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Date : 20221003


Dossier : IMM-2539-22

Référence : 2022 CF 1371

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre2022

En présence monsieur le juge Pentney

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

SAMAYEH ZINALI

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejetant une demande de constat de perte de l’asile de la défenderesse en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le demandeur a présenté la demande parce que la défenderesse, Samayeh Zinali, avait obtenu un passeport iranien et était retournée en Iran à plusieurs reprises.

[2] La défenderesse a d’abord fui l’Iran parce qu’elle craignait d’être persécutée du fait qu’elle est une adepte de la religion bahá’íe. Elle est arrivée au Canada à titre de réfugiée, après qu’un agent des visas, en Turquie, lui eut accordé l’asile, et est devenue résidente permanente à son arrivée au Canada en octobre 2013.

[3] La défenderesse a ensuite obtenu un passeport iranien et est retournée en Iran de décembre 2014 à juillet 2015 pour s’occuper de ses petits-enfants afin que sa fille puisse passer du temps avec son mari qui avait subi un accident vasculaire cérébral et était hospitalisé. Elle est revenue au Canada, mais est retournée en Iran en mai 2016, après avoir vécu une période de grande détresse et traversé une dépression à la suite du décès de son fils au Canada. Ses filles au Canada lui ont proposé de retourner en Iran parce que sa fille là-bas aurait plus de temps pour s’occuper d’elle. L’état de santé de la défenderesse a commencé à s’améliorer, mais elle a appris qu’un autre fils qui se trouvait en Finlande avait des problèmes de santé. Ses filles ont organisé une visite et ont fait des plans de voyage pour que la défenderesse puisse aller en Finlande pour rendre visite à son fils. Elle est ensuite retournée en Iran avant de revenir au Canada.

[4] En septembre 2018, la défenderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne et a indiqué qu’elle s’était rendue deux fois en Iran. Elle a également indiqué qu’elle avait obtenu un passeport iranien en janvier 2014, puis a révélé plus tard qu’elle en avait obtenu un autre en juin 2018. En apprenant cela, le demandeur a fait une demande de constat de la perte de l’asile.

[5] La SPR a rejeté la demande parce qu’elle a conclu que la défenderesse avait réfuté la présomption selon laquelle elle avait l’intention d’obtenir la protection de l’État iranien lorsqu’elle a obtenu son passeport et qu’elle est retournée dans ce pays. La SPR a conclu qu’elle y était retournée pour des motifs exceptionnels et qu’elle avait pris des mesures pour rester hors de la portée des représentants de l’État pendant son séjour. La SPR a également admis son témoignage selon lequel elle craint toujours la persécution du fait qu’elle est bahá’íe en Iran. Compte tenu de ces faits, la SPR a conclu que la défenderesse n’avait pas l’intention de demander la protection de l’État et qu’elle ne s’est donc pas réclamée de nouveau de cette protection.

[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, alléguant qu’elle n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes dans son examen de la crainte subjective de la défenderesse à l’égard des autorités iraniennes et que la SPR a commis d’importantes erreurs de fait en omettant de tenir compte de son voyage en Finlande pour rendre visite à son fils. Le demandeur soutient que ces lacunes sont d’une importance cruciale dans l’analyse que la SPR devait mener et qu’elles constituent donc des motifs pour annuler la décision.

[7] Je ne suis pas convaincu.

[8] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, conformément au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Selon ce cadre d’analyse, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). L’un des éléments clés est « qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait [le décideur administratif]. Les cours de révision doivent également s’abstenir ‘d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur’ […] » (Vavilov, au para 125).

[9] Appliquant le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov aux circonstances de l’espèce, je conclus que les arguments du demandeur reviennent en grande partie à demander à la Cour qu’elle apprécie à nouveau la preuve.

