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Date : 20220922


Dossier : IMM-4481-21

Référence : 2022 CF 1322

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

PARMINDER SINGH

SANDEEP KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Parminder Singh et Sandeep Kaur [collectivement, les demandeurs] sont mariés. Ils sont citoyens de l’Inde.

[2] Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Les demandeurs sont des partisans du mouvement du Khalistan, qui vise à créer un pays indépendant pour les sikhs dans la région du Pendjab, en Inde et au Pakistan. Ils affirment craindre d’être persécutés par le congrès national indien, un important parti politique en Inde, également connu sous le nom de parti du Congrès, et par la police.

[4] La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personne à protéger au Canada parce qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] en Inde. La SAR a appliqué le bon critère juridique pour décider s'il existait une PRI et a raisonnablement conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution à New Delhi.

[5] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[6] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 17 décembre 2017 et ont demandé d’y être admis en tant que touristes. Après s’être vu refuser l’entrée au Canada, ils ont présenté des demandes d’asile.

[7] Lorsqu’ils vivaient en Inde, les demandeurs sont devenus membres d’un parti politique appelé Shiromani Akali Dal Badal [SAD-B] et, selon eux, c’est pour cette raison qu’ils sont devenus la cible du parti du Congrès. Selon M. Singh, son oncle et lui ont été agressés, le 7 mars 2016, par des membres du parti du Congrès, qui les ont avertis de cesser d’appuyer le parti SAD-B.

[8] M. Singh a signalé l’incident à la police le 9 mars 2016. La police lui a dit qu’elle procéderait à une enquête, mais elle n’a pour ainsi dire rien fait. Il est retourné s’informer à la police le 15 mars 2016, mais n’a obtenu aucune réponse.

[9] M. Singh a continué de participer aux activités du parti SAD‑B. Le 10 janvier 2017, il faisait du démarchage pour le parti lorsqu’il a été pris à partie par deux membres du parti du Congrès. M. Singh dit qu'il a encore une fois signalé l’incident à la police, mais qu'elle a refusé de prendre des mesures sous prétexte d' élections locales à venir. Il a par la suite commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces.

[10] En septembre 2017, la police a effectué une descente au domicile des demandeurs. M. Singh n’était pas chez lui à ce moment, mais Mme Kaur a été mise en détention. M. Singh s’est rendu à la police pour que sa femme puisse être libérée. Il dit qu’il a été agressé et interrogé au sujet de ses activités d’opposition au parti du Congrès. Il a été relâché le 3 octobre 2017 après que son père eut versé un pot‑de‑vin à la police.

[11] En juillet 2019, le père de M. Singh a été arrêté en Inde. Il s’est fait dire que son fils était devenu membre d’un groupe terroriste au Canada et qu’on l'arrêtait à sa place. Le chef d’un village a aidé le père de M. Singh à obtenir sa libération.

[12] En septembre 2020, les demandeurs se sont joints au groupe sécessionniste, Sikhs for Justice (sikhs pour la justice), basé aux États-Unis. En novembre 2020, le groupe a organisé un référendum non officiel concernant l’indépendance de l’État du Pendjab.

[13] L’organisation Sikhs for Justice est interdite en Inde. Les demandeurs croient que, depuis qu’ils se sont inscrits au référendum, les autorités indiennes les considèrent comme des terroristes. Ils affirment donc craindre d’être persécutés par la police dans toute l’Inde, ainsi que par les extrémistes hindous de New Delhi, l’endroit proposé comme PRI.

[14] La SPR a mis en doute la crédibilité de M. Singh et de Mme Kaur et a également conclu qu’ils disposeraient d’une PRI viable à New Delhi.

[15] M. Singh a fait valoir que New Delhi ne serait pas une PRI viable parce que la police pourrait le retracer n’importe où en Inde. Il serait obligé d’utiliser une carte d’identité pour pouvoir se procurer un logement. La SPR a reconnu qu’il existait un système de vérification des locataires, mais elle a conclu que le système n’était pas centralisé et que de nombreux services de police ne répondaient pas aux demandes de vérification.

[16] M. Singh a expliqué que, parce qu’il parlait uniquement le pendjabi, il aurait de la difficulté à trouver un emploi et à s’adapter à la vie à New Delhi. La SPR a conclu que le pendjabi est l’une des langues couramment parlées à New Delhi et que, bien que M. Singh n’eut terminé que dix ans d’études, il possédait des compétences transférables dans le domaine de l’agriculture et à titre d’ouvrier agricole.

