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Date : 20221003


Dossier : IMM-1150-21

Référence : 2022 CF 1370

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

 

ZSOLT SANDOR BITO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 23 juin 2020, rendue par un agent principal du Bureau de migration humanitaire [la décision]. L’agent a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un examen des risques avant renvoi [ERAR], parce qu’il a conclu que le demandeur ne serait exposé à aucun risque visé aux articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire, parce que l’agent n’a pas mentionné, examiné ou appliqué le critère établi pour apprécier la protection de l’État, c’est-à-dire qu’il n’a pas examiné la question de savoir si la Hongrie offrait une protection adéquate sur le plan opérationnel.

II. Les faits

[2] Le demandeur est un ressortissant de la Hongrie âgé de 27 ans. Il est entré au Canada en avril 2014 et a présenté une demande d’asile. Voici sa description des faits.

[3] Le demandeur est d’origine rom et a subi de la persécution, des sévices et du harcèlement en raison de son appartenance à ce groupe ethnique. À l’école, il a été l’objet d’actes d’intimidation incessants, qui menaient souvent à des commentaires racistes et méchants ainsi qu’à des agressions physiques. Il a été puni par des enseignants parce qu’il était Rom. Des enseignants auraient enjoint au demandeur de ne plus se présenter à l’école, parce qu’ils ne voulaient pas que les enfants roms viennent [traduction] « polluer » le milieu scolaire. Le demandeur était contraint de s’asseoir au fond de la classe avec les autres élèves roms ou bien seul quand il n’y avait pas d’autres Roms dans la salle. Par conséquent, il allègue qu’il n’a pas fini ses études et a dû abandonner l’école. Depuis, en tant que Rom possédant peu de compétences monnayables, il a expliqué ne pas avoir pu se trouver d’emploi avant de venir au Canada.

[4] Le demandeur a été agressé physiquement par des membres de la Garde hongroise. À un moment donné, il a rencontré un groupe de fascistes dans la rue qui l’ont frappé et giflé en lui criant des insultes racistes.

[5] Une autre fois, en juin 2013, la maison du demandeur aurait été attaquée par plusieurs membres de la Garde hongroise qui auraient crié [traduction] « [V]ous allez tous mourir, espèces de sales Gitans. Vous allez tous être exterminés ». Les agresseurs ont lancé des pierres et des briques, brisant des fenêtres, et ont proféré des grossièretés. Le demandeur et sa famille ont eu extrêmement peur et ont été bouleversés. Le père du demandeur a appelé la police, mais on lui a conseillé simplement de ne pas sortir. La police a promis d’envoyer quelqu’un, mais personne n’est jamais venu. La famille avait vécu un incident semblable quelques années auparavant.

[6] La famille a reçu de l’aide et est allée vivre chez des proches, mais les incidents racistes ont continué. Le demandeur a décidé de retourner chez lui puis de partir pour le Canada. Dans les quelques mois qui ont suivi, il a acheté un billet d’avion à cette fin. Même pendant cette période, la maison familiale a été attaquée à trois occasions.

[7] Le demandeur a fui la Hongrie et est arrivé au Canada en avril 2014. Il a demandé l’asile dès son arrivée.

[8] En octobre 2017, le frère du demandeur a subi une autre attaque à la maison familiale. Les membres de la Garde hongroise qui étaient sur les lieux à ce moment ont fait savoir qu’ils recherchaient le demandeur.

[9] Le frère du demandeur s’est aussi enfui au Canada, et sa demande d’ERAR a été approuvée en mars 2018, comme celle d’autres membres de la famille qui se trouvaient apparemment dans une situation semblable à la sienne.

[10] Étant donné que le demandeur et son conseil ne se sont pas présentés à l’audience de la SPR le 2 septembre 2014, il a été présumé qu’il y avait eu désistement de la demande d’asile. Le demandeur a tenté de faire rouvrir son dossier, sans y parvenir.

[11] La mesure de renvoi a pris effet contre le demandeur, qui a eu la possibilité de demander un ERAR. C’est ce qu’il a fait.

[12] Le risque auquel il était exposé n’avait pas encore été apprécié; c’est l’agent d’ERAR qui s’est occupé de cette tâche.

[13] La demande d’ERAR a été rejetée, ce qui a mené au présent contrôle judiciaire.

[14] D’autres faits et questions ont été soulevés en l’espèce, mais je ne m’y attarde pas ici, parce que je vais accueillir la demande de contrôle judiciaire.

III. La question en litige

[15] La seule question en litige consiste à savoir si l’analyse concernant la protection offerte par l’État est raisonnable. Je conclus que ce n’est pas le cas, parce qu’elle ne se justifie pas au regard des contraintes juridiques applicables.

IV. La norme de contrôle

[16] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, le juge Rowe a expliqué, au nom des juges majoritaires, les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « [...] ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). [...]