[10] Examinant d’abord l’argument selon lequel la SPR n’a pas examiné la raison et les circonstances du retour de la défenderesse en Iran à la suite de la visite qu’elle a rendue à son fils en Finlande, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une erreur susceptible de contrôle. Un examen de la transcription de l’audience révèle que l’agent d’audience de la défenderesse a fait référence à plusieurs reprises à deux voyages lors de l’interrogatoire de la défenderesse, ce qui est logique, car elle a fait deux voyages en Iran depuis le Canada.

[11] Plus tard à l’audience, au cours de la présentation des observations finales, l’agent d’audience a qualifié le voyage en Finlande de [traduction] « troisième voyage », mais n’a pas demandé à interroger davantage la défenderesse à ce sujet. Le voyage en Finlande avait été évoqué au cours de l’audience et la SPR en était manifestement consciente, comme il ressort de sa décision.

[12] Le fait que la SPR ait qualifié par erreur le voyage de la défenderesse en Finlande de « détour » dans son voyage de retour au Canada s’explique peut-être par son témoignage, car c’est ainsi qu’elle l’a désigné. Il n’est cependant pas contesté qu’elle n’a pas voyagé directement de la Finlande au Canada, mais qu’elle est plutôt retournée en Iran, puis est revenue plus tard au Canada. Cependant, l’erreur commise par la SPR sur cette question factuelle est sans importance, car la défenderesse énonce clairement la raison de son voyage en Finlande, faisant observer qu’il s’agissait de rendre visite à son fils qui avait eu des problèmes médicaux importants. Rien n’indique que la raison de son voyage en Finlande ou de son retour en Iran ait été très différente de celle de ses autres voyages et la SPR l’a reconnu à juste titre.

[13] Bien que le demandeur soutienne que, en ce qui concerne ce troisième voyage, la défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de réfuter la présomption voulant qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité, je ne suis pas convaincu que cette conclusion découle de l’erreur mineure commise par la SPR quant à l’itinéraire qu’elle a parcouru. S’il y avait des éléments de preuve indiquant que la défenderesse s’était rendue en Finlande avec un groupe bahá’í ou qu’elle s’était autrement mise en danger d’attirer l’attention des autorités en raison de ses activités dans ce pays ou à son retour, l’omission de la SPR d’évaluer cet élément en appréciant son intention subjective aurait constitué une lacune importante dans son raisonnement. Le demandeur ne peut pas présenter ces éléments de preuve, et cela est compréhensible, parce que la question n’a pas été examinée lorsque la défenderesse a été interrogée.

[14] L’erreur commise par la SPR sur l’itinéraire de voyage de la défenderesse est le type d’erreur mineure sur une question secondaire à laquelle il est fait référence dans l’arrêt Vavilov. Comme la Cour suprême du Canada l’indique clairement dans cet arrêt, il incombe au demandeur de démontrer qu’une lacune est « suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100). Il ne l’a pas fait en l’espèce.

[15] Le demandeur soutient ensuite que la SPR a commis une erreur en concluant que la défenderesse ne contrôlait pas le calendrier de ses voyages et qu’elle a donc omis d’examiner cette question quant à savoir si la durée de ses séjours en Iran révélait une absence de crainte subjective des autorités.

[16] Je ne suis pas convaincu. Je conviens avec la défenderesse que la transcription de l’audience indique qu’elle dépendait largement de ses filles pour organiser ses voyages et qu’elle s’est effectivement rendue là où on lui avait dit d’aller. Le demandeur ne conteste pas que les éléments de preuve montrent que la défenderesse était une femme aux capacités limitées et qu’elle était incapable d’organiser elle-même ses voyages. Les conclusions de fait de la SPR sont fondées sur son évaluation de la preuve, et le demandeur n’a pas démontré le type de « circonstances exceptionnelles » qui justifieraient de modifier ses conclusions (Vavilov, au para 125).

[17] Le troisième argument du demandeur est que la SPR a omis d’examiner l’intention subjective de la défenderesse et la question de savoir si ses actions étaient incompatibles avec une crainte persistante des autorités iraniennes. Le demandeur fait observer que la défenderesse a volontairement communiqué avec des représentants de l’État iranien lorsqu’elle a obtenu son passeport et qu’elle l’a renouvelé ensuite et lorsqu’elle a utilisé ce passeport pour voyager à destination et en provenance de l’Iran. Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de ces éléments et qu’elle n’a donc pas appliqué les critères énoncés dans des décisions antérieures, confirmées plus récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Galindo Camayo].