[17] Le 9 octobre 2020, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, qui ont interjeté appel de cette décision à la SAR. La SAR a infirmé certaines des conclusions défavorables tirées par la SPR quant à leur crédibilité et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Singh avait été détenu en Inde. Toutefois, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR concernant une PRI à New Delhi et a rejeté l’appel le 3 juin 2021.

III. Question en litige

[18] La seule question en litige soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

IV. Analyse

[19] La décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100).

[20] Les critères de « justification, d’intelligibilité et de transparence » sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement à l’appui de la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86).

[21] Le critère permettant de déterminer s'il existe une PRI viable est bien établi (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 707 (CAF) aux para 5-6, 9‑10) : premièrement, la CISR doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que, dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI, le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté; deuxièmement, la situation dans cette partie du pays doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge. Les deux volets du critère doivent être remplis.

[22] Les demandeurs contestent les conclusions de la SAR uniquement quant au premier volet du critère relatif à la PRI, à savoir s’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés à New Delhi.

[23] Ils soutiennent que la SAR a appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer s'il existait une PRI. La SAR a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le parti du Congrès avait le pouvoir, les relations ou les moyens nécessaires pour trouver les demandeurs à New Delhi. De même, elle a conclu que rien ne prouvait que les demandeurs « sont ou seraient » pris pour cibles par les autorités de l’Inde. La SAR a également conclu qu’il serait « peu probable » que les demandeurs soient retrouvés à New Delhi en raison du processus de vérification des locataires.

[24] Les demandeurs affirment qu’ils n’étaient pas tenus de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils feraient l'objet de persécution (citant Adjei c Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), 1989 CanLII 9466 (CAF) [Adjei] au para 5). Ils soutiennent que la norme de preuve appliquée par la SAR était plus stricte que le critère de la « possibilité sérieuse » prescrit par la loi.

[25] La juge Angela Furlanetto a examiné et rejeté ce même argument dans la décision Antony c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 991 (aux para 23-24) :

Au paragraphe 8 de la décision [Adjei], la Cour d’appel fédérale [la CAF] a décrit le critère comme concernant une possibilité « raisonnable » ou même une « possibilité sérieuse » de persécution, par opposition à une simple possibilité. La CAF a récemment confirmé les concepts de « possibilité raisonnable » ou de « possibilité sérieuse » du critère dans l’arrêt Tapambwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34 au para 4.

Lorsque la décision est analysée dans son ensemble, il est clair que la SAR a cité et appliqué le bon critère juridique de manière cohérente dans l’intégralité de la décision et a fait référence à un risque modéré de discrimination uniquement […].

[26] Des considérations analogues sont présentes en l’espèce. La SAR a correctement énoncé le critère juridique applicable au paragraphe 11 de sa décision. Même si elle a fait observer que le fondement factuel des allégations faites par les demandeurs était insuffisant (ou encore inexistant), sa conclusion reste valide : « [...] je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les appelants n’ont pas une possibilité sérieuse d’être persécutés ou d’être exposés à l’un des risques énoncés au paragraphe 97(1), à New Delhi. » C'est là le critère juridique applicable.

[27] Les demandeurs contestent également la conclusion de la SAR selon laquelle les autorités indiennes ciblent uniquement les partisans des Sikhs for Justice qui ont une grande visibilité ou qui jouent un rôle très actif dans l’organisation. Ils disent que les éléments de preuve documentaire et l’expérience vécue par M. Singh donnent à penser le contraire. Ils font remarquer que le père de M. Singh a été arrêté à sa place en juillet 2019 et que M. Singh a été qualifié de terroriste. Selon eux, le terrorisme est jugé comme une infraction grave qui conduirait les différentes forces policières à s’échanger des renseignements.

[28] Le défendeur fait remarquer qu’il n’existe aucune preuve que M. Singh a été accusé d’une infraction liée au terrorisme en Inde. La SAR a conclu de façon raisonnable que le profil politique des demandeurs ne pouvait leur causer rien de plus que des problèmes au Pendjab uniquement.

[29] La conclusion de la SAR selon laquelle les membres du parti du Congrès et la police n’auraient aucune raison de chercher les demandeurs si ceux-ci déménageaient à New Delhi était raisonnablement appuyée par les éléments de preuve. Rien ne corroborait les allégations des demandeurs voulant qu'ils soient actuellement recherchés par la police ou que leur inscription au référendum non officiel ait été signalée aux autorités de l’Inde.

V. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4481-21

 

INTITULÉ :

PARMINDER SINGH ET SANDEEP KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 août 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 septembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

Pour les demandeurs

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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