité de l’affaire.

[27] En tirant cette conclusion, je ne prétends aucunement avoir fourni les éclaircissements recherchés par la profession et je ne doute pas non plus que mes estimés collègues, particulièrement ceux qui sont spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, auront d’autres occasions de statuer sur l’interprétation et l’application appropriées de l’ordonnance conservatoire type. Il reste que la question résidant au cœur de la requête sous-jacente présente des conséquences pour les plaideurs autres que les parties en l’espèce. Par conséquent, je conviens que des dépens majorés supérieurs au montant situé au milieu de la colonne III doivent être adjugés pour que Surewerx n’assume pas à elle seule le fardeau de la remise en question des termes utilisés dans l’ordonnance conservatoire type.

[28] Étant donné que Dentec n’a pas eu l’occasion auparavant de présenter des observations complètes au sujet des dépens et que des dépens de 7 000 $ ont déjà été adjugés à Surewerx dans le cadre de la requête sous-jacente, je suis d’avis qu’il est approprié d’adjuger, à titre de dépens en l’espèce, une somme forfaitaire de 3 680 $.


ORDONNANCE dans le dossier T-1050-20

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

  1. La défenderesse doit payer aux demanderesses les dépens fixés à une somme forfaitaire de 3 680 $.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1050-20

 

INTITULÉ :

SUREWERX USA INC. ET JET EQUIPMENT & TOOLS LTD c DENTEC SAFETY SPECIALISTS INC

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE D’ADJUDICATION DES DÉPENS ET MOTIFS :

LA JUGE GO

DATE DE L’ORDONNANCE D’ADJUDICATION DES DÉPENS ET DES MOTIFS :

LE 21 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Karen F. MacDonald

Sarah Pennington

 

POUR LES DEMANDERESSES

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

William D. Regan

Evan Reinblatt

Rachel Meland

 

POUR LA DÉFENDERESSE

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karen F. MacDonald

Norton Rose Fulbright Canada LLP / S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

William D. Regan

Evan Reinblatt

Rachel Meland

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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