[18] Je ne suis pas convaincu. Encore une fois, les conclusions de la SPR sur cette question sont étayées par la preuve et sont conformes à la jurisprudence. L’analyse de la SPR est tout à fait conforme à la directive énoncée au paragraphe 83 de l’arrêt Galindo Camayo selon laquelle tout au long de l’analyse « l’accent doit être mis sur la question de savoir si le comportement du réfugié, ainsi que les déductions qui peuvent en être tirées, peut indiquer de manière fiable que le réfugié avait l’intention de renoncer à la protection du [Canada] ».

[19] La SPR savait que le geste que la défenderesse a posé en retournant en Iran en utilisant son passeport iranien déclenchait la présomption voulant qu’elle se réclamât de nouveau de la protection de son pays. Dans la décision Seid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1167 au paragraphe 14, notre Cour a caractérisé cette présomption dans ces cas de « particulièrement forte ». La SPR a ensuite reconnu que la présomption peut être réfutée et que l’utilisation d’un passeport du pays de nationalité pour rendre visite à un membre de la famille malade peut ne pas équivaloir à une nouvelle réclamation de la protection si les autres circonstances du retour ne dénotent pas une intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité (renvoyant à la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Antoine, 2020 CF 370).

[20] La SPR a fait observer que la défenderesse avait pris des mesures pour éviter d’attirer l’attention des autorités iraniennes dans les limites où elle le pouvait, par exemple en ne quittant pas la maison de sa fille lors du premier voyage, à l’exception d’une promenade pour rendre visite à son gendre à l’hôpital. Elle n’a pas rendu visite à son frère ni à sa sœur en Iran bien qu’elle ne les ait pas vus depuis de nombreuses années et elle n’a rien fait qui aurait pu la lier à sa foi bahá’íe, laquelle était la source de ses craintes de persécution. Le dossier ne contient aucun élément de preuve indiquant que son passeport pourrait la désigner comme membre de la communauté bahá’íe, ou que le gouvernement tient une liste des adeptes qu’il utilise à l’entrée dans le pays.

[21] À bien des égards, la présente affaire est semblable à celle dont il est question dans la décision Canada (Citizenship and Immigration) v Safi, 2022 FC 1125, où la juge Strickland a confirmé la décision de la SPR pour le motif qu’elle avait appliqué les critères énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Galindo Camayo, et que ses conclusions étaient étayées par les faits. Plus précisément, vu le fait que le demandeur d’asile ignorait qu’il ne pouvait pas retourner dans son pays d’origine, et vu que le but et les circonstances de ses deux voyages indiquaient qu’il craignait toujours les autorités en Afghanistan, la conclusion de la SPR selon laquelle il avait réfuté la présomption fut jugée raisonnable. Dans une autre décision récente, Aydemir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 987, l’omission de la SPR de se concentrer sur l’intention subjective du demandeur d’asile de retourner dans son pays d’origine a été jugée déraisonnable.

[22] En l’espèce, la SPR a analysé les intentions subjectives de la défenderesse ainsi que la raison de ses voyages, son comportement en Iran et toutes les autres circonstances pertinentes. Cela est conforme aux exigences de l’arrêt Galindo Camayo et de la jurisprudence récente.

[23] Quant à cet argument, je conclus que le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Encore une fois, je ne suis pas convaincu qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui justifient de modifier les conclusions de fait de la SPR concernant l’intention subjective de la défenderesse et sa crainte constante des autorités iraniennes.

[24] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2539-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lyne Paquette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2539-22

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c SAMAYEH ZINALI

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2022

COMPARUTIONS :

Robert L. Gibson

 

POUR LE DEMANDEUR

Douglas Cannon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver, (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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