[Non souligné dans l’original.]

[17] En outre, l’arrêt Vavilov exige de la cour de révision qu’elle détermine si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, au para 39.

V. Analyse

A. La protection de l’État

[18] Le demandeur a le fardeau de réfuter la présomption relative à la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Ceci étant dit, l’agent d’ERAR - tout comme la SPR, la SAR et d’autres instances qui apprécient la protection de l’État - doit appliquer la jurisprudence qui définit la protection de l’État. Ce sont les contraintes juridiques. Or, l’agent d’ERAR en l’espèce ne l’a pas fait.

[19] Il a souligné, de façon raisonnable, que l’ERAR avait pour objectif d’apprécier le risque prospectif et que, par conséquent, il s’appuierait sur la preuve récente et subjective. Il a conclu que la preuve documentaire n’établissait pas, selon la prépondérance des probabilités, que tous les Roms en Hongrie étaient exposés à de la discrimination équivalant à de la persécution.

[20] Cependant, et en toute déférence, je juge que l’agent a procédé à un examen déraisonnable et indûment sélectif du dossier en se fondant sur la réponse à la demande d’information HUN106145EF de la CISR [la RDI]. L’agent a retenu de la RDI que, [traduction] « même s’il est vrai qu’il y a du racisme institutionnalisé dans la police » et que [traduction] « les crimes contre les Roms ne sont pas nécessairement considérés comme des crimes haineux », la police [traduction] « répond aux plaintes d’actes criminels, qui font l’objet d’enquêtes comme des infractions "ordinaires" ».

[21] La lecture de l’extrait complet de la RDI montre que l’agent a gravement fait fi du contexte dans son analyse. Il a omis les phrases suivantes, soulignées, figurant dans la RDI :

[Minority Rights Group International (MRG) signale que les Roms se heurtent à [traduction] « l’hostilité constante » des forces policières en Hongrie, y compris « le refus de [les] protéger » contre des agressions (MRG janv. 2018). D’après Amnesty International, les mesures prises par l’État en réponse aux violences visant les Roms [version française d’Amnesty International] « ont été très limitées » et « [b]ien souvent », la police traite les crimes haineux contre les Roms comme des « infractions ordinaires » (Amnesty International 25 janv. 2017). La même source décrit, à titre d’exemple, un crime commis en 2015 que la police [version française d’Amnesty International] « a simplement qualifié […] d’"introduction irrégulière" », malgré le fait que les agresseurs sont entrés par effraction dans la maison d’une famille rom et ont crié : « Sales Gitans, vous allez mourir » (Amnesty International 25 janv. 2017).

[Non souligné dans l’original.]

[22] En toute déférence, je conviens avec le demandeur que l’agent passe sous silence des informations clés qui contredisent ses propres conclusions sur la protection offerte par l’État. Il s’agit notamment de l’extrait souligné ci-dessus, où il est précisé que les Roms se heurtent à « l’hostilité constante » des forces policières en Hongrie, y compris « "le refus de [les] protéger" contre des agressions ». L’agent n’a pas expliqué pourquoi il avait omis ces renseignements défavorables à ses conclusions dans l’extrait qu’il a cité de la RDI.

[23] La décision est par ailleurs viciée par la mention, erronée, suivant laquelle le demandeur n’avait pas sollicité la protection de l’État quand, dans la phrase suivante, l’agent d’ERAR indique correctement, comme je le souligne ci-dessus, que la police a été appelée en 2013, mais sans résultats.

[24] Ces éléments soulèvent des préoccupations quant à l’analyse de la protection de l’État effectuée dans le cadre de l’ERAR.

[25] Toutefois, et c’est fondamental et déterminant à mon avis, la décision ne se justifie pas au regard des contraintes juridiques imposant une appréciation de la protection offerte par l’État sur le plan opérationnel. La Cour fédérale a énoncé et appliqué ce critère à de très nombreuses reprises au fil des ans, et il n’a pas été contesté à l’audience. Le fait que le caractère adéquat de la protection de l’État doive être mesuré sur le plan opérationnel est confirmé dans les décisions suivantes : Zapata v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 1277 (le juge Favel) aux para 15, 25; Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1032 (la juge McVeigh) aux para 25, 26, 28; Rstic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 249 (le juge Favel) aux para 18, 30, 31; Kotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 233 (la juge Elliott) aux para 34, 42; Asllani c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 645 (le juge en chef Crampton) au para 25; Newland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1418 (le juge McHaffie) aux para 23-25; Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 258 (le juge Brown) au para 10; Gjoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 292 (la juge Strickland) au para 30; Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315 [Moya] (la juge Kane) au para 68; Hasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 270 (la juge Strickland) au para 7; Eros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1094 (le juge Manson) au para 45; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032 (le juge Gascon) au para 18; Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1035 (le juge Gascon) au para 14; Mata c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1007 (la juge McDonald) aux para 13-15. Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956 (la juge Kane) au para 37; Paul c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 687 (le juge Boswell) au para 17; et John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 915 au para 14.

