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Date : 20220927


Dossier : IMM‑1970‑21

Référence : 2022 CF 1348

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

SAMIR KHALIL MOHAMED SALAMA

ISLAM H H QESHTA

HALA SAMIR KHALIL MOHAMED SALAMA

HABIBA SAMIR KHALIL MOHAMED SALAMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs forment une famille : Samir Khalil Mohamed Salama (M. Salama) et Islam H H Qeshta (Mme Qeshta) sont mariés et ont deux enfants mineurs. Ils ont présenté une demande d’asile, parce qu’ils craignaient d’être persécutés en Égypte et aux Émirats arabes unis (ÉAU), principalement en raison de leurs liens perçus avec les Frères musulmans, de leur héritage palestinien et du fait que M. Salama est né dans la région du nord du Sinaï en Égypte et y a encore des liens. Leur demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Les demandeurs ont contesté cette décision en interjetant appel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR).

[2] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs demandent à la Cour de renvoyer l’affaire pour nouvel examen puisque, d’après eux, la décision est déraisonnable pour un certain nombre de motifs. Je juge que la question déterminante est le défaut de la SAR d’admettre les publications de M. Salama sur Twitter en tant que nouveaux éléments de preuve.

[3] Devant la SAR, les demandeurs avaient présenté de nouveaux éléments de preuve et avaient fait valoir qu’ils présentaient une demande d’asile sur place fondée sur l’expression politique de M. Salama dans les médias sociaux. Je conviens avec les demandeurs que la SAR a refusé de manière déraisonnable d’admettre en preuve les publications sur Twitter de M. Salama en raison de réserves en matière de crédibilité. La SAR a omis de traiter de la déclaration sous serment de M. Salama qui comprenait les publications sur Twitter en tant que pièces jointes à celle‑ci et qui révélait qu’il était l’auteur des publications. Dans le contexte de la demande d’asile en l’espèce, alors que les demandeurs faisaient valoir que le risque de persécution était fondé sur un certain nombre de facteurs à considérer de manière cumulative, je juge que le fait de ne pas admettre en preuve les publications sur Twitter est suffisamment important pour exiger que la décision de la SAR soit renvoyée pour nouvel examen. Il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres arguments formulés par les demandeurs.

[4] Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[5] Les demandeurs sont d’origine palestinienne. M. Salama et les deux enfants mineurs ont la citoyenneté égyptienne. Mme Qeshta est une Palestinienne apatride, n’ayant la citoyenneté d’aucun pays. La SPR et la SAR ont conclu que Mme Qeshta pouvait obtenir la citoyenneté égyptienne par la voie de son mariage et que, par conséquent, sa demande d’asile pouvait être évaluée par rapport à l’Égypte. Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont pas contesté cette conclusion quant à la capacité de Mme Qeshta à obtenir la citoyenneté égyptienne.

[6] Les demandeurs ont demandé à la SPR et à la SAR d’examiner leur crainte de persécution de manière cumulative. Les demandeurs ont soulevé un certain nombre de facteurs qui, selon eux, les mettaient en danger en Égypte, notamment la détention et l’interrogatoire de M. Salama en Égypte en 1992 concernant ses liens allégués avec les Frères musulmans, l’interrogatoire de M. Salama aux Émirats arabes unis en 2018, leur origine palestinienne, la naissance de M. Salama dans la région du nord du Sinaï en Égypte, et les activités politiques de M. Salama dans les médias sociaux contre le gouvernement égyptien pendant qu’il était au Canada.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs le 8 janvier 2020. Les demandeurs ont interjeté appel de ce refus devant la SAR. À l’appui de leur appel devant la SAR, les demandeurs avaient déposé de nouveaux éléments de preuve. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs le 2 mars 2021.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] Comme je l’ai relevé ci‑dessus, la question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est la décision de la SAR de ne pas admettre en preuve les publications sur Twitter de M. Salama. Dans l’examen des motifs de la SAR, j’applique la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que, lorsque la cour de révision procède au contrôle d’une décision administrative sur le fond, la norme présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions à la présomption de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce.

IV. Analyse

[9] Après que les demandeurs eurent déposé leur dossier d’appel auprès de la SAR, ils ont présenté une demande relative au dépôt de documents supplémentaires. Parmi ceux‑ci, il y avait les messages que M. Salama avait publiés sur Twitter après que la SPR eut rejeté la demande d’asile des demandeurs et après que ces derniers eurent déposé leur dossier d’appel auprès de la SAR. Pour décider d’admettre ou non ces documents, la SAR a tenu compte de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS 2012‑257; du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27; et des contraintes supplémentaires de pertinence et de crédibilité énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, aux paragraphes 38‑49.

[10] La SAR n’avait pas admis les publications sur Twitter de M. Salama parce qu’elle avait « des préoccupations quant à la crédibilité de la source du document ». La SAR n’avait pas pu confirmer, selon la prépondérance des probabilités, que « l’appelant principal est l’auteur des publications, et [elle a] donc [estimé] que celles‑ci ne respectent pas le facteur de la crédibilité énoncé dans les arrêts Raza et Singh ».

[11] Pour se prononcer à cet égard, la SAR n’a pas tenu compte du fait que M. Salama a déclaré sous serment qu’il était l’auteur de ces publications sur Twitter et qu’il avait joint à sa déclaration sous serment celles qu’il cherchait à faire admettre en preuve. La SAR n’a pas tenu compte du témoignage sous serment de M. Salama selon lequel il était l’auteur des publications; elle a plutôt examiné la question comme les publications en tant que telles étaient les seuls éléments en preuve. La déclaration sous serment de M. Salama est clairement pertinente quant à la question de savoir qui est l’auteur des publications. La SAR n’a pas tenu compte de la preuve pertinente dont elle disposait et son appréciation est donc déraisonnable (Vavilov, au para 126).

[12] Le défendeur fait valoir que, même si la Cour conclut que la SAR a agi de manière déraisonnable en n’admettant pas les publications sur Twitter, la décision prise dans son ensemble est raisonnable et cette erreur mineure ne constitue pas un motif de renvoyer la décision pour nouvel examen. Plus précisément, le défendeur a fait valoir qu’ailleurs dans sa décision la SAR avait examiné les activités politiques de M. Salama au Canada relativement à des messages WhatsApp concernant la participation à une manifestation politique dans le cadre de la demande d’asile sur place et elle avait conclu qu’en tant qu’activiste politique discret, il pourrait être interrogé à son retour en Égypte, mais qu’il est « peu probable qu’il [soit] détenu ou autrement maltraité ».

[13] Comme il s’agit d’une affaire dans laquelle les demandeurs ont soulevé de multiples aspects de leur identité et de leur profil qui, selon eux, les exposent à un risque cumulatif, je conclus que l’erreur consistant à ne pas admettre les publications sur Twitter n’est pas « accessoire par rapport au fond de la décision » et qu’elle est « suffisamment […] importante pour rendre cette [décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100). Compte tenu du fait que le risque allégué est fondé sur un profil cumulatif, je juge que l’affaire doit être renvoyée pour que la SAR examine l’ensemble des facteurs de risque, y compris les activités de M. Salama sur Twitter si la SAR décide d’admettre cette preuve lors du nouvel examen.

[14] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1970‑21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la SAR, datée du 2 mars 2021, est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un autre agent de la SAR pour nouvel examen;

  4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1970‑21

 

INTITULÉ :

SAMIR KHALIL MOHAMED SALAMA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Omolola Fasina

 

pour les demandeurs

 

Leila Jawando

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL LOEBACH

Avocat

London (Ontario)

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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