[26] Par exemple, dans la décision Moya, la juge Kane s’exprime ainsi aux paragraphes 73‑75 :

[73] Si la perfection n’est pas la norme, pour qu’elle soit adéquate, la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité et l’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (Bledy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 47, [2011] ACF no 358 (QL)). La protection de l’État doit être suffisante au niveau opérationnel (Henguva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 18, [2013] ACF no 510 (QL); Meza Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16, [2011] ACF no 1663 (QL)).

[74] Comme l’a fait remarquer la demanderesse, la démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État; il faut prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection (Sow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 11, [2011] ACF no 824 (QL) [Sow]).

[75] Le fardeau qui incombe à un demandeur de demander la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie et est proportionnel à la capacité et à la volonté de l’État d’assurer la protection (Sow, au paragraphe 10; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376 (QL), au paragraphe 5, 143 DLR (4th) 532 (CAF)). Toutefois, le demandeur ne peut pas simplement compter sur sa propre conviction que la protection de l’État ne sera pas offerte (Ruszo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33, [2013] ACF no 1099 (QL))

[27] Le défendeur a fait valoir qu’une analyse aussi détaillée n’était pas nécessaire, parce que la preuve n’en justifiait pas la tenue. Je suis en désaccord sur cette question générale. En toute déférence, je ne peux concevoir qu’il soit possible de procéder à une analyse raisonnable de la protection offerte par l’État, sans tenir compte du sens qui est donné à cette notion et de la manière dont elle doit être mesurée.

[28] Quoi qu’il en soit, l’ERAR a mis au jour une preuve abondante de la persécution et de la discrimination dont étaient victimes les Roms en Hongrie, preuve qui était, en toute déférence, complétée par la preuve du demandeur en l’espèce.

[29] Dans le dossier de la présente affaire, la décision citait le rapport du Département d’État des États-Unis de 2019 sur les pratiques en matière de droit de la personne :

[traduction]
Je conviens qu’il y a une prépondérance de documents objectifs faisant état des défis auxquels se heurtent les Roms en Hongrie dans bien des aspects de leur quotidien, y compris en éducation, dans le logement, l’emploi et l’accès aux services sociaux. Je prends également acte du fait que des actes de violence et de discrimination contre les Roms se produisent effectivement. Toutefois, prise globalement, la preuve documentaire n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que tous les Roms en Hongrie sont victimes de discrimination et que cette discrimination équivaut à de la persécution.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Dans ce contexte, je conclus que les principes énoncés par le juge Rennie (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans la décision Orsos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 248 au para 18, s’appliquent, c’est-à-dire que, quand la persécution est généralisée et systématique, comme en Hongrie, l’omission de signaler les mauvais traitements aux autorités a une valeur probante douteuse. Qui plus est, le cas échéant, le tribunal administratif doit se demander si la revendication de la protection de l’État était une avenue raisonnable compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait le demandeur. Ce n’est pas ce qui s’est passé dans la présente affaire, même si c’est ce qui aurait dû se produire :

[18] De façon générale, l’analyse de la protection de l’État vise à apprécier la capacité et la volonté institutionnelle d’un État de fournir un niveau adéquat de protection physique à ces citoyens. Le demandeur n’a pas à chercher à obtenir la protection de l’État si la preuve démontre que celle-ci n’aurait pu être raisonnablement assurée : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. Dans Muntyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 422, au paragraphe 9, le juge Russel Zinn réitère que la loi n’oblige pas le demandeur d’asile à chercher à obtenir la protection de l’État, bien que, dans la plupart des cas, il puisse être pratiquement nécessaire de le faire pour être en mesure de fournir une preuve « claire et convaincante » établissant que l’État ne veut ou ne peut pas offrir de protection. Toutefois, « quand la persécution est généralisée et systématique, l’omission de signaler de mauvais traitements aux autorités a une valeur probante douteuse ». En l’espèce, la Commission ne s’est pas demandé si la revendication de la protection de l’État était une avenue raisonnable compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait la demanderesse.

VI. Conclusion

[31] En toute déférence, je suis d’avis que la décision ne respecte pas les contraintes juridiques pertinentes et ne se fonde pas sur une analyse raisonnable du caractère adéquat de la protection de l’État sur le plan opérationnel, et qu’elle est donc déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VII. Aucune question à certifier

[32] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1150-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1150-21

 

INTITULÉ :

ZSOLT SANDOR BITO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2022

COMPARUTIONS :

Shervin Ghiami

POUR LE DEMANDEUR

Idorenyin Udoh-Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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